Tribunal de première instance, 12 juin 2014, La société B c/ SCI A et autres
Abstract🔗
Vente - Nullité (non) - Dol (non) - Erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue (non) - Obligation d'information du vendeur - Manquement (oui) - Préjudice subi par l'acheteur (non)
Résumé🔗
L'acheteur d'une villa doit être débouté de sa demande de nullité de la vente fondée sur un vice du consentement. Certes, le vendeur ne l'a pas informé de l'existence d'un projet de construction de grande ampleur à proximité de la villa, mais l'acheteur ne démontre pas que le calme et l'absence de modification de l'environnement constituaient des éléments déterminants de son consentement.
L'acheteur de la villa doit être débouté de sa demande d'indemnisation pour manquement du vendeur à son obligation d'information. Il ne démontre pas qu'il aurait renoncé à l'acquisition en cas d'information complète, ni que le prix de vente était surévalué, ni que la villa aurait perdu de sa valeur du fait de la construction d'un immeuble à proximité.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
R.
JUGEMENT DU 12 JUIN 2014
En la cause de :
La société des Iles Vierges britanniques dénommée B, au capital de 50.000 dollars, immatriculée au registre des sociétés des Iles Vierges britanniques, sous le n° 1501910, dont le siège social est à TORTOLA X1, représentée par son représentant légal en exercice, domicilié ès-qualités audit siège,
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Laurence WYMAENDTS, avocat au barreau de Paris, substituant Maître Thomas BAUDESSON, avocat en ce même barreau ;
d'une part ;
Contre :
1- La SCI A, société civile immobilière, dont le siège social est X2, prise en la personne de ses cogérants, M. p. RA., demeurant X à Monaco, et Mme s. BE., demeurant X à Monaco,
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
2- Mme s. BE., née le 22 février 1945 à Genève (Suisse), de nationalité monégasque, architecte, demeurant X à Monaco (98000),
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Jean-Pierre BERDAH, avocat au barreau de Nice,
M. p. RA., né le 7 novembre 1948 à Monaco, de nationalité monégasque, architecte, demeurant X à Monaco (98000),
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Alexis MANCILLA, avocat au barreau de Nice,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 1er mars 2010, enregistré (n° 2010/000418) ;
Vu les conclusions de Maître p. RA., avocat-défenseur, au nom de p. RA., en date des 6 janvier 2011, 8 mai 2013 et 30 janvier 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de s. BE., en date des 18 janvier 2012 et 28 novembre 2013 ;
Vu les conclusions de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la SCI A, en date des 18 juin 2012, 7 février 2013et 6 février 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de la société B, en date des 14 novembre 2012, 9 octobre 2013 et 12 mars 2014 ;
À l'audience publique du 10 avril 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 12 juin 2014 ;
FAITS :
Le 21 novembre 2008, Mme s. BE. et M. p. RA., agissant au nom et pour le compte de la SCI A, ont vendu à la société des Iles Vierges britanniques dénommée B, une villa située à Monte-Carlo, X3, dénommée C au prix de 35 millions d'euros, réglé à l'aide du prêt consenti par la société H.
PROCÉDURE :
Le 1er mars 2010, la société des Iles Vierges britanniques dénommée B a fait assigner :
- la SCI A,
- Mme s. BE.,
- M. p. RA.,
en nullité pour cause de dol de la vente intervenue le 21 novembre 2008 et en paiement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société B,
expose :
- que M. SA. et son épouse ont été particulièrement sensibles à l'environnement calme de la villa C située dans un quartier sans construction où la plupart des habitations sont de basse hauteur ;
fait valoir :
- sur la recevabilité :
que le recours à un prêt n'est pas de nature à entraîner l'irrecevabilité de la demande alors qu'elle a conclu l'acte de vente, qu'elle est propriétaire de la villa C et victime de la réticence dolosive des vendeurs ;
que l'existence du privilège du vendeur et du prêteur de deniers ne lui interdit pas de demander la nullité de la vente ;
- sur le dol :
qu'il est jugé de manière constante que « le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant au contractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter » (3° civ. 15.01.1971) ;
que le fait que l'information dissimulée concerne un éventuel projet ne fait pas obstacle à l'existence d'une réticence dolosive ;
qu'il importe peu qu'aucun permis de construire n'ait été délivré avant la vente pour caractériser le dol dès lors qu'un projet existait, qu'il était connu du vendeur et sciemment dissimulé à l'acquéreur ;
que le silence doit avoir pour but de tromper l'autre partie et que l'intention est généralement déduite de l'élément matériel ;
que pour présumer l'intention dolosive, la jurisprudence s'appuie sur les deux éléments suivants : celui qui s'est tu connaissait l'information et l'importance de celle-ci pour son partenaire ;
que conformément à l'article 1162 alinéa 2 du Code Civil, il incombe à celui qui prétend avoir satisfait à son obligation de rapporter la preuve des faits qu'il allègue ;
qu'il suffit pour la victime d'établir le caractère déterminant de l'erreur provoquée par le dol même si elle ne porte pas sur une qualité substantielle ;
qu'« une réticence dolosive rend toujours excusable l'erreur provoquée », peu important le caractère professionnel ou la qualité des parties ;
que la requérante a appris postérieurement à l'acquisition de la villa, que le Groupe D avait entrepris le remembrement de plusieurs villas situées rue des Giroflées en vue de les détruire et d'édifier à leur place un ensemble immobilier ambitieux et ce malgré l'impossibilité de réunir toutes les parcelles initialement envisagées (en ce compris la villa C) ;
qu'il résulte du compte-rendu du Conseil municipal du 16 juillet 2013 et de l'attribution du permis de construire délivré le 6 novembre 2013, que la construction de l'immeuble est imminente ;
que les défendeurs, désireux de vendre leur bien à prix fort, lui ont sciemment dissimulé ces informations dont ils avaient connaissance ;
qu'il ressort du compromis de dation du 10 mai 2006, en contrepartie de la vente de la villa et du contrat d'architecte conclu par M. p. RA. et Mme s. BE. avec le Groupe D, qu'ils ne pouvaient ignorer les intentions du promoteur immobilier, peu important que les détails techniques du projet soient amenés à évoluer au fil du temps ;
qu'il est démontré que M. SA., auquel la société B s'est substituée, a porté son choix sur cette villa pour son environnement calme composé de belles villas de basse hauteur ;
que l'ordonnance de 2006 a conforté la concluante dans ses attentes d'un quartier calme et protégé ;
que les clauses insérées dans le compromis puis l'acte de vente et le courrier du 15 septembre 2008, ont trait à la situation urbanistique de la villa et ne font pas référence à l'édification d'une tour d'habitation dans le quartier du Ténao ;
