Tribunal de première instance, 20 novembre 2014, a. GA ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la société GU. SAM c/ la société CRÉDIT SUISSE AG et la société CIC-LYONNAISE DE BANQUE

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Abstract🔗

Liquidation des biens - Paiement en période suspecte - Inopposabilité - Paiement d'une dette échue - Paiement par un tiers ou le débiteur - Paiement préférentiel

Résumé🔗

Le contrat de prêt sous forme de découvert en compte de 25.000.000 d'euros a été souscrit le 15 décembre 2004 par la SAM GUITAY auprès des sociétés CRÉDIT SUISSE et CIC LYONNAISE DE BANQUE pour une durée de deux ans avec un terme expressément fixé au 31 décembre 2006.

Il est certain que suivant courrier du 22 décembre 2006, le CRÉDIT SUISSE en sa qualité de chef de file, a indiqué à la SAM GU. que le pool bancaire était disposé à restructurer le prêt, les conditions de l'amortissement devant être discutées avant le 30 juin 2007, a fixé dans l'intervalle un nouveau taux d'intérêt en cas d'utilisation, puis lui a fait part, par courrier du 2 mars 2007, de la proposition de prolonger le prêt de 25.000.000 d'euros au taux d'intérêts débiteurs annuel en cas d'utilisation de 5% révisable, formalisant de nouvelles modalités de remboursement et exigeant des garanties supplémentaires.

Pour autant, les parties n'ont jamais formalisé d'avenant au contrat de prêt initial permettant la fixation d'un nouveau terme. La SAM GU. a d'ailleurs modifié, par acte du 9 mars 2007, les conditions de l'amortissement en allongeant la période de remboursement, sans qu'il soit établi que le pool bancaire ait accepté cette modification.

Aussi, si les échanges de courriers invoqués ont eu pour effet de reporter l'exigibilité de la dette, c'est à dire la faculté pour les banques de procéder à son recouvrement de manière contraignante, ils n'ont pas eu pour effet de reporter la survenance du terme du prêt, lequel était échu au 31 décembre 2006.

Dès lors, s'agissant du paiement d'une dette échue, les dispositions de l'article 456.3° ne peuvent trouver application en l'espèce.

En revanche, l'article 457 du Code de commerce dispose que peuvent être déclarés inopposables à la masse tous autres paiements et actes à titre onéreux faits après la cessation des paiements, si ceux qui ont traité avec le débiteur en avaient eu connaissance «.

Cependant, les dispositions de l'article 457 du Code de commerce monégasque ne distinguent pas suivant que le paiement a été effectué par un tiers ou par le débiteur lui-même, dès lors qu'il est établi que le créancier a traité d'une manière ou d'une autre avec le débiteur, en ayant connaissance de l'état de cessation des paiements.

Ainsi, alors que la situation de la SAM GU. était déjà obérée, les banques ont passé avec la société débitrice une convention modifiant l'objet de l'obligation initiale du contrat de prêt, afin de s'octroyer des garanties exceptionnelles et notamment un amortissement extraordinaire de 4 millions d'euros, qui leur a été versé en période suspecte de manière préférentielle aux autres créanciers.

Il est manifeste que la société CRÉDIT SUISSE comme la société CIC LYONNAISE DE BANQUE ne pouvaient ignorer l'état de cessation des paiements dans lequel se trouvait la SAM GU., dans la mesure où les comptes de cette société étaient ouverts dans leurs livres, ce qui leur permettait assurément d'avoir une réelle appréciation de sa situation financière.

Il n'en reste pas moins que les banques ont obtenu, en toute connaissance de cause, un paiement privilégié, rompant l'égalité entre les créanciers.

Il y a lieu de leur déclarer ce paiement inopposable, en application de l'article 457 du Code de commerce, en ce qu'il a été effectué pendant la période suspecte à la demande des banques défenderesses et ce alors que ces dernières avaient connaissance de l'état de cessation des paiements de la société.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 20 NOVEMBRE 2014

En la cause de :

M. André GARINO, ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la société GU. SAM, société anonyme monégasque immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Monaco sous le numéro 1 S 03990, dont le siège social était sis » Le Gildo Pastor Center «, 7 rue du Gabian à Monaco, demeurant 2 rue de la Lüjerneta à Monaco,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Alain JAKUBOWIGZ, avocat au barreau de Lyon,

d'une part ;

Contre :

