Tribunal de première instance, 20 mars 2014, La SA H c/ La SARL D et M. j-f KO

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Abstract🔗

Banque - Créance - Prêt - Caution - Responsabilité pour soutien abusif (non) - Dommages et intérêts (non)

Résumé🔗

La responsabilité pour soutien abusif suppose que soit démontrée une faute de l'établissement dispensateur de crédit (prêt ou autorisation de découvert), soit du fait d'un soutien artificiel à une entreprise dont il connaissait ou aurait dû connaître la situation irrémédiablement compromise s'il s'était informé, soit en raison d'un crédit ruineux au regard des facultés de remboursement, de la rentabilité ou des perspectives économiques de l'entreprise.

En l'espèce, la société H dispose d'une créance à l'encontre de la SARL D, dont M. j-f KO est une caution solidaire. Cette dernière a bien ouvert un compte professionnel à la société H, dont il revient d'en rembourser le capital et les intérêts du prêt contracté mais également du découvert. La société H reconnaît qu'une partie de la somme a été payé et que la caution est cantonnée à la somme maximale de 50 000 euros, au titre du découvert. Le Tribunal entérine ce montant, avec les intérêts légaux courant à compter de l'assignation.

M. j-f KO soutient que la banque a commis une faute en accordant un prêt à la SARL D et serait responsable d'un soutien abusif. À la lecture des bilans de l'activité personnelle de M. KO, le Tribunal rejette ce moyen et considère qu'il n'est pas démontré que le prêt accordé est ruineux, alors qu'il permettait de reconstituer une trésorerie et d'investir. En outre, à l'époque du prêt, il n'est pas établi que l'activité de la SARL D ne pouvait prospérer et que sa situation. Par ailleurs, qu'il n'est pas allégué ni encore moins justifié que la société H disposait d'éléments d'information que ne possédait pas le gérant à l'époque de l'octroi de ce crédit. Le tribunal condamne également le gérant au remboursement du prêt. Il déboute la demande de la société H de sa demande de dommages et intérêts, car elle ne démontre pas qu'elle ait subi un autre préjudice que celui déjà réparé par l'allocation de ces intérêts de retard.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 20 MARS 2014

En la cause de :

  • La SA H, dont le siège social est sis X1 75001 Paris (France), agissant poursuites et diligences de son Président délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • 1 - La SARL D, dont le siège social est sis X2 à Monaco, prise en la personne de son gérant statuaire, M. j-f KO, demeurant et domicilié audit siège en cette qualité, société dont la cessation des paiements a été constatée par jugement du Tribunal de première instance en date du 14 février 2013,

  • 2 - M. j-f KO, pris en sa qualité de caution solidaire de la SARL D, demeurant et domicilié X à Monaco,

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 18 février 2013, enregistré (n° 2013/000353) ;

Vu les conclusions de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur, au nom de la SA H, en date des 11 avril 2013 et 9 octobre 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de j-f KO, en date des 19 juillet 2013 et 11 décembre 2013 ;

À l'audience publique du 23 janvier 2014, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 13 mars 2014 et prorogé au 20 mars 2014, les parties en ayant été avisées par le Président ;

FAITS ET PROCÉDURE

Par assignation du 18 février 2013, la société H a fait citer la SARL D et M. j-f KO en sa qualité de caution solidaire de la SARL D, devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer les sommes de :

  • 103.836,21 euros outre les intérêts conventionnels au titre du solde débiteur du compte bancaire,

  • 35.977,24 euros outre les intérêts conventionnels au titre du prêt,

  • 2.000 euros à titre de dommages-intérêts,

À l'audience du 23 janvier 2014, à laquelle l'affaire a été retenue.

La société H demande au Tribunal :

  • de constater en raison de la cessation des paiements de la SARL D, la suspension des poursuites engagées contre cette société,

  • de condamner M. j-f KO en qualité de caution solidaire à lui payer les sommes énoncées ci-dessus,

  • s'agissant du solde débiteur du compte bancaire, de condamner M. j-f KO dans la limite de ses engagements souscrits en tant que caution, savoir 50.000 euros maximum, outre intérêts au taux de 3,94 % à compter du 17 janvier 2013.

