Tribunal de première instance, 27 mars 2014, La société E c/ SAM W
Abstract🔗
Faillites - Cessation des paiements – Liquidation des biens.
Créance – Créancier-gagiste – Intérêts au taux légal.
Résumé🔗
L'établissement de l'état des créances au jour du jugement de cessation des paiements et sa vérification, constituent un préalable au règlement à venir de ces créances qui s'impose à tous les créanciers, y compris les privilégiés, pouvant exiger un règlement par priorité, tel le créancier gagiste évoqué aux articles 480 à 483 du Code de commerce. Ces derniers prévoient également que le syndic peut avec l'autorisation du juge-commissaire, retirer le gage au profit de la masse en remboursant la dette et peut même contraindre le créancier à réaliser le gage s'il ne le fait pas volontairement et dans ce cas, le droit de rétention du créancier se reporte sur le prix de la réalisation du gage et sa sûreté prime alors les autres créances. Enfin, l'article 453 prévoit notamment que les intérêts des créances garanties par une sûreté spéciale ne peuvent être perçus que sur les sommes provenant des biens affectés à la sûreté.
Le Tribunal est en l'espèce saisi d'une contestation sur la déclaration de créance détenue par la société E dans le cadre de la liquidation des biens de la société W. Le juge-commissaire a admis pour deux montants la créance de la société E et le syndicat liquidateur de la société entend diminuer l'assiette du caractère privilégié de la première et pour la seconde la contestation porte principalement sur son inscription à titre privilégié dans l'état des créances.
S'agissant de la première qui constitue un prêt sur gages pour l'acquisition de véhicules, la contestation porte au regard de l'état de la créance sur l'absence de mention des intérêts car il n'y a pas de contestation sur son caractère privilégié ou son montant. La société E ayant justifié que sa créance est garantie par un gage, le Tribunal reconnait qu'il est bien fondé à solliciter que soient mentionnés dans l'état des créances, à côté du montant de 1.637.574,20 euros arrêtant sa déclaration de créance, les intérêts contractuels postérieurs. S'agissant de la seconde créance souscrite par la SAM W conclue pour garantir un contrat de télépéage autoroutier, la garantie bancaire à première demande l'a été par l'affectation en gage d'un compte et la vente de ces titres a permis de rembourser intégralement la créance de la société E. Dès lors que ce dernier justifie que sa créance au titre de la garantie à première demande est garantie par un gage, le Tribunal le considère comme bien fondé à solliciter que soient mentionnés dans l'état des créances, à côté du montant principal de 30.000 euros, les intérêts contractuels postérieurs au taux légal majoré de 4 points.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
AUDIENCE DU 27 MARS 2014
LE TRIBUNAL,
Statuant en application de l'article 472 du Code de commerce, dans le cadre de la liquidation des biens de la SAM W ;
La société E, sise à Draguignan (83002), X,
CRÉANCIERE RÉCLAMANTE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Marc DUCRAY, avocat au barreau de Nice ;
La société anonyme monégasque W, dont le siège social se trouve 2 boulevard Charles III à Monaco, prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur et plaidant par Maître Myriam BELLAZOUZ, avocat au barreau de Nice, substituant Maître Denis DEL RIO, avocat en ce même barreau ;
M. Jean-Paul S., Syndic, demeurant X à Monaco,
Vu le jugement de ce Tribunal en date du 6 janvier 2011 ayant constaté la cessation des paiements de la SAM W ;
Vu le jugement de ce Tribunal en date du 29 mars 2012 ayant prononcé la liquidation des biens de la SAM W ;
Vu le dépôt de l'état des créances en date du 20 septembre 2013 et sa publication au Journal de Monaco du 27 septembre 2013 ;
Vu l'ordonnance du juge commissaire en date du 15 octobre 2013 ayant arrêté l'état des créances ;
Vu la réclamation formée sous la date du 4 octobre 2013 par Maître Marc DUCRAY, avocat au barreau de Nice, au nom de la société E contre l'état des créances de la SAM W ;
Vu l'ordonnance du juge commissaire en date du 16 décembre 2013 statuant à titre provisionnel sur ladite réclamation ;
Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 16 décembre 2013 ;
Vu l'enrôlement de la cause sous le n° 2014/000337 ;
Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET avocat-défenseur au nom de la société E, en date du 17 janvier 2014 ;
Vu les conclusions de M. Jean-Paul S., ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM W, en date du 17 janvier 2014;
À l'audience publique du 17 janvier 2014, le Syndic, Jean-Paul S., les Conseils des parties et le Ministère public ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 13 mars 2014, prorogé au 27 mars 2014, les parties en ayant été avisées par le Président ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
La présente juridiction est saisie d'une contestation portant sur la déclaration de créance de la société E dans le cadre de la procédure de liquidation des biens de la SAM W.
