Tribunal de première instance, 10 octobre 2013, La SCI J c/ Mme H. L.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Action civile - Qualité pour agir (oui) - Gérant d'une société civile.

Contrat de prêt à usage - Contrat à durée indéterminée - Faculté de résiliation à tout moment (oui) - Préavis raisonnable (oui).

Résumé🔗

L'assignation a été valablement délivrée par le gérant ayant qualité pour représenter la société civile. La vérification d'écritures permet d'établir la régularité du procès-verbal de l'assemblée générale ayant désigné le nouveau gérant.

Le contrat de prêt à usage portant sur un appartement étant un contrat à durée indéterminée, il peut y être mis fin à tout moment en respectant un délai raisonnable. Cette solution est conforme au principe de l'illicéité des clauses perpétuelles et maintient l'équité entre les parties. L'emprunteuse ayant bénéficié, de fait, d'un délai de trois ans, il convient de constater la résiliation du prêt et d'ordonner l'expulsion de l'occupante.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 10 OCTOBRE 2013

En la cause de :

  • La SCI J, société civile particulière monégasque, dont le siège social est à MONTE-CARLO, 1x, prise en la personne de son gérant, Monsieur B. G., domicilié à la même adresse,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

  • Mme H. L., de nationalité marocaine, née le 6 mars 1976 à MARRAKECH (Maroc), demeurant 2x- 06000 NICE,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Ollivier CARLES de CAUDEMBERG, avocat au barreau de Nice,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 20 janvier 2012, enregistré (n° 2012/000374) ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de H. L., en date des 5 juillet 2012, 13 février 2013 et récapitulatives du 24 avril 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de la SCI J, en date des 25 octobre 2012 et 13 mars 2013 ;

À l'audience publique du 20 juin 2013, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 10 octobre 2013 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Faits constants,

G. B. et H. L. ont entretenu une relation sentimentale.

Par acte sous-seing privé du 1er juin 2005, ils ont constitué entre eux la SCI J dont chacun détenait 50 parts sur les 100 constituant le capital social.

Par acte sous-seing privé du 4 juillet 2005, H. L. a cédé 20 parts sur les 50 qu'elle détenait à G. B. Cette cession a été actée et reconnue lors de l'audience de plaidoirie.

À ce jour, H. L. détient 30 parts tandis que G. B. est propriétaire de 70 parts.

Par acte authentique du 4 octobre 2005, la SCI J a acquis un appartement sis « 3x », 4x à NICE.

H. L. occupe gratuitement depuis plusieurs années cet appartement et deux procédures judiciaires ont déjà été menées en France pour obtenir son expulsion, en vain.

  • Procédure, prétentions et moyens des parties,

Par l'exploit susvisé du 20 janvier 2012, la SCI J a fait assigner devant ce Tribunal H. L. aux fins de voir ordonner sous le bénéfice de l'exécution provisoire son expulsion de l'appartement qu'elle occupe 5x à Nice, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive. Subsidiairement, la SCI J a demandé la condamnation d'H. L. à lui payer la somme de 52.100 euros correspondant au manque à gagner pour la période du 1er juin 2006 au 31 octobre 2011.

Après échanges d'écritures, chaque partie a déposé des conclusions récapitulatives qui seront donc seules rappelées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et de ses moyens.

Par conclusions récapitulatives du 13 mars 2013, la SCI J demande, pour l'essentiel, au Tribunal :

À titre principal de :

  • - enjoindre à la défenderesse de produire les décisions judiciaires françaises qu'elle vise dans ses conclusions,

  • - constater que G. B. a la qualité de gérant de la SCI J et qu'à ce titre il est recevable à agir au nom de cette société,

  • - constater que la dénégation de sa signature par H. L. n'est étayée par aucun élément probant, qu'elle est contredite par les éléments de preuve produits aux débats et que par conséquent le procès-verbal d'assemblée générale de la SCI J du 10 octobre 2005 est valable,

  • - constater que l'existence d'un contrat de commodat n'est pas établie et que par suite H. L. occupe l'appartement sans droit ni titre,

  • - constater que cette occupation est contraire aux intérêts de la société, qu'elle empêche les autres associés d'user de l'appartement et n'entre pas dans l'objet social de la société,

