Tribunal de première instance, 18 décembre 2014, Mme r. CO. c/ État de Monaco et le Service des prestations médicales de l'État

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Abstract🔗

Accident du travail – Enquête

Résumé🔗

Aux termes des articles 19 et 20 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, lorsque l'assureur-loi refuse le principe du règlement des conséquences pécuniaires de l'accident, le Juge chargé des accidents du travail procède à une enquête, ainsi qu'à toutes les recherches nécessaires, et peut se transporter sur les lieux et faire examiner la victime par un médecin qu'il désigne. Par ailleurs, selon l'article 21 de la même loi, au cours de cette enquête, le Juge procède contradictoirement et en présence des parties à l'audition de tous témoins utiles. Les articles 20 et 21 de la loi susvisée, s'ils prévoient certes diverses mesures d'investigation, dont la mise en œuvre éventuelle est laissée à l'appréciation du Juge chargé des accidents du travail, imposent en revanche par l'emploi du présent de l'indicatif à valeur impérative (procède et non peut procéder) à ce magistrat de procéder à une enquête ainsi qu'à toutes les recherches nécessaires à l'effet de déterminer les causes, la nature et les circonstances de l'accident. Ainsi, au regard de la nature de la contestation soulevée par l'État de Monaco, le Juge chargé des accidents du travail avait en l'espèce l'obligation d'effectuer l'enquête prévue aux articles 20 et suivants de la loi n° 636 du 11 janvier 1958. Cependant, aucune de ces dispositions n'est prescrite à peine de nullité. Il convient dès lors de débouter l'État de Monaco de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la procédure et notamment de l'ordonnance de non-conciliation du 12 juin 2013.

Les articles 309 et suivants du Code de procédure civile invoqués par les défendeurs sont des dispositions générales qui ne peuvent déroger aux dispositions du texte spécial que constitue la loi n° 636. En conséquence, il convient de renvoyer l'affaire par-devant le Juge chargé des accidents du travail afin que ce magistrat procède à l'enquête prescrite par les articles 20 et suivants de la loi n° 636. Le rapport de l'expert BORGIA étant fondé sur les conditions de travail décrites par r. CO., qui sont actuellement contestées par les défendeurs, il ne peut, en l'état, être procédé à son homologation et ce quelle que soit la rédaction du tableau des maladies professionnelles qui sera in fine retenue après réalisation de l'enquête.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 18 DÉCEMBRE 2014

En la cause de :

  • Mme r. CO., née le 11 juillet 1959, de nationalité italienne, femme de service, domiciliée X - Vintimille (Italie),

Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • 1- L'ÉTAT DE MONACO (Établissement scolaire de droit Public dénommé A), représenté au sens de l'article 139 du Code de procédure civile par son Excellence Monsieur le Ministre d'État, Palais du Gouvernement - Place de la Visitation - Monaco-Ville étant pour ce dans les bureaux de la Direction des affaires juridiques - 13 avenue des Castelans à Monaco,

  • 2- Le SERVICE DES PRESTATIONS MÉDICALES DE L'ÉTAT (en abrégé SPME), dont le siège est sis à Monaco - 19 avenue des Castelans - Stade Louis II - Entrée C, prise en la personne de son Chef de service en exercice, domicilié et demeurant en cette qualité audit siège,

DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Hervé CAMPANA, avocat en cette même Cour,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 22 avril 2014, enregistré (n° 2014/000533) ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO, en date des 26 juin 2014 et 8 octobre 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de r. CO., en date du 10 septembre 2014 ;

À l'audience publique du 20 novembre 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 18 décembre 2014 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Le 15 février 2013, r. CO., employée en qualité d'agent d'entretien à l'école A, se voyait diagnostiquer une maladie professionnelle n° 57 ;

L'État de Monaco, en sa qualité d'assureur-loi, refusait de prendre en charge les conséquences de cette maladie au titre de la législation des maladies professionnelles en se fondant sur l'avis défavorable émis par son médecin conseil ;

Par ordonnance en date du 11 avril 2013, le Juge chargé des accidents du travail désignait le Docteur BORGIA en qualité d'expert afin de fixer le régime de prise en charge des troubles présentés par r. CO. consécutivement à la déclaration souscrite le 15 février 2013 ;

Dans son rapport en date du 19 avril 2013, l'expert ainsi désigné concluait :

« Les troubles dont souffre Madame CO. résultent d'une action lente et répétée, relevant des critères de la maladie professionnelle n°57A.

