Tribunal de première instance, 21 janvier 2016, M. j. SI. OL. c/ La société R
Abstract🔗
Accident du travail - Évaluation de la capacité résiduelle de gains - Homologation de la commission spéciale - Lien de causalité entre l'accident et la perte de salaire
Résumé🔗
Il est établi que les séquelles de l'accident ont contraint la victime à travailler à mi-temps thérapeutique, puis l'ont conduit à percevoir des indemnités chômage sur la base dudit mi-temps. Ainsi, la perte de salaire subie par la victime est bien consécutive à l'accident du travail quelle que soit la cause de la rupture du contrat de travail. La capacité résiduelle de gains qui est fonction de l'état de la victime n'est pas définitivement fixée. C'est donc à tort que l'assureur conteste l'avis de la commission spéciale en arguant qu'elle ne saurait être tenue d'indemniser la victime jusqu'à une reconversion que seul celui-ci maîtrise. Il appartiendra en effet à l'assureur-loi, le cas échéant, de faire réviser la rente. L'existence d'une instance pendante pour faire reconnaitre la faute inexcusable de l'employeur ne peut conduire au débouté de la victime. L'avis de la commission spéciale évaluant à 50 % la capacité résiduelle de gains de la victime est homologué.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
JUGEMENT DU 21 JANVIER 2016
N° 2015/000073 (assignation du 17 septembre 2014)
En la cause de :
M. j. SI. OL., né le 3 avril 1973 à ANGOLA (Portugal), de nationalité portugaise, maçon, demeurant X à MENTON (06500) ;
Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail,
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sarah FILIPPI, avocat en cette même Cour ;
d'une part ;
CONTRE :
La société R, compagnie d'assurances, dont le siège social se situe X1 à PARIS (75008), immatriculée au Registre du Commerce la Principauté de Monaco, sous le n° 56 S 00671, prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice, domicilié audit siège et représenté en Principauté par son agent d'assurance, Monsieur F, demeurant en cette qualité Cabinet F, situé X2 ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Pierre-Paul VALLI, avocat au barreau de Nice ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 17 septembre 2014, enregistré (n° 2015/000073) ;
Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 2 avril 2015 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 10 juin 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de j. SI. OL., en date des 10 juin 2015 et 15 septembre 2015;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT avocat-défenseur, au nom de La Compagnie société R, en date des 8 juillet 2015 et 22 octobre 2015 ;
À l'audience publique du 3 décembre 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 21 janvier 2016 ;
Considérant les faits suivant :
Le 16 janvier 2009, j. SI. OL., employé en qualité de maçon au service de la SARL Q a été victime d'un accident du travail.
Par ordonnance en date du 22 novembre 2011, le Juge chargé des accidents du travail a désigné le Docteur I en qualité d'expert afin de déterminer les conséquences définitives de l'accident.
Dans son rapport en date du 7 décembre 2011, l'expert ainsi commis a conclu :
« J'ai examiné la victime le 07.12.2011
J'ai décrit ses blessures.
La durée de soins va du 16.01.2009 au 30.09.2011
L'ITT va du 16.01.2009 au 30.09.2009.
Une ITT/2 (mi-temps thérapeutique) va du 01.10.2009 jusqu'au 30.11.2009.
Une autre ITT va du 06.01.2010 au 11.01.2010.
Une ITT/2 va du 12.01.2010 au 31.01.2010
Reprise du travail a temps complet le 01.02.2010.
Une autre ITT/2 va du 04.03.2010 au 08.03.2010 au 31.03.2010.
Reprise du travail à temps complet le 01.04.2010.
Une autre ITT va du 25.04.2010 au 18.05.2010.
Une autre ITT/2 va du 19.05.2010 au 30.06.2010.
Congés annuels. Le 01.08.2010.
Une ITT/2 va du 31.08.2010 au 30.09.2010 inclus :
Le 01.10.2010 : reprise du travail à temps complet.
Une autre ITT/2 va du 11.10.2010 au 30.06.2011.
Reprise du travail à TEMPS COMPLET le 01.07.2011 jusqu'au 17.07.2011.
Une autre ITT/2 va du 18.07.2011 au 30.09.2011.