que les défendeurs savaient que leur acheteur voulait réaliser des travaux et qu'ils ont seulement voulu se prémunir contre une éventuelle réclamation de M. SA. concernant la réalisation de son projet d'aménagement ;
que le montant du prix - 35 millions d'euros - intégrait nécessairement la valorisation d'un environnement immédiat sans construction et sans nuisances ;
que si la contre valeur envisagée avec le Groupe D était de seulement 18 millions d'euros, c'est précisément parce que les parties savaient que le projet immobilier serait source de nuisances ;
que l'édification d'une tour à proximité portera atteinte à l'environnement souhaité, déterminant du consentement de l'acquéreur ;
que ce projet risque de surcroît de priver de luminosité une partie de la villa, résidence secondaire acquise pour profiter du climat méditerranéen ;
que la villa dispose d'une vue sur la villa E et la villa F, propriétés intégrées au projet immobilier ;
que la construction d'un ensemble immobilier de 25 étages créera du vis-à-vis et nuira à l'intimité des résidents de la villa C, avec vue sur leur toit-terrasse sur lequel se trouve une piscine ;
que les immeubles dont il est allégué qu'ils surplombent déjà la villa sont de taille modeste et que la gêne causée est sans commune mesure avec le projet D ;
que cette construction va par ailleurs modifier le nombre prévisible des allées et venues avec en bordure de la villa la voix d'accès aux parkings, à un local commercial et à divers locaux techniques ;
que les travaux vont être source de troubles et nuisances ;
que c'est d'ailleurs pour ces raisons que le maire de Beausoleil a initié un recours administratif pour faire échec au projet ;
que de plus, une telle construction est cause de dépréciation significative de la valeur du bien ;
que l'obligation de renseignements est renforcée en présence de vendeurs professionnels tels que la SCI A et ses associés architectes de renom à Monaco ;
que même si elle n'avait pas une telle qualité, la SCI A aurait eu l'obligation de l'informer du rachat par le Groupe D des villas alentour afin de créer un ensemble immobilier ambitieux ;
que la SCI A ne l'a pas informée de ce projet et que ses associés ont tu l'existence du compromis de dation ;
que l'existence d'un projet dont la réalisation est incertaine constitue un risque pour l'acquéreur et qu'il doit en être informé ;
que les défendeurs devaient l'aviser du projet même s'ils n'en connaissaient pas les détails précis et son évolution ; qu'ils savaient qu'il serait maintenu malgré l'impossibilité de détruire la villa C ;
que l'absence d'intervention de Mme s. BE. lors de la vente est sans pertinence et que sa responsabilité est engagée indirectement en raison de la fictivité de la SCI A, auteur du dol ;
qu'à la date de la publication de l'ordonnance du 14 décembre 2006 et de la décision du Tribunal Suprême du 18 février 2008, le promoteur détenait depuis plusieurs années plusieurs parcelles composant l'assiette du projet qu'il n'a pas revendues et qu'il a au contraire poursuivi ses acquisitions en 2007 ; que les défendeurs ne pouvaient pas l'ignorer alors qu'il ont entretenu une étroite collaboration avec le Groupe D jusqu'en 2008 ;
que le Groupe D a bien compris que l'ordonnance souveraine du 14 décembre 2006 ne remettait pas en cause son projet puisqu'il n'a formé aucun recours à son encontre ;
que le projet actuel correspond à celui envisagé en 2006 à l'exception de la villa C, remplacée par le terrain de la villa « G » ;
qu'il importe peu que le permis de construire ait été délivré plusieurs années après la vente dès lors que l'édification d'une tour était envisagée au moment de la vente en 2008 ;
que c'est en vain que les défendeurs tentent de déplacer le débat sur la faisabilité technique ou économique de la construction envisagée ;
que la concluante n'a jamais prétendu ignorer l'ordonnance annexée au contrat de vente laquelle ne contient aucune indication relative au projet du Groupe D ;
que l'expression « secteur à l'étude » désigne le secteur protégé et non le projet immobilier litigieux ;
que le devoir de se renseigner de l'acquéreur trouve sa limite en présence d'un dol, qu'en effet l'erreur provoquée par la rétention dolosive est toujours excusable ;
que ce devoir de vigilance n'a pas vocation à pallier le manquement du vendeur à son obligation d'information et ce d'autant plus lorsque l'acquéreur est domicilié à l'étranger ;
que la requérante ne pouvait pas obtenir les informations et que la presse n'avait pas relayé l'existence du projet immobilier, ni du rachat des villas opéré par le Groupe D ;
que l'assistance par un agent immobilier, ne dispense pas le vendeur de son obligation d'information ;
que les défendeurs sont malvenus à lui reprocher sa propre ignorance tout en affirmant qu'ils n'avaient pas connaissance du projet ;
sur l'erreur :
qu'ainsi que développé ci-dessus, M. SA. a acheté à un prix élevé un bien dont il était persuadé de son caractère exceptionnel, sans nuisances résultant de plusieurs années de travaux ;
que le classement de la villa C a conforté la demanderesse dans son impression qu'il s'agissait d'un quartier et d'un environnement d'exception ;
qu'une qualité peut devenir substantielle et entrer dans le champ contractuel de façon explicite ou implicite, qu'il n'est pas nécessaire de stipuler la condition recherchée lorsqu'il est évident qu'elle est attendue - selon le sens commun - au regard de la nature et des circonstances de l'opération ;
que l'ignorance du rachat de la plupart des villas du quartier en vue de leur destruction et l'existence sur cette assiette foncière d'un projet immobilier caractérise l'erreur sur la qualité substantielle du bien acquis ;
sur la nullité :
que le dol comme l'erreur entraînent la nullité du contrat par application des articles 971 et 965 du Code civil ;
subsidiairement, sur le manquement à l'obligation d'information :
que ce manquement est sanctionné par l'indemnisation de la dépréciation du bien à hauteur de la moins-value résultant de l'existence de l'ensemble immobilier, soit la somme de 17 millions d'euros en se référant au prix de vente de la villa de 18 millions d'euros par les défendeurs au Groupe D ;
que l'inflation ne saurait expliquer sur une période aussi courte une telle augmentation de prix, pas plus que le fait que l'ordonnance souveraine du 14 décembre 2006 permette d'envisager une surélévation ;
qu'on peut douter du caractère paisible de la jouissance du bien pendant 6 ans en l'absence de travaux alors que la réticence des défendeurs l'a contrainte à initier des actions judiciaires coûteuses ;
que ce projet est actuellement mis en œuvre ;
sur la demande de mise hors de cause de M. p. RA. et de Mme s. BE. :
que cette demande est infondée du fait de la fictivité de la SCI A et de la disparition de l'affectio societatis ;
