Tribunal de première instance, 13 février 2014, SM c/ AR

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Abstract🔗

Divorce et séparation de corps

Jugement de séparation de corps prononcé en 2011, sous l'empire de la loi n° 1.089 du 21 novembre 1985, aux torts et griefs réciproques des époux - Promulgation de la loi n° 1.336 du 12 juillet 2007 modifiant les dispositions de Code civil relatives au divorce et à la séparation de corps : en l'état de ces nouveaux textes, à l'exception de l'article 206-10 nouveau du Code civil, les dispositions de la loi n° 1.089 sont seules applicables dans l'instance en conversion de la séparation de corps - Jugement prononcé en 2014 constatant la conversion de la séparation de corps en divorce : application du délai légal réduit à 2 ans (encore que le délai de 3 ans ancien était écoulé), divorce prononcé aux torts réciproques comme pour la séparation de corps, inapplicabilité de la prestation compensatoire


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 13 FEVRIER 2014

En la cause de :

M. r SM, né le 12 décembre 1933 à Schiedam (Pays-Bas), de nationalité néerlandaise, demeurant « X », X à Monaco ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

Mme j-m AR, née le 6 juin 1951 à Tende (France), de nationalité française, demeurant X à Monaco ;

DEFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu le jugement de ce Tribunal en date du 3 février 2000 ayant prononcé la séparation de corps des époux j-m AR / r SM ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 28 septembre 2011, enregistré (n° 2012/000107) ;

Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 28 février 2013 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 24 avril 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de r SM, en date des 15 mai 2013, 9 octobre 2013, 6 novembre 2013 et 3 décembre 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de j-m AR, en date des 27 juin 2013 et 12 novembre 2013 ;

À l'audience du 5 décembre 2013, tenue hors la présence du public, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries à l'issue desquelles le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 30 janvier 2014 et prorogé au 13 février 2014, les parties en ayant été avisées par le Président ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Par jugement contradictoire en date du 3 février 2000, signifié le 6 avril 2000 devenu définitif selon certificat de non-appel en date du 13 juin 2000, le Tribunal de Première Instance a :

  • prononcé la séparation de corps des époux j-m AR, née le 6 juin 1951 de nationalité française / r SM, né le 12 décembre 1933, de nationalité néerlandaise, à leurs torts et griefs réciproques, avec toutes conséquences de droit,

  • fixé au jour du jugement les effets de la résidence séparée des époux,

  • débouté j-m AR du surplus de ses demandes,

  • dit n'y avoir lieu à statuer en l'état sur la propriété du domicile conjugal et la jouissance du véhicule MERCEDES immatriculé […],

  • ordonné la liquidation des intérêts communs ayant pu exister entre les époux.

Par acte en date du 28 septembre 2011, r SM a assigné j-m AR devant le Tribunal de Première Instance en sollicitant, au visa de l'article 206-10 du Code civil, la conversion en divorce de la séparation de corps prononcée par jugement du 3 février 2000, en indiquant que le délai légal de deux années, nécessaire à la recevabilité d'une telle demande, serait écoulé.

Suivant conclusions du 15 décembre 2011, j-m AR a demandé au tribunal de lui donner acte de ce qu'elle acceptait la conversion de la séparation de corps en divorce et sollicité la condamnation de son époux à lui verser la somme de 200.000 euros à titre de prestation compensatoire, sur le fondement des dispositions de l'article 204-5 du Code civil

Par conclusions en date du 29 mars 2012, r SM a soutenu que j-m AR ne rapportait pas la preuve d'une disparité de situation financière et ne pouvait par suite prétendre au bénéfice d'une prestation compensatoire.

Par conclusions du 10 mai 2012, j-m AR a porté le montant de sa demande de prestation compensatoire à la somme de 5.016.000 euros.

Par conclusions en date du 13 juin 2012, r SM a sollicité qu'il lui soit donné acte de son désistement de la présente instance, auquel j-m AR s'est opposé

Par jugement avant-dire-droit au fond en date du 28 février 2013, ce Tribunal a :

  • constaté que le désistement de r SM n'avait pas été accepté par j-m AR alors que l'instance était déjà liée entre les parties ;

  • dit qu'en conséquence l'instance devait se poursuivre ;

  • renvoyé à cet effet la cause et les parties à l'audience du mercredi 24 avril 2013 pour conclusions de r SM ;

  • réservé les dépens en fin de cause.