La consolidation des blessures peut être considérée au 30.09.2011.
Il persiste une IPP rattachable à l'accident du 16.01.2009 dont le taux peut être fixé à 9 %.
Le patient précise avoir conservé son emploi avec diminution de salaire dans la même entreprise puisque il travaille depuis la date de consolidation à mi-temps (la reprise à temps complet s'étant soldée à chaque fois par un échec).
Il convient de faire apprécier la capacité résiduelle de gain de la victime par la commission spéciale prévue par l'article 23 bis de la loi susvisée ».
j. SI. OL. refusant de se concilier sur la base de ce rapport, le Juge chargé des accidents du travail a renvoyé l'affaire et les parties par-devant ce Tribunal par ordonnance en date du 10 octobre 2013.
Par exploit en date du 17 septembre 2014, j. SI. OL. a fait assigner la compagnie société R et la SARL Q aux fins de désignation d'un nouvel expert et de saisine de la commission spéciale d'invalidité.
Par jugement rendu le 2 avril 2015, le Tribunal a :
homologué le rapport d'expertise avec toutes conséquences de droit,
ordonné la saisine de la commission spéciale.
Le 12 mai 2015, la commission a estimé que la capacité résiduelle de gain devait être fixée à 50 %.
Dans ses écritures déposées les 10 juin et 15 septembre 2015, j. SI. OL. sollicite du Tribunal l'homologation avec toutes conséquences de droit de l'avis de la commission spéciale et le rejet des moyens et prétentions de la compagnie société R.
Il est soutenu que :
le licenciement économique dont j. SI. OL. a fait l'objet, ne doit pas faire débat ;
en effet, il a bénéficié d'un mi-temps thérapeutique de sorte qu'après son licenciement, ses indemnités ont été calculées sur la base de ce mi-temps et que ses pertes de salaire sont donc directement en lien avec son accident du travail ;
contrairement à ce qu'allègue la compagnie société R, il est de fait particulièrement difficile à j. SI. OL. de se reconvertir ;
l'instance pendante devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Nice ne saurait conduire à une double indemnisation de la compagnie société R, dès lors que si l'avis de la commission spéciale devait être homologué à Monaco, l'assureur-loi ne manquerait pas d'en justifier dans le cadre de la procédure française.
Dans ses écritures déposées les 8 juillet et 22 octobre 2015, la compagnie société R demande du Tribunal de :
dire n'y avoir lieu à homologation de l'avis de la commission spéciale ;
dire que la capacité résiduelle de gains ne saurait excéder 9 % de la perte de salaire selon les termes du rapport du Docteur I ;
dire à tout le moins, qu'à supposer qu'une suite favorable même partielle soit réservée, la compensation de la perte de salaire résultant de l'incapacité à travailler à temps plein devra être revue après la période de reconversion.
Après un rappel des faits et procédures, la compagnie société R fait valoir en premier lieu que :
le licenciement économique dont a fait l'objet j. SI. OL. est étranger à l'accident du travail ;
ainsi les pertes de salaire relatives à une éventuelle difficulté de reconversion sont toutes aussi étrangères à l'accident dont s'agit, et la preuve d'un lien de causalité n'est pas rapportée ;
il s'ensuit que les diverses reprises de travail alternées entre temps plein et mi-temps thérapeutique, ne peuvent être prises en compte puisqu'elles ont déjà été retenues par l'expert et que j. SI. OL. n'a pas été licencié pour inaptitude physique ;
admettre le contraire reviendrait à faire supporter à l'assureur-loi un licenciement qui n'est pas imputable à l'accident du travail.
En deuxième lieu, la compagnie société R argue que :
le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Alpes-Maritimes est saisi d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable, laquelle, si elle était reconnue, conduira à une majoration de l'indemnisation allouée au salarié, victime de l'accident du travail ;
ce faisant, j. SI. OL. poursuit devant des juridictions une même indemnisation.
Enfin, la compagnie société R souligne que :
l'assureur-loi ne saurait être tenu à compenser une perte de salaire de 50 % jusqu'à une reconversion que seul j. SI. OL. maîtrise ;
la prise en charge de la capacité résiduelle de gain n'est pas définitive puisqu'elle est subordonnée à une reconversion professionnelle.