La société CREDIT SUISSE AG, société anonyme de droit suisse immatriculée au registre du commerce sous le numéro CH-020.3.923.549-1 (OFRC-Id : 388851), ayant son siège social à Paradeplatz 8, CH-8001 ZURICH, SUISSE, représentée par son conseil d'administration,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

La société CIC-LYONNAISE DE BANQUE, société anonyme de droit français ayant son siège social 8 rue de la République, 69000 LYON, prise en la personne de son président du conseil d'administration en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 19 janvier 2012, enregistré (n° 2012/000373) ;

Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 11 avril 2013 ayant notamment rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés CREDIT SUISSE et CICI LYONNAISE DE BANQUE et renvoyé la cause et les parties à l'audience du 15 mai 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société CREDIT SUISSE AG, en date des 4 juillet 2013, 5 décembre 2013 et 15 mai 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la société CIC-LYONNAISE DE BANQUE, en date des 5 août 2013, 5 décembre 2013 et 15 mai 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom d'André GARINO, ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la société GU. SAM, en date des 31 octobre 2013, 20 février 2014 et 26 juin 2014 ;

A l'audience publique du 9 octobre 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 20 novembre 2014 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Par jugement du Tribunal de première instance en date du 5 juillet 2007, la société GU. SAM a été placée en cessation des paiements, la date de cessation des paiements fixée au 30 décembre 2006 et a. GA., désigné en qualité d'administrateur judiciaire. Ce jugement est désormais définitif.

Par jugement du 18 juin 2009, la liquidation des biens de la société GU. SAM a été prononcée et a. GA. a été nommé en qualité de syndic.

Par exploit du 19 janvier 2012, a. GA., ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme monégasque GU., a fait assigner la société anonyme de droit suisse CRÉDIT SUISSE AG et la société anonyme de droit français CIC-LYONNAISE DE BANQUE aux fins de voir le Tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

  • constater que la société CRÉDIT SUISSE a procédé à un amortissement extraordinaire du prêt le 22 mars 2007 en pleine période suspecte ;

  • dire et juger que ce paiement anticipé a été fait en pleine période suspecte ;

En conséquence,

  • condamner solidairement la société CRÉDIT SUISSE et la société CIC-LYONNAISE DE BANQUE à lui restituer ès-qualités la somme de 4.000.000 euros ;

  • condamner solidairement la société CRÉDIT SUISSE et la société CIC-LYONNAISE DE BANQUE à lui payer ès-qualités la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

À l'appui de ses demandes, a. GA., ès-qualités fait valoir pour l'essentiel que :

  • la société GU. souhaitait développer un appareil de massage nécessitant un investissement important ;

  • cette société disposait de fonds propres constitués par le capital de l'entreprise et de prêts en compte courant par les actionnaires, dont l-p. GU., mais qu'il a été nécessaire de recourir à un emprunt bancaire ;

  • par acte du 14 décembre 2004, le pool bancaire constitué du CRÉDIT SUISSE et de la LYONNAISE DE BANQUE, dont le chef de file est le CRÉDIT SUISSE, a consenti à la société GU. SAM (anciennement LPG WORLD SAM) un prêt d'un montant de 25 millions d'euros, mobilisable par tirages de 2,5 millions d'euros chacun ;

  • ce contrat était conclu pour une durée de deux ans au taux d'intérêt variable de l'EURIBOR 3 mois majoré d'un spread de 2,5 % l'an outre une commission d'arrangement de 300.000 euros à la signature du contrat, une commission d'agrément de 1% de la valeur de la part non tirée du crédit et une commission d'agent de 10.000 euros par an ;

  • ce prêt était assorti de garanties très importantes :

  • une caution solidaire de l-p. GU. à hauteur de 25 millions d'euros,

  • une cession aux banques à hauteur de 6 millions d'euros par an de créances des redevances présentes et futures détenues par l-p. GU. envers la société PRINTING PACK BV au titre d'un contrat de licence de brevet et de savoir-faire,

  • un contrat de subordination entre l-p. GU., la société GU. SAM et les banques ;

  • en fin d'année 2006, la société GU. SAM a connu des difficultés financières,

  • cette société a demandé aux banques une prolongation et une restructuration du prêt, ce qui a été accepté par le pool bancaire ;

  • par courrier du 22 décembre 2006, le CRÉDIT SUISSE en sa qualité de chef de file, a fait part de cet accord en indiquant que les conditions devaient être discutées avant le 31 janvier 2007 et qu'à compter du 21 décembre 2006 le prêt de 25 millions d'euros porterait notamment intérêts au taux de 7,5 % l'an en cas d'utilisation et que l'amortissement serait également discuté avant le 30 juin 2007 ;

