Tribunal de première instance, 18 décembre 2014, SARL E c/ SARL H
Abstract🔗
Vente – Obligations contractuelles – Distinction obligation de délivrance/garantie des vices cachés
Vice caché – Action – Recevabilité (non)
Résumé🔗
Aux termes de l'article 1445 du Code civil, le vendeur « a deux obligations : celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend ». En l'espèce, le bien cédé est un fonds de commerce à usage de restaurant, bar, glacier, plats à emporter. La SARL E prétend avoir découvert après la vente que la cuisine n'est pas aux normes ni en état de fonctionner et se prévaut pour ce faire d'un courrier adressé le 29 avril 2011 par la Direction de la Prospective de l'Urbanisme et de la Mobilité enjoignant à la SARL H de réaliser sous 3 mois les travaux nécessaires, ainsi que de diverses factures de travaux qu'elle a dû faire exécuter. La demanderesse en déduit à titre principal que la SARL H a manqué à son obligation de délivrance et à titre subsidiaire à son obligation de garantie contre les vices cachés. Les deux obligations sont distinctes. La première consiste à mettre une chose conforme à la disposition de l'acheteur, tandis qu'en vertu de l'article 1483 du Code civil, « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropres à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. » Ainsi, le défaut de conformité provient d'une différence entre la chose convenue et la chose livrée, alors que le vice caché est un défaut affectant l'usage normal de la chose. En conséquence et en l'absence d'usage particulier convenu entre les parties, les désordres allégués par la SARL E relèvent de la garantie des vices cachés et non de l'obligation de délivrance.
En application de l'article 1490 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 1401 du 5 décembre 2013, s'agissant d'un fonds de commerce et donc d'un meuble, l'action résultant des vices rédhibitoires de la chose doit être intentée par l'acquéreur dans le délai de trois mois. En l'occurrence, la SARL E a pris possession des lieux au plus tard le 22 avril 2013, date de réitération de l'acte de cession et le 12 mars 2013 selon la SARL H, qui affirme sans être contredite, lui avoir remis les clés pour pouvoir débuter les travaux. Or, la SARL E a introduit la présente instance le 18 mars 2014, soit bien après l'expiration du délai de trois mois. Elle doit donc être déclarée irrecevable en son action pour vices cachés. De ce fait, la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 18 mars 2014 à hauteur de la somme de 130.000 euros doit être ordonnée.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
R.
JUGEMENT DU 18 DÉCEMBRE 2014
En la cause de :
La société à responsabilité limitée E, au capital de 15.000,00 €, immatriculée au R. C. I. sous le n° X, dont le siège social se trouve X1 à MONACO, poursuites et diligences de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège,
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La société à responsabilité limitée H, au capital de 15.000,00 €, immatriculée au R. C. I. sous le n° X2, dont le siège social est sis X3 à MONACO, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège,
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 18 mars 2014, enregistré (n° 2014/000477) ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la SARL H, en date des 11 juin 2014 et 12 septembre 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de la SARL E, en date des 9 juillet 2014 et 12 novembre 2014 ;
À l'audience publique du 20 novembre 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 18 décembre 2014 ;
EXPOSE
Selon promesse synallagmatique en date du 22 février 2013, la SARL H a cédé à la SARL E un fonds de commerce de restaurant, bar, glacier, plats à emporter situé X1 à Monaco, moyennant le prix de 1.430.000 euros.
La cession a été régularisée par acte authentique du 22 avril 2013, le prix étant payé à hauteur de 700.000 euros et le solde par deux versements de 350.000 euros au plus tard le 31 décembre 2013 et de 380.000 euros au plus tard le 31 décembre 2014.
Arguant que la cuisine n'était pas conforme et qu'elle s'était trouvée contrainte d'effectuer des travaux de mise aux normes qui n'étaient pas programmés, la SARL E s'est vu autoriser, par ordonnance du 6 février 2014, à pratiquer une saisie-arrêt entre ses mains contre la SARL H à hauteur de la somme de 130.000 euros.
Le 18 mars 2014, l'ordonnance a été signifiée à la SARL E qui a déclaré détenir les sommes suffisantes et la SARL H a été assignée en validation de la saisie et paiement de ses causes.
Les 9 juillet et 12 novembre 2014, la SARL E a déposé des conclusions aux termes desquelles elle sollicite la condamnation de la SARL H au paiement :
de la somme de 130.000 euros au titre des travaux non programmés ;
de la somme de 70.000 euros à titre d'indemnité pour la perte d'exploitation ;
des intérêts au taux légal à compter de l'assignation avec capitalisation par trimestre ;
de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.