La société H expose et soutient :

  • que la SARL D a ouvert au cours du mois de septembre 2009, un compte à vue professionnel dans ses livres et a souscrit un prêt le 6 janvier 2011 à hauteur de 45.345 euros pour une durée de 36 mois ; que M. j-f KO s'est porté le 13 janvier 2011 caution solidaire de l'ensemble des engagements de la SARL D à concurrence de la somme maximale de 50.000 euros couvrant le montant du principal et des intérêts ; qu'aux termes du contrat de prêt il s'est également porté caution solidaire de la SARL D dans la limite de la somme de 52.146 euros couvrant le paiement du principal des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de cinq ans ; qu'en raison de la défaillance de la SARL D elle a notifié par LRAR en date des 19 décembre 2011 et 7 mars 2012 à cette dernière et à la caution l'exigibilité de sa créance tant au titre du prêt, qu'au titre du compte professionnel et que les mises en demeure de payer sont demeurées sans effet,

  • qu'informée du prononcé de la cessation des paiements de la SARL D par jugement du 22 février 2013, elle a produit sa créance entre les mains du syndic, M. c. BO. et n'agit plus que contre M. j-f KO en tant que caution solidaire de la SARL D,

  • que contrairement aux affirmations de M. j-f KO, elle n'a pas commis de faute en octroyant à la SARL D un crédit qui avait pour objet de dynamiser l'activité exploitée désormais sous la forme d'une SARL ; que lorsque le prêt a été accordé le 6 janvier 2011, le bilan du mois d'avril 2011 n'était pas encore connu et la somme prêtée, soit 45.345 euros représentait 30 % du chiffre d'affaires hors taxe (bilan octobre 2009) ou 31 % (bilan avril 2011), si bien qu'il n'y avait pas de risque d'endettement démesuré ; qu'enfin la situation n'était pas irrémédiablement compromise puisque la cessation des paiements est intervenue deux ans après,

  • qu'il ne peut être reproché à la banque de ne pas anticiper les difficultés que peut rencontrer une société, ni d'avoir pris les précautions nécessaires en faisant signer un acte de cautionnement, pour la garantir contre toute défaillance de la société,

  • que s'agissant de sa créance au titre du prêt, le relevé du compte à vue du mois d'octobre 2011 démontre bien que la mensualité est impayée le 7 octobre 2011 et c'est donc bien le capital restant dû à la dernière échéance réglée en septembre 2011 qui doit être retenu, la mensualité du mois de novembre effectivement réglée ayant été prise en compte.

M. j-f KO demande au Tribunal :

  • à titre principal, de le déclarer recevable et bien fondé dans sa demande reconventionnelle de condamnation de la société H au paiement de la somme de 83.220,96 euros, outre les intérêts conventionnels courus sur la somme de 33.220,96 euros, à compter du 19 décembre 2011, à titre de dommages et intérêts, de dire que la créance de la société H s'élève au même montant et de prononcer la compensation de ces créances,

  • à titre subsidiaire, de dire que la créance de la société H s'élève à la somme de 83.220,96 euros outre les intérêts conventionnels courus sur la somme de 33.220,96 euros à compter du 19 décembre 2011.

M. j-f KO expose et soutient :

  • qu'il a débuté en 2007, une exploitation en nom personnel d'une activité d'étude, de conception et d'installation de filets de protection contre les méduses et les mini-pollutions pour le développement de laquelle il a constitué le 18 septembre 2009 une SARL dénommée D ; que lorsqu'il a ouvert le compte courant de la SARL D dans les livres de la société H le 30 septembre 2009 son activité était tout juste bénéficiaire ; qu'au cours de l'année 2010 la SARL D ayant rencontré certaines difficultés dues à un coup de mer lui ayant fait perdre des filets, elle a sollicité et obtenu un prêt d'un montant de 45.345 euros le 6 janvier 2011 destiné à assurer le « financement d'un programme d'investissements » dont il s'est porté caution solidaire, outre un cautionnement général exigé par la société H pour l'ensemble des dettes de la SARL D,

  • que dès le mois de décembre 2010, la situation de la SARL D était irrémédiablement compromise, le bilan de la SARL D pour l'exercice clos au 30 avril 2011 faisant apparaître une perte nette de 97.400,93 euros, alors qu'à cette même date, le solde du compte courant était débiteur de 112.075,31 euros ; que la SARL D a été mise en demeure de rembourser ses dettes par lettres recommandées du 19 décembre 2011, au plus tard le 27 décembre 2011 ; que finalement la société H a proposé à la SARL D la mise en place d'un accord amiable provisoire pour un an en exigeant des versements mensuels effectués conjointement par la société et la caution ainsi que des justificatifs de situation (bilan 2010 et 2012),