que cette fictivité peut être invoquée au cours de la vie de la société ;
que l'absence d'affectio societatis peut résulter d'une absence totale de vie sociale, que ladite société ne détient plus d'immeuble ou patrimoine ;
que son siège social est devenu fictif ;
qu'il existe une mésentente profonde et persistante entre les associés ;
que cette société a été conçue comme un outil d'optimisation fiscale et de gestion patrimoniale d'un seul bien et qu'elle a été conçue dans un but contraire à son objet social ;
que les associés répondent du passif social à hauteur de leurs apports par application de l'article 1701 du Code civil ;
sur la demande de dommages et intérêts présentée par M. p. RA. :
qu'une partie saisissante n'est susceptible d'engager sa responsabilité que lorsqu'elle a fait preuve d'une légèreté blâmable ou d'une intention de nuire ;
que les procédures ont été mises en œuvre en application de l'ordonnance présidentielle du 28 janvier 2010 ;
que la rétractation de cette ordonnance n'établit pas le caractère abusif ou vexatoire de ces saisies ; que M. p. RA. n'avait pas sollicité de dommages et intérêts ;
que la concluante n'a pas fait preuve d'acharnement alors qu'elle s'est désistée de son appel ;
sur la demande de paiement d'honoraires :
que le contrat produit par M. p. RA. n'est ni signé, ni daté et que les courriers électroniques ne mentionnent aucun accord sur le prix du projet, ni sur les honoraires ;
que les documents produits ne sont que des esquisses sommaires ne donnant pas lieu à paiement d'honoraires ;
sur les frais de justice :
que cette demande suppose que soit rapportée la preuve d'une faute de celui qui a initié l'action, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
sur la demande de Mme s. BE. :
que les explications ci-dessus afférentes aux frais de justice sont transposables ;
sur les demandes reconventionnelles de la SCI A :
que la résistance abusive des défendeurs est démontrée ;
que la requérante a déjà obtenu gain de cause en référé, le Président du Tribunal ayant, le 28 janvier 2010, reconnu le caractère certain de sa créance ;
que la SCI A n'est pas fondée à obtenir une indemnité d'occupation à compter de la vente jusqu'à la libération des lieux en raison de l'effort rétroactif de l'annulation de la vente ;
conclut :
- à la nullité de la vente intervenue le 21 novembre 2008 pour cause de dol ;
- à la condamnation solidaire ou in solidum à tout le moins, de la SCI A, Mme s. BE. et M. p. RA. à lui rembourser le prix de vente augmenté des frais et droits acquittés, soit la somme de 38.500.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 septembre 2009 ;
- à ce qu'elle s'engager à affecter le prix au remboursement du prêt souscrit auprès de la banque H ;
- à défaut, à ce que le prix soit directement restitué entre les mains de la banque I et à ce qu'il soit constaté qu'elle est libérée de son obligation de remboursement du prêt ;
- à la condamnation solidaire ou in solidum des défendeurs à lui payer la somme de 2 millions d'euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral subi du fait de la réticence dolosive ;
- à titre subsidiaire :
à la nullité de la vente pour cause d'erreur, au remboursement des mêmes sommes que sollicitées dans le cadre du dol ;
- à titre encore plus subsidiaire :
au manquement des défendeurs à leur obligation d'information ;
à la condamnation solidaire ou in solidum des défendeurs à lui payer la somme de 17 millions d'euros ;
à une expertise si besoin ;
- en tout état de cause :
au débouté des défendeurs ;
à l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
La SCI A, après avoir rappelé les fait,
expose :
- que le principe posé par l'article 971 du Code civil trouve sa source dans l'obligation précontractuelle de renseignement et l'obligation de bonne foi de l'article 989 alinéa 3 du même code ;
- que la réticence dolosive suppose l'intention de tromper et que de fait le co-contractant ait commis une erreur déterminante de son engagement ;
- qu'il appartient au demandeur de rapporter la preuve du dol ;
- que le compromis de dation du 9 mai 2006 conclu sous condition suspensive est devenu caduc à la suite de l'ordonnance souveraine n° 831 du 14 novembre 2006 protégeant plusieurs villas dont la villa C et en modifiant à la baisse « le secteur à l'étude » mitoyen, ayant entraîné la défaillance des 3ème et 4ème conditions suspensives ;
- que cette caducité est devenue définitive le 18 février 2008, date de la décision du Tribunal Suprême et que le compromis n'était donc plus valable entre les parties jusqu'au 31 décembre 2009 ;
- que de ce fait, la concluante n'avait aucune raison de le porter à la connaissance de son éventuel acquéreur lors du compromis de vente et de l'acte de vente ;
- qu'elle n'a commis aucune manœuvre dans le but de tromper sa co-contractante ;
- qu'elle a communiqué les dispositions d'urbanisme, lesquelles sont demeurées annexées à l'acte informant l'acquéreur de la situation des villas se trouvant dans le secteur litigieux ;
- qu'il résulte clairement de l'ordonnance que 8 villas qui l'entourent ne sont pas protégées et qu'elles peuvent faire l'objet de travaux et ce, en conformité avec l'ordonnance souveraine n° 3.647 du 9 mai 1966 qui réglemente la hauteur et l'emprise au sol des bâtiments ;
- qu'elle n'avait pas l'obligation d'informer la société B d'un projet immobilier devenu impossible suite à un nouveau règlement d'urbanisme et du fait de la protection de la villa ;
- qu'il importe peu que M. D envisage un nouveau projet ;
- que la nouvelle réglementation empêche par ailleurs la construction d'un immeuble de 7.700 m² tel que prévu à l'origine ;
- que les documents produits ne permettent pas d'établir ni la faisabilité du projet, ni de caractériser la connaissance qu'aurait eu la concluante de celui-ci ;
- que la seule information qu'elle détenait était qu'un programme immobilier était réalisable et qu'elle ne pouvait pas savoir si le Groupe D avait envisagé la construction d'un autre immeuble ; qu'elle n'avait pas connaissance du projet J, ni l'intention de tromper son acquéreur ;
- que l'acquéreur était entouré de plusieurs professionnels de l'immobilier au moment de la vente ; que l'acte a été passé devant deux notaires ; que ces personnes sont tenues d'une obligation de renseignement et de conseil ;
- que la société B n'établit pas que si elle avait eu connaissance du projet, elle n'aurait pas acquis la villa ;
- qu'il n'est pas démontré que l'environnement du quartier ait été déterminant, que la villa n'a pas de vue du côté du secteur à l'étude et que la construction sera sans conséquence sur l'ensoleillement dont bénéficie le bien acquis ;
- que l'argumentation ci-dessus vaut pour l'erreur ;
- que le prix est insuffisant à établir la preuve d'une erreur déterminante, l'achat se situant à une époque où les prix étaient très élevés, que la villa K a fait l'objet d'une inscription hypothécaire pour le prix de 34 millions d'euros ;