  • - constater que l'appartement litigieux a été acquis grâce à un prêt octroyé par la SCI D à hauteur de 207.900 euros,

  • - constater que cette occupation empêche la location ou la vente de l'appartement et le remboursement de la somme prêtée,

À titre subsidiaire, si le Tribunal devait reconnaître l'existence d'un contrat de commodat :

  • - constater qu'une assemblée générale de la SCI J n'était pas nécessaire pour y mettre fin,

  • - constater que le contrat de commodat ne comporte aucun terme et que la SCI J peut donc y mettre un terme à tout moment,

  • - constater qu'un préavis raisonnable a été respecté en l'espèce,

En tout état de cause,

  • - prononcer l'expulsion de H. L. sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, si besoin avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique,

  • - condamner H. L. à payer à la SCI J une indemnité d'occupation à compter du 9 novembre 2007, date de la mise en demeure, d'un montant mensuel de 800 euros hors charges jusqu'à la libération effective des lieux,

  • - condamner H. L. à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive à quitter l'appartement empêchant sa location ou sa vente en vue d'apurer le passif de la SCI J,

  • - ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Au soutien de ses demandes, la SCI J fait valoir pour l'essentiel que :

Sur la nullité de l'assignation,

  • - H. L. vise l'article 141 alinéa 1er du Code de procédure civile relatif aux sociétés de commerce alors que la SCI J est une société civile valablement représentée par son gérant qui dispose, au regard de l'article 10 de ses statuts, du pouvoir d'ester en justice,

  • - H. L. prétend à tort être encore gérante de la SCI J alors qu'elle a cédé 20 parts sur les 50 qu'elle possédait à l'origine à G. B. par acte du 4 juillet 2005 et est donc devenue minoritaire, ce qui a conduit à sa démission lors de l'assemblée générale du 10 octobre 2005 et à la nomination de G. B. en qualité de gérant,

  • - H. L. ne s'est jamais comportée comme gérante de la société depuis cette date, alors que G. B. a toujours agi dans l'intérêt de la société en en assumant les frais et en initiant des actions en justice,

  • - il ressort de l'attestation établie par la SAM C. le 6 mai 2011 que l'assemblée générale du 10 octobre 2005 s'est bien tenue et que le procès-verbal a bien été signé par H. L., qui ne démontre pas le contraire,

  • - la signature de H. L. figurant sur plusieurs documents qu'elle ne conteste pas avoir signés ressemble en tous points à celle apposée sur le procès-verbal du 10 octobre 2005,

  • - H. L. dénature la décision de la Cour de révision du 7 octobre 1994,

  • - aucune plainte pénale n'a été déposée,

Sur l'existence d'un contrat de commodat,

  • - les juridictions monégasques exigent que celui qui se prévaut d'un contrat de prêt à usage en démontre la réalité,

  • - H. L. ne produit aucun document sur ce point et se contente de se référer à la sommation qui lui a été signifiée le 7 juillet 2010 alors même qu'elle en soulève la nullité,

  • - H. L. tire des conclusions produites par la SCI J dans une instance devant le Tribunal de grande instance de Nice un aveu judiciaire, alors que la force de présomption légale attachée à un tel aveu ne vaut que pour l'instance dans laquelle il a lieu,

Si le contrat de commodat devait être retenu,

  • - la SCI J y a mis un terme depuis plus de deux ans,

  • - G. B. n'a jamais vécu avec H. L. dans l'appartement litigieux,

  • - H. L. prétend de mauvaise foi que G. B. lui aurait laissé la jouissance de l'appartement le temps qu'elle reprenne des études, obtienne un diplôme et trouve un travail sans rapporter la preuve de cet accord autrement que par la photocopie d'une carte d'étudiant pour l'année universitaire 2009/2010,

  • - la jurisprudence que cite la défenderesse selon laquelle le prêteur à usage ne peut retirer la chose prêtée, avant que le besoin de l'emprunteur n'ait cessé, a évolué et admet désormais que lorsque le contrat est à durée indéterminée, le prêteur peut y mettre fin en respectant un délai raisonnable,

  • - la SCI J a mis fin à l'autorisation d'occupation tant par sa sommation du 7 juillet 2010 que par les deux procédures judiciaires engagées à Nice les 20 février 2008 et 31 août 2010,

