Tribunal de première instance, 20 novembre 2014, Mme s. PO. c/ M. o. WY.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Succession - Loi applicable - Exécution testamentaire - Héritier réservataire - Action en réduction - Atteinte à la réserve (non).

Résumé🔗

Le droit suisse est applicable à la succession du défunt de nationalité suisse, domicilié à Monaco et décédé en Suisse, dès lors que la loi fédérale sur le droit international privé prévoit que la succession d'une personne qui a eu son dernier domicile à l'étranger est régie par le droit que désignent les règles de droit de droit international privé de l'État dans lequel le défunt était domicilié, en l'occurrence la Principauté. Par ailleurs, la règle de conflit de lois monégasque renvoie à la loi nationale du défunt, en l'espèce helvétique, pour la partie mobilière des successions, et particulièrement la transmission des parts de sa société. Enfin, le testateur lui-même avait émis la volonté de voir appliquer le droit suisse.

La fille du défunt, bénéficiaire d'un testament de son père lui léguant 70 % des parts de son groupe et désignant un avocat genevois comme exécuteur testamentaire pour l'assister jusqu'à l'âge de 30 ans dans la gestion de ses biens, a introduit une action en réduction au motif de la violation de sa réserve. Le tribunal juge que sa part réservataire est des 3/8èmes de la succession et que cette part réservataire doit être libre de toutes charges et contraintes. En conséquence la gestion par l'exécuteur testamentaire des biens successoraux lui revenant ne peut porter que sur la quotité disponible. Faute pour la demanderesse de justifier de l'atteinte effective à sa réserve, elle est déboutée de son action en réduction.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 20 NOVEMBRE 2014

En la cause de :

Mme s. PO., étudiante, domiciliée X1 - Suisse,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Daniel TUNIK, avocat au barreau de Genève,

d'une part ;

Contre :

M. o. WY., ès-qualités d'exécuteur testamentaire, avocat, domicilié X2 - Suisse,

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 29 octobre 2012, enregistré (n° 2013/000214) ;

Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 16 janvier 2014 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 12 février 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom d o. WY., en date du 3 avril 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de s. PO., en date du 5 juin 2014 ;

À l'audience publique du 9 octobre 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 20 novembre 2014 ;

EXPOSÉ DES FAITS

Selon testament en date du 27 décembre 2009, M. a. PO., de nationalité suisse, a notamment :

- laissé pour lui succéder son épouse c. PO. née SC. et leur fille s. PO. ;

- légué à cette dernière 70 % des parts du groupe B ;

- prévu une clause V selon laquelle : « La gestion des biens revenant à ma fille sera assurée jusqu'à ce qu'elle ait atteint l'âge de 30 ans par l'Exécuteur Testamentaire, assisté pour la gestion du groupe de mes cadres, de mon épouse, de mon frère o. PO. et de mon beau-fils p. LA. »

- nommé Maître o. WY., avocat à Genève, comme exécuteur testamentaire ;

- indiqué s'en remettre au droit suisse dans la mesure du possible.

M. a. PO., domicilié à Monaco est décédé le 29 octobre 2011 en Suisse.

Par acte d'huissier délivré le 29 octobre 2012, s. PO. a fait assigner o. WY. et demande au Tribunal de Première Instance de Monaco de :

- dire que les juridictions monégasques sont compétentes pour connaître des actions relatives à la succession du défunt en application des articles 83 du Code civil et 3-3 du Code de procédure civile ;

- dire que le droit suisse est applicable à la dévolution de sa succession mobilière et notamment des parts de la société B ;

- dire que la réserve de s. PO. se monte au trois huitièmes de la succession et doit être libre de toute charge et contrainte ;

- à titre principal :

  • dire que la réserve de s. PO. est violée ;

  • dire que la clause V du testament est de nul effet ;

  • en conséquence faire interdiction à o. WY., sous peine d'astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, d'interférer dans la gestion des biens revenant à s. PO. dans la succession de son père ;

- à titre subsidiaire :

  • dire que la clause V est nulle en tant qu'elle porte sur une part correspondant à 37,5 % de la succession, part devant revenir libre de toute charge à s. PO. ;

  • en conséquence faire interdiction à o. WY., sous peine d'astreinte de 1.000 euros par infraction constatée d'interférer dans la gestion des biens représentant la part réservataire de s. PO. dans la succession de son père ;

- ordonner l'exécution provisoire.

