Tribunal de première instance, 11 juin 2015, M. n. s. PE. c/ Mme o. AY.

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Abstract🔗

Copropriété – Lot – Indivision (non) – Usucapion (non) – Conditions

Résumé🔗

Le litige porte sur la propriété d'un local à usage de WC jouxtant la cuisine privative du fonds n° 232 constitué par l'appartement, dont o. AY. est actuellement propriétaire au sein de l'immeuble dénommé « Le X », sis X à Monaco. Dans les copropriétés d'immeubles bâtis, la propriété est répartie par lot, comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes. Il est possible qu'un lot soit lui-même l'objet d'une indivision. Cependant, en l'espèce, l'existence d'une telle indivision concernant le local toilette, objet du litige, ne ressort pas de la lecture des actes de propriété des parties. D'autre part, il est invoqué les dispositions des articles 2080 et suivants du Code civil, pour prétendre à la propriété indivise sur ce local par usucapion. Aux termes de l'article 2083 du Code civil, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non-équivoque et à titre de propriétaire. Ces conditions ne sont manifestement pas réunies en l'espèce. À cet égard, la possession d'une clé supposée du local (dont il a été seulement constaté qu'elle pénètre dans la serrure de la porte désormais condamnée) n'est pas suffisante au regard des conditions cumulatives exigées par l'article 2083 du Code civil. En outre, si les propriétaires successifs des fonds n° 231 et 233 ont pu utiliser ce local, cet usage qui ne caractérise qu'une simple tolérance, ne peut fonder la possession au sens de l'article 2084 du Code civil. En conséquence, n. PE. doit être débouté de ses demandes tendant à la reconnaissance d'un droit de propriété indivis et d'un droit d'usage.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 11 JUIN 2015

En la cause de :

  • M. n. s. PE., né le 2 janvier 1948 à Brazzaville, de nationalité grecque, administrateur de société, domicilié « X » X à Monaco,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • Mme o. AY., née le 26 octobre 1967 à Irkoutz (Russie), de nationalité russe, décoratrice, demeurant « X » X à Monaco,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 24 mars 2014, enregistré (n° 2014/000504) ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de o. AY., en date des 14 mai 2014 et 10 décembre 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de n. PE., en date des 30 octobre 2014 et 13 mars 2015 ;

À l'audience publique du 16 avril 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 11 juin 2015 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS

Suivant acte authentique en date des 17 et 21 octobre 1958, passé en l'étude de maître Jean-Charles REY, notaire à Monaco, s. PE. a acquis de la société anonyme monégasque A, notamment deux appartements portant les numéros 231 et 233 au cahier des charges et règlement de copropriété de l'immeuble, alors en cours d'achèvement, dénommé « X », sis X à Monaco.

Par acte en date du 19 avril 1982, reçu par Maître Louis-Constant CROVETTO, notaire à Monaco, s. PE. a fait donation de la nue-propriété de ces deux appartements à n. PE..

Il n'est pas contesté que ces appartements se situent au 3ème étage bloc G de l'immeuble le « X », qu'à ce niveau se situe un seul autre appartement, portant le numéro 232 et que celui-ci a été vendu, par acte du 23 mars 2012, par-devant Maître Henry REY par la SAM B à o. AY..

Par acte en date du 24 mars 2014, n. PE. a fait citer o. AY. devant le Tribunal de Première Instance. Aux termes tant de son exploit introductif d'instance que de ses conclusions en date des 30 octobre 2014 et 16 mars 2015, il a sollicité, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

  • - à titre principal, qu'il soit jugé qu'il est propriétaire indivis du local à usage de WC commun sis sur le palier du 3ème étage bloc G de l'immeuble « le X »,

  • - à titre subsidiaire, qu'il soit jugé qu'il est titulaire d'un droit d'usage de ce local,

  • - que soit ordonnée la transcription du jugement à intervenir à la Conservation des Hypothèques et partout où besoin sera,

  • - qu'en toute hypothèse, il soit ordonné à o. AY. de cesser l'occupation abusive et exclusive de ce local et qu'elle soit condamnée à le remettre en son état initial et ce sous astreinte non comminatoire de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ainsi qu'à en restituer la clé,

  • - la condamnation de la défenderesse au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts.

À l'appui de ses demandes n. PE. indique que sur le palier desservant les trois appartements, se trouvaient un local vide-ordures et un local comportant un WC et qu'il avait été informé qu o. AY. envisageait, dans le cadre de travaux de rénovation de son appartement, d'y inclure ce local WC, le transformant ainsi en partie privative.

Il considère que ce « toilette domestique commun » (sic) constitue une partie privative détenue en indivision par les propriétaires des trois appartements (à hauteur d'un tiers pour chaque appartement) et se trouve comme tel affecté depuis l'origine à l'usage exclusif et indivis des trois appartements.

À cet égard, il indique que les titres de propriété sont relativement ambigus, précision faite qu'en 1958, les deux appartements acquis par s. PE. l'avaient été sur plan. Ainsi, s'agissant de l'appartement n° 231, il est question d'un « WC indépendant » et pour l'appartement n° 232, désormais propriété d o. AY. il est indiqué « deux WC, dont un de service ».

