Tribunal de première instance, 10 décembre 2015, Mme e. ZA. épouse GE., M. p. ZA.,M. a. ZA. c/ La SAM A.

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Abstract🔗

Procédure civile - Exception de communication des pièces - Réouverture de l'information judiciaire pénale - Pièces à communiquer par le Ministère public (oui)

Résumé🔗

Les pièces de la procédure pénale doivent être communiquées par le Ministère public, dès lors que cette communication paraît indispensable à la manifestation de la vérité et à la solution du litige civil relatif à la responsabilité de la banque concernant la disparition d'un tableau déposé dans un coffre bancaire.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 10 DECEMBRE 2015

En la cause de :

  • Mme e. ZA. épouse GE., née le 9 juillet 1957 à Asti, de nationalité italienne, demeurant 1/2 rue J. Vercellone à San Damiano d'Asti (Italie),

  • M. p. ZA., né le 15 mars 1960 à Asti, de nationalité italienne, manager industriel, demeurant X à Milan (Italie),

  • M. a. ZA., né le 17 janvier 1966 à Asti, de nationalité italienne, pharmacien, demeurant X à San Damiano d'Asti (Italie),

Tous trois héritiers de l. ZA., né le 4 juin 1922 à Terni (Italie), décédé le 1er décembre 1998 à Asti (Italie), ayant demeuré de son vivant X à San Damiano d'Asti,

DEMANDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice,

d'une part ;

Contre :

  • La SAM A., immatriculée au RCI de Monaco sous le n° X, dont le siège social est sis à Monaco - X1, prise en la personne de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 19 juin 2013, enregistré (n° 2012/000651) ;

Vu le jugement rendu par ce Tribunal le 16 mai 2013 ayant rejeté l'exception de cautio judicatum solvi, condamné la SAM A. à payer aux demandeurs des dommages-intérêts et renvoyé la cause et les parties à l'audience du 13 juin 2013 pour les conclusions du ministère public sur le versement aux débats des procédures pénales PG 2008/1665 et N27/2009 et les conclusions au fond de la défenderesse ;

Vu les conclusions de Monsieur le Procureur Général en date du 22 mai 2013 ;

Vu le versement des pièces pénales du dossier d'information N27/09 effectué par Monsieur le Procureur Général par transmission du 14 juin 2013 ;

Vu la communication de ces pièces aux parties par Madame le Président du Tribunal par courrier du 17 juin 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A., en date des 11 juillet 2013, 31 octobre 2013, 19 juin 2015 et 22 octobre 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom d e. ZA. épouse GE., p. ZA. et a. ZA., en date des 3 octobre 2013 et 14 octobre 2015 ;

À l'audience publique du 29 octobre 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 10 décembre 2015 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Par acte en date du 19 juin 2012, e. ZA. épouse GE., p. ZA. et a. ZA., (ci-après les consorts ZA.) faisaient assigner la SAM A. devant le Tribunal de Première Instance en sollicitant :

  • - in limine litis, qu'il soit ordonné que le Tribunal soit saisi, dans la présente procédure, du dossier d'information JI n° N27/2009, et PG n° 2008/1665,

  • - de s'entendre la banque défenderesse condamnée à restituer aux demandeurs le tableau de Raffaello SANZIO, dit Raphaël, mesurant 73 cm sur 62 cm, dénommé « la Madone de la Miséricorde », ainsi que le coffre en bois de protection, aux dimensions d'environ 1,20 m sur 0,80 m qui le contenait, ledit tableau et ce coffre ayant été déposés et conservés dans l'armoire blindée n°3 louée par la banque E. (E.) sise X2 à Monaco,

  • - si la banque ne pouvait satisfaire à cette obligation de faire, que celle-ci soit condamnée, à titre subsidiaire, au paiement de la somme de 165.000.000 euros (cent soixante cinq millions d'euros), outre 100.000 euros (cent mille euros) à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

À l'appui de leurs demandes, les consorts ZA., indiquaient que le 6 août 1992, leur père l. ZA. (décédé le 1er décembre 1998) avait ouvert un compte de dépôt d'une part et d'autre part loué une « armoire blindée n°3, située en sous-sol dans une pièce de sécurité à barreaux contiguë à la salle des coffres forts » auprès de la E., (aux droits de laquelle est venue la banque B., en 1998, elle-même rachetée en 2004 par la banque D., aux droit de laquelle se trouve désormais la banque A.).

