Tribunal de première instance, 16 avril 2015, c. LE. c/ M. r. BR. et SCI A

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Abstract🔗

Convention de liquidation des intérêts patrimoniaux – Interprétation – Transfert de compte courant d'associé (oui)

Résumé🔗

En application de l'article 989 du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Aux termes des dispositions de l'article 1011 du Code civil, « on doit rechercher dans les conventions qu'elle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ». En l'espèce, la convention de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux LE. BR. signée le 10 janvier 2013 mentionne que Monsieur r. BR. a cédé à Madame c. LE. 119 parts des 120 parts sociales dont il est propriétaire, ce à titre gratuit, dans le capital de la SCI A dont le siège social se trouve à Monaco, X, 98000, dont le capital est divisé en 200 parts de dix euros ». La convention prévoit en outre que : « Monsieur r. BR. s'engage également à céder dans les plus brefs délais à la personne qui sera désignée par Madame c. LE., si elle le désire, l'unique part sociale dont il reste propriétaire à ce jour afin de lui permettre de détenir directement ou indirectement 100 % du capital de la SCI A ». Elle ne comporte aucune disposition relative au compte courant d'associé de Monsieur r. BR.. et ce, alors même que le montant de ce compte est particulièrement conséquent puisque le liquidateur de la SCI A l'évalue à la somme de 295.410,52 euros en principal et intérêts et que le prix d'achat du bien était de 261.832,24 euros. Cette omission crée une ambiguïté manifeste, chacune des parties à la convention en tirant des conséquences divergentes, rendant nécessaire son interprétation. En effet, Madame LE., reconnaissant n'avoir apporté aucune somme dans l'acquisition et l'entretien du bien immobilier d'Obersdorf, soutient que le transfert des parts sociales de la SCI A incluait le transfert du compte courant d'associé, de sorte que son époux lui consentait ainsi « prestation compensatoire supplémentaire ». Elle ajoute en outre que Monsieur r. BR. devenait, lui, pleinement propriétaire de l'appartement de Roquebrune Cap Martin, propriété de la SCI B dont elle lui cédait en échange « gratuitement » les parts. Monsieur r. BR. allégue au contraire que si la volonté des époux avait bien été de transférer la propriété de l'appartement d'Oberstdorf à Madame c. LE., ce n'était qu'en contrepartie du remboursement d'une somme correspondant à l'ensemble de ses investissements dans la société et qu'il n'en avait pas été fait mention dans la convention de divorce pour des raisons fiscales. Il précise encore que son ex épouse n'avait, elle, rien apportée dans la SCI B. Il est de jurisprudence constante, qu'à défaut de mention expresse, la cession des parts sociales n'emporte pas transfert de plein droit à l'acquéreur du compte courant du cédant. Dès lors, il convient de rechercher dans les circonstances de la cause, si les parties ont implicitement entendu transférer ce compte courant. En l'espèce, force est de constater qu'il ne s'agit pas d'une société commerciale composée de multiples associés, mais d'une société civile immobilière constituée par les seuls époux LE. BR. dans le but d'acquérir un bien immobilier, aucune comptabilité n'ayant été tenue. Monsieur r. BR. ne produit aucune pièce (échange de courrier, mail, projet) antérieure ou contemporaine de la convention permettant d'établir que les époux avaient convenu que la SCI A, désormais propriété quasi exclusive de Madame c. LE. devait lui rembourser la somme de 300.000 euros comme il le prétend, au titre de son compte courant d'associé. Au contraire, Madame c. LE. verse aux débats un courrier du 12 août 2012, dont Monsieur r. BR. ne conteste pas être l'auteur, aux termes duquel il est écrit : je soussigné r. BR. né le 6 mars 1954, demeurant X à Monaco, donne par les présentes sans contrepartie à mon épouse c. LE. les parts sociales dont je suis propriétaire dans le capital de la SCI A, de droit Y, laquelle société possède dans la commune de X un appartement au dernier étage composé de deux pièces principales outre garage et cave. Ce afin que mon épouse puisse détenir la totalité du capital et donc la propriété complète de ce bien immobilier au travers de la SCI A. Le fait d'imposer à la SCI A (détenue par Madame LE. à 99%) de rembourser à Monsieur BR. la somme de 295.410,52 euros reviendrait à vider de son sens la cession de parts consentie « à titre gratuit » et obligerait, comme l'a dit le liquidateur Monsieur BOISSON, à vendre l'appartement d'Oberstdorf. Or une telle vente serait contraire à l'économie générale de la convention signée le 10 janvier 2013 par laquelle les parties ont entendu transférer la propriété de l'appartement d'Oberstdorf à Madame LE., par le biais de la SCI A et la propriété de l'appartement de Roquebrune Cap Martin à Monsieur BR., par le biais de la SCI B. La convention du 10 janvier 2013, homologuée par jugement définitif du tribunal du 31 janvier 2013, qui a vocation à liquider l'ensemble des intérêts communs ayant existé entre les époux et régler ainsi le sort des biens qu'ils possèdent par le biais des sociétés civiles immobilières, prévoit que le transfert des parts sociales de la SCI A détenues par Monsieur BR. à Madame LE. est faite à titre gratuit et mentionne expressément dans son paragraphe 5) « les soussignés déclarent renoncer définitivement à réclamer quelque autre prestation que ce soit et pour quelque cause que ce soit » Dès lors, il peut en être déduit que la commune intention des parties était de transférer le compte courant d'associé avec les parts sociales de la SCI A à Madame LE. et qu'en conséquence Monsieur BR. ne peut plus venir aujourd'hui solliciter le remboursement de son compte courant d'associé.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 16 AVRIL 2015