En tout état de cause, n. PE. s'estime en droit d'en revendiquer la qualité de propriétaire indivis par l'effet de la prescription acquisitive, en application des dispositions de l'article 2080 du Code civil.

Ainsi, il est en possession des clés du local litigieux depuis 1959 et peut donc revendiquer un usage continu, ininterrompu, public et non équivoque. L'ancien propriétaire de l'appartement n° 232 a notamment admis à plusieurs reprises que le WC était « commun » (sic). En outre, si ce WC avait été rattaché de manière exclusivement privative au fonds AZ., il se serait trouvé, dès l'origine, isolé du palier. Tel n'est pas le cas et c'est justement par les travaux réalisés qu' o. AY. a condamné la porte palière des ces WC (la clé de n. PE. tournant désormais à vide dans la serrure, comme constaté par constat d'huissier en date du 27 mai 2013) et détruit un mur de sa cuisine pour annexer la surface en question.

De plus, en 2000, un litige s'est élevé entre n. PE. et les époux BE., alors locataires de l'appartement n° 232, qui ont installé une machine à laver dans le local litigieux, le syndic de l'immeuble indiquant à cette occasion que le local était commun. En 2001, alors qu'il s'agissait d'effectuer des travaux de peinture pour rénover ces toilettes, n. PE. a, suite à un litige avec le syndic sur le choix du prestataire, réglé la totalité des travaux.

La question de ce type de WC est au demeurant récurrente au sein de la copropriété du X, un copropriétaire, à un autre étage et dans une configuration similaire ayant par le passé sollicité de racheter cette « partie commune » (sic) à la copropriété.

o. AY. a conclu les 14 mai et 10 décembre 2014 au débouté des demandes de n. PE. et à sa condamnation reconventionnelle au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Au soutien de ses prétentions, elle indique que les demandes de n. PE. ne peuvent prospérer, aucun des titres de propriété des parties ne faisant état d'une partie privative détenue en indivision.

Au contraire, les actes de vente successifs sont parfaitement clairs, le WC litigieux étant dénommé « de service » pour le fonds n° 232 mais y est exclusivement attaché. Le fait que l'accès se fasse depuis le palier et la porte d'entrée de service de l'appartement est logique, au regard de la destination de ces toilettes à l'usage des employés de maison.

En outre, n. PE. est de mauvaise foi dans la lecture de son propre titre de propriété, qui énonce l'existence d'un « WC indépendant ». Il s'agit d'un WC indépendant de toute salle de bain, mais inclus dans son propre appartement.

La prescription acquisitive n'est de plus nullement acquise à n. PE.. Il n'est pas démontré à cet égard qu'il possède des clés susceptibles d'ouvrir l'ancienne porte des WC donnant sur le palier. De plus, le demandeur ne peut valablement tirer argument d'affirmations du syndic. Les conditions de l'article 2083 du Code civil ne sont pas réunies et ce d'autant moins que les propriétaires successifs du fonds n° 232 ont acquitté les factures d'électricité et d'eau et les charges de copropriété afférentes au local litigieux. Enfin, les travaux évoqués par le demandeur concernent des toilettes situées à l'intérieur de son propre appartement et non pas le local litigieux.

SUR QUOI :

Attendu que le litige porte sur la propriété d'un local à usage de WC jouxtant la cuisine privative du fonds n° 232 constitué par l'appartement, dont o. AY. est actuellement propriétaire au sein de l'immeuble dénommé « Le X », sis X à Monaco ;

Qu'avant qu'o. AY. n'effectue des travaux, ce local (dont la superficie est de 1,08 mètre sur 0,80 mètre selon les plans versés aux débats par les parties) n'était accessible que depuis une porte donnant sur le palier commun au troisième étage bloc G de l'immeuble, qui dessert uniquement trois appartements, les n° 231, 232 et 233 ;

Attendu que les titres de propriétés, tels qu'issus des actes de ventes successifs mentionnent les éléments suivants :

- s'agissant des appartements n° 231 et 233, actuelle propriété de n. PE. : acte de vente des 17 octobre 1958, de la SAM A à s. PE. et acte de donation de nue-propriété du 19 avril 1982 de s. PE. à n. PE. :

  • « 1°un appartement, en voie d'achèvement, désigné sous la dénomination de «l'appartement n° 23 » (n°181 des parts figurant dans la première colonne de l'annexe 2 au cahier des charges) situé au troisième étage (cote 75,40) du Bloc G et composé de : hall d'entrée, living-room, une chambre, salle de bains, cuisine et WC indépendant.

