Tribunal de première instance, 5 juin 2014, Mme C. AR-BO. c/ La SARL G

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Abstract🔗

Exéquatur - Compétence de la juridiction française (oui) -  Atteinte à la conception monégasque de l'ordre public international (non) - Application de la loi française - Résistance manifestement abusive

Résumé🔗

C'est en vain que l'employeur soutient que seul le Tribunal du travail de la Principauté de Monaco avait compétence pour connaître du litige l'opposant à la salariée dès lors que la décision dont l'exequatur a été sollicité émane bien, d'après la loi française, d'une juridiction compétente, sans qu'aucune atteinte à la conception monégasque de l'ordre public international n'apparaisse caractérisée.

Dans la mesure où aucune atteinte à la conception monégasque de l'ordre public international n'étant caractérisée, il convient de faire droit à la demande formée par la salariée en déclarant exécutoire en Principauté de Monaco l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix en Provence qui a appliqué au la loi française au litige.

Saisi d'une demande d'exequatur, le Tribunal de Première Instance ne peut ajouter à la décision étrangère, en accordant à l'employeur des délais de paiement, qu'il n'avait pas sollicités devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Il doit être allouée à la salariée la somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts dans la mesure où ne déférant pas à la décision rendue et en formant au contraire un pourvoi en cassation, sans avoir justifié des diligences de nature à faire conclure à sa volonté d'exécuter l'arrêt de la cour d'appel ni même invoquer une impossibilité d'exécution ou une situation de fait de nature à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives en cas d'exécution, l'employeur a fait preuve d'une résistance manifestement abusive et contraint la salariée à introduire la présente procédure d'exequatur et donc à exposer des frais pour assurer la défense de ses intérêts.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 5 JUIN 2014

En la cause de :

  • Mme C. AR-BO., née le 1er juin 1962 à Montauban (82), de nationalité française, gérante de société, demeurant et domiciliée 1X « X », 06600 ANTIBES ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La société de droit monégasque dénommée SARL G, société à responsabilité limitée, immatriculée au RCI de Monaco sous le n° X, dont le siège est sis à Monaco, 2X, « , prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Nathalie TRUEL-CASTELLI, avocat au barreau de Béziers,

En présence de :

  • M. le Procureur Général, en son Parquet général, séant au Palais de Justice, rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 5 novembre 2013, enregistré (n° 2014/000193) ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SARL G, en date des 5 décembre 2013 et 6 février 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de C. AR-BO., en date du 16 janvier 2014 ;

Vu les conclusions du ministère public en date du 27 février 2014 ;

À l'audience publique du 3 avril 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, le ministère public en ses observations et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 5 juin 2014 ;

FAITS ET PROCÉDURE

Engagée par la SCS de droit monégasque H, devenue la SARL G le 20 mars 2006 selon contrat de travail à durée indéterminée signé à Monaco en qualité d'animatrice réseau, C. AR-BO., de nationalité française et domiciliée à Antibes (France), après avoir fait l'objet le 15 mai 2009 d'une mise à pied conservatoire, a été licenciée le 4 juin 2009 de son emploi pour faute grave.

Contestant le bien fondé de son licenciement et sollicitant en outre le paiement d'heures supplémentaires, C. AR-BO. a saisi le 27 octobre 2009 le Conseil des Prud'hommes de Grasse, lequel par jugement en date du 22 décembre 2010 l'a déboutée de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires et d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et estimé que le surplus des demandes formées devant lui relevaient de la compétence du tribunal du travail monégasque, « juridiction compétente par le lieu où l'engagement avait été contracté » en renvoyant les parties à se pourvoir à ces fins devant la juridiction compétente.