En la cause de :

Mme c. LE., née le 19 janvier 1965 à Ludwigshafen (Allemagne), de nationalité Y, sans profession, domiciliée X1 (Allemagne),

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

1 - M. r. BR., né le 6 mars 1954 à Monaco, de nationalité Y, domicilié X2 à Monaco,

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

2 - La SCI A, immatriculée au Répertoire Spécial des Sociétés Civiles sous le n° X, dont le siège social est X3 à Monaco, prise en la personne de M. Christian BOISSON, en sa qualité de liquidateur de ladite société, désigné à cette fonction suivant jugement du Tribunal de première instance en date du 17 septembre 2013, domicilié en cette qualité au X4 à Monaco,

DÉFENDERESSE comparaissant en personne, par M. Christian BOISSON, ès-qualités de liquidateur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 17 juillet 2014, enregistré (n° 2015/000028) ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de r. BR., en date des 2 octobre 2014, 27 novembre 2014 et 14 janvier 2015 ;

Vu la note valant conclusions de M. Christian BOISSON, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI A, en date du 30 octobre 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de c. LE., en date des 12 novembre 2014 et 14 janvier 2015 ;

À l'audience publique du 26 février 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 16 avril 2015 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Suivant acte du 1er octobre 2007, Madame c. LE. et Monsieur r. BR. ont constitué la SCI A ayant son siège social X à Monaco au capital de 2.000 euros (200 parts de 10 euros) dans laquelle Madame c. LE. disposait de 80 parts (40%) et Monsieur r. BR. de 120 parts (60%).

La SCI A a acquis le 9 octobre 2007 un bien immobilier situé X en Allemagne composé d'un appartement, d'une cave et d'un emplacement de parking pour un montant total de 261.832,24 euros.

Madame c. LE. et Monsieur r. BR. se sont mariés le 19 juin 2009 par devant l'officier de l'état civil de Monaco sans avoir préalablement conclu de contrat de mariage.

Suivant requête conjointe en date du 8 novembre 2012, ils ont sollicité leur divorce sur le fondement de l'article 199 du code civil.

Suivant jugement en date du 31 janvier 2013, le tribunal de première instance de Monaco a prononcé le divorce des époux LE. / BR. et homologué en toutes ses dispositions la convention définitive réglant les conséquences du divorce signée par les époux le 10 janvier 2013.

Par jugement en date du 17 septembre 2013, le tribunal a constaté la disparition de l'affectio societatis ayant uni les associés de la SCI A et ordonné la liquidation de cette société, désignant Monsieur Christian BOISSON en qualité de liquidateur.

Par acte d'huissier en date du 17 juillet 2014, Madame c. LE. a fait citer Monsieur r. BR. devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins de le voir :

  • - constater que la convention de liquidation des intérêts patrimoniaux signée par les époux le10 janvier 2013 donne lieu à interprétation ;

  • - constater de ce fait que la liquidation de la SCI A ne peut être effectuée à ce jour.