  • - contrairement à ce que prétend H. L., la tenue d'une assemblée générale n'était pas nécessaire pour mettre fin au contrat de commodat puisqu'aux termes des articles 2 et 10 des statuts de la SCI J le gérant avait le pouvoir d'engager une action judiciaire aux fins d'expulsion,

Sur les droits d'associée de H. L.,

Alors que selon l'article 1697-2° du Code civil l'usage concédé à un associé d'une société civile ne doit pas empêcher les autres associés d'user de ce bien selon leurs droits, H. L. a changé les serrures dont elle n'a remis un double des clefs que le 17 janvier 2013, empêchant ainsi G. B. d'user de l'appartement,

  • - dès lors que l'objet social de la SCI J implique que celle-ci a vocation à constituer un patrimoine immobilier, à le faire fructifier et à en percevoir des revenus, l'occupation privative et exclusive de l'appartement, objet du litige, par H. L. est contraire à l'intérêt de la société qui n'a pas acquis ce bien en vue de le mettre gratuitement à disposition de celle-ci,

  • - pour tenter de trouver une issue au contentieux, une assemblée générale a été convoquée laquelle n'a pu se tenir faute pour H. L. de s'y être présentée,

Sur l'indemnité d'occupation,

  • - l'occupation gratuite n'étant pas prévue par l'objet social et n'ayant pas été autorisée par l'unanimité des associés, la SCI J est bien fondée à réclamer une indemnisation à compter du premier jour d'occupation,

  • - la SCI J n'est pas une SCI à caractère familial et son gérant n'a pas renoncé à percevoir des loyers alors que G. B., qui règle seul les charges et impôts de l'appartement, ne cesse de poursuivre l'expulsion depuis 5 ans,

Sur le bien fondé des demandes indemnitaires,

  • - le bien a été acquis au moyen d'un prêt consenti par la SCI D dont G. B. est le gérant, laquelle en justifie ainsi que du paiement de toutes les charges et impôts,

  • - le prêt n'a pu être remboursé en raison de l'occupation par H. L. qui a ainsi causé un dommage à la SCI J qu'elle est tenue de réparer,

Sur l'exécution provisoire,

  • - il y a urgence à mettre un terme à l'augmentation du passif social.

Par conclusions récapitulatives du 24 avril 2013, H. L. sollicite du Tribunal :

  • - in limine litis, qu'il juge irrecevable l'assignation en l'absence de pouvoir de G. B. pour la représenter, l'assemblée générale du 10 octobre 2005 l'ayant désigné en qualité de gérant étant un faux,

  • - au besoin, qu'il ordonne une vérification d'écriture pour déterminer si sa signature a été imitée,

  • - le débouté de la SCI J de l'ensemble de ses demandes,

  • - la condamnation de la SCI J au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui a causé l'assignation intempestive.

À l'appui de ses prétentions, H. L. soutient pour l'essentiel que :

Sur la nullité de l'assignation,

  • - aux termes de l'article 141 alinéa 1er du Code de procédure civile à peine de nullité les sociétés de commerce doivent être désignées par leur raison sociale et représentées conformément aux règles du droit commercial,

  • - les statuts de la SCI J la désignant comme gérante pour une durée indéterminée, il incombe à la demanderesse de rapporter la preuve d'un mandat exprès et écrit d'agir au nom de la société consenti à G. B.,

  • - seul le gérant a, selon l'article 10 de ces statuts, le pouvoir d'exercer toutes actions en justice,

  • - le procès-verbal de l'assemblée générale du 10 octobre 2005, selon lequel elle aurait démissionné de ses fonctions de gérante, est un faux dépourvu de toute valeur puisque cette assemblée ne s'est jamais tenue et que sa signature a été imitée, ainsi que cela ressort de la comparaison entre la signature figurant sur la feuille de présence et celle apposée sur les statuts et l'acte de vente. Par ailleurs, le paraphe apposé sur la première page de ce procès-verbal n'a rien de commun avec ceux figurant sur les statuts et l'acte de vente,

  • - devant le juge des référés français, la SCI J n'a jamais contesté la différence de signature,