MOTIFS :
Dans son avis du 12 mai 2015, objet du litige opposant les parties, la commission spéciale a évalué à 50 % la capacité résiduelle de gain de j. SI. OL. dans les termes qui suivent :
« Considérant que j. SI. OL. a alterné des reprises de travail à temps plein et à mi-temps thérapeutique à partir du mois d'octobre 2009 ; que depuis la date de consolidation, il travaillait en mi-temps thérapeutique jusqu'à son licenciement intervenu, le 19 juin 2014, pour motif économique ; que j. SI. OL. perçoit aujourd'hui l'allocation de retour à l'emploi calculée sur la base d'un mi-temps ;
Considérant que j. SI. OL. ne peut plus travailler à temps plein dans son ancien métier de manœuvre, comme le démontrent les échecs renouvelés des tentatives de reprise à temps plein ; que dans l'attente d'une reconversion, il y a lieu de compenser la perte de salaire résultant de son incapacité actuelle à travailler à temps plein dans son domaine de compétence ».
La compagnie société R critique cette évaluation au motif en premier lieu que le licenciement économique dont a fait l'objet j. SI. OL. est étranger à l'accident du travail.
Cette critique est toutefois dénuée de pertinence dès lors qu'il est établi que les séquelles de l'accident (IPP de 9 %) consistant en un syndrome douloureux du rachis lombaire avec un dérouillage matinal associé à une raideur modérée de la mobilité active du rachis dorsolombaire ont contraint j. SI. OL. à travailler à mi-temps thérapeutique, puis l'ont conduit à percevoir des indemnités chômage sur la base dudit mi-temps.
Ainsi, la perte de salaire subie par j. SI. OL. est bien consécutive à l'accident du travail quelle que soit la cause de la rupture du contrat de travail.
En deuxième lieu, la capacité résiduelle de gains qui est fonction de l'état de la victime n'est pas définitivement fixée.
C'est donc à tort que la compagnie société R conteste l'avis de la commission spéciale en arguant qu'elle ne saurait être tenue d'indemniser j. SI. OL. jusqu'à une reconversion que seul celui-ci maîtrise.
Il appartiendra en effet à l'assureur-loi, le cas échéant, de faire réviser la rente s'il estime que la situation de j. SI. OL. le rend nécessaire.
Au surplus, ce dernier, âgé de 42 ans, allègue, sans être contredit, être de nationalité portugaise, ne pas maîtriser la langue française, être sans diplôme ni formation professionnelle, avoir toujours travaillé comme manœuvre dans le bâtiment de sorte qu'il lui est bien difficile de se reconvertir.
Le moyen soulevé de ce chef par la compagnie société R sera en conséquence rejeté.
En troisième lieu, cette dernière argue d'une instance pendante devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Nice, aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur.
Cette procédure, si elle aboutit, conduira notamment à la majoration de la rente payée par l'assureur-loi à j. SI. OL..
Cela ne saurait toutefois justifier le débouté de ce dernier devant la juridiction présentement saisie.
En effet, il appartiendra à la compagnie société R de déclarer au Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, toutes les prestations servies par elle dans le cadre de la procédure d'accident du travail monégasque, de sorte qu'il ne saurait y avoir double indemnisation.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera fait droit à l'action de j. SI. OL..
Enfin, la compagnie société R succombant supportera les dépens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,
Homologue avec toutes conséquences de droit, l'avis de la commission spéciale en date du 12 mai 2015, relatif à j. SI. OL. ;
Ordonne le renvoi du dossier devant le Juge chargé des Accidents du Travail aux fins qu'il appartiendra ;
Rejette les moyens et prétentions de la compagnie société R ;
Condamne la compagnie société R aux dépens, y compris ceux réservés par jugement en date du 4 avril 2015, dont distraction au profit de l'administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011 ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sophie LEONARDI, Juge, Madame Léa PARIENTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 21 JANVIER 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Sophie LEONARDI, Juge, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
La présente décision a été signée par Madame Sophie LEONARDI, Juge, en application de l'article 60 de la même Loi n° 1.398.