Tribunal de première instance, 25 mars 2010, F. c/ S.A. M. Monte-Carlo Protection privée

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Abstract🔗

Contrat de travail - Salaire - Parité - Application de l'article 11 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 sur le salaire, modifiée par la loi n° 1 068 du 28 décembre 1983, arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963 modifié par arrêté ministériel n° 84-101 du 6 février 1984 - Les montants minima ne peuvent être inférieurs à ceux qui, en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, pour des conditions identiques sont pratiquées dans des professions, commerces, ou industries similaires à Nice ou à défaut dans le département des Alpes- Maritimes - L'existence de ces minima salariaux n'est point subordonnée à l'existence effective dans la région de référence d'emplois de même nature et exercées dans des conditions de travail identique (telle que la durée légale du travail) le taux horaire théorique défini à l'alinéa 4 de l'article 11 ayant pour effet d'écarter la durée légale du travail sur le coût horaire du travail - L'employeur est mal fondé à invoquer l'existence de conditions de travail différentes pour s'opposer au paiement du montant minimum de salaire revendiqué par le salarié et calculé sur la base des taux horaires minima définie par la convention collective de référence

Résumé🔗

PARITÉ DES SALAIRES

Selon l'article 11, alinéa 1 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 sur le salaire, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.068 du 28 décembre 1983, sauf les exceptions prévues par la loi, les montants minima des salaires, primes et indemnités de toute nature et majorations autres que celles prévues par les dispositions relatives à la durée du travail, ne peuvent être inférieurs à ceux qui seront fixés par arrêté ministériel.

Selon l'alinéa 2 du même article, sous réserve des dispositions de l'alinéa suivant, ces montants minima seront au moins égaux à ceux pratiqués en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, pour des conditions de travail identiques, dans les mêmes professions, commerces ou industries de la région économique voisine.

L'arrêté ministériel pris pour l'application de ces dispositions est l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963, modifié par l'arrêté ministériel n° 84-101 du 6 février 1984, dont l'article 1er prévoit que les montants minima ne peuvent être inférieurs à ceux qui, en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, pour des conditions de travail identiques, sont pratiqués dans des professions, commerces ou industries similaires à Nice, ou, à défaut, dans le département des Alpes-Maritimes.

Si ces dispositions légales et réglementaires fixent les minima salariaux en Principauté par référence à ceux pratiqués dans des emplois similaires dans le département français limitrophe, l'existence de montants minima en Principauté n'est pas subordonnée à l'existence effective dans la région de référence d'emplois de même nature et exercés dans des conditions de travail identique.

La référence faite à ces conditions de travail identiques, comme celle faite aux mêmes professions, commerces ou industries, n'étant pas une condition mais une modalité d'application de la loi, il ne peut être exigé du salarié prétendant au bénéfice de l'article 11 de la loi n° 739 qu'il démontre l'existence effective dans le département français des Alpes-Maritimes de salariés exerçant la même profession que lui et bénéficiant de conditions de travail identiques.

En conséquence le salarié est fondé à demander que son salaire ne soit pas inférieur à celui qui lui aurait été versé en application de la réglementation et des dispositions collectives applicables dans le département des Alpes-Maritimes, au regard de ses conditions de travail en Principauté, même dans l'hypothèse où aucun salarié de la région économique de référence n'exerce d'emploi similaire dans des conditions de travail identiques, et sous la seule réserve des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 11.

En effet pour la mise en œuvre du principe ainsi défini, l'alinéa 3 de l'article 11 de la loi n° 739 se réfère à un taux horaire théorique, défini à l'alinéa 4, par lequel il convient de multiplier la durée effective du travail du salarié, et qui résulte de la division des minima français de référence par le nombre d'heures auxquels ils correspondent, déduction faite de leurs majorations pour heures supplémentaires ; que ce taux horaire théorique a pour effet d'écarter les effets de la durée légale du travail sur le coût horaire du travail.

En dehors de cette hypothèse, il appartient à celui qui invoque une différence entre les conditions de travail du salarié concerné et celles de la région de référence de démontrer que la mise en œuvre dans cette région de conditions de travail identiques justifierait de s'écarter du salaire théorique de référence.

En l'espèce, T. F. invoque la convention collective française applicable aux entreprises de prévention et de sécurité, domaine d'activité de la S.A.M. Monte-Carlo Protection Privée et notamment ses dispositions relatives aux agents d'exploitation, employés administratifs ou techniciens, catégorie dont il relève ; qu'il revendique le taux horaire défini par cette convention collective pour le niveau, l'échelon et le coefficient correspondant à l'emploi qu'il occupait au cours de la période considérée.

Le taux horaire invoqué correspond strictement au taux horaire théorique défini par l'article 11, alinéa 4 de la loi n° 739 en ce qu'il est obtenu en divisant les minima de référence mensuels par le nombre d'heures auxquels ils correspondent, à savoir la durée légale du travail en dehors de toute majoration pour heures supplémentaires.