En conséquence :

  • dire si les termes de la convention du 10 janvier 2013 signifient que :

  • Monsieur r. BR. ne peut pas solliciter le remboursement de son compte courant d'associé dans la SCI A et qu'en conséquence celui ci a été transféré à Madame LE. ;

  • Monsieur r. BR. peut solliciter le remboursement de son compte courant d'associé dans la SCI A et qu'en conséquence, ladite société est débitrice de cette somme envers Monsieur BR. ;

  • condamner tout contestant aux dépens.

Elle fait valoir :

  • qu'elle a exécuté l'ensemble des obligations mises à sa charge par la convention ;

  • que Monsieur BR. a refusé la cession de la part sociale qu'il restait détenir dans la SCI A comme prévu à la convention, la subordonnant au remboursement de son compte courant d'associé, ainsi qu'à la prise en charge des investissements effectués à hauteur de sa participation originelle ;

  • que la convention de liquidation des intérêts patrimoniaux du 10 janvier 2013 homologuée par le tribunal règle définitivement le cas de la SCI A ;

  • que cette convention constate que Monsieur BR. a transféré à Madame LE. 119 parts dont il était propriétaire dans la SCI A, à titre gratuit et que son épouse s'est engagée quant à elle à transférer, à titre gratuit, sa participation dans le capital social de la SCI B ;

  • que ces dispositions ne doivent pas s'analyser comme un simple transfert de parts sociales entre associés de diverses sociétés civiles, mais comme une donation, par le biais de transfert des parts sociales, caractérisée par la remise de biens ;

  • que la commune intention des parties était de permettre à Madame LE. d'obtenir le bien immobilier de la SCI A situé à Oberstdorf et à Monsieur BR. d'obtenir le bien immobilier de la SCI B situé à Roquebrune Cap Martin ;

  • qu'il faut considérer que Monsieur BR. a implicitement transféré son compte courant d'associé dans la SCI A à Madame LE., ce qui peut s'apparenter à une « prestation compensatoire supplémentaire », à l'effet de lui permettre d'obtenir le bien immobilier en Allemagne ;

  • que la mention dans la convention selon laquelle « les soussignés déclarent renoncer définitivement à réclamer quelque autre prestation que ce soit et pour quelque cause que ce soit » signifie que les époux ont convenu qu'aucune somme ne pouvait plus être réclamée entre eux et interdit aujourd'hui à Monsieur BR. de réclamer le remboursement de son compte courant d'associé ;

  • que son montant n'était d'ailleurs pas déterminable au jour de la convention à défaut de tenue de comptabilité.

Monsieur r. BR. demande au Tribunal de :

À titre principal :

  • renvoyer son ex-épouse à faire traduire en langue française les pièces n° 8,9,10 et 11 ;

  • déclarer irrecevable la demande d'interprétation de la convention au motif que la saisine du notaire Henry Rey, désigné par jugement du 31 janvier 2013 n'a pas été effectuée au préalable conformément aux dispositions d'ordre public de l'article 204-4 du code civil ;

  • rejeter la demande d'interprétation de la convention, laquelle a été examinée et homologuée par le tribunal dans le cadre du jugement de divorce prononcé le 31 janvier 2013, définitif et déclarée conforme à l'intérêt des parties ;

À titre reconventionnel, il sollicite, sur le fondement des articles 1680, 1681, 1683, 1684, 1691, 1693, 1697 et 1703 et suivants du Code civil et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de voir ordonner par le Tribunal :

  • le versement par Madame LE., sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, entre les mains de Monsieur BOISSON ès-qualités de liquidateur de la SCI A, la somme de 281.226,36 euros correspondant à la fraction équivalente de ses 99% du capital social, sous réserve d'y intégrer - en-sus - les charges de copropriété (99% de 9.214,76 euros) soit la somme de 9.122,61 euros ;

  • la condamnation de Madame LE. à lui rembourser la somme de 7.246 euros correspondant à 99% des sommes qu'il a réglées à Monsieur BOISSON ;

  • sa condamnation à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de son comportement dilatoire et de sa mauvaise foi.