Par conclusions en date du 15 mai, 11 octobre, 7 novembre et 4 décembre 2013, r SM demande au Tribunal :

  • d'écarter des débats les attestations communiquées par j-m AR sous les n°46,47, 48, 52 et 53 faute de répondre aux formes édictées par les articles 324 et 325 du Code de procédure civile ;

  • de convertir en divorce la séparation de corps prononcée entre les époux SM / AR par jugement du tribunal de première instance de Monaco du 3 février 2000 et ce avec toutes conséquences de droit ;

  • d'enjoindre à j-m AR de :

  • justifier de la location de son appartement sis avenue d'Ostende durant le grand prix pour les années 2000 à 2012 inclus ;

  • communiquer les situations de portefeuilles de valeurs mobilières détenus à la SMC (société marseillaise de crédit) et à la BNP PARIBAS SA (Suisse) pour les années 2000 à 2012 inclus ;

  • communiquer les justificatifs de la nature et de l'étendue de son patrimoine foncier et/ou immobilier en Corse ;

  • de débouter j-m AR de ses demandes de prestation compensatoire et de garanties au service de ladite prestation ;

  • de débouter cette dernière de sa demande d'enquête et/ou d'expertise ou à défaut, d'ordonner qu'elle devra en acquitter totalement le coût.

Il fait valoir :

  • que deux ans se sont écoulés entre la date où le jugement de séparation de corps est devenu irrévocable et la date de délivrance de l'exploit d'assignation ;

  • que j-m AR ne démontre pas qu'il entretienne des liaisons adultères ;

  • que son épouse ne rapporte pas la preuve d'une disparité dans les situations respectives des époux consécutive à la rupture du mariage ;

  • qu'elle est officiellement domiciliée X à Monaco en compagnie de son amant le docteur r SU ;

  • qu'elle est institutrice retraitée, dispose d'un patrimoine important tant mobilier (avoirs à la BNP et à la SMC), qu'immobilier, notamment en corse, et ne rapporte pas la preuve d'avoir été contrainte de puiser dans son épargne pour faire face à ses besoins ensuite du jugement de séparation de corps ;

  • qu'il n'a jamais été Président de la société SINGLE BUOY MOORINGS, qu'il n'est pas « propriétaire » des structures juridiques de droit panaméen citées par son épouse, ni de la société luxembourgeoise dénommée « LE MOULIN S.A HOLDING » ;

  • qu'il a justifié du nombre et du montant de ses pensions de retraites ainsi que de la nature et du montant de son patrimoine.

Par conclusions en date du 27 juin et 13 novembre 2013, j-m AR demande au tribunal :

  • de lui donner acte de ce qu'elle ne s'oppose pas à la conversion de la séparation de corps en divorce ;

  • de fixer à 5.016.000 euros le montant de la prestation compensatoire que r SM sera tenu de lui verser sous forme de capital, sauf au tribunal de première instance à parfaire dans son quantum, au regard de la mesure d'enquête et/ou d'expertise judiciaire qui sera ordonnée, le cas échéant ;

  • d'enjoindre à son époux de communiquer la situation des portefeuilles de valeurs mobilières et immobilières détenues par la société LE MOULIN HOLDINGS S.A, ainsi que la totalité de son patrimoine et de ses revenus ;

  • de constater que r SM a retenu indûment la part de rente pour couple versée par le « Fonds de Prévoyance Suisse » qui lui revient depuis son départ à la retraite le 1er juin 1996 et ce en application de l'article 124 du Code civil suisse ;

  • d'ordonner une enquête et/ou expertise du patrimoine et des revenus de r SM à l'effet d'établir la disparité que la rupture du mariage a créé dans les conditions de vie respectives des époux ;

  • de se faire remettre par r SM tous les relevés de compte et toutes pièces contractuelles (sur les dix dernières années) concernant la société « Le Moulin Holdings S.A » et notamment les comptes gérés par ce dernier, ainsi que tout document concernant sa présence au sein de la « SAM Single Buoy Mooring » es qualité de salarié ou administrateur ;

  • de dire que son époux devra assumer la totalité des frais de l'enquête et/ou expertise.