  • le prêt a donc été reconduit jusqu'au 30 juin 2007, une période de négociation s'étant ouverte dans l'intervalle ;

  • le CRÉDIT SUISSE avait manifestement conscience de la situation financière de la société GU. SAM au vu tant des nouvelles garanties sollicitées que du nouveau taux pratiqué ;

  • par courrier du 29 janvier 2007, le conseil de la société GU. SAM n'a pas masqué la situation en sollicitant une conversion du prêt en crédit amortissable sur six ans avec une année de franchise afin de permettre à la société GU. SAM de restructurer son exploitation ;

  • par courrier recommandé du 2 mars 2007, le CRÉDIT SUISSE a confirmé l'accord du pool pour prolonger le prêt et exigé un amortissement extraordinaire payable le 15 mars 2007 en prenant de nouvelles garanties exorbitantes, à savoir une hypothèque sur l'appartement des époux GU. et un nantissement de tous les brevets détenus par l-p. GU. ;

  • suivant avis de débit en date du 22 mars 2007, le CRÉDIT SUISSE a, conformément aux exigences du pool bancaire, viré la somme de 4 millions d'euros depuis le compte personnel de l-p. GU. sur le compte de la société GU. SAM ; cet avis mentionne » MOTIF DU PAIEMENT : AMORTISSEMENT EXTRAORDINAIRE « ; cette somme a été affectée par la banque au remboursement anticipé du prêt de 25 millions d'euros ;

  • le syndic a éprouvé des difficultés pour obtenir du CRÉDIT SUISSE les extraits de compte de la société GU. SAM pour l'année 2007 ;

  • par courrier du 11 avril 2011, le CRÉDIT SUISSE a fait valoir qu'il avait cédé sa créance en date du 21 juillet 2009 en exécution de l'engagement solidaire du prêt à l-p. GU. et qu'il lui appartenait donc à celui-ci de répondre au syndic ;

  • au vu des documents obtenus, le CRÉDIT SUISSE a fait fonctionner des sous-comptes dont il n'a pas fourni les relevés avant de s'exécuter ;

  • l'examen du compte n° 218831-22-14 fait apparaître que la somme de 4 millions d'euros a été créditée sur le compte de la société GU. SAM mais affectée au remboursement du prêt ;

  • l'opération de 4 millions d'euros qui a été effectuée au cours de la période suspecte en violation de l'article 456 du Code de commerce, doit être annulée et cette somme restituée par les banques, étant observé que bien que la connaissance de l'état de cessation des paiements par le créancier soit indifférente, le caractère exceptionnel du remboursement et l'augmentation considérable des garanties prises témoigne d'une connaissance exacte de la situation de la société GU. SAM par les banques.

Par conclusions en date du 4 juillet 2013, 5 décembre 2013 et 15 mai 2014, le CRÉDIT SUISSE demande au tribunal de :

  • déclarer a. GA. ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM GU. irrecevable en ses demandes ;

  • subsidiairement, l'en débouter ;

  • le condamner ès-qualités à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Elle soutient que :

  • aux termes de l'article 456 du Code de commerce, l'inopposabilité à la masse des créanciers du paiement de 4 millions d'euros effectué au profit de la banque créancière, ne peut s'appliquer que s'il a été effectué par le débiteur en cessation des paiements et non par un tiers ;

  • ce principe a été rappelé dans une décision de la chambre commerciale de la cour de cassation du 30 novembre 1993 ainsi qu'une autre décision de la même chambre le 25 février 1986 ;

  • le paiement litigieux en période suspecte a en l'espèce été effectué par un tiers, à savoir l-p. GU. sur ses seuls deniers, et non par la SAM GU. débiteur ;

  • que l-p. GU. a en effet accepté la convention de prolongation de prêt le 9 mars 2007, laquelle prévoyait notamment son engagement personnel de mettre à disposition de l'établissement financier la somme de 4 millions d'euros par versement payable au 15 mars 2007, lequel a effectivement été effectué le 23 mars 2007 par débit de son compte au profit de la SAM GU. ;

  • que l'article 456 alinéa 3 du Code de commerce déclare inopposable à la masse des créanciers, lorsqu'ils sont intervenus après la date de cessation des paiements, les paiements de dettes non échues ;