C. AR-BO. ayant formé contredit à l'encontre de ce jugement, la Cour d'appel d'Aix en Provence par arrêt en date du 28 juin 2011, après avoir déclaré le contredit irrecevable et s'être néanmoins reconnue valablement saisie en application des dispositions de l'article 91 du code de procédure civile, a :

  • - dit que le Conseil des Prud'hommes de Grasse était compétent pour connaître de l'ensemble des demandes portées devant lui sur le fondement des dispositions des articles R 1412-1 du code du travail et 14 et 15 du code civil français ;

  • - dit que les relations de travail ayant existé entre C. AR-BO. et la SARL G étaient régies par la loi française ;

  • - dit qu'il y avait lieu d'évoquer le fond du litige et renvoyé à cette fin la cause et les parties à une audience ultérieure.

Selon arrêt au fond en date du 13 décembre 2011 la Cour d'appel d'Aix en Provence a :

  • - réformé le jugement rendu le 22 décembre 2010 par le Conseil des Prud'hommes de Grasse ;

  • - condamné la SARL G à payer à C. AR-BO. les sommes suivantes :

    • 1.127,50 euros à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires, outre 112,75 euros au titre des congés payés y afférents ;

    • 507,48 euros à titre de complément de salaire afférent à la période de maladie ;

    • 10.397,97 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 1.039,79 euros au titre des congés payés y afférents ;

    • 2.406,93 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

    • 20.795,94 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

    • 1.270,86 euros au titre du salaire dû pour la période du 8 au 18 mai 2009 et 127 euros au titre des congés payés y afférents ;

    • 2.541,72 euros au titre du salaire dû pendant la période de mise à pied injustifiée et 254,17 euros au titre des congés payés y afférents ;

  • - dit que la SARL G devrait remettre à C. AR-BO. une attestation Pole Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire rectifiés ;

  • - condamné la SARL G à verser à C. AR-BO. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

  • - condamné la SARL G aux dépens.

La SARL G ayant formé le 13 février 2012 un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt, le Conseiller délégué à cet effet par le Premier Président de la Cour de Cassation, après avoir constaté que la société demanderesse au pourvoi ne justifiait d'aucune diligence propre à faire conclure à sa volonté de déférer à la décision des juges du fond et n'invoquait par ailleurs ni impossibilité d'exécution, ni situation de fait de nature à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives en cas d'inexécution, a ordonné en application des dispositions de l'article 1009-1 du code de procédure civile la radiation de l'affaire du rôle de la Cour par décision en date du 10 janvier 2013.

Selon exploit du ministère de Maître ESCAUT-MARQUET, huissier de justice, en date du 5 novembre 2013, C. AR-BO. a assigné la SARL G devant le tribunal de première instance, en présence du Procureur Général, afin de voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, déclarer exécutoire en Principauté de Monaco avec toutes conséquences de droit l'arrêt rendu le 13 décembre 2011 par la Cour d'appel d'Aix en Provence et d'obtenir en outre la condamnation de la société défenderesse au paiement d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive à paiement.

La SARL G conclut, à titre principal, au rejet de la demande d'exequatur formée par C. AR-BO. au motif que 2 des 5 conditions requises par l'article 18 de la Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco ne sont pas réunies dans la mesure où :

  • - 1) le Conseil des Prud'hommes de Grasse et la Cour d'appel d'Aix en Provence n'avaient pas compétence pour connaître du litige l'opposant à C. AR-BO. qui aurait dû être porté devant le Tribunal du travail de la Principauté de Monaco ;

  • - 2) seule la loi monégasque était applicable au contrat de travail conclu entre les parties ;

  • - 3) la décision dont l'exequatur est sollicité est contraire à l'ordre public monégasque en ce que :

    • elle contrevient au principe de l'égalité devant la loi des employeurs comme des salariés à Monaco qui ne sauraient se voir appliquer des lois différentes selon la nationalité ou le domicile des salariés concernés ;

    • elle contrevient à la règle du non cumul des indemnités de congédiement et de licenciement édictée par l'article 3 de la loi monégasque n° 845 du 27 juin 1968.

