Tribunal de première instance, 11 juin 2015, M. s. BR. c/ Mme Veuve an. BR. née LO. et M. a. e. BR.
Abstract🔗
Succession – Conflit de juridiction – Compétence du for monégasque (oui)
Résumé🔗
Il est de principe en droit international public que, dans la mesure où il est souverain, chaque État élabore lui-même les règles de compétence internationale de ses tribunaux. Il en résulte que la juridiction monégasque saisie d'un litige international ne peut et ne doit apprécier sa compétence que par référence au droit en vigueur en Principauté. Il convient en conséquence de se reporter à la section 1 relative aux règles générales sur la compétence contenue dans le titre 1 du livre préliminaire du Code de procédure civile.
Pour s'opposer à la compétence du Tribunal de première instance de Monaco, Mme an. BR. et M. Alexandre BR. invoquent les dispositions du droit suisse. Or, il résulte du principe de droit international public ci-dessus rappelé que le caractère national des règles monégasques de compétence exclut le renvoi en matière juridictionnelle. C'est donc à tort que les défendeurs invoquent l'article 87 alinéa 2 de la loi fédérale suisse relative au droit international privé pour soutenir que la professio juris de M. Edmond BR. en faveur du droit suisse emporte professio fori, à savoir attribution de compétence au profit des juridictions helvétiques. Ainsi, la volonté exprimée dans son testament par le de cujus de soumettre sa succession au droit de la Suisse sans faire le choix exprès d'une juridiction, ne suffit pas à rendre seules compétentes les autorités judiciaires de ce pays ni à exclure la compétence des tribunaux monégasques.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
JUGEMENT DU 11 JUIN 2015
En la cause de :
M. s. BR., né le 25 mai 1952, demeurant X, 1223 Cologny ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
Mme Veuve an. BR. née LO., le 22 juin 1942, demeurant à Monaco - X - Principauté de Monaco ;
M. a. e. BR., né le 9 novembre 1978, marié, demeurant X - 1223 Cologny - Genève - Suisse ;
DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 14 mai 2014, enregistré (n° 2014/000657) ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom d an. BR. et d'Alexandre BR., en date du 8 octobre 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT avocat-défenseur, au nom de s. BR., en date du 11 février 2015 ;
Vu les conclusions du ministère public en date du 8 avril 2015 ;
À l'audience publique du 16 avril 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, le Ministère public en ses observations et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 28 mai 2015 et prorogé au 11 juin 2015, les parties en ayant été avisées par le Président ;
EXPOSÉ :
M. Edmond BR., de nationalité helvétique, domicilié à Monaco, est décédé le 15 mai 2013 à Genève, laissant pour lui succéder :
- son épouse, Mme a. LO., et leur enfant commun, M. Alexandre BR.,
- un fils, issu d'une précédente union, M. s. BR..
Il dépend essentiellement de la succession des biens immobiliers en Suisse et des avoirs bancaires situés notamment en Principauté.
M. Edmond BR. avait, le 15 octobre 2008, établi un testament olographe aux termes duquel il :
- déclarait soumettre le règlement de sa succession au droit suisse ;
- réduisait les droits de M. s. BR. à sa part réservataire, sous déduction du rapport des libéralités qu'il lui avait consenties de son vivant ;
- réglait la répartition du solde de l'actif successoral entre Mme an. BR. et M. Alexandre BR..
Critiquant ce testament, M. s. BR. a, le 14 mai 2014, fait assigner Mme an. BR. et M. Alexandre BR. devant le Tribunal de Première Instance de Monaco et s'agissant de la compétence territoriale de celui-ci, fait valoir que :
c'est l'autorité judiciaire monégasque qui est compétente sauf pour les immeubles situés hors Principauté (article 3-1° du Code de procédure civile), tant en vertu du droit international privé monégasque, des dispositions des articles 3-3° du Code de procédure civile et 83 du Code civil, qu'en application de l'article 86 de la loi fédérale suisse sur le droit international privé ;
selon l'article 87 alinéa 2 de cette dernière loi relatif à la professio juris, il pourrait être considéré, sans que cela soit certain, que les juridictions helvétiques sont compétentes pour l'actif immobilier successoral qui y est situé, la Principauté devant connaître de l'actif mobilier ;
d'après la jurisprudence suisse, la professio juris en faveur du droit suisse fait présumer un choix de compétence exclusive en faveur de l'autorité helvétique ;
par précaution, il a saisi à la fois la Suisse et la Principauté afin d'éviter de se voir opposer une incompétence territoriale pouvant lui faire perdre le bénéfice d'avoir agi dans les délais de prescription et de péremption que comporte la loi de fond applicable.
Le 8 octobre 2014, Mme an. BR. et M. Alexandre BR. ont déposé des conclusions d'exception d'incompétence tout en se réservant le droit de conclure sur le fond.