  • qu'en sa qualité de caution, il est en droit d'exciper de la faute de la société H qui a octroyé, avec légèreté blâmable, un prêt inconsidéré de 45.345 euros le 6 janvier 2011 à la SARL D, dont la situation était pourtant irrémédiablement compromise, au regard de ses faibles résultats de son compte courant débiteur de 42.059,85 euros au mois de décembre 2010 (son chiffre d'affaires étant principalement réalisé au cours de la période estivale) et de l'exigence sept jours après l'octroi du prêt d'un engagement de caution général ; qu'il résulte de ces divers éléments que la société H, loin d'ignorer la situation obérée de la SARL D, a en réalité cherché à obtenir sa garantie personnelle contre le risque d'insolvabilité de cette société qu'elle contribuait par ailleurs à entretenir,

  • que le prêt litigieux étant amorti par des mensualités de 1.345,50 euros, une simple multiplication permet de démontrer que sa charge n'était pas supportable par la SARL D, puisque son remboursement absorbe totalement le bénéfice de l'année 2009,

  • qu'au vu des bilans, la rentabilité de l'activité de la SARL D a subi une chute vertigineuse les 18 derniers mois précédant le prêt, ce que la banque ne pouvait ignorer,

  • que le prêt ne tendant en réalité qu'à combler le découvert du compte courant de la SARL D la société H aurait du produire aux débats le programme d'investissement que ladite société lui a remis pour appuyer sa demande ; qu'à défaut l'objet du prêt devra être considéré comme tendant au comblement du découvert du compte courant,

  • que la société H ne saurait se retrancher derrière sa propre connaissance de la situation, dès lors qu'il n'avait pas d'autre choix que d'accepter l'option proposée par la banque ; qu'en effet l'octroi de crédit ruineux a été admis par la jurisprudence lorsque l'entreprise connaissait un déficit structurel de trésorerie qui interdisait toute rentabilité et qu'elle était soutenue artificiellement par de nouveaux concours, mais également lorsqu'une banque substitue aux découverts existants un crédit relais assorti d'un cautionnement se bornant à consolider le financement de pertes et à créer au profit de la société, une apparence trompeuse de solvabilité,

  • qu'en raison de cette faute de la société H, il se trouve contraint de garantir le prêt, dont le montant est d'ailleurs contesté puisqu'il s'élève en réalité à la somme de 33.220,96 euros en principal, en l'état de la dernière échéance réglée en novembre 2011,

  • que ce prêt a incontestablement contribué au maintien artificiel de l'activité de la SARL D et donc à l'aggravation de son passif, ce qui caractérise un soutien abusif, dont le préjudice est égal au montant de l'aggravation du découvert à compter de la date de l'octroi du crédit, évalué à 50.411,67 euros, réduite toutefois à 50.000 euros au regard du cantonnement de son cautionnement.

SUR CE

S'il n'est pas contesté que la SARL D a fait l'objet d'un jugement prononçant sa cessation des paiements courant février 2013, il n'en a pas été justifié par la production de ladite décision.

Il convient néanmoins de constater que la société H ne maintient plus de demandes à l'encontre de la SARL D en application de l'article 461 du Code de commerce, selon lequel le jugement de cessation des paiements suspend, en ce qui concerne les créanciers non titulaires d'une sûreté réelle spéciale, l'exercice de toute poursuite individuelle, demande de paiement ou voie d'exécution non encore définitivement réalisée, même si, à défaut de titre, le créancier est dans l'obligation de faire reconnaître son droit ou si une instance est en cours lors du prononcé du jugement.

  • - Sur la demande principale de la société H

La demande dirigée contre M. j-f KO, en qualité de caution, présuppose que soit examinée la créance alléguée par la société H à l'encontre de la SARL D, s'agissant d'une créance au titre d'un solde débiteur de compte professionnel et d'une créance au titre d'un prêt.