Par jugement rendu le 16 janvier 2014, le Tribunal s'est déclaré compétent pour connaître du litige en application de l'article 3 alinéa 2 du Code de procédure civile et a en conséquence débouté o. WY. de son exception d'incompétence.

Le 5 juin 2014, s. PO. a déposé des conclusions aux termes desquelles elle réitère ses prétentions initiales.

Après un rappel des faits et de la procédure, elle affirme à nouveau que la juridiction monégasque est territorialement compétente et considère que :

  • la loi suisse est applicable ;

  • elle a qualité à agir en qualité d'héritier réservataire ;

  • dès lors que le testament limite le droit de l'héritier de disposer pleinement de sa réserve par une clause d'exécution testamentaire prolongée, l'action en réduction doit être dirigée contre l'exécuteur testamentaire ;

  • la procédure est intentée dans les délais prévus à l'article 533 alinéa 1 du Code civil suisse.

  • S'agissant de la mission de ce dernier, il est indiqué que :

  • a. PO. a, outre les attributions habituelles, étendu le mandat d o. WY. au delà de ce qui est nécessaire pour liquider la succession puisqu'il lui a confié la charge de gérer la part d'héritage revenant à sa fille jusqu'aux 30 ans de celle-ci ;

  • il est nécessaire d'analyser si l'extension de ce mandat lèse la réserve de s. PO..

Concernant la réserve, il est énoncé que :

  • les droits réservataires de la demanderesse sont des 3/8èmes de la succession ;

  • le fait que s. PO. reçoive plus que sa part réservataire par le biais de l'octroi de 70 % des actions de la société B n'enlève rien à l'obligation que cette part soit totalement libre ;

  • le bien immobilier situé à CHANS LE PONT en France et d'une valeur de 5 millions d'euros ne saurait entrer en ligne de compte dans le cadre de la détermination de la masse successorale dès lors que s. PO. a renoncé à la partie française de la succession de son père.

Quant à la violation alléguée de la réserve, il est soutenu que :

  • la désignation d'un exécuteur testamentaire ne doit pas permettre de contourner les réserves héréditaires ;

  • celles-ci doivent être totalement libres quand bien même les restrictions qui y sont apportées sont faites dans l'intérêt supposé de l'héritier ;

  • par analogie avec l'article 531 du Code civil suisse relatif à la substitution fidéicommissaire, il est impossible de grever la réserve d'une exécution testamentaire durable qui ne peut affecter que la quotité disponible ;

  • ainsi l'héritier réservataire lésé dans sa réserve par la disposition pour cause de mort prolongeant l'exécution testamentaire après la clôture de la succession ouvre une action en réduction pour en sanctionner l'invalidité ;

  • la lésion de la réserve de s. PO. induite par la gestion jusqu'à ses 30 ans d'une large partie de son patrimoine par o. WY. est d'autant plus insupportable que celui-ci n'a eu de cesse d'agir au mépris des intérêts de celle-là.

s. PO. ajoute que :

  • la succession d'a. PO. est désormais complètement partagée selon convention du 6 mars 2013 conclue entre co-héritiers de sorte que le mandat de l'exécuteur testamentaire a pris fin ;

  • le partage n'est pas soumis à l'agrément de l'exécuteur testamentaire.