Elle sollicite, à titre subsidiaire, que C. AR-BO. soit déboutée de ses demandes tendant à l'octroi de dommages et intérêts, en contestant le caractère dilatoire du pourvoi formé par ses soins, à voir assortir la décision à intervenir du bénéfice de l'exécution provisoire, en invoquant, d'une part l'absence d'urgence et d'autre part, les difficultés prévisibles de récupération des sommes versées pouvant la conduire à solliciter l'exequatur en France de l'éventuelle décision de réformation rendue par la Cour d'appel de Monaco, et enfin que de larges délais de paiement lui soient accordés.

C. AR-BO. réplique à ces divers arguments :

  • - qu'ainsi que l'a jugé récemment la Cour d'appel de Monaco le 17 décembre 2013 dans une espèce similaire le Conseil des Prud'hommes du domicile de la salariée avait compétence, tant rationae loci que rationae materiae, pour connaître du litige l'opposant à la SARL G qui a été en mesure de faire valoir ses moyens et droits en défense devant les juridictions françaises ;

  • - que l'application de la loi française au fond du litige n'est pas contraire à la conception monégasque de l'ordre public international dès lors que le dispositif normatif étranger va dans le sens d'une protection complète du salarié, présumé être la partie faible dans ce type de relation contractuelle ;

  • - que la décision dont l'exequatur est sollicité est passée en force de chose jugée en l'état de l'ordonnance de radiation rendue le 10 janvier 2013 par le magistrat délégué par le Premier Président de la Cour de Cassation ;

Elle s'oppose en outre à l'octroi à la SARL G de tous délais de paiement compte tenu notamment de l'ancienneté du litige et maintient ses demandes d'exécution provisoire et de dommages et intérêts.

Par conclusions en date du 27 février 2014 le Procureur général indique ne pas s'opposer à l'exequatur en Principauté de Monaco de l'arrêt rendu le 13 décembre 2011 par la 17ème chambre B de la Cour d'appel d'Aix en Provence et s'en rapporte à la décision du tribunal relativement aux demandes de dommages et intérêts et de délais de paiement.

Il fait valoir en substance à cet effet :

  • - que l'attribution par la loi n° 446 du 16 mai 1946 au Tribunal du travail de la connaissance des différends s'élevant à l'occasion de la conclusion, de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail, ne faisant pas obstacle à ce qu'une juridiction étrangère se reconnaisse également compétente, d'après ses propres règles de procédure interne, la Cour d'appel d'Aix en Provence devant laquelle les parties ont été régulièrement citées et à même de se défendre, avait bien compétence pour connaître du litige ;

  • - que le pourvoi en cassation n'étant en la matière pas suspensif d'exécution, l'exercice de ce recours ne serait en tout état de cause pas de nature à ôter à l'arrêt dont l'exequatur est sollicité son caractère exécutoire ;

  • - qu'en matière d'exequatur il est de principe que s'applique un effet atténué de l'ordre public qui ne saurait être heurté par les différences de calcul des indemnités de rupture dues aux salariés existant entre les législations française et monégasque ;

  • - qu'en l'absence de démonstration d'une novation dans la relation contractuelle des parties, les juges français ont parfaitement motivé les raisons de l'application du droit français au litige, les critères retenus s'avérant au surplus compatibles avec ceux pris en compte par la législation monégasque.

SUR CE,

  • Sur la demande tendant à voir prononcer l'exequatur de l'arrêt rendu le 13 décembre 2011 par la 17ème chambre B de la Cour d'appel d'Aix en Provence

Attendu qu'en application des dispositions de l'article 18 de la Convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco pour déterminer si l'arrêt au fond rendu le 13 décembre 2011 par la 17ème chambre B de la Cour d'appel d'Aix en Provence peut être déclaré exécutoire en Principauté de Monaco il convient de vérifier si :

  • - l'expédition produite réunit les conditions nécessaires à son authenticité ;

  • - cette décision émane d'une juridiction compétente ;

  • - les parties ont été régulièrement citées et à même de se défendre ;

  • - la décision est passée en force de chose jugée ;

  • - ces 4 conditions devant être appréciées en fonction de la loi du pays d'où émane cette décision, soit en l'espèce selon la loi française ;

  • - les dispositions de la décision dont l'exequatur est poursuivi sur le territoire monégasque ne sont pas contraires à l'ordre public ou aux principes de droit du pays où l'exequatur est requis, soit en l'occurrence, la Principauté de Monaco.