Il est soutenu pour l'essentiel que :
en vertu du Code de procédure civile monégasque, le Tribunal de Première Instance ne peut connaître des litiges portant sur les biens immobiliers du défunt tous situés en Suisse ;
selon l'article 87 alinéa 2 de la loi fédérale suisse relative au droit international privé, l'attribution expresse par le de cujus du règlement de sa succession au droit suisse emporte attribution aux juridictions suisses de la connaissance de tout litige successoral à l'exception des immeubles situés à l'étranger ;
cette règle prime les dispositions de l'article 96 de la loi fédérale relatives à la reconnaissance des décisions provenant d'un pays étranger où s'est ouverte la succession ;
ainsi, dès lors que le défunt a opté pour son droit national, seule la Suisse est compétente pour connaître du litige successoral ;
M. s. BR. a lui-même reconnu cette compétence dans sa requête devant la Chambre Patrimoniale Cantonale.
Dans ses écritures en réponse déposées le 11 février 2015, M. s. BR. conclut au rejet de l'exception d'incompétence en réitérant ses moyens initiaux et en précisant que la volonté du défunt de soumettre le règlement de sa succession porte sur la loi applicable mais n'exclut pas la compétence de la juridiction monégasque.
Dans ses conclusions déposées le 8 avril 2015, le Procureur Général a sollicité le rejet de l'exception soulevée en indiquant que la juridiction monégasque ne doit apprécier sa compétence que par référence au droit en vigueur en Principauté et en invoquant les articles 2, 3 alinéa 3 du Code de procédure civile et 83 du Code civil.
MOTIFS
Il est de principe en droit international public que, dans la mesure où il est souverain, chaque État élabore lui-même les règles de compétence internationale de ses tribunaux.
Il en résulte que la juridiction monégasque saisie d'un litige international ne peut et ne doit apprécier sa compétence que par référence au droit en vigueur en Principauté.
Il convient en conséquence de se reporter à la section 1 relative aux règles générales sur la compétence contenue dans le titre 1 du livre préliminaire du Code de procédure civile.
L'article 1 de ce code dispose ainsi que « Les tribunaux de la Principauté exercent la juridiction, soit à l'égard des Monégasques, soit à l'égard des étrangers » dans les conditions qui suivent.
Selon l'article 2 « Ils connaissent de toutes actions intentées contre un défendeur domicilié dans la Principauté. En cas de pluralité de défendeurs, ils ont la même compétence, si l'un d'eux est domicilié en Principauté ».
En l'occurrence si M. Alexandre BR. vit en Suisse, l'autre partie défenderesse, Mme a. LO. veuve BR. est domiciliée à Monaco.
L'article 3 dispose que :
« Ils connaissent, en outre, quel que soit le domicile du défendeur :
1° - De toutes actions ayant pour objet des immeubles situés dans la Principauté ; […]
3° Des actions relatives à une succession ouverte dans la Principauté, jusqu'au partage définitif, s'il s'agit de demandes entre cohéritiers ; et pendant un délai de deux années à compter du décès, s'il s'agit de demandes formées par des tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire. »
Aucun immeuble dépendant de la succession ne se trouvant en Principauté, le 1er paragraphe susvisé n'est pas applicable.
S'agissant du 3ème paragraphe visé par M. s. BR. dans ses écritures, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 83 du Code civil « le lieu où la succession s'est ouverte est celui du domicile du défunt ».
En l'espèce, il est constant que la succession de M. Edouard BR. s'est ouverte en Principauté, celui-ci y étant domicilié.
Dès lors, la présente juridiction est bel et bien compétente en application du droit interne.
Pour s'opposer à la compétence du Tribunal de première instance de Monaco, Mme an. BR. et M. Alexandre BR. invoquent les dispositions du droit suisse.
Or, il résulte du principe de droit international public ci-dessus rappelé que le caractère national des règles monégasques de compétence exclut le renvoi en matière juridictionnelle.
C'est donc à tort que les défendeurs invoquent l'article 87 alinéa 2 de la loi fédérale suisse relative au droit international privé pour soutenir que la professio juris de M. Edmond BR. en faveur du droit suisse emporte professio fori, à savoir attribution de compétence au profit des juridictions helvétiques.
Ainsi, la volonté exprimée dans son testament par le de cujus de soumettre sa succession au droit de la Suisse sans faire le choix exprès d'une juridiction, ne suffit pas à rendre seules compétentes les autorités judiciaires de ce pays ni à exclure la compétence des tribunaux monégasques.
Par ailleurs, le fait que M. s. BR. ait également et postérieurement saisi la Chambre Patrimoniale Cantonale de Lausanne est inopérant dès lors que ce dernier indique :
- dans la requête présentée devant cette Chambre qu'en fonction de l'interprétation que l'on entend donner, les Tribunaux suisses sont compétents soit pour connaître de la succession en son entier, soit à tout le moins pour les biens immobiliers tous situés en Suisse ;
- dans les écritures déposées dans le cadre de la présente instance, que c'est en vertu d'un principe de précaution qu'il a engagé une action en Justice dans les deux pays et que la Principauté est compétente pour la partie mobilière de la succession.
Au vu de l'ensemble de ces éléments Mme an. BR. et M. Alexandre BR. doivent être déboutés de leur exception d'incompétence et invités à conclure au fond.
Enfin, les dépens seront réservés en fin de cause.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement par jugement contradictoire, et en premier ressort,
Se déclare compétent pour connaître du présent litige et déboute en conséquence Mme an. BR. et M. Alexandre BR. de leur exception d'incompétence ;
Renvoie l'affaire et les parties à l'audience du mercredi 8 juillet 2015 à 9 heures date à laquelle Mme an. BR. et M. Alexandre BR. devront avoir conclu sur le fond ;
Réserve les dépens en fin de cause ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sophie LEONARDI, Juge, Madame Léa PARIENTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 11 juin 2015, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.