- que si la tranquillité et la stabilité du quartier avaient été déterminantes, il n'y aurait pas eu d'achat d'une villa située à côté d'un secteur « à l'étude » dont aucune des constructions n'apparaissait protégée ;
- qu'une telle décision n'aurait aucun sens à Monaco, commune très urbanisée et en constante évolution immobilière ;
- que la requérante ne démontre pas que ces qualités soient entrées dans le champ contractuel ;
- que cette exigence ne figure ni dans le compromis, ni dans l'acte de vente ;
- que plusieurs immeubles surplombent déjà la villa, de telle sorte qu'ils ont déjà une vue sur la piscine et le solarium ;
- qu'il n'est pas démontré que la SCI A ait manqué à son obligation d'information ;
- qu'en tout état de cause, aucune dépréciation n'a été subie en l'absence de toute construction ;
- que le dommage n'est pas certain ;
- que la banque H aurait dû être attraite à la procédure en sa qualité de prêteur de deniers, qu'en effet en cas d'annulation de la vente, elle devrait supporter le risque de se voir restituer un bien grevé dudit privilège alors que la concluante en aura remboursé le prix ;
- que c'est au moment de la réalisation de la vente qu'il convient de se placer pour apprécier le caractère fictif de la SCI A ;
- que la disparition de l'affectio societatis en cours de vie sociale n'entraîne pas la fictivité de la société mais peut aboutir à une dissolution judiciaire ;
- qu'aucune mésentente n'existe concernant la concluante ;
- que la vente de la villa ne l'empêche pas de poursuivre son objet social et que le prix perçu lui permet de réaliser un autre investissement ;
- qu'elle poursuit une procédure à l'encontre de la société L, propriétaire voisine ;
- qu'au cas où il serait fait droit à la demande, elle est bien fondée à prétendre au paiement d'une indemnité d'occupation et d'obtenir l'expulsion de la société B ;
conclut :
- au débouté de la société B de l'ensemble de ses demandes et à sa condamnation à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- à titre subsidiaire :
à la remise des lieux en l'état antérieur ;
à la condamnation de la société B à lui payer une indemnité d'occupation à compter de la date de la vente, se réservant le droit d'en évaluer le montant dans des conclusions ultérieures ;
à l'expulsion de la société B ;
- en tout état de cause :
à ce qu'il soit enjoint à la demanderesse d'appeler à la cause la banque H;
à l'absence de caractère fictif de la SCI A.
M. p. RA.,
fait valoir :
- que l'annulation d'une vente a pour effet de remettre les parties en l'état d'origine et donc mettra fin aux droits réels que détient la banque sur le bien immobilier ;
- que la demande est irrecevable faute d'appel en cause du banquier, prêteur de deniers ;
rappelle :
- les actes signés entre les parties ;
- que l'augmentation du prix de la villa entre le début de l'année 2006 et la fin de l'année 2008 a deux raisons principales, la parution de l'ordonnance n° 831 entérinant la création d'un secteur protégé et autorisant la surélévation de la villa augmentant d'environ 50 % le droit de construire ; d'autre part la bulle immobilière ayant provoqué une très forte hausse en Principauté jusqu'à la fin de l'année 2008 ;
- que la dation en paiement n'a pas pu se concrétiser qu'en raison de la caducité du compromis signé avec la société SAM D, l'ordonnance du 14 décembre 2006 rendant impossible la réalisation du projet envisagé ;
- que les associés de la SCI A avaient décidé de vendre la villa à la suite de leur séparation ;
- que M. SA. s'est montré intéressé par la possibilité de surélévation de deux niveaux du bien et qu'il a chargé le concluant de faire une étude en vue d'un dépôt de permis de construire, outre celle relative à la mise en place d'un ascenseur panoramique ;
- que les rapports se sont tendus en mai 2009 lorsque le concluant a demandé à recevoir en retour son contrat d'architecte signé ;
soutient :
- que les moteurs réels de la demande résident dans la perte des avoirs de M. SA. à la suite de la crise financière et le tassement du prix du mètre carré de luxe en Principauté de Monaco ;
- que la situation urbanistique actuelle augmente la valeur de la villa du fait de son caractère « exceptionnel » découlant de l'ordonnance souveraine n° 831, que dans une ville modernisée elle demeurera un bien rare souvenir d'un passé révolu ;
- que l'ordonnance « gèle » les bâtiments situés de part et d'autre de la rue des Giroflées dont elle empêche l'élargissement, interdit la création de parkings obligatoires pour cette opération immobilière (la rue étant une impasse) et l'accès des services de secours lequel est obligatoire au pied des immeubles nouveaux ;
- qu'il sera impossible par ailleurs de construire un bien de 7.700 m² tel que prévu à l'origine ; la surface autorisée étant comprise entre 3.450 et 3.900 m² ;
- qu'aucun document ne justifie que l'acheteur se positionnait en tenant compte de l'environnement allégué ;
- que les gérants de la SCI A ne pouvaient pas connaître l'existence du nouveau projet du groupe D n'ayant plus eu de relations avec lui depuis le 18 février 2008 et que le projet J est incompatible avec l'ordonnance n° 831 ;
- que l'ordonnance souveraine n° 3.485 du 11 octobre 2011 concerne les villas M, N, E, F et O ; que l'intégration de la villa G afin de permettre l'accès aux lieux ne faisait pas partie du compromis du 9 mai 2006 ;
- qu'en application de ce texte et de la nécessité d'opérer un déclassement partiel de la rue des X4, des modifications législatives devront intervenir ;
- que la SCI A n'a rien dissimulé tout en faisant observer que M. SA. est bien informé des affaires pour être - selon ses dires - l'une des plus grandes fortunes mondiales ;
- que si un environnement sans construction était entré dans le périmètre contractuel, il aurait été visé dans l'acte ;
- qu'il n'est pas soutenu qu'à la date de l'acte, la SCI A était fictive et qu'elle ne l'est pas plus à ce jour ;
forme une demande reconventionnelle en paiement :
- de dommages et intérêts pour procédure vexatoire et frais de justice :
pour avoir vu ses comptes bancaires bloqués pendant plusieurs mois le privant de tout subside alors qu'il est honorablement connu en Principauté de Monaco ;
pour avoir été mis de ce fait dans l'impossibilité de gérer de façon optimale ses investissements cause d'un manque à gagner et pour avoir été privé de son compte professionnel ;
pour avoir dû engager des frais de justice importants ;
- en paiement de ses honoraires d'architecte ;
conclut :
- à l'irrecevabilité de la demande ;
- au débouté de l'ensemble des demandes présentées ;
- à la condamnation de la société B à lui payer les sommes de :
1,5 millions d'euros pour procédure abusive et vexatoire ;
200.000 euros au titre des frais de justice ;
200.000 euros représentant le montant de ses honoraires ;
- à l'exécution provision de la décision à intervenir.
