Tribunal de première instance, 30 septembre 2014, La SAM A c/ Monsieur a. EL SH.
Abstract🔗
Contrats et obligations - Contrat hôtelier - Annulation de la réservation des chambres par le client - Force majeure (non) - Condamnation à paiement (oui).
Résumé🔗
C'est en vain que, pour justifier l'annulation de la réservation de chambres dans un hôtel, le client invoque l'hospitalisation de sa mère. Cet événement présente certes les caractères d'extériorité et d'imprévisibilité requis pour retenir la force majeure, mais le caractère insurmontable est absent. En effet, l'impossibilité totale d'honorer la réservation souscrite pendant onze nuitées pour le client et plusieurs membres de sa famille n'est pas démontrée. La société exploitant l'hôtel est donc fondée à demander le paiement de la totalité du prix, l'annulation ayant eu lieu deux jours avant le début du séjour.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
JUGEMENT DU 30 SEPTEMBRE 2014
En la cause de :
La SAM A, immatriculée au RCI sous le n° X, dont le siège social est sis X1, agissant poursuites et diligences de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège,
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
Monsieur a. EL SH., demeurant X2 - 11341 LE CAIRE (Égypte),
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Stéphane MEGYERI, avocat au barreau de Nice,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 25 juin 2013, enregistré (n° 2014/000011) ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de a. EL SH., en date des 21 novembre 2013 et 12 mars 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la SAM A, en date des 30 janvier 2014 et 5 mai 2014;
À l'audience publique du 3 juillet 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 30 septembre 2014 ;
FAITS ET PROCÉDURE
Par assignation du 25 juin 2013, la SAM A (ci-après la SAM A) a fait citer M. a. EL SH. devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article 989 du Code civil et sous le bénéfice de l'exécution provisoire sa condamnation au paiement de la somme principale de 82.280 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2012, outre 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
La SAM A expose et soutient pour l'essentiel :
que M. a. EL SH. a demandé par courriel du 16 juin 2011, la réservation de deux doubles suites et d'une suite simple pour un séjour du 17 au 28 juillet 2011 à l'Hôtel C moyennant le prix journalier de 2.900 euros pour chacune des doubles suites et de 1.680 euros pour la suite simple, ce qu'elle a accepté, après l'avoir informé dans un courriel du 8 juin 2011 que leur « condition d'annulation en période de haute saison est de 15 jours avant la date d'arrivée. En cas de modification à la dernière minute, les nuitées seront facturées à compter de la date de la réservation originairement confirmée. Un acompte de 50 % est demandé avant le 30 juin qui n'est pas remboursable en cas d'annulation tardive (les principales cartes de crédit sont acceptées pour débiter cet acompte)… » ; que le 15 juillet 2011, M. a. EL SH. l'ayant informée que les vacances projetées à l'Hôtel C étaient annulées elle a réclamé par retour de courriel le règlement du montant total du séjour, soit 82.280 euros ; que par la suite, elle a accepté de déroger à titre exceptionnel aux conditions de réservation en ramenant le montant réclamé à 41.140 euros, ce qui a été refusé par M. a. EL SH. qui a invoqué pour la première fois la notion de force majeure et effectué une contre proposition en acceptant de verser cette somme à titre d'acompte sur une future réservation ; qu'une nouvelle proposition transactionnelle a été faite le 5 août 2011 en ces termes « le montant dû de 41.140 euros doit être réglé avant le 31 août 2011 et veuillez noter que cette offre est valable jusqu'au 31 décembre 2011, sous réserve de vérification des disponibilités », prorogée jusqu'au 31 mars 2012 à la demande de M. a. EL SH., puis jusqu'au 3 juillet 2012 avec une proposition pour un séjour envisagé pour la période estivale 2012 du 20 au 27 août 2012 pour 7 chambres exclusives vue mer au tarif de 935 euros et 2 chambres exclusives superior vue mer au tarif de 1.170 euros, avec rappel des conditions d'annulation ; que suite à une nouvelle démarche cette réservation a été modifiée, M. a. EL SH. ayant confirmé son accord sur les conditions d'annulation standard ; que finalement aucune suite n'a été donnée à cette réservation par M. a. EL SH.,
que la clause pénale concernant l'annulation tardive qui a été portée à la connaissance de M. a. EL SH. s'applique même si dans un premier temps, pour des raisons commerciales, elle a consenti un abattement de 50 % sur son montant,
qu'alors que, pour pouvoir invoquer le bénéfice de la force majeure, trois conditions cumulatives sont exigées, l'hospitalisation en urgence pendant une durée de 31 jours en soins intensifs de sa mère âgée de 81 ans déjà sujette au diabète, à l'hypertension, à l'obstruction chronique des voies respiratoires et à des troubles du comportement, ne peut présenter un caractère imprévisible et insurmontable, dans la mesure où cette hospitalisation a commencé le 3 juillet 2011 et où M. a. EL SH. n'a annulé sa réservation que 12 jours plus tard, ce qui révèle à tout le moins un comportement fautif engageant sa responsabilité contractuelle,
que les chambres réservées pour M. a. EL SH. et les membres de sa famille n'ont été libérées que le 15 juillet 2011, ne permettant pas ainsi de les commercialiser auprès d'autres clients, étant observé que M. a. EL SH. propriétaire de l'hôtel D de Londres est parfaitement conscient des préjudices financiers que génèrent les annulations tardives.
