Tribunal de première instance, 17 décembre 2015, Mademoiselle li. KN. et autres c/ Monsieur p. i. EL CH.
Abstract🔗
Droit international privé - Successions - Défunte de nationalité libanaise - Conflit de juridictions - Compétence du tribunal de Monaco (non).
Résumé🔗
Le tribunal, saisi d'une question de succession, prononce d'office son incompétence dès lors que la défunte est de nationalité libanaise, qu'elle est décédée au Liban où se trouvait son dernier domicile et où sa succession a été ouverte. En outre, le solde créditeur d'un compte bancaire situé à Monaco, n'est nullement immobilier et donc insusceptible de fonder une compétence spécifique au sens de l'article 3 2° du Code de procédure civile. Toutes les parties étant de nationalité libanaise, demeurant au Liban, le Tribunal ordonne la réouverture des débats, dans le respect du contradictoire, pour que les parties s'expliquent sur la compétence du Tribunal de Première Instance pour connaître de la cause.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
JUGEMENT DU 17 DÉCEMBRE 2015
En la cause de :
Mlle li. KN., de nationalité française, née le 14 mars 1994 à BEYROUTH ;
Mlle Léa KN., de nationalité française, née le 15 mai 1995 à BEYROUTH ;
Mlle ro. KN., de nationalité française, née le 1er juillet 1998 à BEYROUTH, mineure, représentée par sa mère, Mme r. SO., tutrice légale en vertu d'une ordonnance du Juge religieux du Liban en date du 16 mai 2014 ;
Mlle a. KN., de nationalité française, née le 1er juillet 1998 à BEYROUTH, mineure, représentée par sa mère, Mme r. SO., tutrice légale en vertu d'une ordonnance du Juge religieux du Liban en date du 16 mai 2014 ;
Demeurant toutes quatre Immeuble X - BEYROUTH - Liban ;
M. m. s. BA., né en Syrie le 1er juillet 1941 demeurant à MAZZA (Syrie), H612016 ;
Mme ha. BA., née à DAMAS en 1932, demeurant à DAMAS, (Syrie), H3110330 ;
Mme i. BA., née à AKKA en 1924 demeurant à DAMAS (Syrie), X ;
DEMANDEURS, ayant élus domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
M. p. i. EL CH., né le 1er janvier 1960 à KOBAYAT EL ZOUK, de nationalité libanaise, demeurant Hursh Tabet, Rue Electricité BEYROUTH, LIBAN,
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 23 septembre 2014, enregistré (n° 2015/000098) ;
Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de p. i. EL CH., en date des 11 février 2015 et 10 juin 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de li. KN., Léa KN., ro. KN., a. KN., m. BA., hy. BA. et i. BA., en date des 16 avril 2015 et 28 juillet 2015 ;
À l'audience publique du 29 octobre 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 17 décembre 2015 ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
Madame li. s BA., de nationalité libanaise, est décédée à Beyrouth (Liban) le 26 avril 2014, laissant pour lui succéder ses quatre petites filles issues de son fils unique k. p. KN. (prédécédé) à savoir mesdemoiselles li., Léa, ro. et a. KN. ainsi que le frère de la de cujus, m. BA. et ses soeurs mesdames hy. et hi. BA.
Il n'est pas contesté que de son vivant, li. s BA. était titulaire d'un compte personnel n° 110174-2 ouvert dans les livres de l'établissement bancaire A à Monaco dont le solde créditeur s'élevait le 31 mai 2012 à 2.363.956,85 US$.
Le 20 septembre 2012, li. s BA. allait procéder à l'ouverture auprès de la banque A d'un compte joint n° 110175 avec p. EL CH., procédant au virement depuis son compte personnel de la somme de 2.260.000 US$ et le 4 octobre 2012 au virement de la somme de 7.509,85 US$, clôturant ainsi son compte personnel.
Depuis ce compte joint, suite au décès de li. s BA. le 26 avril 2014, p. EL CH. allait procéder à un virement vers un compte personnel de la somme de 400.428,17 US$ le 7 mai 2014.
Par acte en date du 23 septembre 2014, li., Léa, ro. et a. KN. ainsi que le frère de la de cujus, m. BA. et ses soeurs mesdames hy. et hi. BA., ci-après les consorts KN. BA. faisaient citer p. EL CH. devant le Tribunal de Première Instance en sollicitant qu'il soit jugé que le compte joint ouvert auprès de la banque A avait été alimenté par les seuls avoirs de li. s BA. et que p. EL CH. soit condamné à leur restituer la somme de 400.428,17 US$, avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2014, outre sa condamnation au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
À l'appui de leurs demandes, les consorts KN. BA. indiquaient que leur vocation successorale ne ferait pas de doute. Ils estimaient que la présomption d'indivision des sommes figurant à l'actif d'un compte joint serait en l'espèce renversée par la preuve de ce que ce compte joint avait été alimenté à l'origine par des seuls avoirs personnels de la de cujus, à l'exclusion de tout apport de p. EL CH. tant lors de l'ouverture que durant la durée de fonctionnement de ce compte.
Ils rappelaient également que dès le 13 mai 2014 leur conseil libanais avait écrit à la banque A à Monaco pour lui enjoindre de ne prendre aucune disposition sur le compte litigieux n°110175 et le 8 juillet 2014 pour contester tout droit de p. EL CH. sur ce compte en s'opposant à tout règlement en sa faveur. Cette opposition était formellement signifiée par exploit d'huissier du 24 juillet 2014.