Il soutient :

  • qu'il a exposé seul, depuis l'origine de l'achat immobilier, l'intégralité de toutes les dépenses de l'appartement et du garage .

  • que pour des raisons de traçabilité fiscale, Madame LE. préférait ne pas effectuer de dépenses « officielles » en Allemagne et demandait à son époux d'en faire l'avance, se réservant de « faire les comptes » ultérieurement en principauté ;

  • que la convention ne fait aucune référence à la cession de compte courant d'associé et qu'il n'y a pas lieu à interprétation d'une clause qui n'y figure pas ;

  • que la cession de parts sociales ou d'actions n'emporte pas transfert de plein droit au cessionnaire du compte courant d'associé du cédant ;

  • que la jurisprudence exige qu'une clause expresse soit rédigée en matière de cession de compte courant d'associé parallèlement à la cession des parts sociales ;

  • que la convention mentionne une prestation compensatoire « globale et forfaitaire » de 25.000 euros et que le compte courant d'associé qu'il détient dans la SCI A n'a pu être cédé « implicitement » à son épouse à titre de « prestation compensatoire supplémentaire » ;

  • qu'il a été convenu que les 120 parts sociales détenues par Monsieur BR. soient cédées à Madame LE. à titre gratuit pour éviter des frais d'enregistrement inutiles sur la valeur d'un acte de cession nominatif, ce qui ne signifiait nullement que l'appartement lui était donné gratuitement ;

  • que s'il était prévu qu'elle en aurait à terme la propriété exclusive, c'était en contrepartie du remboursement de tous les frais avancés que les époux avaient initialement évalués à 300.000 euros ;

  • qu'il est créancier social de la SCI A à hauteur de 284.067,04 euros selon l'évaluation faite par M. BOISSON ès-qualités de liquidateur (sous réserve d'y incorporer les charges de copropriété à hauteur de 9.214,76 euros) ;

  • qu'il appartient à Monsieur BOISSON ès-qualités de liquidateur de la SCI A de demander aux associés qu'ils versent dans la comptabilité de la société, les sommes correspondantes en proportion des parts détenues, soit pour Madame LE. 281.226,36 euros (99% de 284.067,04 euros) outre 7.246 euros (99% de 7320 euros).

En réplique, Madame c. LE. demande le rejet des pièces adverses n° 13, 16, 25, 26, 27, 28, 29, 31, 32 et 33 non traduites en langue française ainsi que la condamnation de Monsieur r. BR. à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Elle précise en outre que les dispositions de l'article 204-4 du code civil ne sont pas applicables de sorte que sa demande d'interprétation est parfaitement recevable.

Monsieur BOISSON s'en remet à la décision du Tribunal quant à l'interprétation de la convention de liquidation des intérêts patrimoniaux signée par les époux LE. BR. le 10 janvier 2013.

Parallèlement, suite à l'assignation diligentée le 30 septembre 2014 par Monsieur r. BR. à l'encontre de Monsieur BOISSON ès-qualités de liquidateur, aux fins de constater qu'il était créancier social d'une somme de 293.281,80 euros sur la société A, le tribunal a ordonné, suivant jugement du 8 janvier 2015, le sursis à statuer dans l'attente qu'une décision irrévocable n'intervienne dans la présente procédure en interprétation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

  • Sur la demande de rejet de pièces

En application de la constitution, la langue officielle en Principauté de Monaco est la langue française.

En conséquence, les pièces produites par Madame c. LE. sous les numéros 8, 9, 10 et 11 et les pièces communiquées par Monsieur r. BR. sous les numéros n°13, 16, 25, 26, 27, 28, 29, 31, 32 et 33, en langue Y, non traduites en langue française devront être rejetées des débats.

  • Sur l'irrecevabilité de la demande

Aux termes des dispositions de l'article 204-4 du Code civil, le tribunal de première instance ordonne la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux communs ayant pu exister entre les époux et commet un notaire pour y procéder.

En cas de difficultés rencontrées lors des opérations de liquidation et de partage, le notaire désigné dresse d'office ou à la demande d'une des parties, un procès verbal de difficultés. Le tribunal de première instance saisi à la demande de la partie la plus diligente, statue sur les contestations subsistant entre les parties au vu du procès verbal de difficultés et les renvoie devant notaire afin d'établir l'état liquidatif.