Mme s. BE.,
expose :
- que la banque I a des droits réels sur la villa, que l'annulation de la vente entraînera par l'effet de son caractère rétroactif, la perte de ces droits ;
- qu'aucun document antérieur à l'acte authentique ne stipule que la société B achetait la villa en raison du calme du quartier et que la preuve n'est pas rapportée que cette exigence soit entrée dans le champ contractuel comme déterminante de la décision de l'acquéreur ;
- que s'il est exact qu'un compromis de dation avait été souscrit le 9 mai 2006, celui-ci était caduc depuis la décision du Tribunal Suprême du 18 février 2008, la condition suspensive numéro quatre étant défaillie ;
- que la SCI A et la concluante n'avaient aucune raison de faire état d'un protocole frappé de caducité et dont l'économie générale était totalement bouleversée ;
- qu'en effet, personne ne pouvait considérer qu'un projet de 7.700 m² de surface puisse passer à « 29.000 m² » sans les villas prévues à l'origine ;
- que le vendeur ne peut pas garantir son acquéreur de l'évolution de l'urbanisme dans le secteur ; que la vente a été souscrite sous l'égide des dispositions de l'ordonnance souveraine du 14 décembre 2006 rappelée dès le compromis de vente du 23 septembre 2008 ;
- que l'examen du plan permet de déterminer que les villas servant d'assiette à un éventuel projet de construction se situent au Nord-Est de la villa, dont la vue ne peut être obturée par une construction quelconque à cet endroit ;
- que le dynamisme de la construction en Principauté constitue un élément objectif du paysage que personne ne peut ignorer ;
- que la concluante, par l'intermédiaire de son Conseil, a bien spécifié qu'elle « n'entend donner aucune autre garantie » que la constructibilité découlant de l'ordonnance souveraine ;
- que la seule exigence posée par l'acquéreur dans la négociation préalable portait sur l'obtention du permis de construire de deux étages supplémentaires ;
- que la décision du Conseil communal de Monaco du 16 juillet 2013 s'emplace cinq années après le compromis ; qu'à la date de celui-ci la réglementation ne permettrait pas de construction supplémentaire importante de sorte que les vendeurs n'avaient rien à dissimuler ;
- que la situation juridique d'un bien résulte des renseignements d'urbanisme et de l'état des servitudes existantes, lesquels sont conformes à la réalité et que l'absence de mention d'un projet devenu caduc ne saurait constituer un vice du consentement ;
- qu'aucun ensoleillement ne peut disparaître du fait du « projet » sur l'arrière de la villa ; que l'immeuble P surplombe très largement le toit de la villa ainsi que l'immeuble Q ;
- que la société requérante en construisant la piscine et le solarium savait qu'elle s'exposait déjà au regard de ces immeubles ;
- que le prix de vente de la villa dans le cadre de la dation ne peut pas être détaché du contrat d'architecte et des avantages financiers qui en découlaient ;
- qu'à la suite de l'échec de la dation, elle ne pouvait connaître le projet du groupe D ;
- qu'elle n'a jamais eu de contact avec les acquéreurs et qu'elle ne pouvait donc pas donner d'information particulière, raison pour laquelle elle s'est bornée à faire écrire par son Conseil ;
- que l'ordonnance souveraine du 14 décembre 2006 a été modifiée en 2011 et 2013 ; qu'en conséquence, la villa est protégée par la limitation de certaines hauteurs et constructions alentours ;
- que la requérante ne manque pas d'humour en prétendant que la SCI A s'apparente à une coquille vide alors qu'on peut s'interroger sur la consistance d'une société située aux Iles Vierges britanniques qui doit emprunter 110 % du prix d'achat ;
- que la SCI A a perçu le prix résultant de la vente et qu'elle n'a pas besoin de posséder des immeubles pour être solvable ;
- que cette société défend à la procédure et est valablement représentée et qu'il n'appartient pas à la demanderesse de s'immiscer dans sa vie sociale ou dans les rapports des associés ;
conclut :
- à l'irrecevabilité de la demande faute de mise en cause du prêteur de derniers ;
- au débouté de l'ensemble des demandes présentées ;
- à la condamnation de la requérante à lui payer la somme de deux millions d'euros à titre de dommages et intérêts en raison des saisies pratiquées, de l'atteinte à sa réputation et de celle de 20.000 euros au titre des frais de justice.
SUR QUOI LE TRIBUNAL,
Sur la recevabilité de la demande :
Le prix du bien s'élevant à la somme de 35 millions d'euros a été financé par l'octroi d'un prêt du même montant accordé par la société H pour une durée d'un an renouvelable neuf fois garanti par le « privilège du prêteur de deniers et privilège du vendeur (subrogation) avec le bénéfice de l'action résolutoire en premier rang et sans concours… ».
La société B du fait de l'exécution de ses obligations et plus particulièrement du paiement du prix au vendeur est la propriétaire de la villa C et non la banque ; elle a dès lors qualité à agir.
Les défendeurs ne caractérisent pas légalement en quoi l'absence à la procédure du prêteur de deniers constituerait une cause d'irrecevabilité de la demande.
Ils seront dès lors déboutés de leur exception.
Sur le fond :
Le compromis de vente de la villa C située à Monte-Carlo, X3 a été signé le 23 septembre 2008 entre Mme s. BE. et M. p. RA., agissant au nom et pour le compte de la SCI A, et M. c. CH., agent immobilier, agissant au nom et pour le compte de M. s. SA..
Il est précisé en page 13 de l'acte que l'immeuble est régi par les dispositions de l'ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006 …« dont une photocopie demeurera jointe… » « ledit contrat ayant été négocié en considération de ladite réglementation ».