Par conclusions en date des 11 février et 10 juin 2015, p. EL CH. invoquait l'irrecevabilité de l'action des demandeurs et reconventionnellement sollicitait qu'il soit jugé qu'il était l'unique bénéficiaire des avoirs bancaires figurant sur le compte joint n°110175, que soit ordonnée la mainlevée de l'opposition pratiquée par les consorts KN. BA. sur le compte et qu'il soit jugé qu'il pourrait désormais valablement faire injonction à la société A d'avoir à exécuter un ordre de virement par lui transmis le 10 mai 2014 portant sur 495 onces d'or vers un compte personnel. Il sollicitait enfin la condamnation des demandeurs au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
Au soutien de ses prétentions, p. EL CH. indiquait que la succession de li. s BA. s'était ouverte à Beyrouth (Liban) et que les demandeurs arguaient d'une qualité d'héritiers au regard des lois en vigueur au Liban sur le seul fondement de la simple photocopie d'un jugement du Tribunal Charié Sunnite de Baabda (Liban), en date du 16 juillet 1435 de l'Hégire (correspondant au 15 mai 2014 du calendrier chrétien). Cette décision n a. nt pas fait l'objet d'une procédure d'exequatur, elle ne pourrait produire ses effets à Monaco et les demandeurs seraient donc irrecevables en leurs demandes.
À l'appui de ses demandes reconventionnelles, p. EL CH. indiquait qu'il aurait été en réalité bénéficiaire d'une donation indirecte de la part de li. s BA. de son vivant portant sur les biens meubles constituant les avoirs figurant sur le compte bancaire litigieux. S'agissant de l'actif mobilier de la succession, la loi libanaise serait applicable à cet égard.
Les consorts KN. BA. ont conclu les 17 avril et 28 juillet 2015 en maintenant leurs demandes initiales et en sollicitant que le défendeur soit déclaré infondé en son exception d'irrecevabilité.
Ils estimaient que s'agissant d'une décision judiciaire gracieuse portant sur l'état des personnes, le jugement du Tribunal Charié Sunnite de Baabda n'avait pas à recevoir l'exequatur pour produite ses effets.
Ils faisaient également valoir que p. EL CH. ne rapporterait nullement la preuve d'une donation indirecte, le défendeur se bornant à verser aux débats une simple lettre à la portée contestable ne précisant nullement de numéro de compte concerné ni de destinataire.
SUR QUOI :
Sur la compétence du Tribunal de Première Instance :
Attendu qu'aux termes de l'article 3 3° du Code de procédure civile les tribunaux de la Principauté de Monaco connaissent des actions relatives à une succession ouverte dans la Principauté de Monaco, jusqu'au partage définitif, s'il s'agit d'une demande entre cohéritiers ; et pendant deux années à compter du décès, s'il s'agit de demandes formées par des tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire ;
Qu'aux termes de l'article 83 du Code civil le lieu où la succession s'ouvre est celui du domicile du défunt ;
Attendu qu'en l'espèce, la défunte li. s BA., de nationalité libanaise, est décédée au Liban où il n'est pas contesté que se trouvait son dernier domicile et où sa succession a été ouverte ;
Attendu qu'aux termes de l'article 263 du Code de procédure civile, quand le Tribunal est incompétent en raison de la matière, cette incompétence pourra être opposée en tout état de cause ; le tribunal sera même tenu de la déclarer d'office ;
Qu'en l'espèce s'agissant d'une compétence d'attribution internationale résultant de l'application d'une règle de conflit dans la matière spécifique aux successions, c'est la possibilité même pour le Tribunal de connaître ce type de litige sans critère de rattachement avec la Principauté qui est en cause et non la détermination de la juridiction monégasque territorialement compétente ;
Qu'en l'espèce cette question de compétence doit être d'autant plus relevée d'office, s'agissant d'un contentieux, non fondée sur des obligations nées à Monaco au sens de l'article 3 2° du Code de procédure civile, mais manifestement relatif à une succession, dès lors notamment que le défendeur se prétend bénéficiaire de libéralités ;
Que le potentiel actif de la succession à Monaco, soit le solde créditeur d'un compte bancaire, n'est nullement immobilier et donc insusceptible de fonder une compétence spécifique au sens de l'article 3 2° du Code de procédure civile ou de la jurisprudence relative aux immeubles situés à Monaco inclus dans les forces d'une succession ;
Que les parties sont toutes de nationalités libanaises, demeurant au Liban ;
Attendu en conséquence et dans le respect du principe du contradictoire, qu'il y a lieu à réouverture des débats pour que les parties s'expliquent sur la compétence du Tribunal de Première Instance pour connaître de la cause ;
Attendu que l'examen du surplus des demandes et des dépens sera réservé en fin de cause ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et avant-dire-droit,
Ordonne la réouverture des débats aux fins que les parties présentent leurs observations sur la compétence du Tribunal de Première Instance de Monaco pour connaître de la cause ;
Renvoie la cause et les parties à l'audience du MERCREDI 13 JANVIER 2016 à 9 heures ;
Réserve l'examen du surplus des demandes et les dépens en fin de cause ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Patricia HOARAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 17 DÉCEMBRE 2015, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.