M. a. EL SH. demande au Tribunal, sur le fondement de l'article 1003 du Code civil, après avoir constaté qu'il justifie de circonstances constitutives de force majeure, exonératoire de toute responsabilité contractuelle, de débouter la SAM A de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
M. a. EL SH. expose et soutient pour l'essentiel :
que la SAM A, qui avait pourtant été avisée que l'annulation des réservations était effectuée en raison de circonstances imprévisibles, a pourtant sollicité l'application de la clause pénale, avant de ramener la pénalité à 50 %, puis de proposer un accord amiable consistant à affecter ce montant à titre d'acompte dans l'hypothèse d'une nouvelle réservation avant le 31 décembre 2011, cette offre ayant été prolongée jusqu'en 2012 puisque la situation de sa mère restait inchangée et qu'il ne souhaitait pas s'éloigner d'elle,
que c'est avec mauvaise foi que la SAM A affirme dans ses conclusions que la force majeure a été invoquée pour la première fois le 17 juillet 2011, alors que les courriels des 15 et 16 juillet 2011 faisaient déjà état de « circonstances imprévisibles » et de « circonstances douloureuses », ce à quoi la SAM A a répondu qu'elle comprenait qu'il s'agissait d'une « circonstance inattendue »,
que sa mère ayant été admise en urgence au centre hospitalier du Caire en Égypte du 3 au 7 juillet 2011, puis à nouveau à compter du 10 juillet 2011 jusqu'au 27 juillet 2011, il a naturellement, au vu de son état critique, souhaité rester à son chevet, ce qui caractérise des circonstances imprévisibles, irrésistibles et totalement indépendantes de sa volonté,
que l'argumentation de la SAM A est particulièrement indélicate, puisqu'elle sous-entend que quand bien même Mme a. AB. EL. OS. n'aurait pas survécu, cette circonstance n'aurait pas revêtu un caractère imprévisible compte tenu de son âge et de ses pathologies antérieures,
que l'hospitalisation de sa mère n'était pas prévisible, dès lors que sa dernière hospitalisation remontait à trois ans auparavant ; qu'ayant raisonnablement pensé que son état de santé s'était stabilisé lorsqu'elle a quitté l'hôpital le 7 juillet 2011 il a tout naturellement attendu, lorsqu'elle a été à nouveau hospitalisée le 10 juillet 2011, le diagnostic des médecins avant d'annuler sa réservation,
que la SAM A ne démontre pas avoir subi un préjudice.
SUR CE
Selon les dispositions de l'article 989 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
L'article 1003 du même code dispose néanmoins qu'il n'y a lieu à aucun dommages et intérêts, lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il s'était obligé.
En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que par échanges de courriels entre un salarié de la SAM A à l'Hôtel C et M. L. BAU., ce dernier agissant pour le compte de « son patron Dr a. EL SH. et sa famille », M. a. EL SH. a sollicité la réservation de deux doubles suites et d'une suite simple pour un séjour du 17 au 28 juillet 2011, moyennant le prix journalier de 2.900 euros pour chacune des doubles suites et de 1.680 euros pour la suite simple, soit un total de 82.280 euros, à la suite d'une contre proposition de prix effectuée au nom de M. a. EL SH., et acceptée par la SAM A le 16 juin 2011.
Il est démontré également que dans le courriel contenant la proposition initiale de prix du 8 juin 2011, la SAM A a informé la personne qui avait procédé à la réservation pour le compte de M. a. EL SH., des conditions d'annulation en ces termes : « notre condition d'annulation en période de haute saison est de 15 jours avant la date d'arrivée. En cas de modification à la dernière minute, les nuitées seront facturées à compter de la date de la réservation originairement confirmée. Un acompte de 50 % est demandé avant le 30 juin qui n'est pas remboursable en cas d'annulation tardive (les principales cartes de crédit sont acceptées pour débiter cet acompte)… ».
La discussion ne porte au final que sur le point de savoir si l'hospitalisation de la mère de M. a. EL SH. est constitutive d'un cas de force majeure, et présente donc les caractères d'imprévisibilité, d'insurmontabilité et d'extériorité de nature à entraîner l'exonération de la clause pénale conventionnellement prévue.