J'ai fourni également tous éléments utiles d'appréciation permettant de déterminer le régime de prise en charge à savoir l'assureur-loi :

  • Maladie professionnelle consécutive à des « mouvements répétés et forcés de l'épaule ».

  • Epaule enraidie consécutive à une tendinite simple.

La date de reprise du travail et la durée des soins ne peuvent être fixées ce jour.

La victime n'est pas consolidée.

La date de consolidation ne peut pas être fixée ce jour. »

Par courrier en date du 12 juin 2013, le SERVICE DES PRÉSTATIONS MEDICALES DE L'ÉTAT (SPME) refusait de se concilier sur les conclusions de ce rapport en invoquant le contenu d'une enquête interne relative aux conditions matérielles de travail de r. CO. ;

Par ordonnance en date du 17 juin 2013, le Juge chargé des accidents du travail renvoyait l'affaire et les parties par-devant le Tribunal ;

Par exploit en date du 22 avril 2014, r. CO. a fait assigner l'État de Monaco et le SPME afin qu'il soit dit que la maladie déclarée le 15 février 2013 est constitutive d'une maladie professionnelle et doit être prise en charge à ce titre et obtenir la condamnation des défendeurs au paiement d'une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

En réponse, l'État de Monaco demande au Tribunal, à titre principal de prononcer la nullité, avec toutes conséquences de droit, des ordonnances rendues par le Juge chargé des accidents du travail à compter du 11 avril 2013 et notamment de l'ordonnance de non-conciliation du 17 juin 2013 ainsi que de la procédure subséquente, à titre subsidiaire de dire que la maladie dont est atteinte r. CO. n'est pas une maladie professionnelle, à titre encore plus subsidiaire de faire procéder à toutes les vérifications personnelles et mesures d'instruction utiles prescrites aux articles 309 et suivants du Code de Procédure civile afin de déterminer les conditions de travail de r. CO. au sein de l'École A ainsi que les mouvements nécessités par son emploi et de désigner un nouvel expert et enfin et en tout état de cause de débouter r. CO. de sa demande de dommages et intérêts ;

Il fait valoir, à ces diverses fins, que dans le cadre de sa profession d'agent d'entretien, r. CO. a pour mission de nettoyer et servir dans la cantine scolaire durant quelques heures par jour et que son travail n'impose la manipulation d'aucun objet pesant ; qu'en outre ses tâches sont facilitées par l'usage de chariots à roulette, d'un lave-vaiselle automatisé et enfin d'une auto-laveuse pour le nettoyage des sols ;

Il estime qu'en application des articles 19 et suivants de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, dès lors que le principe du règlement des conséquences de la maladie était refusé, le Juge chargé des accidents du travail aurait dû procéder à une enquête, se rendre sur les lieux et entendre des témoins ; qu'ainsi les dispositions d'ordre public de la loi n° 636 ont été violées ;

Il soutient par ailleurs que la pathologie présentée par r. CO. ne peut être considérée comme une maladie professionnelle dès lors que le travail exécuté par celle-ci ne nécessite pas l'accomplissement des mouvements répétés ou forcés de l'épaule exigés par le tableau 57A et sollicite subsidiairement qu'il soit procédé aux mesures d'investigation prévues par les articles 309 et suivants du Code de procédure civile ;

Il relève en outre que l'expert s'est référé à l'ancienne rédaction du tableau des maladies professionnelles, laquelle a été modifiée par un arrêté ministériel du 10 juin 2013 qui a vocation à s'appliquer immédiatement à la présente instance compte tenu de sa nature réglementaire ;

Il indique avoir fait procéder à une enquête administrative qui démontre que les conclusions de l'expert ont été viciées par les déclarations de r. CO., dont le travail ne nécessite pas de mouvement répétés des épaules, de sorte que les conditions requises par le tableau 57 ne sont pas remplies, quelle que soit la rédaction retenue ;

Il souligne avoir été dans l'obligation de procéder lui-même à cette enquête suite à la carence du Juge chargé des accidents du travail ;

Il s'oppose enfin à l'allocation des dommages et intérêts sollicités par la victime, au regard du bien fondé de sa contestation.

En réponse, r. CO. maintient sa demande principale et porte sa demande de dommages et intérêts à la somme de 2.500 euros.