  • qu'en l'espèce, le prêt consenti le 14 décembre 2004 était exigible au plus tard le 31 décembre 2006, date à laquelle la SAM GU. n'a pas été en mesure de le régler ; qu'il s'agissait donc d'une dette échue ;

  • que le pool bancaire n'a jamais expressément accepté une prolongation dudit prêt mais que celle-ci était seulement en discussion ;

  • que s'agissant du remboursement d'une dette échue, seul l'article 457 du Code de commerce est applicable ;

  • que pour autant les conditions de l'article 457 du Code de commerce ne sont pas plus réunies ;

  • qu'elle n'avait pas connaissance de l'état avéré de cessation des paiements de la SAM GU. ;

  • que le paiement litigieux n'a pas porté préjudice aux autres créanciers ou à l'entreprise puisqu'il a été assuré par l-p. GU. sur ses fonds personnels en qualité de caution personnelle et qu'il a en définitive, réduit la dette de la société ;

  • que l-p. GU. n'a effectué aucune déclaration de créance au passif de la liquidation.

Par conclusions en date du 6 août 2013, 5 décembre 2013 et 16 mai 2014, la société CIC LYONNAISE DE BANQUE demande au tribunal de :

  • déclarer a. GA. ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM GU. irrecevable en ses demandes ;

  • subsidiairement, l'en débouter ;

  • le condamner ès-qualités à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Elle soutient que :

  • il ne s'agit pas du paiement d'une dette non échue, mais de l'engagement personnel de l-p. GU. d'amortir de manière extraordinaire une fraction de remboursement d'un prêt devenu intégralement exigible ;

  • les dispositions de l'article 456 alinéa 3 du Code de commerce ne sont pas applicables ;

  • le paiement litigieux émane de l-p. GU., garant au terme d'un engagement personnel du 22 mars 2007 et non de la SAM GU., débiteur ; qu'il n'a pas transité par le compte courant de la société mais par un » compte prêt « et qu'il s'agissait d'un paiement spécialement affecté à l'amortissement extraordinaire convenu ;

  • le paiement émane donc d'un tiers et ne peut être annulé conformément à une jurisprudence constante en France (Cass. com., 16 mars 2010) sur la base de textes identiques à ceux existant en Principauté de Monaco ;

  • les dispositions de l'article 457 du Code de commerce ne peuvent pas non plus trouver à s'appliquer ;

  • en effet, si elle connaissait la situation financière difficile de la SAM GU., elle n'était pas informée de l'état de cessation des paiements et a d'ailleurs pour ce motif accepté de renégocier le prêt ;

  • en outre, le paiement de 4 millions d'euros n'a engendré aucun préjudice pour la masse des créanciers, puisqu'il a été fait par l-p. GU. sur ses deniers personnels et a contribué à réduire la dette de la SAM GU. ;

  • il n'est pas démontré à ce titre que l-p. GU. ait déclaré sa créance au passif de la société.

Par conclusions en date du 31 octobre 2013, 20 février 2014 et 26 juin 2014, a. GA. ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM GU. reprend sa précédente argumentation et précise que :

  • le pool bancaire avait expressément accepté une prolongation et une restructuration du prêt qui, en tout hypothèse, ne pouvait être exigible avant le 30 juin 2007 ;

  • il s'agit bien en conséquence du paiement d'une dette non échue intervenu en période suspecte ;

  • la jurisprudence française invoquée par les banques, aux termes de laquelle les paiements intervenus en période suspecte ne seraient annulables que pour autant qu'ils aient été effectués par le débiteur lui-même, n'est pas transposable à Monaco ;

  • les décisions françaises invoquées ont été rendues sous l'égide des dispositions antérieures à la loi du 26 juillet 2005, qui prévoyaient expressément que les paiements effectués en période suspecte étaient nuls lorsqu'ils avaient été faits par le débiteur ;

  • les dispositions actuelles de l'article L632-1 du Code de commerce français ne prévoient plus cette restriction, tout comme l'article 456 du Code de commerce monégasque ne la prévoit pas ;

  • dès lors le paiement en période suspecte est nul, qu'il émane du débiteur ou d'un tiers ;

  • en outre, les fonds ont transité par la SAM GU. et sont entrés dans son patrimoine sans qu'il soit démontré qu'ils aient été spécialement affectés ;

  • les banques connaissaient nécessairement l'état de cessation des paiements de la SAM GU. puisqu'elles considéraient comme exigible la somme de 25 millions d'euros et qu'elles avaient connaissance de sa trésorerie ouverte dans ses livres ;

  • le pool bancaire a, de lui-même, procédé au prélèvement qui a transité par la société avant d'être affecté aux banques, de manière privilégié au détriment des autres créanciers.