Statuant à titre provisionnel sur la réclamation société E, le juge-commissaire a admis la créance de la société E à titre privilégié à hauteur des montants suivants :
1.637.574,20 euros arrêté au 29 mars 2012 et les intérêts contractuels postérieurs au titre des contrats de prêt ;
30.000 euros, outre les intérêts contractuels au titre de la garantie à première demande ;
L'affaire a été appelée à l'audience du 17 janvier 2014.
M. Jean-Paul S. ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM W, demande au Tribunal :
d'admettre à titre définitif la créance de la société E pour la somme de 1.637.574,20 euros à titre privilégié,
de prendre acte du règlement intégral de la créance chirographaire de 30.000 euros,
de condamner la société E au entiers dépens.
M. Jean-Paul S. soutient :
que l'assiette du privilège dont bénéficie la créance de la société E est limitée à la somme de 740.000 euros, prix retiré de la cession des 22 camions gagés,
que l'article 453 alinéa 2 du Code de commerce dispose que « sans préjudice du troisième alinéa de l'article 461, les intérêts des créances garanties par une sûreté spéciale ne peuvent être perçus que sur les sommes provenant des biens affectés par la sûreté »,
que par ailleurs l'article 2 de l'ordonnance-loi n° 676 du 2 décembre 1959 sur le nantissement des véhicules indique que « seul, le paiement du prix d'acquisition peut ainsi être garanti envers le vendeur, le prêteur de deniers… »,
que compte tenu du prix de cession des véhicules gagés largement inférieur au montant de la créance en principal, il n'y a pas lieu de mentionner les intérêts complémentaires, qui seraient de surcroît chirographaires,
que pour l'autre créance de 30.000 euros, il est affirmé que par courrier du 20 août 2012, la société E a sollicité son accord pour procéder à la cession du compte titre nanti et affecter le produit de cette vente en priorité au remboursement de sa créance, que le syndic a donné son accord le 24 septembre 2012 à la cession des titres nantis qui présentaient au 31 juillet 2012 un solde créditeur de 14.887,64 euros, si bien que la créance résiduelle devait être enregistrée à titre chirographaire pour 15.112,36 euros, mais que s'agissant d'un courrier simple, il ne peut pas en justifier,
que depuis, il a réaffirmé son accord pour la cession des titres nantis, dont la valorisation actuelle permet un règlement intégral de la créance de 30.000 euros.
La société E demande au Tribunal :
de dire que sa créance doit être admise à titre privilégié à hauteur des montants suivants :
1.637.574,20 euros arrêté au 29 mars 2012 et les intérêts contractuels postérieurs au titre des contrats de prêt,
30.000 euros, outre les intérêts contractuels postérieurs au titre de la garantie à première demande,
de condamner tout contestant aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
La société E soutient qu'il faut admettre chacune de ses créances à titre privilégié outre les intérêts selon contrat, conformément à la déclaration de créance et à la décision du juge-commissaire.
S'agissant de la créance de 30.000 euros, la société E, qui ne conteste pas qu'elle a été intégralement réglée à la suite de la cession des titres nantis, estime qu'elle doit néanmoins être mentionnée dans l'état des créances.
SUR CE
- Sur la créance de 1.637.574,20 euros à titre privilégié
Il s'agit de la créance déclarée au titre de 22 contrats de prêt souscrits par la SAM W pour l'acquisition de véhicules avec constitution de gage sur ces véhicules.
Il est constaté que la contestation ne porte que sur l'absence de mention, dans l'état des créances, des intérêts selon contrat, puisqu'il n'existe pas de discussion sur le caractère privilégié de la créance, ni son montant de 1.637.574,20 euros.
Il est constant que l'établissement de l'état des créances au jour du jugement de cessation des paiements et sa vérification, constituent un préalable au règlement à venir de ces créances, que ce soit dans le cadre d'un règlement judiciaire par un concordat, ou dans le cadre d'une liquidation des biens après réalisation de l'actif.