En l'espèce, le Tribunal est saisi d'une demande d'interprétation de la convention définitive signée par les époux, qui n'entre pas dans la compétence du notaire désigné.

Dès lors, les dispositions de l'article 204-4 du Code Civil n'ont pas lieu de s'appliquer.

La demande formée par Madame c. LE. est en conséquence recevable.

  • Sur l'interprétation de la convention

En application de l'article 989 du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

Aux termes des dispositions de l'article 1011 du Code civil, « on doit rechercher dans les conventions qu'elle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ».

En l'espèce, la convention de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux LE. BR. signée le 10 janvier 2013 mentionne que Monsieur r. BR. a cédé à Madame c. LE. 119 parts des 120 parts sociales dont il est propriétaire, ce à titre gratuit, dans le capital de la SCI A dont le siège social se trouve à Monaco, X, 98000, dont le capital est divisé en 200 parts de dix euros ».

La convention prévoit en outre que : « Monsieur r. BR. s'engage également à céder dans les plus brefs délais à la personne qui sera désignée par Madame c. LE., si elle le désire, l'unique part sociale dont il reste propriétaire à ce jour afin de lui permettre de détenir directement ou indirectement 100 % du capital de la SCI A ».

Elle ne comporte aucune disposition relative au compte courant d'associé de Monsieur r. BR.. et ce, alors même que le montant de ce compte est particulièrement conséquent puisque le liquidateur de la SCI A l'évalue à la somme de 295.410,52 euros en principal et intérêts et que le prix d'achat du bien était de 261.832,24 euros.

Cette omission crée une ambiguïté manifeste, chacune des parties à la convention en tirant des conséquences divergentes, rendant nécessaire son interprétation.

En effet, Madame LE., reconnaissant n'avoir apporté aucune somme dans l'acquisition et l'entretien du bien immobilier d'Obersdorf, soutient que le transfert des parts sociales de la SCI A incluait le transfert du compte courant d'associé, de sorte que son époux lui consentait ainsi « prestation compensatoire supplémentaire ». Elle ajoute en outre que Monsieur r. BR. devenait, lui, pleinement propriétaire de l'appartement de Roquebrune Cap Martin, propriété de la SCI B dont elle lui cédait en échange « gratuitement » les parts.

Monsieur r. BR. allégue au contraire que si la volonté des époux avait bien été de transférer la propriété de l'appartement d'Oberstdorf à Madame c. LE., ce n'était qu'en contrepartie du remboursement d'une somme correspondant à l'ensemble de ses investissements dans la société et qu'il n'en avait pas été fait mention dans la convention de divorce pour des raisons fiscales. Il précise encore que son ex épouse n'avait, elle, rien apportée dans la SCI B.

Il est de jurisprudence constante, qu'à défaut de mention expresse, la cession des parts sociales n'emporte pas transfert de plein droit à l'acquéreur du compte courant du cédant.

Dès lors, il convient de rechercher dans les circonstances de la cause, si les parties ont implicitement entendu transférer ce compte courant.

En l'espèce, force est de constater qu'il ne s'agit pas d'une société commerciale composée de multiples associés, mais d'une société civile immobilière constituée par les seuls époux LE. BR. dans le but d'acquérir un bien immobilier, aucune comptabilité n'ayant été tenue.

Monsieur r. BR. ne produit aucune pièce (échange de courrier, mail, projet) antérieure ou contemporaine de la convention permettant d'établir que les époux avaient convenu que la SCI A, désormais propriété quasi exclusive de Madame c. LE. devait lui rembourser la somme de 300.000 euros comme il le prétend, au titre de son compte courant d'associé.

Au contraire, Madame c. LE. verse aux débats un courrier du 12 août 2012, dont Monsieur r. BR. ne conteste pas être l'auteur, aux termes duquel il est écrit : je soussigné r. BR. né le 6 mars 1954, demeurant X à Monaco, donne par les présentes sans contrepartie à mon épouse c. LE. les parts sociales dont je suis propriétaire dans le capital de la SCI A, de droit Y, laquelle société possède dans la commune de X un appartement au dernier étage composé de deux pièces principales outre garage et cave. Ce afin que mon épouse puisse détenir la totalité du capital et donc la propriété complète de ce bien immobilier au travers de la SCI A.