MOTIFS

  • sur la demande principale

a. GA., ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM GU., demande au tribunal de condamner les banques défenderesses à lui restituer une somme de 4.000.000 d'euros, constituant selon lui un paiement anticipé effectué durant la période suspecte, sur le fondement de l'article 456.3° du Code de commerce, lequel dispose que » sont inopposables à la masse lorsqu'ils sont intervenus après la cessation des paiements les actes suivants : tout paiement, quel qu'en ait été le mode, de dettes non échues «.

En l'espèce, la Cour de révision de la Principauté de Monaco a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel fixant définitivement la date de cessation des paiements de la SAM GU. au 30 décembre 2006.

Il ressort des pièces produites aux débats qu'il a été procédé le 22 mars 2007, soit postérieurement à la date de cessation des paiements, au virement de la somme de 4.000.000 euros du compte bancaire personnel de l-p. GU. ouvert dans les livres du CRÉDIT SUISSE, vers le compte bancaire de la SAM GU., étant précisé que le motif de ce paiement était » amortissement extraordinaire « et que cette somme a ensuite été affectée par le CRÉDIT SUISSE au remboursement anticipé d'un prêt de 25 millions d'euros souscrit par la SAM GU. le 15 décembre 2004.

L'inopposabilité de droit prévue à l'article 456.3° du Code de commerce invoquée par le demandeur, ne peut s'appliquer qu'à condition qu'il s'agisse d'un paiement en période suspecte d'une dette non encore échue.

Or le contrat de prêt sous forme de découvert en compte de 25.000.000 d'euros a été souscrit le 15 décembre 2004 par la SAM GU. auprès des sociétés CRÉDIT SUISSE et CIC LYONNAISE DE BANQUE pour une durée de deux ans avec un terme expressément fixé au 31 décembre 2006.

Il est certain que suivant courrier du 22 décembre 2006, le CRÉDIT SUISSE en sa qualité de chef de file, a indiqué à la SAM GU. que le pool bancaire était disposé à restructurer le prêt, les conditions de l'amortissement devant être discutées avant le 30 juin 2007, a fixé dans l'intervalle un nouveau taux d'intérêt en cas d'utilisation, puis lui a fait part, par courrier du 2 mars 2007, de la proposition de prolonger le prêt de 25.000.000 d'euros au taux d'intérêts débiteurs annuel en cas d'utilisation de 5% révisable, formalisant de nouvelles modalités de remboursement et exigeant des garanties supplémentaires.

Pour autant, les parties n'ont jamais formalisé d'avenant au contrat de prêt initial permettant la fixation d'un nouveau terme. La SAM GU. a d'ailleurs modifié, par acte du 9 mars 2007, les conditions de l'amortissement en allongeant la période de remboursement, sans qu'il soit établi que le pool bancaire ait accepté cette modification.

Aussi, si les échanges de courriers invoqués ont eu pour effet de reporter l'exigibilité de la dette, c'est à dire la faculté pour les banques de procéder à son recouvrement de manière contraignante, ils n'ont pas eu pour effet de reporter la survenance du terme du prêt, lequel était échu au 31 décembre 2006.

Dès lors, s'agissant du paiement d'une dette échue, les dispositions de l'article 456.3° ne peuvent trouver application en l'espèce.

En revanche, l'article 457 du Code de commerce dispose que peuvent déclarés inopposables à la masse tous autres paiements et actes à titre onéreux faits après la cessation des paiements, si ceux qui ont traité avec le débiteur en avaient eu connaissance.

En l'espèce, il ressort de l'examen des pièces bancaires produites que le paiement de 4 millions d'euros a été effectué au moyen de fonds provenant directement du compte personnel de l-p. GU., garant et administrateur délégué de la SAM GU., puis a transité sur un compte distinct du compte courant, spécialement affecté au remboursement du prêt litigieux, sans jamais intégrer le patrimoine de la société.

Cependant, les dispositions de l'article 457 du Code de commerce monégasque ne distinguent pas suivant que le paiement a été effectué par un tiers ou par le débiteur lui-même, dès lors qu'il est établi que le créancier a traité d'une manière ou d'une autre avec le débiteur, en ayant connaissance de l'état de cessation des paiements.