Elle expose :

  • qu'elle dispose pour seuls revenus de sa modeste demi retraite mensuelle de 680 euros et du produit aléatoire de la location de son appartement pendant la période du grand prix de formule 1 ;

  • que la présentation que fait son époux de sa fortune est trompeuse ;

  • que ce dernier, qui déclare une moyenne de revenus annuels de 140.000 euros, dépense dans le même temps 440.000 euros par année, soit 15 fois plus qu'elle même ;

  • qu'il a procédé à la donation de ses biens tout en en conservant l'usufruit, ce qui lui permet tout de même d'en retirer des revenus conséquents ;

  • qu'il dispose d'1/7 de la fortune colossale héritée de ses parents ;

  • qu'il est titulaire à ce titre de stock Options et retire des revenus très importants de la société panaméenne Le Moulin Holdings SA ;

  • qu'elle rapporte ainsi la preuve d'une disparité dans la situation respective des époux ;

  • qu'une expertise est nécessaire pour permettre d'évaluer correctement le montant de la prestation compensatoire à laquelle elle est en droit de prétendre.

SUR CE

  • Sur la nullité des pièces

r SM demande au tribunal d'écarter des débats les attestations communiquées par j-m AR sous les n° 46, 47, 48, 52 et 53 faute de satisfaire aux conditions exigées par l'article 324 du Code de procédure civile.

À titre liminaire, il sera rappelé que le non-respect des formalités de l'article 324 du code de procédure civile est sanctionné par la nullité des attestations concernées et non par leur rejet des débats.

En l'espèce, les attestations de b ME (46), p SE (47), d DE CA (52) et m-c RI (53) sont entachées de nullité dans la mesure où la mention obligatoire relative aux sanctions encourues en cas de fausse déclaration prévues à l'article 103 du Code pénal n'est pas reproduite de manière manuscrite.

En revanche, l'attestation établie par m-a MI (48) respecte en tout point les formes prévues à l'article 324 du Code de procédure civile. Il n'y a dès lors pas lieu d'en prononcer la nullité.

  • Sur la conversion de la séparation de corps en divorce et la prestation compensatoire

  • sur la loi applicable à la demande de conversion de séparation de corps en divorce

La séparation de corps des époux SM AR à leurs torts partagés a été prononcée par le tribunal de première instance de Monaco, suivant jugement du 3 février 2000 devenu définitif le 13 juin 2000, soit sous l'empire de la loi n°1.089 du 21 novembre 1985 entrée en vigueur le 1er janvier 1986.

La loi n° 1.336 du 12 juillet 2007 modifiant les dispositions du code civil relatives au divorce et à la séparation de corps, dont il est aujourd'hui demandé l'application dispose, dans son article 5 alinéa 2 :

« Les demandes de conversion sont formées, instruites et jugées selon les règles applicables lors du prononcé de la séparation de corps. Par dérogation, les époux peuvent se prévaloir des dispositions de l'article 206-10 du Code civil », lesquelles ont réduit de trois à deux ans le délai exigé pour permettre la conversion d'une séparation de corps en divorce.

Il résulte des dispositions transitoires précitées, qu'excepté l'article 206-10 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 2007, en l'état d'une séparation de corps prononcée le 3 février 2000, les dispositions de la loi n° 1.089 du 21 novembre 1985 sont seules applicables à la demande de conversion en divorce formée par r SM.

  • Sur la demande de conversion de la séparation de corps en divorce

En l'espèce, l'article 206-33 du Code civil, issu de la loi du 21 novembre 1985 dispose que lorsqu'elle a duré trois ans, la séparation de corps est, à la demande d'un époux, convertie de droit en divorce.

Ce délai est réduit à deux ans si l'on considère que les parties ont demandé l'application de l'article 206-10 issu de la loi du 12 juillet 2007.

En toute hypothèse, force est de constater que plus de trois ans se sont écoulés entre la date à laquelle la décision de séparation de corps est devenue définitive et la date de l'acte introductif d'instance du 28 septembre 2011 par lequel r SM a demandé au Tribunal la conversion de la séparation de corps en divorce.