À l'appui de son argumentation, M. a. EL SH. verse aux débats :
le rapport médical daté du 7 juillet 2011, relatant l'admission de Mme a. le 3 juillet 2011 pour insuffisance respiratoire et insuffisance rénale aiguë,
un rapport médical non daté concernant cette dernière, selon lequel elle a été admise au Centre médical international le 10 juillet 2011 d'où elle est sortie le 27 juillet 2011 pour diabète sucré de type 2, hypertension, maladie chronique obstructive des voies respiratoires, démence ; il y est également précisé que Mme a. est âgée de 81 ans et a été admise dans le même hôpital à trois reprises avec le même diagnostic, les hospitalisations ayant eu lieu du 19 au 20 décembre 2009 et du 3 au 10 juillet 2011,
un document intitulé rapport médical daté du 29 janvier 2014, établissant qu'il a accompagné sa mère lors de son séjour à l'hôpital durant la période du 10 juillet au 27 juillet 2011.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments, que M. a. EL SH. s'était contractuellement engagé, dans le cadre d'une réservation souscrite auprès de la SAM A courant juin 2011, à régler le prix de trois suites pendant 11 nuits, sauf annulation quinze jours avant le 17 juillet 2011, M. a. EL SH. devant en outre régler un acompte de 50 % en garantie, ce qu'il n'a d'ailleurs pas fait et ne lui a pas été réclamé par la SAM A.
Il n'est pas contesté que l'annulation de sa réservation par M. a. EL SH. a été effectuée le 15 juillet 2011, soit deux jours seulement avant la date de début du séjour.
Il est également admis et justifié que la SAM A, dans le cadre d'un geste commercial, a consenti dans un premier temps une réduction de la clause pénale de 50 %, ramenée ainsi à la somme de 41.140 euros, puis dans un second temps, accepté que cette somme soit considérée comme un acompte à valoir sur une future réservation dans un délai expirant d'abord le 31 décembre 2011, puis le 31 mars 2012, et enfin le 3 juillet 2012 à la demande expresse de M. a. EL SH., lequel n'a finalement pas donné suite à sa demande de nouvelle réservation du 20 au 27 août 2012 pour 9 chambres.
Si l'hospitalisation de la mère de M. a. EL SH., survenue le 3 juillet 2011, présente le caractère d'extériorité requis, et peut au surplus, compte tenu des circonstances de l'espèce, être qualifié d'imprévisible, nonobstant l'âge de cette dernière et son état de santé fragile révélé par la mention, dans le rapport médical, de ce qu'elle se trouvait alitée à son domicile en soins de longue durée, cet évènement ne revêtait pas en revanche un caractère insurmontable. En effet, l'impossibilité totale d'honorer la réservation souscrite pendant onze nuitées pour lui-même et plusieurs membres de sa famille n'est pas démontrée, alors que le séjour aurait pu être maintenu pour les autres membres de la famille et que M. a. EL SH. aurait été avisé d'informer son cocontractant avant le 15 juillet 2011, de ce que cette circonstance, dont il a été informé pour la première fois le 3 juillet 2011, puis le 10 juillet 2011, était de nature à modifier ses projets de voyage à Monaco.
En conséquence, la SAM A est fondée à réclamer la somme de 82.280 euros au titre de la clause pénale, nonobstant la réduction puis l'affectation de cette somme à valoir sur le prix d'une future réservation qu'elle avait d'abord consentie dans le cadre d'un geste commercial. À cet égard, il est souligné que la clause pénale a pour objet de compenser l'inexécution de l'obligation et non de réparer un quelconque dommage, qui nécessiterait d'être démontré.
La SAM A ne justifiant pas avoir adressé à M. a. EL SH. une lettre recommandée avec accusé de réception valant mise en demeure de régler, elle ne peut lui réclamer des intérêts au taux légal qu'à compter de la présente assignation en justice, soit le 25 juin 2013.
- Sur les dommages-intérêts
L'article 234 du Code de procédure civile énonce qu'indépendamment des dépens, des dommages et intérêts peuvent être demandés et alloués conformément à l'article 1229 du Code civil, ce qui suppose la double preuve d'un préjudice et d'une faute outre du lien de causalité entre les deux.
La SAM A réclame la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct qui lui aurait été causé par la résistance abusive de M. a. EL SH..
Il n'est pas démontré par les circonstances de l'espèce, que le refus de paiement de M. a. EL SH. a dégénéré en abus ni qu'il a été la cause d'un dommage excédant le préjudice financier compensé par l'application de la clause pénale, si bien que la SAM A sera déboutée de sa demande à ce titre.
- Sur l'exécution provisoire
Selon les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, l'exécution provisoire est ordonnée par le Tribunal, à la demande des parties, s'il y a titre authentique, promesse reconnue ou condamnation précédente par jugement dont il n'y a point appel. Elle peut être ordonnée également, dans tous les cas d'urgence.
Aucune de ces conditions n'étant remplie en l'espèce la SAM A sera déboutée de sa demande à ce titre.
- Sur les dépens
M. a. EL SH. qui succombe dans la présente procédure, sera condamné aux dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Condamne M. a. EL SH. à verser à la SAM A la somme de 82.240 euros outre les intérêts au taux légal échus à compter du 25 juin 2013 ;
Déboute la SAM A du surplus de ses demandes ;
Condamne M. a. EL SH. aux entiers dépens qui seront distraits au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Patricia HOARAU, Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 30 SEPTEMBRE 2014, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.