Attendu en l'espèce que seules les 2ème et 5ème conditions sont contestées par la défenderesse.

  • A) Sur la compétence du Conseil des Prud'hommes de Grasse et en appel de la Cour d'appel d'Aix en Provence pour connaître du litige relatif à l'exécution et à la rupture du contrat de travail conclu entre C. AR-BO. et la SARL G

Attendu que la SARL G soutient que seul le Tribunal du travail de la Principauté de Monaco avait compétence pour connaître du litige l'opposant à C. AR-BO. ;

Attendu toutefois que la demande dont la Cour d'appel était saisie, suite au contredit formé par C. AR-BO. à l'encontre du jugement rendu le 22 décembre 2010 par le Conseil des Prud'hommes de Grasse l'ayant déboutée de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et ayant estimé que le surplus des prétentions des parties relevait de la compétence du Tribunal du travail de la Principauté de Monaco, concerne l'exécution et la rupture d'un contrat de travail conclu à Monaco entre un employeur de droit monégasque et une salariée de nationalité française domiciliée à Antibes, embauchée en qualité d'animatrice réseau et exerçant en dernier lieu la fonction de responsable grands comptes, dont le travail consistait pour l'essentiel en des tournées, des activités en extérieur et des déplacements, son passage au siège de la société à Monaco n'étant que sporadique.

Que devant la Cour d'appel d'Aix en Provence, C. AR-BO., à l'appui de son contredit, a excipé des dispositions des articles R 1412-1 du code du travail attribuant compétence pour connaître d'un litige afférent à l'exécution et à la rupture d'un contrat de travail, lorsque le travail est accompli en dehors de tout établissement, au Conseil des Prud'hommes dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié, subsidiairement des dispositions de l'article 14 du code civil français instaurant à son profit un privilège de juridiction, et en tout état de cause des dispositions des articles 91 alinéa 1er du code de procédure civile, selon lequel si la Cour estime que la décision qui lui est déférée par la voie du contredit aurait dû l'être par la voie de l'appel elle n'en demeure pas moins valablement saisie, et 89 du même code autorisant la Cour, si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, à évoquer le fond du litige.

Qu'au regard de ces dispositions et plus généralement de la loi de procédure française la compétence de la Cour d'appel d'Aix en Provence pour connaître, après évocation, du fond du litige opposant C. AR-BO. à la SARL G ne souffre aucune contestation.

Que par ailleurs la compétence d'ordre public attribuée au Tribunal du travail dans l'ordre juridictionnel monégasque par la loi 446 du 16 mai 1946, ne constitue pas un obstacle à ce qu'une juridiction étrangère se reconnaisse également compétente d'après ses propres règles de procédure interne.

Attendu dès lors que la décision dont l'exequatur a été sollicité émane bien, d'après la loi française, d'une juridiction compétente, sans qu'aucune atteinte à la conception monégasque de l'ordre public international n'apparaisse caractérisée.

  • B) Sur la contrariété de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence à l'ordre public ou aux principes de droit monégasque en ce qu'il aurait été fait application au litige des dispositions de la loi française

Attendu que la SARL G soutient qu'en appliquant à tort les dispositions de la loi française au litige qui lui était soumis la Cour d'appel d'Aix en Provence a contrevenu au principe de droit public d'égalité des employeurs et des salariés devant la loi et à la règle de non cumul de l'indemnité de congédiement et de licenciement posée par l'article 3 de la loi monégasque n° 845 du 27 juin 1968 et violé ainsi l'ordre public monégasque.