L'acte de vente conclu avec la société B (se substituant à M. SA.) se réfère à la lettre de la Direction de l'Équipement, de l'Environnement et de l'Urbanisme du 23 septembre 2008 dont il ressort que l'ordonnance souveraine n° 831 est applicable à la propriété litigieuse et rappelle qu'une surélévation du bien peut être réalisée.
Il est expressément stipulé comme dans le compromis, que « l'acquéreur déclare et reconnaît avoir parfaitement connaissance du contenu de ladite lettre, ainsi que du règlement d'urbanisme susvisé dont il a pris connaissance dès avant ce jour… ».
- sur le dol :
Aux termes de l'article 971 du Code civil, « le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ».
Il appartient à la partie qui invoque l'existence d'un dol de le prouver.
Il est imputé à la société venderesse une réticence dolosive.
Le 9 mai 2006, la SCI A, représentée par ses gérants, et la SAM D ont signé un compromis de dation aux termes duquel dans le cadre du remembrement de diverses propriétés entrepris par le Groupe D dans le quartier du Ténao portant notamment sur les villas C, N, M, E, F et O en vue de leur démolition et de la construction « sur l'assiette foncière résultant de la réunion desdites propriétés, (d')un ensemble immobilier à usage principal d'habitation », ladite SCI s'est engagée à vendre ladite villa C sous cinq conditions suspensives (celles portant les n° 4 et 5 devant être réalisées au plus tard le 31.12.2009) contre la remise d'un ou deux appartements d'une superficie de 350 m², de trois caves et six parkings en sous-sol et d'une soulte de 4 millions d'euros.
Le lendemain, 10 mai 2006 et par acte séparé, les parties ont signé un protocole d'accord par lequel la SAM D s'est engagée à confier au Cabinet d'architecte p. RA. s. BE. une mission complète pour le projet immobilier à réaliser, moyennant une rémunération représentant 7,5 % du montant final hors taxe des travaux et sous diverses conditions suspensives dont l'achat de l'ensemble du M, la libération des lieux, l'absence de préemption.
Suivant ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006 et de son annexe portant sur le règlement d'urbanisme du quartier Saint-Roman, lequel prévoit le statut des constructions existantes, des bâtiments à démolir et des bâtiments conservés, la villa C était classée dans cette dernière catégorie.
Le 16 février 2007, la SCI A et ses gérants ont formé un recours en annulation de l'ordonnance précitée, rejeté par décision du Tribunal Suprême du 18 février 2008.
Contrairement à ce que soutient la demanderesse le compromis de dation est devenu caduc à cette date sans qu'il soit besoin d'attendre le 31 décembre 2009, dès lors que le nouveau statut de la villa C interdisait sa démolition (cause de la dation en paiement) et que son assiette foncière était désormais exclue du projet du Groupe D, lequel ne pouvait plus obtenir l'autorisation de construire « sur l'assiette foncière susvisée » prévue au paragraphe 4 des conditions suspensives de l'acte.
Il est donc avéré que cette caducité est antérieure aux pourparlers et au compromis de vente.
Il n'en demeure pas moins que dans le cadre des discussions et selon le principe de loyauté que l'on est en droit d'attendre dans les échanges précontractuels, la SCI A - alors que la décision du Tribunal Suprême était récente et qu'elle ne pouvait l'avoir oubliée - se devait au mois de septembre 2008 d'informer son « futur » co-contractant de la volonté du Groupe m. D de construire un ensemble immobilier jouxtant la villa, même si celui envisagé dans la dation ne pouvait être réalisé sur l'emprise foncière d'origine.
Il n'est pas contesté par les défendeurs qu'ils n'ont pas informé M. SA., son mandataire ou la société B de l'existence du projet de construction et du risque qui perdurait car si l'ordonnance souveraine ne permettait plus de démolir la villa C, le Groupe D avait déjà acquis les biens énumérés dans l'exposé du compromis de dation, les relevés hypothécaires produits par la demanderesse le confirmant s'agissant de ventes intervenues au cours des années 1999 - 2001 - 2003 et 2007.
Il convient dès lors de rechercher si cette réticence présente un caractère dolosif.
Entre le 18 février 2008 et la date de la vente, il n'est produit aucun élément de nature à établir que la SCI A, par l'intermédiaire de ses gérants soit restée en contact avec M. m. D et qu'elle ait donc eu connaissance de ses intentions et des décisions prises et/ou des projets modificatifs de celui-ci, à la suite de l'ordonnance souveraine du 14 décembre 2006 et du rejet du recours en annulation.
La décision du Tribunal Suprême a mis fin à leurs relations contractuelles et à la mission complète de maîtrise d'œuvre prévue par l'acte sous seing privé du 10 mai 2006.
Ce fait est à ce point avéré que lorsque M. D a été interrogé sur sommation interpellative, il a fait état du projet élaboré par le Cabinet de M. J et non par celui de Mme s. BE. et de M. p. RA..
La société B désirait acheter une villa de la « Belle Epoque » ; à la date du compromis puis de la vente, le quartier était effectivement composé de maisons répondant à cette définition et d'immeubles qui n'étaient pas de très grande hauteur.
La demanderesse soutient avoir choisi cet endroit pour son « environnement calme », condition déterminante voire essentielle de son consentement, laquelle serait entrée dans le champ contractuel.
En l'état des documents produits, il s'agit d'une affirmation non étayée par le moindre élément probant, tel que l'échange de courriers ou de messages relatifs à la qualité attachée au bien, objet du contrat.
Les échanges des 10 et 12 septembre 2008 n'y font pas référence pas plus que le compromis et l'acte de vente.
M. SA. démontre seulement avoir acheté la villa avec l'assurance de pouvoir la surélever de deux étages ; en effet si le courrier du 1er septembre 2008 portant offre d'achat n'est pas produit, il s'évince de la réponse qui y est apportée le 4 septembre 2008 qu'il est demandé aux vendeurs de s'expliquer sur « la nécessité pour l'acheteur d'obtenir la garantie de pouvoir construire les deux étages supplémentaires de la villa… »
Le courrier de l'agence R du 10 septembre 2008 rappelant les termes de l'offre ne fait à aucun moment référence à une condition tenant au calme du quartier et à l'absence de construction.
Il en est de même du contenu des messages de la société S en date des 10 et 12 septembre 2008.
Il résulte du courrier du 16 septembre 2010 envoyé par la société S à M. c. CH. que M. SA. recherchait une villa (bien qu'il a effectivement acquis) mais non que ce choix était motivé et déterminé par l'environnement et la certitude qu'aucune construction d'importance ne vienne perturber le « calme » du quartier.