Dès lors, il y a lieu de constater la conversion de droit de la séparation de corps en divorce.

S'agissant des griefs, l'article 206-11 du code civil issu de la nouvelle loi, qui prévoit expressément que l'attribution des torts n'est pas modifiée, n'est pas applicable au cas d'espèce.

Pour autant, aucun des époux ne formule de demande visant à attribuer à l'autre les torts exclusifs du divorce.

Au contraire, r SM a sollicité la conversion de la séparation de corps en divorce aux torts et griefs réciproques, ce que j-m AR a expressément accepté dans ses dernières conclusions.

En conséquence, il convient de convertir la séparation de corps des époux AR SM en divorce aux torts partagés des époux.

  • Sur la prestation compensatoire

Dans le cadre de la présente instance en conversion de la séparation de corps en divorce, j-m AR sollicite dans le dernier état de ses écritures, la condamnation de son époux à lui verser une somme de 5.016.000 euros, à titre de prestation compensatoire, sur le fondement de l'article 204-5 du Code civil, issu de la loi n° 1.336 du 12 juillet 2007.

Cependant, comme rappelé précédemment, les dispositions transitoires de cette même loi prévoient expressément que les demandes de conversion sont formées, instruites et jugées selon les règles applicables lors du prononcé de la séparation de corps, soit celles issues de la loi du 21 novembre 1985.

Il en résulte que les dispositions de l'article 204-5 du Code civil instituant la possibilité pour un époux de solliciter une prestation compensatoire destinée à compenser la disparité que la rupture crée dans les conditions de vie respectives, ne sont pas applicables au cas d'espèce.

En conséquence, j-m AR doit être déclarée irrecevable en ses demandes de prestation compensatoire et de garanties y afférentes.

  • Sur les demandes d'expertise et de communication de pièces

La demande d'expertise et les demandes de communication de pièces formées réciproquement par les parties afin de déterminer l'existence ou l'absence de disparité dans leurs situations respectives, sont dépourvues d'objet, dans la mesure où j-m AR ne peut prétendre au bénéfice d'une prestation compensatoire.

  • Sur les dépens

Aux termes des dispositions de l'article 206-34 du Code civil issu de la loi du 21 novembre 1985, les dépens relatifs à la conversion de la séparation de corps en divorce sont mis pour moitié à la charge de chacun des époux si la séparation a été prononcée contre eux à leurs torts réciproques.

En conséquence, il convient de faire masse des dépens et de dire qu'ils seront partagés par moitié par r SM et par j-m AR et ce avec distraction au profit de Maître Georges BLOT et Maître Géraldine GAZO, avocats-défenseurs, chacun en ce qui le concerne.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare nulles les attestations établies par b ME (pièce 46), p SE (pièce 47), d DE CA (pièce 52) et m-c RI (pièce 53) ;

Dit n'y avoir lieu d'annuler l'attestation établie par m-a MI (pièce 48) ;

Dit qu'excepté l'article 206-10 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 2007, les dispositions de la loi n° 1.089 du 21 novembre 1985 sont seules applicables à la demande de conversion en divorce de la séparation de corps des époux AR / SM prononcée le 3 février 2000 par le Tribunal de Première Instance de Monaco ;

Convertit en divorce aux torts partagés des époux avec toutes conséquences de droit la séparation de corps des époux AR / SM ;

Déclare j-m AR irrecevable en ses demandes de prestation compensatoire et de garanties y afférentes ;

Dit que la demande d'expertise portant sur les revenus et le patrimoine de r SM, ainsi que les demandes de communication de pièces sont aujourd'hui dépourvues d'objet ;

Fait masse des dépens en ce compris ceux réservés par jugement avant-dire-droit du 28 février 2013 et dit qu'ils seront partagés par moitié entre r SM et j-m AR, avec distraction au profit de Maître Georges BLOT et Maître Géraldine GAZO, avocats-défenseurs, chacun en ce qui le concerne ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Mme COULET-CASTOLDI, Prés., M. BIANCHERI, Prem. Juge, Mme CASINI-BACHELET, Juge.

Mme TAILLEPIED, greff. ; M. Ignacio subst. Proc.

Mes Gazo et Blot av. déf.

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