  • - le rédacteur de l'attestation de la SAM C. ne soutient pas l'avoir vue signer le procès-verbal litigieux et ne certifie pas davantage qu'elle s'est rendue à la convocation de l'assemblée générale,

  • - elle n'a pas déposé plainte car les faits sont prescrits,

  • - les parties étaient concubins,

  • - il appartient à celui qui se prévaut d'un acte sous-seing privé d'en prouver la sincérité lorsque la signature est déniée,

  • - elle n'a pas reçu les courriers qui lui avaient été adressés par G. B. en sa qualité de gérant de la SCI J,

Sur l'existence d'un contrat de commodat,

  • - le prêteur ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle ait servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée ainsi que l'édicte l'article 1726 du Code civil,

  • - la SCI J ne conteste pas le contrat de commodat à titre gratuit qui les lie ainsi qu'elle l'a expressément reconnu dans la sommation du 7 juillet 2010, laquelle se trouve au demeurant entachée de nullité compte tenu de la brièveté du délai de préavis (15 jours) qui lui a été accordé,

  • - il résulte de cette sommation et des écritures judiciaires prises par la SCI J dans l'instance en référé devant le Tribunal de Grande Instance de Nice ainsi que devant le Tribunal d'instance de cette ville, la reconnaissance d'un prêt à usage qui vaut aveu judiciaire,

  • - l'aveu fait dans une autre instance a valeur d'aveu extra-judiciaire,

  • - l'article 1195 du Code civil permet d'écarter l'obligation d'un écrit lorsque le créancier ne peut se le procurer, ce qui était le cas compte tenu des liens des parties et de la nature du contrat,

Sur le terme du commodat,

  • - G. B. lui avait laissé la jouissance de l'appartement pour qu'elle reprenne des études, obtienne un diplôme et trouve un emploi,

  • - en compensation des salaires dont il lui était redevable pour l'avoir assisté dans ses activités et lors de leur séparation, G. B. a accepté qu'elle occupe le bien dont il n'a pas besoin compte tenu de sa situation de fortune,

  • - le terme du contrat n'est pas intervenu et G. B. ne démontre pas le besoin urgent pour lui-même ou la SCI J de vendre le bien litigieux,

  • - le contrat n'était pas subordonné au maintien de leur relation sentimentale mais résultait d'un accord plus large tenant compte du travail non rémunéré accompli, ainsi que le démontre le délai (3 ans) que s'est imposé G. B. avant de solliciter son expulsion,

Sur l'absence d'assemblée générale de la SCI J décidant du terme du commodat,

  • - le contrat de commodat ayant été conclu avec une associée, la convocation d'une assemblée générale était nécessaire pour y mettre un terme, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce,

Sur ses droits d'associés,

  • - dès lors qu'en sa qualité d'associée, elle peut user du bien comme le prévoit l'article 1697 du Code civil relatif aux sociétés civiles particulières, l'action de la SCI J n'a aucun fondement,

  • - le juge des référés de Nice, dans son ordonnance du 19 mai 2008, a relevé qu' « Il résulte de l'aveu même de la SCI J, propriétaire de l'appartement sis 6x à Nice, que chaque associé pouvait, selon les statuts de la SCI susvisée, avoir à sa disposition ledit appartement selon les convenances définies par les associés. Il apparaît ainsi que l'appartement dont s'agit a été mis à disposition de Madame H. L. selon les convenances définies par les associés, en l'occurrence de cette dernière et Monsieur G. B., gérant de la SCI J Il convient en l'état de la difficulté existant sur l'occupation de Madame H. L., de déclarer irrecevable en référé les demandes formulées à l'encontre de cette dernière par la SCI J »,

  • - l'intérêt social de cette SCI familiale puisque constituée entre deux concubins était de mettre gratuitement un immeuble à la disposition des associés,

  • - contrairement à ce qu'il affirme, si G. B. résidait bien en Italie, le week-end et les vacances, il la rejoignait à Nice,

  • - elle n'a jamais interdit à G. B. d'accéder à l'appartement dont il détient les clés, qu'elle lui a remises et peut donc en user,

  • - G. B. ne rapporte pas la preuve qu'il assume les charges et impôts afférents à l'appartement et il n'a jamais réuni d'assemblée générale pour procéder à des appels de fonds,