Il ne peut dès lors être reproché à la défenderesse de s'être tue en connaissance de l'importance que représentait pour sa partenaire l'information tenant à l'atteinte susceptible d'être apportée à la configuration des lieux par la construction d'un immeuble d'envergure.
M. SA. dès la signature du compromis avait été informé au paragraphe « déclarations situation hypothécaire » que l'immeuble était régi par l'ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006, dont la photocopie avait été jointe à l'acte et dont il a déclaré avoir pris connaissance, « ledit contrat ayant été négocié en considération de ladite réglementation ».
Il résulte clairement de l'annexe à ladite ordonnance et du plan de masse que seulement quelques villas avaient le statut de bâtiments à conserver et que donc les autres villas pouvaient et étaient susceptibles d'être démolies, cette donnée devant s'analyser dans la configuration géographique de la Principauté de Monaco où les terrains à bâtir sont rares, particulièrement recherchés et toujours utilisés pour édifier des immeubles qui sont de plus en plus hauts.
La société B ne peut pas soutenir que l'ordonnance n° 831 de 2006 l'a confortée dans ses attentes alléguées d'un quartier calme et protégé alors que cette décision comme rappelé ci-dessus si elle a préservé certaines villas, autorise pour les autres leur démolition, ce qui implique nécessairement le risque de voir édifier un ou des immeubles.
M. SA. n'a fait aucune observation sur ce point et n'a à aucun moment indiqué qu'il n'envisageait l'achat qu'à la condition d'avoir l'assurance qu'aucune construction ne soit envisagée sur les biens pouvant être démolis.
La volonté de M. SA. de demeurer dans un quartier « sans construction et sans nuisances » ne peut pas se déduire du prix de 35 millions d'euros offert par lui alors que la vente a eu lieu à une période où le marché immobilier était très porteur en Principauté de Monaco et que l'ordonnance de 2006 était de nature à conférer de fait une valeur beaucoup plus élevée aux villas protégées pour devenir un objet particulièrement rare.
Les explications de la société B sur la contre-valeur envisagée dans la dation en raison de la nuisance résultant du projet immobilier sont totalement contradictoires puisque dans ce projet la villa C était détruite.
Il sera relevé au surplus que, outre le prix de 4 millions d'euros, le Groupe m. D remettait à la venderesse un ou deux appartements de 350 m² plus balcons ou loggias, 3 caves et 6 parkings.
Cet acte ne peut par ailleurs pas être analysé sans se référer au protocole d'accord du 10 mai 2006 par lequel le Cabinet p. RA. s. BE. investi d'une mission complète d'architecte devait percevoir des honoraires de 7,5 % du montant HT des travaux.
La société B soutient que le projet du Groupe D privera de luminosité une partie de la villa mais ne le démontre pas.
Dès lors que la demanderesse est défaillante dans la charge de la preuve du caractère déterminant de l'environnement souhaité, elle ne peut valablement faire valoir comme preuve du dol les nuisances consécutives à la construction de l'immeuble autorisée par le Conseil municipal en 2013 tenant à la fois aux travaux et aux allées et venues après construction.
Il en est de même pour la création de vis-à-vis, étant précisé qu'il existe déjà des immeubles certes moins élevés mais qui ont une vue sur le toit-terrasse de la villa C où la société semble avoir fait édifier une piscine.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas démontré que la SCI A ait tu l'existence d'un projet possible de construction dans l'intention de tromper sa co-contractante et de l'amener à conclure l'acte de vente.
Le caractère dolosif de la réticence n'étant pas caractérisé, la société B sera déboutée de sa demande de nullité de la vente pour dol.
- sur l'erreur :
Aux termes de l'article 965 du Code civil, « l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ».
Il a été retenu ci-dessus dans le cadre de l'analyse du dol que la société B ne démontre pas que l'environnement calme du quartier dans lequel est situé la villa C ait constitué pour l'acheteur une qualité substantielle de la chose entrée dans le champ contractuel et pas même une condition déterminante de l'achat.
Les règles d'urbanisme du quartier sont conformes à celles indiqués dans le compromis et dans l'acte de vente.
La demanderesse est dès lors également mal fondée à se prévaloir de l'existence d'une erreur au sens de l'article susvisé cause de nullité du contrat.
Elle ne peut pas soutenir qu'elle aurait payé un prix élevé car elle était persuadée du caractère exceptionnel du bien sans nuisances résultant de plusieurs années de travaux ou des risques résultant de l'existence de vis-à-vis alors que :
- le caractère exceptionnel du bien est avéré et résulte de la rareté en Principauté de Monaco de villas dites de la « Belle Époque », caractère consacré par l'ordonnance de 2006 ne protégeant que quelques demeures de ce type dans le quartier considéré ;
- la possibilité résultant de ladite ordonnance de démolir les autres villas implique le risque pris par tout acquéreur de se trouver confronté à des chantiers compte tenu de l'exiguïté du territoire.
La qualité substantielle alléguée ne peut résulter « du sens commun » au regard des circonstances de l'opération (sans que la demanderesse s'explique sur cette notion) dans un pays où toute personne, même non résidente, ne peut ignorer qu'il n'existe aucune pérennité sur les constructions existantes.
L'ignorance du rachat de villas du quartier par la société D ne caractérise pas la notion d'erreur sur la qualité substantielle de la chose.
La société demanderesse sera en conséquence déboutée de sa demande de nullité de la vente fondée sur l'erreur.
- sur le manquement à l'obligation d'information :
La société B sollicite à ce titre le paiement d'une somme de 17 millions d'euros.
Le Tribunal a retenu que la venderesse n'avait pas informé sa co-contractante de la possible réalisation d'un projet de construction dans le voisinage de la villa C.
La demanderesse n'établit pas, contrairement à ce qu'elle prétend, qu'elle n'aurait pas acheté le bien même si elle avait eu connaissance de la construction d'un immeuble à proximité.
Il n'est pas plus démontré que le prix payé lors de l'achat ne correspondait pas à la valeur du bien, compte tenu des données du marché à cette date alors qu'au surplus l'ordonnance souveraine de 2006 en a autorisé la surélévation.
Il sera relevé surabondamment qu'il n'est pas plus prouvé que la construction d'un immeuble entraînera une dépréciation de la villa C ; une mesure d'instruction n'ayant pas pour finalité de pallier la carence d'une partie dans la charge de la preuve.
La demanderesse sera également déboutée de ce chef de demande.
- sur la demande de dommages et intérêts :
La demanderesse étant déboutée de son action en nullité de la vente est mal fondée à solliciter le paiement de la somme de 2 millions d'euros en réparation de son préjudice moral et matériel alors qu'elle n'établit pas le caractère dolosif de la réticence des défendeurs.