Ils ajoutaient que le 6 août 1992 avait été placé dans cette armoire blindée le tableau « la madone de la miséricorde » de Raphaël. Qu'il serait attesté qu'encore le 3 mars 2000, le tableau s'y trouvait. Or, en 2008, alors que p. ZA. entendait se rendre à la banque pour montrer l'œuvre à un expert, il lui avait été indiqué que la banque B. avait été rachetée par la défenderesse mais que cette dernière n'était plus en possession des clés de l'armoire d'une part et que la banque B. lui avait seulement précisé qu'il s'agissait d'une armoire de service, si bien qu'elle avait fait procéder à l'ouverture de celle-ci, le 9 décembre 2005, sans l'assistance d'un huissier de justice.

La banque n'ayant pas pu présenter le tableau aux demandeurs, une plainte des consorts ZA. avait été déposée le 2 août 2008, classée sans suite par le Parquet Général de Monaco le 13 novembre 2008 pour recherches infructueuses. Une plainte avec constitution de partie civile avait par la suite été formalisée par les demandeurs le 9 novembre 2009, le Juge d'instruction délivrant le 21 juin 2011 une ordonnance de non-lieu.

Les demandeurs estimaient que les éléments réunis au cours de ces procédures pénales étant de nature à éclairer valablement la juridiction sur les mérites de l'action, leur communication devrait être ordonnée.

Selon les demandeurs, la banque serait tenue d'une obligation de résultat dans le cadre de la relation contractuelle lui imposant de restituer le tableau. S'agissant de la demande en paiement présentée à titre subsidiaire, les demandeurs indiquaient qu'elle était fondée sur le principe que tout manquement à une obligation de faire se résout en dommages et intérêts et que s'agissant du préjudice, le tableau aurait été estimé à une valeur comprise entre 120 et 160 millions de dollars en 1996 (rapport d'expertise BOVA du 18 mai 1996), ce qui correspondrait à une fourchette entre 142 et 189 millions d'euros au jour de la demande, d'où le montant médian de 165 millions d'euros sollicité.

En défense, la SAM A. a conclu le 17 octobre 2012 en soulevant une exception de cautio judicatum solvi et qu'à cet égard, chacun des demandeurs soit condamné au paiement d'une caution de 400.000 euros avant toute discussion au fond.

Par conclusions en date du 14 novembre 2012, les demandeurs présentaient des écritures relatives à l'exception de cautio de judicatum solvi, en sollicitant le débouté de la banque à ce sujet et, par demande additionnelle à cet égard, la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 30.000 euros à chacun des demandeurs pour avoir soulevé cette exception de manière abusive.

L'affaire était plaidée sur la forme, à l'audience du 14 février 2013.

Par jugement du 16 mai 2013, le Tribunal a :

  • rejeté l'exception de cautio judicatum solvi présentée par la SAM A. ;

  • condamné la SAM A. à payer à e. ZA. épouse GE., p. ZA. et a. ZA. la somme de 5.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour abus dans l'invocation de ce moyen procédural ;

  • renvoyé la cause et les parties à l'audience du JEUDI 13 JUIN 2013 à 9 heures, pour conclusions du Ministère Public sur le versement aux débats des procédures pénales PG n° 2008/1665 et JI N27/2009 et conclusions au fond de la SAM A. ;

  • réservé les dépens en fin de cause.

Par conclusions du 22 mai 2013, le Procureur Général ne s'est pas opposé au versement aux débats des procédures PG 2008/001665 et JI N27/2009. Ces pièces ont été communiquées au Tribunal par transmission du 14 juin 2013 et adressées aux conseils des parties le 17 juin 2013.

Dans un premier temps, a été soulevée par la société A. une exception d'appel en garantie. Les demandeurs ont conclu à son irrecevabilité et sollicité l'octroi de dommages-intérêts pour demande injustifiée et dilatoire.

Alors que l'affaire avait été fixée à plaider à l'audience du 12 décembre 2013 sur cette exception, le conseil de la défenderesse a indiqué, par courrier du 5 décembre 2013, avoir été avisée de la mise en vente du tableau litigieux à la salle des ventes de l'établissement C.

Le conseil des demandeurs a déclaré, par courrier du 6 décembre 2013, s'être rapproché du Parquet Général qui l'a informé de la mise sous séquestre du tableau dans l'attente d'une ouverture d'information judiciaire.

Par transmission du 23 janvier 2014, le Juge d'instruction a sollicité communication des pièces de la procédure civile en faisant état de la réouverture de l'information judiciaire sur charges nouvelles sous les numéros PG 2009/002663 - N27/09.