  • 1) Sur l'application de la loi française au litige

Attendu que pour estimer que la loi française devait recevoir application, la Cour d'appel d'Aix en Provence a successivement retenu dans son arrêt en date du 28 juin 2011, auquel se réfère expressément l'arrêt au fond du 13 décembre 2011 dont l'exequatur est sollicité, que l'autorisation d'embauche et de permis de travail signée par les parties les 1er et 3 septembre 2008, invoquée par la SARL G, ne suffisait pas à démontrer une novation au contrat de travail initial en date du 20 mars 2006, signé à Monaco et régi par les dispositions de la Convention Collective Française des Entreprises du Négoce et de l'Industrie des Produits du Sol Engrais et Produits connexes, dont l'article 7 stipulait en outre que la salariée exercerait ses fonctions sur la totalité du territoire français, en l'absence de conclusions par les parties d'un avenant ou d'un nouveau contrat de travail ;

  • - que si la demande d'autorisation d'embauchage et de permis de travail, qui ne contenait aucune acceptation de la part de la salariée, fixait la date d'entrée de cette dernière au service de la SARL G au 1er octobre 2008, les bulletins de salaires délivrés à C. AR-BO. jusqu'à son licenciement mentionnaient comme date d'entrée le 20 mars 2006 ;

  • - que si les parties n'avaient pas expressément désigné la loi compétente pour régir leurs relations dans le contrat de travail conclu entre elles le 20 mars 2006, ce document se référait néanmoins à la législation française ;

  • - que la rupture avait été opérée selon les règles de procédure française ;

  • - que C. AR-BO. accomplissait habituellement son travail sur le territoire français et que la Convention collective applicable était une Convention collective française.

Attendu qu'en l'absence de novation dans la relation contractuelle des parties la Cour d'appel a ainsi parfaitement motivé les raisons pour lesquelles elle avait considéré que la loi française devait recevoir application en l'espèce, les critères retenus étant compatibles avec ceux pris en compte par la législation monégasque.

  • 2) Sur la violation du principe de droit public d'égalité des employeurs et des salariés devant la loi

Attendu en l'espèce que la Cour d'appel d'Aix en Provence a tout d'abord, après avoir relevé que la SARL G ne contestait pas que C. AR-BO. ait travaillé 39 heures par semaine, alloué à cette dernière, au titre des heures supplémentaires effectuées à compter du mois d'octobre 2008, la somme de 1.127,50 euros outre 112,75 euros représentant les congés payés y afférents.

Qu'elle a par ailleurs considéré que les pièces produites par la SARL G n'établissant ni l'exercice par C. AR-BO. d'une activité concurrente à la sienne à compter du mois de septembre 2008 et le débauchage de salariés, ni l'abandon de poste qui lui était reproché, le licenciement de cette salariée ne reposait en définitive pas sur une faute grave, ni même sur une cause réelle et sérieuse et que cette dernière devait donc être dédommagée.

Attendu que l'application par la Cour d'appel d'Aix en Provence de telles dispositions du droit français ne heurte nullement la conception monégasque de l'ordre public international, alors que la charge de la preuve de la faute grave pèse en droit monégasque comme en droit français, exclusivement sur l'employeur, que le concept de cause réelle et sérieuse du licenciement retenu par le droit français s'apparente à celui de motif valable de rupture retenu par le droit monégasque et enfin que la SARL G pouvait éviter le risque de disparité de traitement qu'elle invoque aujourd'hui en soumettant expressément les relations de travail la liant à ses salariés au droit monégasque dans un contrat de travail écrit.

Qu'en tout état de cause le dispositif normatif français, comme l'a estimé la Cour d'appel de Monaco dans un arrêt en date du 12 décembre 2013 (EMCP c/ ASR), va dans le sens d'une protection complète du salarié, présumé être la partie faible dans ce type de relation contractuelle.