Pour justifier sa créance à l'encontre de M. j-f KO, la société H verse aux débats :

  • le contrat d'ouverture du compte professionnel souscrit par la SARL D le 30 septembre 2009, stipulant un intérêt débiteur de 10,650 % l'an sur la facilité de caisse de 1.550 euros et de 13,650 % au-delà,

  • l'acte de cautionnement solidaire souscrit le 13 janvier 2011, par M. j-f KO, portant sur l'ensemble des engagements de la SARLD à l'égard de la société H, à hauteur de la somme de 50.000 euros maximum pour une durée de 10 ans, couvrant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités et intérêts de retard,

  • le contrat de prêt souscrit le 6 janvier 2011 par la SARL D à concurrence de la somme de 45.345 euros d'une durée de 36 mois, pour le « financement d'un programme d'investissement suivant les indications et justificatifs communiqués préalablement à la Banque », avec un taux d'intérêt de 3,49 % l'an, garanti par un blocage du compte courant d'associé de M. j-f KO à hauteur de 112.000 euros et le cautionnement solidaire de ce dernier à hauteur de 52.146 euros pour une durée de 5 ans, couvrant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités et intérêts de retard ; le tableau d'amortissement fait état de mensualités de 1.345,50 euros,

  • les courriers recommandés en date du 19 décembre 2011, prononçant la clôture des comptes professionnels présentant un solde débiteur respectif de 92.471,52 euros (contrat n° 09174-100575-65) et 157,49 euros (contrat n° 09174-100617-36), ainsi que l'exigibilité anticipée de la créance au titre du prêt pour un montant de 34.694,26 euros,

  • les échanges de courriers intervenus au cours de l'année 2012 témoignant des tentatives pour trouver un accord de règlement, au regard des difficultés soulevées par la SARL D qui évoquait alors des projets en phase d'éclosion,

  • un décompte de la créance au titre du contrat n° 09174-100575-65 au 17 janvier 2013, mentionnant le solde impayé au 19 décembre 2011 de 94.854,88 euros et un solde d'intérêts de 8.981,33 euros (au taux de 10,65 %) après déduction de divers versements s'élevant au total à1.923,35 euros,

  • un décompte de la créance au titre du contrat n° 09174-602097-66 (prêt) au 17 janvier 2013 mentionnant le solde impayé au 6 septembre 2011 de 35.674,02 euros diminué à 34.563,42 euros après acompte perçu sur l'échéance de novembre 2011, et un solde d'intérêts de 1.413,82 euros (au taux de 3,94 % jusqu'au 19 décembre 2011 et ensuite de 6,49 %) après déduction de divers versements imputés sur les intérêts à hauteur de 1.402,90 euros.

De son côté, s'agissant du principe de la créance et plus exactement de la créance au titre du prêt, seule contestée, M. j-f KO affirme que selon le tableau d'amortissement, le solde restant dû au titre du prêt s'élever à 33.220,96 euros, au motif que la dernière échéance impayée est celle de novembre 2011.

Il ressort des relevés bancaires de la SARL D produits par M. j-f KO :

  • que le prélèvement de l'échéance de septembre 2011 qui a été annulé en début de mois a été à nouveau effectué le 21 septembre 2011, si bien qu'il est démontré que l'échéance de septembre 2011 a été réglée,

  • que le prélèvement de l'échéance d'octobre 2011 a été annulé en début de mois,

  • que le prélèvement de l'échéance de novembre 2011 a été effectué, si bien qu'il y a lieu de considérer, au regard de la date de la lettre recommandée notifiant l'exigibilité anticipée du prêt le 19 décembre 2011 et de l'absence de présentation détaillée de la créance à cette date, que la dernière échéance payée est celle du mois d'octobre 2011.

Dès lors, au 19 décembre 2011, le capital restant dû s'élève à la somme de 33.220,96 euros, auquel s'ajoutent les deux échéances impayées de novembre et décembre 2011 représentant au total de 2.691 euros, soit un total de 35.911,96 euros, outre les intérêts conventionnels au taux de 3,49 % l'an jusqu'au 18 décembre 2011 sur les échéances impayées et ensuite au taux de 6,49 % l'an conformément aux dispositions contractuelles sur l'exigibilité anticipée prévoyant une majoration de 3 % l'an, sur la totalité de la somme due en principal.

La société H est donc créancière de ces sommes à l'égard de M. j-f KO, en sa qualité de caution solidaire, et ce dans la limite maximale de la somme de 52.146 euros ; la société H reconnaît dans son décompte que la somme de 1.402,90 euros a été réglée et imputée sur les intérêts calculés par ses soins. Cette somme, payée par M. j-f KO devra dès lors être déduite des montants dus, d'abord sur les intérêts puis sur le principal.

S'agissant du solde débiteur du compte professionnel n° 09174-100575-65, son montant n'est pas contesté dans son principe, étant observé que le cautionnement de M. j-f KO est cantonné à la somme maximale de 50.000 euros.