Sur les demandes indemnitaires,

  • - le contrat de prêt consenti par la SCI D. n'est pas versé aux débats et n'est pas visé par l'acte de vente,

  • - à la date du procès-verbal d'assemblée générale de la SCI D., la SCI J n'existait pas,

  • - la SCI D., qui n'a pas pour objet social le prêt de fonds, n'a jamais demandé le remboursement du prêt,

  • - l'action fondée sur l'enrichissement sans cause est irrecevable contre un associé,

  • - aucune faute ne peut lui être reprochée puisqu'il existait à l'origine un accord entre associés,

  • - il n'a jamais été question de louer le bien,

  • - seule une décision judiciaire constatant le terme du commodat pourra fixer une indemnité d'occupation laquelle ne peut être rétroactive,

Sur l'exécution provisoire,

  • - l'affaire est complexe et il n'y a aucune urgence dans la mesure où G. B. a patienté plusieurs années avant de saisir une juridiction française puis monégasque,

  • - elle n'a pas cherché à retarder la décision à intervenir,

Sur les dommages-intérêts,

  • - il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits.

SUR CE,

  • Sur la nullité de l'assignation,

Il est constant que le procès-verbal d'assemblée générale de la SCI J du 10 octobre 2005 selon lequel H. L. aurait démissionné de sa fonction de gérante et G. B. aurait été nommé gérant pour la remplacer est un acte sous-seing privé.

L'article 1170 alinéa 1er du Code civil dispose que « Celui auquel on oppose un acte sous-seing privé est obligé d'avouer ou de désavouer formellement son écriture ou sa signature ».

L'article 1171 de ce code prévoit que « Dans le cas où la partie désavoue son écriture ou sa signature, et dans le cas où ses héritiers ou ayant cause déclarent ne les point connaître, la vérification d'écriture est ordonnée en justice ».

Tel est bien le cas en l'espèce dans la mesure où H. L. conteste la signature qui lui est attribuée sur ce procès-verbal arguant également que cette assemblée ne s'est jamais tenue.

La procédure de vérification d'écritures est régie par les articles 279 et suivants du Code de procédure civile.

Aux termes du premier alinéa de l'article 279 dudit code :

« Lorsque soit sur une demande principale en reconnaissance d'écritures, soit au cours d'une instance, l'une des parties déniera ou déclarera ne pas reconnaître l'écriture ou la signature d'un acte sous-seing privé, le tribunal de première instance statuera immédiatement, s'il possède des éléments d'appréciation suffisants ».

Dans le cadre de la présente procédure, ont été produits par la SCI J :

  • - une copie des statuts de la SCI J,

  • - l'original de l'acte de cession de parts du 4 juillet 2005 entre H. L. et G. B., acte non contesté par la défenderesse qui a admis avoir cédé des parts,

  • - une copie de l'acte de vente de l'appartement litigieux,

  • - une copie du procès-verbal de l'assemblée générale contestée du 10 octobre 2005,

  • - un attestation dactylographiée de la SAM C. - dont la régularité formelle n'est pas contestée - en date du 6 mai 2011.

Il ressort de cette attestation que cette société a préparé et rédigé le procès-verbal du 10 octobre 2005 et que ce document a été contresigné par les associés avant d'être soumis aux formalités légales. Il n'est pas fait état de la présence personnelle de H. L. Cependant, ce document établit la réalité de cette assemblée quant à sa tenue.

H. L. n'a pour sa part fourni aucune pièce de comparaison au Tribunal.

La comparaison de la signature apposée sur le procès-verbal du 10 octobre 2005 avec celle se trouvant sur les pièces produites ne met pas en évidence de différence notable, étant relevé que les signatures attribuées à H. L. dont cette dernière ne conteste pas l'authenticité varient sensiblement d'un document à l'autre.

Si le paraphe apposé sur ce procès-verbal diffère certes de celui figurant sur les statuts et l'acte notarié, ces deux derniers documents ne comportent en réalité que des initiales alors que le procès-verbal comporte une signature simplifiée. D'ailleurs, le paraphe de G. B. diffère également entre les statuts et le procès-verbal du 10 octobre 2005.