Par courrier du 24 février 2015 adressé au Procureur Général, le conseil de la banque défenderesse a sollicité le versement à la présente procédure des cotes D117 et suivantes de la procédure pénale en précisant que celles antérieures avaient d'ores et déjà été versées aux débats.

Par conclusions du 19 juin 2015, la banque A. a soulevé une exception de communication de pièces au visa des articles 177 et 274 du Code de procédure civile et a demandé l'autorisation de communiquer toutes les pièces de la procédure pénale jusqu'à la clôture du dossier d'information et en conséquence que le Procureur Général soit invité à procéder à cette communication de pièces. Elle s'est réservée le droit de conclure sur le fond.

Au soutien de sa demande, la défenderesse fait valoir que les développements ultérieurs de la procédure ont mis en lumière des faits nouveaux qui présentent incontestablement un lien étroit avec les faits soumis à l'appréciation de ce Tribunal et un intérêt certain, pour ne pas dire capital pour la solution du procès civil.

Par conclusions du 14 octobre 2015, les consorts ZA. ont conclu au rejet de cette demande aux motifs que cette demande est inopportune en l'état du sursis à statuer ordonné et aurait pour effet de violer le secret de l'instruction.

Par conclusions du 22 octobre 2015, la banque défenderesse a maintenu ses précédentes demandes et moyens et y ajoutant a indiqué qu'aucun sursis à statuer n'a été ordonné, que cette communication ne violerait pas le secret de l'instruction du fait du lien de connexité entre les procédures pénales et civiles, de l'intérêt de l'issue de la procédure pénale pour la solution du litige civil et des montants particulièrement exorbitants et infondés réclamés soit 165 millions d'euros outre 100.000 euros à titre de dommages-intérêts.

À l'audience du 28 octobre 2015, l'affaire a été fixée à plaider uniquement sur cette demande de communication de pièces.

SUR CE,

Il convient de relever que dans les faits, la première partie de la procédure pénale a d'ores et déjà été versée aux débats par le Ministère Public et communiquée aux parties jusqu'à l'ordonnance de non-lieu du 21 juin 2011.

Les consorts ZA. s'opposent aujourd'hui à la communication des pièces postérieures à la réouverture de l'information judiciaire pour charges nouvelles à la suite de la mise en vente à la salle des ventes du Victoria du tableau litigieux alors qu'ils avaient sollicité précisément la communication de cette procédure pénale dans leur assignation introductive d'instance.

Pour conclure au rejet de cette demande, ils font valoir en premier lieu qu'une telle demande est inopportune en l'état du sursis à statuer ordonné, or, en l'état aucune décision de sursis à statuer n'a été prise et le Tribunal n'est même pas saisi d'une telle demande par aucune des parties.

En second lieu, ils arguent d'une violation du secret de l'instruction. Cependant, il convient de rappeler que le secret de l'instruction tel que prévu par l'article 31 du Code de procédure pénale ne concerne que les personnes qui concourent à cette instruction et non les parties. De plus, en l'état de la communication déjà effectuée de la première partie de l'information judiciaire, la communication de sa suite ne saurait engendrer une telle violation.

Cette communication paraît, compte tenu des éléments nouveaux ci-dessus rappelés, indispensable à la manifestation de la vérité et à la solution du litige civil relatif à la responsabilité de la banque.

Il convient donc d'ordonner ce versement aux débats et d'inviter le ministère public, qui s'était déclaré favorable au versement des pièces pénales dans ses conclusions prises le 22 mai 2013, à communiquer au Tribunal de première instance les pièces de la procédure pénale référencée PG 2009/002663 - JI N27/09 depuis la réouverture de l'information judiciaire pour charges nouvelles et jusqu'à la clôture de celle-ci.

Les dépens seront réservés en fin de cause.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement,

par jugement contradictoire et en premier ressort, sur incident avant-dire-droit au fond,

Ordonne le versement aux débats de la présente procédure des pièces de la procédure pénale référencée PG 2009/002663 - JI N27/09 depuis la réouverture de l'information judiciaire pour charges nouvelles et jusqu'à la clôture de celle-ci ;

Invite le Ministère Public à y procéder au fur-et-à-mesure de l'avancement de cette procédure pénale jusqu'à sa clôture ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du JEUDI 14 JANVIER 2016 à 9 heures ;

Réserve les dépens en fin de cause ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Patricia HOARAU, Juge, Madame Aline BROUSSE, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi, assistées lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 10 DECEMBRE 2015, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Patricia HOARAU, Juge, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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