La société H est ainsi créancière à ce titre de cette somme de 50.000 euros à l'égard de M. j-f KO en qualité de caution solidaire, à l'exclusion des intérêts conventionnels, mais avec les intérêts légaux courant à compter de l'assignation, soit le 18 février 2013.

  • - Sur la demande reconventionnelle de M. j-f KO

M. j-f KO soutient que la société H a commis une faute en octroyant un prêt de 45.345 euros à la SARL D et est responsable d'un soutien abusif.

La responsabilité pour soutien abusif suppose que soit démontrée une faute de l'établissement dispensateur de crédit (prêt ou autorisation de découvert), soit du fait d'un soutien artificiel à une entreprise dont il connaissait ou aurait dû connaître la situation irrémédiablement compromise s'il s'était informé, soit en raison d'un crédit ruineux au regard des facultés de remboursement, de la rentabilité ou des perspectives économiques de l'entreprise.

M. j-f KO verse aux débats :

  • un extrait du registre du commerce le concernant alors qu'il exerçait le commerce à l'enseigne « K » indiquant qu'il a fait l'objet d'une radiation définitive,

  • un extrait publié dans le journal de Monaco du 18 septembre 2009, concernant la constitution d'une société à responsabilité limitée D, au capital social de 72.000 euros, dont le gérant est M. j-f KO,

  • un bilan de son activité personnelle « K » au 30 septembre 2008 faisant apparaître un chiffre d'affaires de 231.156,98 euros et un bénéfice de 37.643,81 euros,

  • un bilan de son activité personnelle « K » au 31 décembre 2008 faisant apparaître un chiffre d'affaires de 257.443,29 euros et un bénéfice de 19.190,69 euros,

  • un bilan de son activité personnelle « K » au 13 octobre 2009 faisant apparaître un chiffre d'affaires de 406.168,72 euros et un bénéfice de 15.701,47 euros,

  • un bilan de l'activité de la SARL D « K » du 1er mai 2010 au 30 avril 2011 faisant apparaître un chiffre d'affaires de 391.329,11 euros et une perte de 97.400,93 euros ; y figurent un compte courant d'associé de 75.566,21 euros en actif et un compte courant d'associé de 150.811,10 euros en passif,

  • les relevés de compte de la SARL D du 31 décembre 2010 au 30 novembre 2011, faisant apparaître les soldes débiteurs suivants :

    • au 31.12.10 : 42.059,85 euros,

    • au 31.01.11 : 17.719,38 euros,

    • au 28.02.11 : 65.317,38 euros,

    • au 31.03.11 : 106.521,33 euros,

    • au 30.04.11 : 112.075,31 euros,

    • au 31.05.11 : 103.095,68 euros,

    • au 30.06.11 : 121.999,37 euros,

    • au 31.07.11 : 117.751,62 euros,

    • au 31.08.11 : 123.049,40 euros,

    • au 30.09.11 : 114.804,29 euros,

    • au 31.10.11 : 118.165,14 euros,

    • au 30.11.11 : 91.834,05 euros.

Le contrat de prêt consenti le 6 janvier 2011 à la SARL D dont l'octroi est aujourd'hui discuté, après que cette société a fait l'objet d'un jugement de cessation des paiements au mois de février 2013, porte sur la somme de 45.345 euros remboursable en 36 mensualités de 1.345,50 euros et mentionne qu'il a pour destination le « financement d'un programme d'investissement suivant les informations et justificatifs communiqués préalablement à la Banque ».

À l'époque de l'octroi de ce prêt, soit en décembre 2010 janvier 2011, le compte professionnel de la SARL D était débiteur de la somme de 42.059,85 euros.

Les autres éléments comptables communiqués à la société H sont :

  • les bilans de l'activité personnelle de M. j-f KO avant qu'il ne constitue la SARL D, pour poursuivre la même activité, tout en protégeant son patrimoine personnel,

  • un prévisionnel d'activité de la SARL D, qui n'est produit par aucune des parties, mais auquel il est fait référence dans la rubrique « destination » du prêt et qui probablement devait faire état de perspectives de marchés du même ordre que celles figurant dans la lettre adressée par la SARL D à la société H le 12 avril 2012, pour solliciter des délais de paiement au regard de « projets très importants en phase d'éclore » : dossier « C. O. C. (Chambre d'Optimisation de Carburant) » représentant un bénéfice de plus de 5 millions d'euros et dossier « retraitement des boues » représentant un bénéfice de plus de 3 millions d'euros, avec l'évocation d'un partenariat avec le Gouvernement monégasque et plus précisément son service de l'environnement, le Conseil général de Nice et l'Agence Nationale Maîtrise Energie Tunisienne.