Au vu de ces éléments, il n'est pas nécessaire de poursuivre la procédure de vérification d'écritures puisque les documents produits par la SCI J démontrent que le procès-verbal litigieux a bien été signé par H. L.

De ce fait, ce procès-verbal est régulier et doit produire ses effets de droit, en sorte que la nomination de G. B. en qualité de gérant doit être considérée comme ayant été valablement effectuée.

En conséquence, et en l'absence de nouvelle décision contraire, G. B. était bien à la date de l'assignation le gérant de la SCI J et avait à ce titre pouvoir pour agir en justice au nom de cette société conformément à l'article 10 des statuts de cette société.

Si l'article 141 alinéa 1 du Code de procédure civile vise les sociétés de commerce, il est constant que tant les règles de droit civil applicables en l'espèce que les statuts de la SCI J prévoient que la société est représentée par son gérant.

L'exception de nullité de l'assignation soulevée par H. L. sera donc rejetée.

  • Sur la demande tendant à voir ordonner l'expulsion d'H. L.,

Dans la sommation qu'elle a fait délivrer, par le ministère de Maître LENCHANTIN de GUBERNATIS, Huissier de Justice à Drap, le 7 juillet 2010 à H. L., la SCI J a indiqué :

« - que Mme H. L. étant associée, la SCI avait accepté de lui prêter l'appartement dépendant de l'actif successoral à titre gracieux ;

- que la mise à disposition par la société à l'un de ses associés d'un seul bien constituant l'actif social s'analyse en un prêt à usage »

La SCI J a ainsi expressément reconnu l'existence du prêt à usage ou commodat consenti par ses soins à H. L. portant sur l'appartement constituant son seul actif social.

Comme toute convention, à défaut de stipulation d'un terme, le commodat doit être considéré comme étant à durée indéterminée.

H. L. prétend que la durée convenue entre les parties correspondrait à celle de ses études jusqu'à ce qu'elle ait obtenu un diplôme et un emploi.

Elle ne verse toutefois aucun élément probant de nature à étayer ses dires, la photocopie d'une carte d'étudiant pour l'année 2009/2010 étant à cet égard insuffisante.

De plus, admettre que le terme du contrat dépendrait de tels facteurs reviendrait à admettre une condition purement potestative puisqu'il dépendrait alors de la seule volonté de H. L.

Dès lors, il convient de considérer que le contrat de prêt à usage a été consenti pour une durée indéterminée.

Dans ce cas, l'article 1726 du Code civil prévoit que « Le prêteur ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut, de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée ».

L'article 1726 de ce code dispose en outre que « Néanmoins, si, pendant ce délai, ou avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre ».

S'agissant d'un bien immobilier, la durée de son usage ne saurait être établie par référence à la chose puisque celui-ci peut être perpétuel, l'obligation passant même aux héritiers selon les dispositions de l'article 1717 du Code civil.

La jurisprudence française fondée sur un texte strictement identique au droit monégasque admet désormais que lorsque le contrat est à durée indéterminée, il peut y être mis fin à tout moment en respectant un délai raisonnable.

Cette solution doit être transposée au cas d'espèce puisqu'elle est conforme au principe de l'illicéité des clauses perpétuelles et maintient l'équité entre les parties.

La SCI J ne pouvait dès lors mettre fin au contrat de prêt qu'en respectant un délai raisonnable, étant précisé que la tenue d'une assemblée générale n'était toutefois pas exigée puisque l'introduction d'une action en justice aux fins d'expulsion entre dans les prérogatives dévolues au gérant par les articles 2 et 10 des statuts.

Il n'est pas nécessaire par ailleurs pour la demanderesse de démontrer un besoin impérieux de reprendre la chose ou un usage contraire aux intérêts de la société.

En outre, s'agissant d'un appartement utilisé par un des associés, le fait que son associé et ancien concubin dispose des clefs ne peut être considéré comme lui permettant d'user de ce bien, compte tenu du contentieux existant entre les associés.

Si le délai initialement concédé à H. L. par la sommation du 17 juillet 2010 était certes seulement de 3 semaines, il est constant que depuis les premières tentatives pour lui faire quitter les lieux, le délai écoulé, à savoir plus de trois années, lui a laissé un temps largement suffisant pour organiser ses conditions de vie après la libération de l'appartement.