Enfin, s. PO. conclut que l'exécution provisoire est rendue nécessaire afin de permettre de gérer utilement l'entreprise familiale.

o. WY. a déposé le 3 avril 2014 des conclusions aux termes desquelles il demande au Tribunal de ;

« Dire et juger valable la clause V du testament de feu a. PO.,

À titre subsidiaire, dire et juger que Mademoiselle PO. ne rapporte pas la preuve de la lésion de sa part réservataire,

À titre infiniment subsidiaire, dire et juger que la clause V du testament de feu a. PO. n'encoure la réduction que sur la part qui grèverait la réserve de Mademoiselle PO.,

EN CONSÉQUENCE,

Débouter Mademoiselle PO. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner Mademoiselle PO. aux entiers dépens de l'instance. »

Après être revenu sur les faits, o. WY. affirme au préalable que le droit suisse est applicable et que s. PO. et sa mère, cohéritière, n'ont cessé de l'évincer de ses fonctions.

Au principal, o. WY. argue que la clause V du testament est parfaitement valable dans la mesure où :

  • en droit suisse, la mission de l'exécuteur testamentaire, telle que définie par les articles 517 et 518 peut être élargie par le testateur ;

  • en l'occurrence, a. PO., dans le seul objectif de protéger les intérêts de sa fille au regard de son jeune âge a prévu la gestion de la part successorale lui revenant jusqu'à ses 30 ans ;

  • cette stipulation dès lors qu'elle est limitée dans le temps n'est pas critiquable et ne peut s'analyser en une substitution fideicommissaire qui a vocation à empêcher un héritier de disposer de sa part de l'actif successoral pour une durée illimitée.

Subsidiairement, o. WY. prétend que :

  • s. PO. ne justifie pas de la violation de sa réserve héréditaire des 3/8ème de la succession ;

  • en effet, les actions de la société B sur lesquelles se focalise s. PO. ne constituent qu'une partie de l'actif considérable d'a. PO. qui comprend également des biens immobiliers et mobiliers en Suisse, en France et au Maroc ;

  • la part réservataire de s. PO. ne peut être déterminée qu'après un inventaire exhaustif et liquidatif qui n'a pu être dressé par l'exécuteur testamentaire en raison de l'obstruction des héritiers ;

  • la charge de la preuve incombe sur ce point à s. PO..

À titre infiniment subsidiaire et en application de l'article 522 alinéa 1 du Code civil suisse, o. WY. fait valoir que la clause V du testament ne pourrait être réduite que sur la part qui lèserait la réserve.

MOTIFS :

Sur la loi applicable :

Il est constant que le présent litige se trouve soumis au droit suisse dès lors que :

  • la loi fédérale sur le droit international privé prévoit en son article 91 alinéa 1 que la succession d'une personne qui a eu son dernier domicile à l'étranger est régie par le droit que désignent les règles de droit de droit international privé de l'État dans lequel le défunt était domicilié, en l'occurrence la Principauté ;

  • la règle de conflit de lois monégasque renvoie à la loi nationale du défunt, en l'espèce helvétique, pour la partie mobilière des successions, et particulièrement la transmission des parts de la société B ;

  • le testateur lui-même avait émis la volonté de voir appliquer le droit suisse.

Sur les droits réservataires de s. PO. et l'exécution testamentaire :

Il ressort sans conteste de la combinaison des articles 457, 462 et 471 du Code civil suisse que la réserve de s. PO., fille unique du défunt, est des 3/8èmes de la succession en présence de c. PO. née SC. conjoint survivant, soit 37,5 %.

La réserve légale consistant en une fraction du droit de succession, c'est à dire de la part légale, s'impose au de cujus et a pour corollaire que celui-ci ne peut la grever d'aucune restriction de sorte que la part réservataire doit être libre de toutes charges ou contraintes, comme cela ressort notamment des documents suivants fournis en demande :

  • l'opinion de droit de M. P. et son traité ;

  • le manuel de M. S sur le droit des successions ;

  • le commentaire bâlois du Code civil II ;

  • les jugements du Tribunal fédéral en date des 28 janvier 1925 et 13 octobre 1949 ;

l'ordonnance rendue le 11 octobre 2013 par le Président du Tribunal d'arrondissement de l'Est Vaudois dans une instance opposant les parties relative à des mesures provisionnelles et qui ne fait l'objet d'aucune critique.