À titre principal, il est invoqué un manquement par la SARL H, à son obligation de délivrance et mentionné sur ce point que :
dès lors que l'usage de la chose vendue est convenu entre les parties, il entre dans les caractéristiques soumises à l'obligation de délivrance ;
ainsi, s'agissant d'un fonds de commerce de restaurant, bar, glacier, plats à emporter, il devait contenir une cuisine aux normes et en état de fonctionnement ;
or, après la vente, la SARL E s'est vu communiquer par son architecte, une lettre dont elle ignorait l'existence, aux termes de laquelle la Direction de la Prospective de l'Urbanisme et de la Mobilité enjoignait à la SARL H le 29 avril 2011 d'exécuter les travaux nécessaires à la mise aux normes de la cuisine ;
la SARL H a sciemment dissimulé la nécessité de tels travaux ;
la SARL E a dû effectuer des travaux de mise aux normes et de remplacement des appareils défectueux d'un montant de 123.154,97 euros.
À titre subsidiaire, la SARL E évoque des vices cachés et énonce que :
elle n'a jamais été informée de l'existence des défauts de la cuisine ;
le fait qu'elle ait pu accéder aux locaux avant la signature le 22 avril 2013 de l'acte réitératif, ne lui a pas permis de savoir qu'il fallait mettre aux normes la cuisine et que certains appareils d'équipement étaient défectueux ;
les désordres constatés étaient de nature à affecter de façon importante l'exploitation normale du fonds.
Par ailleurs, il est soutenu s'agissant de l'argumentation en défense que :
la SARL H ne rapporte pas la preuve que l'existence des défauts de la cuisine aurait permis à la SARL E d'obtenir une diminution du prix ;
les travaux de transformation du restaurant prévus par la SARL E ne concernaient que très peu la cuisine ;
si la lettre de la Direction de la Prospective de l'Urbanisme et de la Mobilité en date du 29 avril 2011 est devenue caduque et si l'autorisation administrative du 3 mai 2013 édicte des prescriptions plus nombreuses, c'est précisément en raison de l'incurie totale de la SARL H ;
la clause de non responsabilité contenue à l'acte de cession ne dispensait pas la SARL H d'informer la SARL E des vices affectant la chose vendue, et ne fait pas obstacle à ce que cette dernière puisse se prévaloir des dispositions du Code civil relatives au dol et aux vices cachés.
Les 11 juin et 15 septembre 2014, la SARL H a déposé des écritures aux termes desquelles elle demande au Tribunal de :
déclarer irrecevable l'action en garantie de vices cachés ;
débouter la SARL E de l'intégralité de ses demandes ;
ordonner mainlevée de la saisie-arrêt ;
condamner la SARL E à payer les sommes suivantes :
130.000 euros représentant le solde restant dû sur le prix de vente avec intérêts de droit à compter du 12 février 2014 et 7,95 euros représentant les intérêts échus entre le 12 février 2014 et 17 mars 2014 ;
15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La SARL H considère en premier lieu que l'action en garantie pour vices cachés est prescrite sur le fondement de l'article 1490 du Code civil comme ayant été introduite postérieurement au délai de 3 mois.
En deuxième lieu, la SARL H fait valoir que :
la SARL E, après avoir initialement invoqué à titre principal la garantie des vices cachés, a modifié le fondement de ses demandes en invoquant un défaut de conformité ;
les deux actions ne se confondent cependant pas ;
les désordres allégués par la SARL E ne peuvent être fondés que sur le vice caché et non sur le défaut de conformité ;
le contrat de vente stipule que l'acheteur prend les lieux dans l'état où ils se trouvent sans recours possible.
Subsidiairement, la SARL H prétend en troisième lieu que :
la SARL E avait une parfaite connaissance de l'état de la cuisine pour avoir pris possession des lieux dès le 12 mars 2013 et avoir obtenu une diminution du prix ;
au surplus, la SARL E avait indiqué au vendeur qu'il n'était pas nécessaire de mettre aux normes la cuisine avant la cession, puisqu'elle entendait procéder à une transformation totale du restaurant, travaux entamés avant la cession ;
ainsi la lettre de la Direction de la Prospective de l'Urbanisme et de la Mobilité du 29 avril 2011 contenant des prescriptions minimes était devenue caduque car un permis de construire devait être déposé, l'autorisation délivrée le 3 mai 2013 édictant d'ailleurs de nombreuses et importantes prescriptions ;
la clause limitative de responsabilité est parfaitement applicable en l'absence de dol.