La lecture des bilans de l'activité personnelle de M. j-f KO entre 2008 et 2009, permet de constater que son chiffre d'affaires a substantiellement augmenté de 60 %, mais avec un bénéfice qui a régressé de l'ordre de 3.500 euros, bien que resté positif.

Au regard du montant du prêt comparativement au chiffre d'affaires et au bénéfice constaté, il n'est pas démontré qu'il est ruineux, alors qu'il permettait de reconstituer une trésorerie et d'investir, ainsi que cela est confirmé par la teneur du courrier adressé par la SARL D à la société H le 12 avril 2012, évoquant en 2011, un investissement « dans des entrepôts plus grands afin de répondre à une demande de plus en plus croissante d'installation de zones de protection contre les méduses et mini pollution et dans une machine à laver industrielle afin de pouvoir procéder nous-même au S. A. V. de tous nos filets ».

En outre, et malgré le solde débiteur du compte professionnel de la SARL D à l'époque du prêt, il n'est pas établie que l'activité de la SARL D ne pouvait prospérer et que la situation de la SARL D était irrémédiablement compromise, dès le mois de décembre 2010, étant observé qu'il n'est pas allégué ni encore moins justifié que la société H disposait d'éléments d'information que ne possédait pas le gérant de la SARL D à l'époque de l'octroi de ce crédit.

À cet égard, l'obtention par la société H des garanties personnelles de M. j-f KO, gérant de la SARL D, ne signifie pas pour autant la connaissance par la société H de ce que l'activité de la SARL D allait péricliter mais constitue, au contraire, une attitude prudente dès lors que la forme de la société choisie par M. j-f KO pour la poursuite de son activité qui fonctionnait jusque là correctement, aboutissait à une séparation des patrimoines.

Il ne saurait par ailleurs être déduit de la dégradation postérieure et accélérée du solde débiteur du compte professionnel de la SARL D que cette situation était prévisible à l'époque de l'octroi du prêt.

Enfin, les pièces de la procédure ne permettent pas de conclure qu'il y a eu un abus dans la rupture des relations contractuelles notifiée le 19 décembre 2011.

Dès lors, M. j-f KO sera débouté de sa demande reconventionnelle tendant à voir consacrer la responsabilité de la société H.

  • - Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive

L'article 234 du Code de procédure civile énonce qu'indépendamment des dépens, des dommages et intérêts peuvent être demandés et alloués conformément à l'article 1229 du Code civil, ce qui suppose la double preuve d'un préjudice et d'une faute outre du lien de causalité entre les deux.

En l'espèce, au regard de la stipulation d'intérêts conventionnels majorés, il n'est pas démontré que la société H ait subi un autre préjudice que celui déjà réparé par l'allocation de ces intérêts de retard.

La société H sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

  • - Sur les dépens

M. j-f KO, qui succombe dans la présente procédure, sera condamné aux dépens avec distraction au profit de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Constate que la société H ne formule plus de demandes contre la SARL D, du fait du jugement de cessation des paiements intervenu ;

Condamne M. j-f KO à verser à la société H :

  • 1°) au titre du découvert du compte à vue professionnel la somme de 50.000 euros outre les intérêts au taux légal échus à compter du 18 février 2013 ;

  • 2°) au titre du prêt, la somme de 35.911,96 euros outre les intérêts au taux de 3,49 % l'an sur les échéances impayées de novembre et décembre 2011 jusqu'au 18 décembre 2011 et ensuite au taux de 6,49 % l'an sur la totalité de la somme due en principal ;

Dit que la somme de 1.402,90 euros déjà payée par M. j-f KO devra être déduite des montants dus au titre du prêt, d'abord sur les intérêts puis sur le capital ;

Dit en outre que l'engagement de caution souscrit par M. j-f KO au titre du prêt est plafonné à la somme de 52.146 euros en principal, intérêts et frais ;

Déboute M. j-f KO de sa demande reconventionnelle ;

Déboute la société H du surplus de ses demandes ;

Condamne M. j-f KO aux entiers dépens distraits au profit de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Stéphanie VIKSTRÖM, Premier Juge, Madame Patricia HOARAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 20 MARS 2014, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Madame Aline BROUSSE, Magistrat référendaire faisant fonction de Substitut du Procureur Général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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