Il résulte également desdits documents ainsi que du traité du droit des successions de M. P., d'une étude de Mme S-B., du commentaire pratique du droit des successions que :

- la mission légale de l'exécuteur testamentaire prévue aux articles 517 et suivants du Code civil suisse peut être étendue au-delà du partage comme c'est le cas en l'espèce puisque a. PO. a prévu la gestion des biens de s. PO. jusqu'à ce qu'elle soit âgée de 30 ans de sorte que c'est à tort qu'il est prétendu que la convention de partage définitif en date du 6 mars 2013 a mis fin aux fonctions d o. WY. ;

- qu'en revanche, une telle gestion par l'exécuteur testamentaire ne peut porter que sur la quotité disponible.

o. WY. ne fournit quant à lui aucun élément justificatif venant contredire les pièces de s. PO. et ne peut donc solliciter la validation en son entier de la clause V sur l'atteinte à la réserve de s. PO..

Selon l'article 522 du Code civil suisse, l'héritier qui prétend que sa réserve est lésée peut exercer une action en réduction « jusqu'à due concurrence contre les libéralités qui excèdent la quotité disponible » dans les conditions prescrites aux articles suivants.

Il se déduit de ce texte que la violation de la réserve alléguée par s. PO. ne saurait être sanctionnée par la nullité de toute la clause V litigieuse mais lui permet seulement de demander que sa réserve soit libérée de la gestion des biens par l'exécuteur testamentaire, celui-ci conservant ses fonctions sur la quotité disponible.

Cela ressort même de l'avis de droit de M. P. établi à la demande de s. PO..

Si la recevabilité de cette action en réduction n'est pas critiquée par o. WY., celui-ci en conteste le bien-fondé, estimant que s. PO. ne rapporte pas la preuve de la lésion de sa part réservataire.

En effet, la question de savoir si la mission confiée par le défunt à o. WY. même dans l'intérêt supposé de s. PO. porte atteinte à la réserve de celle-ci suppose qu'au préalable soit reconstituée la masse successorale dans son intégralité.

Or, s'il est certain que la valeur de la société B est particulièrement importante, les parts sociales attribuées à s. PO. par convention de partage partiel en date des 18, 19 et 20 novembre 2012 sont évaluées à 2.800.000 francs suisses.

Il résulte en outre de la convention de partage définitif signée le 6 mars 2013 par s. PO. et sa mère que l'actif successoral comprend également et notamment des biens immobiliers et des sociétés au Maroc, des avoirs bancaires dans plusieurs pays, des véhicules…

Si s. PO. soutient que ces actifs ont une valeur toute relative au regard de celle de la société B, elle ne fournit cependant aucun justificatif à l'appui d'une telle allégation et notamment ne produit pas d'inventaire chiffré.

La charge de la preuve lui incombe pourtant en sa qualité de demanderesse à l'action en réduction.

Elle ne peut donc qu'être déboutée de ce chef.

Sur l'exécution provisoire :

Aucune des conditions prévues à l'article 202 du Code de procédure civile n'étant remplie, l'exécution provisoire ne sera pas ordonnée.

Sur les dépens :

s. PO. succombant, supportera les dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Dit que le droit suisse est applicable au litige opposant les parties ;

Dit que la part réservataire de s. PO. est des 3/8èmes de la succession d'a. PO. ;

Dit que cette part réservataire doit être libre de toutes charges et contraintes et qu'en conséquence la gestion des biens successoraux revenant à s. PO. par l'exécuteur testamentaire ne peut porter que sur la quotité disponible ;

Déboute s. PO. de son action en réduction ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne s. PO. aux dépens de l'instance, y compris ceux réservés par jugement du 16 janvier 2014, dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 20 NOVEMBRE 2014, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

  • Consulter le PDF