  • 2° un autre appartement, en voie d'achèvement, désigné sous la dénomination de « Appartement n° 233 » (n°183 des parts figurant dans la première colonne de l'annexe n° 2 au cahier des charges), situé au même troisième étage du même Bloc G et composé de : hall d'entrée, living-room, une chambre, salle de bains, cuisine et penderie »

- s'agissant de l'appartement n° 232, actuelle propriété d o. AY., (acte de vente du 23 mars 2012 de la SAM B) :

« parties privatives : un appartement désigné sous la dénomination de « l'appartement n° 232 » formant le lot numéro CENT QUATRE VINGT DEUX, situé au troisième étage du Bloc G (côte +75,40 NGM) composé de : hall d'entrée, living-room, deux chambres, salle de bains installée, lingerie, cuisine et deux WC dont un de service » ;

Attendu que dans les copropriétés d'immeubles bâtis, la propriété est répartie par lot, comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes ;

Qu'il est possible qu'un lot soit lui-même l'objet d'une indivision ;

Attendu cependant en l'espèce, que l'existence d'une telle indivision concernant le local toilette objet du litige ne ressort pas de la lecture des actes de propriété des parties ;

Que le local n'est pas constitué en lots et surtout que la répartition d'éventuelles parts indivises n'est pas précisée ;

Qu'il ressort de plus des pièces versées aux débats que la formulation « WC indépendant » contenue dans l'acte de propriété de n. PE. ne désigne pas le même local que le « WC de service » d' o. AY. ; Qu'en effet, celle-ci verse aux débats un plan d'architecte en date de 1957 révélant qu'au sein des deux appartements désormais propriété de n. PE., se trouvent un WC, situé dans une salle de bains (d'où l'absence de mention de WC dans la description de l'appartement n° 233), et un WC, indépendant de toute autre pièce, mais situé à l'intérieur des parties privatives ;

Que le demandeur se borne à affirmer que ces plans n'étaient que des projets mais qu'il se dispense pour autant de fournir tout descriptif de ces deux appartements et qu'il reste muet sur le nombre de WC qu'ils comportent ;

Attendu en conséquence que sur ce fondement il ne pourra être fait droit aux demandes de n. PE. ;

Attendu d'autre part que ce dernier invoque les dispositions des articles 2080 et suivants du Code civil, pour prétendre à la propriété indivise sur ce local par usucapion ;

Attendu qu'aux termes de l'article 2083 du Code civil, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non-équivoque et à titre de propriétaire ;

Attendu que ces conditions ne sont manifestement pas réunies en l'espèce ;

Que le demandeur opère lui-même une confusion en faisant valoir que le syndic de copropriété aurait à plusieurs reprises indiqué que le local en question constituait une partie commune ;

Qu'à suivre ce raisonnement, n. PE. et son auteur n'ont pas possédé ce local à titre de propriétaire indivis, mais en pleine conscience qu'il s'agissait de parties communes ;

Que le syndicat des copropriétaires, qui a qualité pour ester en justice en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble, n'a pas pour autant été attrait aux débats ;

Que n. PE. ne peut pas plus revendiquer une possession non-équivoque à titre de propriétaire du local dans la mesure où une telle possession implique de s'acquitter des charges afférentes et qu'il ne conteste pas les affirmations de la défenderesse selon lesquelles le local litigieux était exclusivement alimenté en eau et en électricité par le fonds n° 232 ;

Attendu à cet égard que la possession d'une clé supposée du local (dont il a été seulement constaté qu'elle pénètre dans la serrure de la porte désormais condamnée) n'est pas suffisante au regard des conditions cumulatives exigées par l'article 2083 du Code civil ;

Attendu en outre que si les propriétaires successifs des fonds n° 231 et 233 ont pu utiliser ce local, cet usage qui ne caractérise qu'une simple tolérance, ne peut fonder la possession au sens de l'article 2084 du Code civil ;

Attendu en conséquence que n. PE. doit être débouté de ses demandes tendant à la reconnaissance d'un droit de propriété indivis et d'un droit d'usage ;

Que le surplus de ses demandes en paiement de dommages et intérêts et aux fins de remise en l'état des lieux sous astreinte ne pourra qu'être rejeté ;

Attendu que n. PE. ayant introduit la présente instance avec une légèreté manifeste, sans mise en cause du syndicat de copropriétaires, alors pourtant qu'il invoque notamment la notion de parties communes, son action revêt un caractère abusif ;

Qu'il sera en conséquence condamné à payer à o. AZ. la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Qu'enfin l'exécution provisoire du présent jugement, sollicitée par le seul demandeur n'a pas lieu d'être ordonnée ;

Attendu que n. PE., qui succombe, sera condamné aux dépens en application des dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort,

Déboute n. PE. des ses demandes tendant à la reconnaissance d'un droit de propriété indivis et d'un droit d'usage sur un local de toilette sis au troisième étage bloc G de l'immeuble dénommé « X », X à Monaco ;

Le déboute en conséquence de ses demandes aux fins de remise en état des lieux sous astreinte et en paiement de dommages et intérêts ;

Condamne n. PE. à payer à o. AY. la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Déboute o. AY. du surplus de ses prétentions ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne n. PE. aux dépens, avec distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Patricia HOARAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 11 juin 2015, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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