En quatrième lieu, la SARL H affirme qu'en toutes hypothèses, la SARL E ne rapporte pas la preuve des coûts de mise en conformité en ce que :
aucun des documents produits n'est de nature à démontrer que les travaux engagés l'ont été pour une mise en conformité ou le remplacement de matériels défectueux ;
en particulier, la hotte n'était pas hors d'usage ;
les factures, dont l'une en langue italienne, concernent des travaux touchant à la structure du restaurant ou au déplacement, à la vérification et réinstallation d'équipements de la cuisine et non à la mise en conformité de celle-ci et sont pour certaines datées de deux jours après la prétendue découverte des vices allégués, ou même avant la cession ;
ainsi la SARL E n'établit l'existence d'une créance ni dans son principe, ni dans son montant.
Reconventionnellement, la SARL H indique que :
la SARL E est redevable d'une partie du prix qu'elle a retenue sur la première échéance outre les intérêts de retard ;
elle a agi avec une très grande mauvaise foi.
MOTIFS,
Sur les demandes de la SARL E
Aux termes de l'article 1445 du Code civil le vendeur « a deux obligations : celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend ».
En l'espèce, le bien cédé est un fonds de commerce à usage de restaurant, bar, glacier, plats à emporter.
La SARL E prétend avoir découvert après la vente que la cuisine n'est pas aux normes ni en état de fonctionner et se prévaut pour ce faire d'un courrier adressé le 29 avril 2011 par la Direction de la Prospective de l'Urbanisme et de la Mobilité enjoignant à la SARL H de réaliser sous 3 mois les travaux nécessaires, ainsi que de diverses factures de travaux qu'elle a dû faire exécuter.
La demanderesse en déduit à titre principal que la SARL H a manqué à son obligation de délivrance et à titre subsidiaire à son obligation de garantie contre les vices cachés.
Les deux obligations sont distinctes.
La première consiste à mettre une chose conforme à la disposition de l'acheteur, tandis qu'en vertu de l'article 1483 du Code civil « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropres à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »
Ainsi, le défaut de conformité provient d'une différence entre la chose convenue et la chose livrée, alors que le vice caché est un défaut affectant l'usage normal de la chose.
En conséquence et en l'absence d'usage particulier convenu entre les parties, les désordres allégués par la SARL E relèvent de la garantie des vices cachés et non de l'obligation de délivrance.
En application de l'article 1490 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 1401 du 5 décembre 2013, s'agissant d'un fonds de commerce et donc d'un meuble, l'action résultant des vices rédhibitoires de la chose doit être intentée par l'acquéreur dans le délai de trois mois ;
En l'occurrence, la SARL E a pris possession des lieux au plus tard le 22 avril 2013, date de réitération de l'acte de cession et le 12 mars 2013 selon la SARL H, qui affirme sans être contredite, lui avoir remis les clés pour pouvoir débuter les travaux.
Or, la SARL E a introduit la présente instance le 18 mars 2014, soit bien après l'expiration du délai de trois mois.
Elle doit donc être déclarée irrecevable en son action pour vices cachés.
De ce fait, la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 18 mars 2014 à hauteur de la somme de 130.000 euros doit être ordonnée.
Sur les demandes de la SARL H
La SARL H sollicite reconventionnellement le paiement de la somme de 130.000 euros retenue par la SARL E sur l'échéance de 350.000 euros payable au plus tard le 31 décembre 2013.
Elle bénéficie cependant déjà d'un titre exécutoire constitué par l'acte authentique du 22 avril 2013.
En revanche, et en application de l'article 1008 du Code civil, elle est légitime à réclamer le paiement des intérêts au taux légal sur cette somme depuis le 12 février 2014, date de la mise en demeure.
De même, il n'est pas contesté qu'elle est en droit d'obtenir la somme de 7,95 euros représentant les intérêts échus sur la somme de 220.000 euros versée avec retard par la SARL E le 17 mars 2014.
L'exercice d'une action en justice est un droit qui ne peut dégénérer en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol.
Un tel abus n'étant nullement caractérisé en l'espèce, la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la SARL H sera donc rejetée.
Sur les dépens
Les dépens suivront la succombance.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déboute la SARL E de son action dirigée contre la SARL H pour défaut de conformité ;
Déclare la SARL E irrecevable en son action pour vices cachés ;
Ordonne la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 18 mars 2014 à la requête de la SARL E à l'encontre de la SARL H ;
Déboute la SARL H de sa demande tendant à voir condamner la SARL E à lui payer la somme de 130.000 euros en l'état de l'acte authentique du 22 avril 2013 ;
Condamne la SARL E à payer à la SARL H :
les intérêts au taux légal sur la somme de 130.000 euros à compter du 12 février 2014 jusqu'à parfait paiement ;
la somme de 7,95 euros au titre des intérêts échus entre le 12 février 2014 et le 17 mars 2014 sur la somme de 220.000 euros ;
Déboute la SARL H de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la SARL E aux dépens, distraits au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sophie LEONARDI, Juge, Mademoiselle Alexia BRIANTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 18 DECEMBRE 2014, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.