Sur la demande reconventionnelle présentée par M. p. RA. :
- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire :
Autorisée par ordonnance présidentielle la société B a, le 2 février 2010, fait procéder à une mesure de saisie-arrêt entre les mains des banques T, U et V à concurrence de la somme de 38.600.000 euros sur toutes sommes ou valeurs dues à M. p. RA., figurant sur ses comptes personnels et professionnel ; il résulte des documents produits par celui-ci que son compte professionnel présentait un solde créditeur de 1.406,78 euros.
Le juge des référés, par décision du 7 mai 2010, a ordonné la rétractation de l'ordonnance présidentielle du 28 janvier 2010 et la mainlevée des saisies-arrêts pratiquées.
La société B a pratiqué la mesure de saisie en vertu d'une ordonnance présidentielle et à hauteur des sommes qui correspondaient à l'évaluation de son préjudice, soit la restitution du prix d'achat du bien augmenté des frais.
La société demanderesse a exercé une voie de droit qui lui est ouverte par le Code de procédure civile, sans qu'aucun abus ne soit caractérisé ; M. p. RA. ne démontre pas qu'elle ait fait preuve de légèreté blâmable ou d'intention de nuire.
La société B n'a pas plus fait preuve de mauvaise foi dans son attitude procédurale car si elle a relevé appel de l'ordonnance de référé, elle s'est ensuite désistée.
M. p. RA. est dès lors mal fondée à solliciter réparation du préjudice résultant du gel de ses avoirs et il ne saurait demander que les frais de Justice engagés pour la défense de ses droits dans le cadre de cette procédure soient mis à la charge de son adversaire, étant précisé que le juge des référés a condamné la société B aux dépens de l'instance.
Il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts.
- Sur la demande de paiement d'honoraires :
La société B n'a pas signé de contrat d'architecte et il ne résulte pas du dossier que les parties aient convenu du projet à réaliser, ni du coût des travaux.
M. SA. avait accepté dans le cadre des discussions ayant précédé l'achat, de se rapprocher du cabinet s. BE. p. RA. « pour tout ce qui concerne le permis de construire » (lettre de l'agence R du 10 septembre 2008 et d'Elite International).
M. p. RA. a commencé à travailler sur le projet en établissant ce qu'il qualifie lui-même d'« ébauche des plans de la villa C » et a adressé à M. c. CH. un « premier projet de façade ».
Il produit à l'appui de sa demande de paiement d'honoraires qu'il évalue à 200.000 euros, (alors que le projet de contrat pour mission complète de maître d'œuvre fixait le montant prévisible des honoraires à 416.000 euros) deux plans de façade et des plans de chaque étage sans élément de comparaison avec les plans antérieurs de la villa et les modifications apportées à l'exception de la surélévation et de l'ascenseur.
Il fait état de frais importants engagés sans produire le moindre document sur ceux-ci, pas plus qu'il ne joint les correspondances ou échanges qu'il aurait eu avec les services de l'urbanisme.
La société B, au vu des pièces produites, est bien fondée de soutenir que celles-ci constituent un simple « projet sommaire s'inscrivant dans une première approche » et qu'elles sont totalement insuffisantes à fonder une action en paiement et ce, alors que les parties venaient de signer l'acte de vente.
Les discussions n'ont pas dépassé ce simple stade et cela est si vrai que M. p. RA. n'a jamais adressé à la société B la moindre note de frais avant l'assignation qui lui a été délivrée en nullité de la vente.
Il est totalement défaillant dans la preuve qui lui incombe de démontrer que les esquisses réalisées correspondent à un travail susceptible d'être rémunéré.
Il sera débouté de sa demande.
Sur la demande reconventionnelle formée par Mme s. BE. :
La société B a le 20 janvier 2010 fait procéder à une mesure de saisie-arrêt sur les comptes détenus par Mme s. BE. dans les livres du W.
Le juge des référés par décision du 7 mai 2010 a ordonné la rétractation de l'ordonnance présidentielle ayant autorisé cette mesure et la mainlevée de la saisie-arrêt.
Mme s. BE. a été privée de ses avoirs durant un peu plus de 3 mois.
Tout comme dans le cas de M. p. RA., le mesure a été autorisée par un magistrat et opérée à hauteur de la somme de 38.600.000 euros alors que le prix de vente de la villa était de 35 millions d'euros, outre les frais, soit un montant très proche de la créance alléguée.
Mme s. BE. ne démontre pas que la société B ait fait preuve de légèreté blâmable ou d'intention de nuire ; celle-ci n'a fait qu'user d'une voie de droit consacrée par le Code de procédure civile.
Les frais de la procédure ont par ailleurs été mis à la charge de la société B par l'ordonnance de référé qui a rappelé dans les motifs que l'article 421 du Code de procédure civile ne prévoit pas la possibilité d'accorder des dommages et intérêts.
La procédure engagée par la société B sur autorisation présidentielle ne revêt pas plus de caractère vexatoire et n'a pas porté atteinte à la réputation de Mme s. BE..
Mme s. BE. sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes de dommages et intérêts présentée par la SCI A, M. p. RA. et Mme s. BE. pour procédure abusive :
Une partie est en droit d'agir en justice pour la défense de ses droits, il en est ainsi pour la société requérante alors qu'elle estimait être victime d'un dol puis d'une erreur.
Les défendeurs ne démontrent pas qu'elle ait introduit son action de manière téméraire, ni qu'elle ait agi avec légèreté ou mauvaise foi.
Faute de caractériser une faute commise par la société B dans la saisine de la juridiction, ils seront déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts.
Sur la demande d'exécution provisoire :
En l'absence de condamnation, il ne saurait être fait application de l'article 202 du Code de procédure civile.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déclare la société B recevable en ses demandes ;
Dit que la société B ne rapporte pas la preuve d'une réticence dolosive, ni d'une erreur ;
Déboute la société B de sa demande de nullité du contrat de vente du 21 novembre 2008 portant sur la villa C et de sa demande de dommages et intérêts ;
Déboute la société B de sa demande de dommages et intérêts pour manquement des défendeurs à leur obligation d'information ;
Déboute M. p. RA. et Mme s. BE. de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles ;
Déboute la SCI A de sa demande de dommages et intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Met les dépens à la charge de la société B dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, Maître Jean-Pierre LICARI, Maître Christophe SOSSO, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame m. e HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Madame Patricia HOARAU, Juge, Mademoiselle Alexia BRIANTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 12 JUIN 2014, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame m. e HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.