Le fait d'imposer à la SCI A (détenue par Madame LE. à 99%) de rembourser à Monsieur BR. la somme de 295.410,52 euros reviendrait à vider de son sens la cession de parts consentie « à titre gratuit » et obligerait, comme l'a dit le liquidateur Monsieur BOISSON, à vendre l'appartement d'Oberstdorf.

Or une telle vente serait contraire à l'économie générale de la convention signée le 10 janvier 2013 par laquelle les parties ont entendu transférer la propriété de l'appartement d'Oberstdorf à Madame LE., par le biais de la SCI A et la propriété de l'appartement de Roquebrune Cap Martin à Monsieur BR., par le biais de la SCI B.

La convention du 10 janvier 2013, homologuée par jugement définitif du tribunal du 31 janvier 2013, qui a vocation à liquider l'ensemble des intérêts communs ayant existé entre les époux et régler ainsi le sort des biens qu'ils possèdent par le biais des sociétés civiles immobilières, prévoit que le transfert des parts sociales de la SCI A détenues par Monsieur BR. à Madame LE. est faite à titre gratuit et mentionne expressément dans son paragraphe 5) « les soussignés déclarent renoncer définitivement à réclamer quelque autre prestation que ce soit et pour quelque cause que ce soit »

Dès lors, il peut en être déduit que la commune intention des parties était de transférer le compte courant d'associé avec les parts sociales de la SCI A à Madame LE. et qu'en conséquence Monsieur BR. ne peut plus venir aujourd'hui solliciter le remboursement de son compte courant d'associé.

  • Sur les demandes reconventionnelles de Monsieur r. BR.

Il convient de constater qu'une procédure est déjà pendante devant le tribunal par laquelle Monsieur r. BR. ayant assigné, suivant acte du 30 septembre 2014 la SCI A prise en la personne de son liquidateur, afin qu'elle soit condamnée à lui verser une somme de 293.281,80 euros outre intérêts, correspondant à sa créance sociale sur la société.

Dans ce cadre, le tribunal a, suivant jugement du 8 janvier 2015, ordonné qu'il soit sursis à statuer jusqu'au prononcé d'une décision judiciaire irrévocable à intervenir dans le cadre de la présente instance en interprétation.

Les demandes reconventionnelles sont donc irrecevables en l'espèce et devront être tranchées dans le cadre de la reprise de l'instance engagée suivant assignation du 30 septembre 2014.

  • Sur les demandes de dommages et intérêts

Le tribunal ayant statué sur la demande d'interprétation de la convention formée par Madame c. LE. laquelle conditionnait les opérations de liquidation de la société A, il n'y a pas lieu de la condamner à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Monsieur r. BR. ayant défendu ses intérêts à la procédure sans qu'il puisse lui être reproché un comportement fautif, Madame c. LE. sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts formée à l'encontre de son ex-époux.

  • Sur l'exécution provisoire

Les conditions prévues à l'article 202 du Code de procédure civile n'étant pas réunies, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

  • Sur les dépens

Monsieur r. BR., partie perdante, sera condamné aux dépens distraits au profit de Maître Patricia REY avocat défenseur

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Rejette des débats les pièces produites par Madame c. LE. sous les numéros 8, 9, 10 et 11 et produites par Monsieur r. BR. sous les numéros n° 13, 16, 25, 26, 27, 28, 29, 31, 32 et 33 ;

Déclare recevable la demande d'interprétation de la convention de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux du 10 janvier 2013 ;

Dit que les termes de la convention du 10 janvier 2013 doivent être interprétés en ce que Monsieur r. BR. ne peut pas solliciter le remboursement de son compte courant d'associé dans la SCI A, celui-ci ayant été transféré à Madame c. LE. ;

Déclare irrecevables les demandes reconventionnelles formées par Monsieur r. BR. au titre des créances réclamées à la société A ;

Déboute Madame c. LE. de sa demande de dommages et intérêts formée à l'encontre de Monsieur r. BR. pour résistance abusive ;

Déboute Monsieur r. BR. de sa demande de dommages et intérêts formée à l'encontre de Madame c. LE. pour procédure abusive ;

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision ;

Met les dépens à la charge de Monsieur r. BR., distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées,lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 16 AVRIL 2015, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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