En conséquence, la résiliation du contrat de commodat sera prononcée au jour du présent jugement et l'expulsion de H. L. ordonnée sans qu'il y ait lieu toutefois en l'absence de justifications particulières d'assortir cette mesure d'une astreinte.

  • Sur les demandes indemnitaires présentées par la SCI J,

La demande d'indemnité d'occupation,

La demanderesse sollicite dans le corps de ses écritures la condamnation de H. L. au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 800 euros à compter du premier jour d'occupation et dans le dispositif de ses écritures à compter du 9 novembre 2007, date de la mise en demeure de quitter les lieux.

Cette demande doit être rejetée s'agissant de la période antérieure au prononcé de la résiliation du contrat de commodat par la présente juridiction.

En effet, jusqu'au 10 octobre 2013, H. L. n'était pas sans droit ni titre puisqu'elle occupait l'appartement loué, à titre gratuit, en vertu du contrat de prêt à usage qui lui avait été consenti.

À compter de la résiliation du contrat de commodat, la SCI J est en droit de prétendre au paiement par H. L. d'une indemnité d'occupation dont il y a lieu de fixer le montant mensuel, au vu de la surface et de la situation de l'appartement dont s'agit à la somme de 800 euros.

  • Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

La SCI J fonde cette demande sur la résistance de la défenderesse à libérer l'appartement.

Cependant, compte tenu du contexte et des décisions rendues par les juridictions françaises qui ne lui ont pas enjoint de quitter les lieux en ne faisant pas droit aux demandes de la SCI J, H. L. n'a pas fait preuve d'une résistance abusive à libérer les lieux.

À défaut d'établir une quelconque faute de la part de H. L. qui a profité d'un droit qui lui avait été régulièrement octroyé, la demande ne peut davantage prospérer sur le fondement des articles 1229 et 1230 du Code civil.

L'enrichissement sans cause ne peut enfin être valablement invoqué dès lors qu'il résulte en l'espèce de l'exécution du contrat de commodat régulièrement formé entre la SCI J et Mme H. L., laquelle a au surplus la qualité d'associée de cette société.

La SCI J sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

  • Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par H. L.,

La défenderesse fonde sa demande sur les frais qu'elle a été dans l'obligation d'exposer pour se défendre à l'assignation délivrée à son encontre.

Succombant pour l'essentiel, cette prétention sera rejetée, le bien fondé de la procédure initiée par la SCI J ayant été consacré s'agissant à tout le moins de l'obligation pour H. L. de libérer l'appartement appartenant à la demanderesse.

  • Sur l'exécution provisoire,

Les conditions de l'article 202 du Code de procédure civile ne sont pas remplies en l'espèce, en sorte qu'elle ne sera pas ordonnée.

En effet, l'ancienneté de l'occupation met à néant toute notion d'urgence et la prétendue augmentation du passif social n'est étayée par aucune pièce.

  • Sur les dépens,

H. L. qui succombe sur le principal de sa demande, à savoir son droit au maintien dans les lieux, sera condamnée aux dépens par application de l'article 231 du Code de procédure civile.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant publiquement par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Déboute H. L. de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de l'assignation introductive d'instance ;

Dit que H. L. bénéficiait d'un contrat de prêt à usage ou de commodat consenti pour une durée indéterminée sur l'appartement propriété de la SCI J, sis 7x à Nice ;

Prononce la résiliation de ce contrat de commodat avec toutes conséquences de droit à compter du présent jugement ;

Dit que H. L. devra libérer les lieux loués dans le mois de la signification du présent jugement ;

Ordonne d'ores et déjà, à défaut de ce faire, son expulsion de corps et de bien, et celle de tous occupants de son chef, de l'appartement sis 8x à NICE (06) ;

Condamne H. L. à payer à la SCI J à compter du prononcé du présent jugement une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant de 800 euros et ce, jusqu'à libération effective des lieux ;

Déboute la SCI J du surplus de ses prétentions ;

Déboute H. L. de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne H. L. aux dépens, avec distraction au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sophie LEONARDI, Juge, Madame Aline BROUSSE, Magistrat référendaire, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 10 OCTOBRE 2013, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

  • Consulter le PDF