Elle soutient, en premier lieu, que l'article 20 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 n'impose au Juge chargé des accidents du travail d'effectuer que les actes qu'il estime utiles à la manifestation de la vérité ; qu'en conséquence c'est à bon droit que ce magistrat n'a pas fait procéder ou procédé lui-même à d'autres investigations que l'expertise médicale de la victime ;

Elle rappelle que la modification du tableau des maladies professionnelles est intervenue plusieurs mois après le dépôt par l'expert BORGIA de son rapport et qu'il ne peut donc être sérieusement reproché à ce praticien de n'en avoir pas tenu compte ;

Elle estime en outre que l'enquête administrative doit être écartée des débats dans la mesure où elle a été effectuée par un subordonné du défendeur ;

Elle rappelle en tout état de cause que son travail implique l'accomplissement de mouvements répétés de l'épaule et des bras ; qu'ainsi les critères requis par le tableau 57 des maladies professionnelles sont bien réunis ;

SUR QUOI :

Attendu qu'aux termes des articles 19 et 20 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, lorsque l'assureur-loi refuse le principe du règlement des conséquences pécuniaires de l'accident, le Juge chargé des accidents du travail procède à une enquête, ainsi qu'à toutes les recherches nécessaires, et peut se transporter sur les lieux et faire examiner la victime par un médecin qu'il désigne ;

Que par ailleurs, selon l'article 21 de la même loi, au cours de cette enquête, le Juge procède contradictoirement et en présence des parties à l'audition de tous témoins utiles ;

Attendu que si l'expertise confiée au Docteur BORGIA a permis de s'assurer qu'il n'existe pas d'état pathologique antérieur avéré susceptible d'avoir causé les lésions dont souffre r. CO., après le dépôt du rapport dudit expert, l'État de Monaco a persisté à contester le principe de sa prise en charge, non pas en fonction de considérations d'ordre médical mais en réfutant la matérialité de l'exposition de r. CO. au risque de maladie professionnelle et en remettant en cause les conditions d'exécution de son travail décrites par celle-ci ;

Que les articles 20 et 21 de la loi susvisée, s'ils prévoient certes diverses mesures d'investigation, dont la mise en œuvre éventuelle est laissée à l'appréciation du Juge chargé des accidents du travail, imposent en revanche par l'emploi du présent de l'indicatif à valeur impérative (procède et non peut procéder) à ce magistrat de procéder à une enquête ainsi qu'à toutes les recherches nécessaires à l'effet de déterminer les causes, la nature et les circonstances de l'accident ;

Qu'ainsi, au regard de la nature de la contestation soulevée par l'État de Monaco, le Juge chargé des accidents du travail avait en l'espèce l'obligation d'effectuer l'enquête prévue aux articles 20 et suivants de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ;

Attendu cependant qu'aucune de ces dispositions n'est prescrite à peine de nullité ;

Qu'il convient dès lors de débouter l'État de Monaco de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la procédure et notamment de l'ordonnance de non-conciliation du 12 juin 2013 ;

Attendu que l'enquête administrative versée aux débats, a été réalisée par des préposés du défendeur, de manière au surplus non contradictoire ;

Que cette enquête administrative ne peut dans ces conditions remplacer utilement l'enquête judiciaire prévue par la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ;

Qu'en outre, les articles 309 et suivants du Code de procédure civile invoqués par les défendeurs sont des dispositions générales qui ne peuvent déroger aux dispositions du texte spécial que constitue la loi n° 636 ;

Attendu en conséquence qu'il convient de renvoyer l'affaire par-devant le Juge chargé des accidents du travail afin que ce magistrat procède à l'enquête prescrite par les articles 20 et suivants de la loi n° 636 ;

Attendu que le rapport de l'expert BORGIA étant fondé sur les conditions de travail décrites par r. CO., qui sont actuellement contestées par les défendeurs, il ne peut, en l'état, être procédé à son homologation et ce quelle que soit la rédaction du tableau des maladies professionnelles qui sera in fine retenue après réalisation de l'enquête ;

Attendu que la résistance abusive dont aurait fait preuve en l'espèce l'État de Monaco n'étant pas caractérisée, r. CO. ne pourra qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Attendu enfin qu'il y a lieu d'ordonner la compensation totale des dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déboute l'ÉTAT DE MONACO de sa demande tendant à voir prononcer la nullité des ordonnances rendues par le Juge chargé des accidents du travail à compter du 11 avril 2013 et de la procédure subséquente ;

Renvoie l'affaire et les parties par-devant le Juge chargé des accidents du travail afin qu'il soit procédé par ce magistrat à l'enquête prévue par les articles 20 et suivants de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ;

Dit n'y avoir lieu en l'état d'homologuer le rapport de l'expert BORGIA en date du 19 avril 2013 ;

Ordonne la compensation totale des dépens ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 18 DECEMBRE 2014, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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