Il est constant également, que ce préalable s'impose à tous les créanciers, y compris les privilégiés, pouvant exiger un règlement par priorité, tel le créancier gagiste évoqué aux articles 480 à 483 du Code de commerce.
Selon les dispositions de l'article 453 du Code de commerce, le jugement arrête à l'égard de la masse seulement, le cours des intérêts de toute créance non garantie par une sûreté spéciale étant précisé que les intérêts des créances garanties par une sûreté spéciale, ne peuvent être perçus que sur les sommes provenant des biens affectés à la sûreté.
Dès lors que la société E justifie que sa créance est garantie par un gage, il est bien fondé à solliciter que soient mentionnés dans l'état des créances, à côté du montant de 1.637.574,20 euros arrêté au 29 mars 2012 selon sa déclaration de créance, les intérêts contractuels postérieurs.
Au stade de l'exécution, en effet, la société E ne pourra obtenir le paiement par priorité que dans la limite de la réalisation du gage et pour le surplus, à titre de créancier chirographaire en application de l'article 483 du Code de commerce.
- Sur la créance de 30.000 euros
Il s'agit de la créance déclarée au titre de la garantie bancaire à première demande souscrite par la SAM W le 2 février 2009, au profit de la société AXXES pour garantir un contrat de télépéage autoroutier, à hauteur de 30.000 euros et qui a été mise en œuvre le 1er avril 2011.
Il est démontré que cette garantie bancaire à première demande a été garantie par l'affectation en gage d'un compte titre n° 43616744853 à l'agence ST LAURENT ENTREPRISE.
La société E a déclaré le principal de 30.000 euros et les intérêts de 1.294,94 euros courus entre le 11 avril 2011 et le 29 mars 2012 (taux légal majoré de 4 points).
La discussion porte sur son inscription à titre privilégié dans l'état des créances, alors qu'il est indiqué, par suite d'un accord entre le syndic et la société E, confirmé par un courrier produit par la société E à l'audience de plaidoirie, que la vente des titres nantis au profit de la société E pour le montant de 30.000 euros, a permis de rembourser intégralement la créance de la société E, ce que demande de constater le syndic, qui ne discute donc plus le caractère privilégié de ladite créance.
Selon les articles 480 et suivants du Code de commerce, le syndic peut avec l'autorisation du juge-commissaire, retirer le gage au profit de la masse en remboursant la dette et peut même contraindre le créancier à réaliser le gage s'il ne le fait pas volontairement. Dans ce dernier cas, le droit de rétention du créancier se reporte sur le prix de la réalisation du gage et sa sûreté prime alors les autres créances sauf celle des créanciers exerçant les droits qu'ils tiennent de l'article 475.
En l'état, il n'est pas soutenu qu'une autorisation du juge-commissaire a été sollicitée en vue de la vente des titres nantis, pour permettre le remboursement de la dette privilégiée de la société E en dégageant un éventuel solde au profit de la masse.
En tout état de cause et pour les mêmes raisons que celles développées ci-dessus, dès lors que la société E justifie que sa créance au titre de la garantie à première demande est garantie par un gage, il est bien fondé à solliciter que soient mentionnés dans l'état des créances, à côté du montant principal de 30.000 euros, les intérêts contractuels postérieurs au taux légal majoré de 4 points à compter du 11 avril 2011.
La réclamation de la société E étant fondée, il convient de laisser les dépens à la charge de la procédure.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Vu l'ordonnance du juge-commissaire en date du 16 décembre 2013,
Admet la créance de la société E à titre privilégié à hauteur des montants suivants :
1.637.574,20 euros arrêté au 29 mars 2012 et les intérêts contractuels postérieurs au titre des contrats de prêt ;
30.000 euros, outre les intérêts contractuels au taux légal majorés de quatre points à compter du 11 avril 2011 au titre de la garantie à première demande ;
Ordonne qu'il en sera fait mention en marge de l'état des créances de ladite liquidation des biens à la diligence du Greffier en Chef ;
Ordonne l'enrôlement des dépens en frais privilégiés de procédure collective avec distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge faisant fonction Président, Madame Patricia HOARAU, Juge, Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Antoinette FLECHE, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 27 MARS 2014, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge faisant fonction de Président, assisté de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Madame Aline BROUSSE, Magistrat référendaire faisant fonction de Substitut du Procureur Général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.