Or, la proposition faite le 2 mars 2007 par le pool bancaire, créancier, à la SAM GU., débiteur, avait bien pour objet de prolonger le prêt de 25.000.000 d'euros, moyennant un taux d'intérêt plus élevé en cas d'utilisation mais surtout moyennant la souscription de nouvelles garanties particulièrement importantes, à savoir l'octroi d'une cédule hypothécaire de premier rang sans concours sur l'appartement de Monsieur et Madame GU. à hauteur de 8.500.000 CHF, un nantissement de l'ensemble des brevets détenus par l-p. GU. ainsi que » l'amortissement extraordinaire « litigieux d'un montant de 4.000.000 d'euros payable par l-p. GU. le 15 mars 2007.

Et c'est en exécution de cette convention, acceptée tant par l-p. GU. en personne, qu'ès-qualités de représentant de la SAM GU., que la somme de 4.000.000 d'euros a finalement été prélevée sur le compte personnel de l-p. GU. le 22 mars 2007 au profit de la SAM GU. pour être directement affectée à l'amortissement extraordinaire du capital du prêt litigieux.

Ainsi, alors que la situation de la SAM GU. était déjà obérée, les banques ont passé avec la société débitrice une convention modifiant l'objet de l'obligation initiale du contrat de prêt, afin de s'octroyer des garanties exceptionnelles et notamment un amortissement extraordinaire de 4 millions d'euros, qui leur a été versé en période suspecte de manière préférentielle aux autres créanciers.

Il est manifeste que la société CRÉDIT SUISSE comme la société CIC LYONNAISE DE BANQUE ne pouvaient ignorer l'état de cessation des paiements dans lequel se trouvait la SAM GU., dans la mesure où les comptes de cette société étaient ouverts dans leurs livres, ce qui leur permettait assurément d'avoir une réelle appréciation de sa situation financière.

Dès lors, même si la SAM GU. ne s'est pas personnellement appauvrie, car le paiement de 4 millions d'euros est venu réduire sa dette, il n'en reste pas moins que les banques ont obtenu, en toute connaissance de cause, un paiement privilégié, rompant l'égalité entre les créanciers.

En conséquence, et sans qu'il soit besoin d'établir le préjudice que cause le paiement litigieux à la masse des créanciers de la SAM GU., il y a lieu de leur déclarer ce paiement inopposable, en application de l'article 457 du Code de commerce, en ce qu'il a été effectué pendant la période suspecte à la demande des banques défenderesses et ce alors que ces dernières avaient connaissance de l'état de cessation des paiements de la société.

Il sera dès lors fait droit à la demande principale et la société CRÉDIT SUISSE et la société CIC LYONNAISE DE BANQUE seront condamnées à restituer à a. GA., ès-qualités de syndic de la SAM GU. la somme de 4 millions d'euros.

  • sur les demandes de dommages et intérêts

L'action en inopposabilité engagée par le syndic de la liquidation de la SAM GU. dans le cadre de la présente instance ayant donné lieu à une discussion juridique complexe, les banques défenderesses ont pu légitimement se méprendre sur la portée de leurs droits.

La partie demanderesse sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Le tribunal ayant favorablement accueilli la demande principale formée par a. GA. ès-qualités de syndic de la liquidation de la SAM GU. et les sociétés CRÉDIT SUISSE et CIC LYONNAISE DE BANQUE ayant succombé dans leurs prétentions, leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

  • sur l'exécution provisoire

À défaut de titre ou de promesse reconnue et dans la mesure où l'urgence n'est pas caractérisée, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

  • sur les dépens

Les sociétés CRÉDIT SUISSE et CIC LYONNAISE DE BANQUE, parties perdantes, seront solidairement condamnées aux dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare l'action engagée par a. GA. ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM GU. recevable.

Déclare le paiement de 4.000.000 d'euros effectué le 22 mars 2007 à titre » d'amortissement extraordinaire " du prêt souscrit le 14 décembre 2004 inopposable à la masse des créanciers de la SAM GU.

Condamne solidairement la société CRÉDIT SUISSE et la société CIC LYONNAISE DE BANQUE à restituer à a. GA., ès-qualités de syndic de la liquidation de la SAM GU., la somme de 4.000.000 d'euros.

Déboute la société CRÉDIT SUISSE et la société CIC LYONNAISE DE BANQUE de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Déboute a. GA., ès-qualités de syndic de la liquidation de la SAM GU., de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire de la présente décision

Condamne la société CRÉDIT SUISSE et la société CIC LYONNAISE DE BANQUE solidairement aux dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 20 NOVEMBRE 2014, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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