  • 3) Sur la violation de la règle de non cumul posée par l'article 3 de la loi n° 845 du 27 juin 1968

Attendu que la Cour d'appel d'Aix en Provence a alloué à C. AR-BO. les indemnités de rupture suivantes :

  • - une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 10.397,97 euros calculée sur la base du délai de 3 mois prévu par l'article 39 de la convention collective applicable, outre l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante ;

  • - une indemnité légale de licenciement (plus intéressante pour la salariée que l'indemnité conventionnelle) d'un montant de 2.406,93 euros calculée en fonction d'une ancienneté remontant au 20 mars 2006, date de l'embauche initiale ;

  • - une somme de 20.795,94 euros représentant 6 mois de salaires à titre d'indemnité destinée à réparer le dommage causé par le licenciement mis en œuvre pour faute grave et en réalité dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée concernée disposant d'une ancienneté totale de services de 3 ans et demi, préavis inclus.

Attendu qu'aucune violation de la règle de non cumul des indemnités de congédiement et de licenciement posée par l'article 3 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 n'est ainsi caractérisée.

Qu'en effet, alors que l'indemnité légale de licenciement allouée à C. AR-BO. par les juges français correspond à l'indemnité monégasque de congédiement, l'indemnité de 20.795,94 euros représentant 6 mois de salaires accordée à cette salariée par les juges français vise à réparer le dommage qui lui a en réalité été causé par la rupture injustifiée de son contrat de travail et l'allégation d'une faute grave, dont l'employeur s'est avéré dans l'incapacité de rapporter la preuve, et s'apparente par suite aux dommages et intérêts pour rupture abusive auxquels elle aurait pu prétendre dans le cadre de la législation monégasque en application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729.

Attendu qu'aucune atteinte à la conception monégasque de l'ordre public international n'étant en définitive caractérisée il convient de faire droit à la demande formée par C. AR-BO. en déclarant exécutoire en Principauté de Monaco l'arrêt rendu le 13 décembre 2011 par la 17ème chambre B de la Cour d'appel d'Aix en Provence.

  • Sur la demande reconventionnelle en délais de paiement formulée par la SARL G

Attendu que la SARL G se borne, pour étayer sa demande de délais de paiement, à invoquer les difficultés de trésorerie que pourrait engendrer le versement en une seule fois des condamnations prononcées à son encontre.

Qu'elle ne prétend en revanche nullement se trouver actuellement dans une situation financière critique et ne verse aucune pièce de nature à le démontrer.

Attendu en tout état de cause que saisi d'une demande d'exequatur, le Tribunal de Première Instance ne peut ajouter à la décision étrangère, en accordant à la SARL G des délais de paiement, qu'elle n'avait pas sollicités devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

  • Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

Attendu qu'en ne déférant pas à la décision rendue à son encontre le 13 décembre 2011 et en formant au contraire un pourvoi en cassation, sans avoir justifié des diligences de nature à faire conclure à sa volonté d'exécuter l'arrêt de la Cour d'Appel d'Aix en Provence ni même invoquer une impossibilité d'exécution ou une situation de fait de nature à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives en cas d'exécution, la SARL G a fait preuve d'une résistance manifestement abusive et contraint C. AR-BO. à introduire la présente procédure d'exequatur et donc à exposer des frais pour assurer la défense de ses intérêts.

Attendu que la SARL G sera en conséquence condamnée à verser à C. AR-BO. la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts.

  • Sur l'exécution provisoire

Attendu que les conditions requises par l'article 202 du code de procédure civile pour que l'exécution provisoire puisse être ordonnée n'étant pas réunies en l'espèce la demande à ce titre ne pourra qu'être rejetée.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Déclare exécutoire en Principauté de Monaco avec toutes conséquences de droit l'arrêt rendu le 13 décembre 2011 par la 17ème chambre B de la Cour d'appel d'Aix en Provence entre C. AR-BO. et la SARL G.

Condamne la SARL G à payer à C. AR-BO. la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts.

Déboute la SARL G de sa demande tendant à obtenir l'octroi de délais de paiement.

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

Condamne la SARL G aux dépens distraits au profit de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Stéphanie VIKSTRÖM, Premier Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Antoinette FLECHE, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 5 JUIN 2014, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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