Si la S.A.M. Monte-Carlo Protection Privée invoque l'existence en France de conditions de travail différentes pour les employés des entreprises de sécurité, en ce qui ces entreprises bénéficieraient d'une grande souplesse pour adapter le temps de travail aux besoins, elle ne soutient pas qu'une entreprise qui accorderait à ses salariés des conditions équivalentes à celles dont T. F. bénéficie pourrait verser un salaire inférieur aux montants minima définis par la convention collective.

Est dès lors mal fondée à invoquer l'existence de conditions de travail différentes pour s'opposer au paiement du montant minimum de salaire revendiqué par la salarié et calculé sur la base des taux horaires minima définis par la convention collective de référence.

Par ailleurs, conformément à l'article 11, alinéa 5 de la loi n° 739, il ne doit pas être tenu compte des modifications qui, dans la région de référence, affectent le salaire, soit directement soit indirectement en raison de changements intervenus dans la durée du travail, lorsque ces modifications trouvent leur cause dans des accords passés par les employeurs avec des contractants autres que leurs salariés ou leurs syndicats.

Les modifications qui affectent le salaire ne peuvent donc être écartées lorsqu'elles trouvent leur cause dans des accords passés par les employeurs avec leurs salariés ou leurs syndicats ; qu'une convention collective constitue par définition un tel accord.

Les modifications des minima de références résultant des accords invoqués par T. F. ne peuvent donc être écartées.

Il importe peu que ces accords aient été conclus en considération d'une diminution des charges sociales résultant, pour l'ensemble des employeurs, de dispositions générales édictées par voie législative ou réglementaire, de telles dispositions générales n'étant pas assimilables à un accord passé entre les employeurs et un tiers.

La contestation de la S.A.M. Monte-Carlo Protection Privée est donc également mal fondée de ce chef.

En conséquence, T.F. est fondé à demander le bénéfice du taux horaire défini par la convention collective française des entreprises de prévention et de sécurité.


Motifs🔗

TRIBUNAL

DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 25 MARS 2010

En la cause de :

Monsieur T F, agent de sécurité, demeurant actuellement X - 06240 BEAUSOLEIL ;

APPELANT, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice,

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque MONTE-CARLO PROTECTION PRIVEE, dont le siège social est 25 boulevard Albert 1er à Monaco, prise en la personne de son Président Délégué en exercice demeurant en cette qualité audit siège,

INTIMÉE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu les jugements du Tribunal du travail en date des 28 avril 2005 et 29 mars 2007 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 mai 2007, enregistré (n° 2007/000619) ;

Vu les conclusions de Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur, au nom de la société MONTE-CARLO PROTECTION PRIVEE, en date des 17 octobre 2007 et 5 février 2009 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de T F, en date des 24 juin 2008 et 14 octobre 2009 ;

Ouï Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice assistée de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, pour T F, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur, pour la société MONTE-CARLO PROTECTION PRIVEE, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

Considérant les faits suivants :

La S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE a embauché T. F. à compter du 8 août 1996 en qualité d'agent de sécurité ;

Par requête reçue au greffe le 28 avril 2003, le salarié a saisi le Tribunal du travail en réclamant à son employeur le paiement des sommes suivantes :

1) 3 000 euros à titre de rappel de salaire,

2) 200 euros au titre des indemnités de panier,

3) 320 euros au titre des congés payés,

4) 3 000 euros au titre de l'indemnité monégasque,

5) 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Suivant jugement en date du 28 avril 2005, le Tribunal du travail a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE et a condamné cette société à payer à T. F. la somme de 121,64 euros au titre des retenues pratiquées indûment sur les indemnités de panier au cours de la période de mars 2001 à mars 2003, outre intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2003 ;

Il a sursis à statuer sur le surplus des demandes et a ordonné la réouverture des débats en enjoignant aux parties de produire divers éléments de preuve, notamment les accords collectifs conclus dans le département français des Alpes Maritimes ;

Suivant jugement en date du 29 mars 2007, le Tribunal du travail a condamné la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à payer à T. F. la somme de 12,16 euros, correspondant à l'indemnité de congés payés calculée sur le rappel d'indemnités de panier alloué par le précédent jugement, et a débouté le salarié du surplus de ses demandes ;

Par acte d'huissier du 22 mai 2007, T. F. a interjeté appel des deux jugements ;

Il sollicite leur confirmation, sauf en ce qu'il a été débouté de ses demandes autres que celles relatives aux retenues pratiquées sur les indemnités de panier, et demande la condamnation de la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à lui payer :

1) 1 583,55 euros à titre de complément de salaire, pour la période allant du 1 er septembre 2000 au 31 mars 2003,

2) 158,35 euros au titre des congés payés afférents,

3) 2 543,87 euros au titre de l'indemnité monégasque,

4) 1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

5) les intérêts au taux légal des sommes dues, y compris celle allouée en dernier lieu par le Tribunal du travail, à compter du 28 avril 2003 ;

Par son assignation et ses conclusions déposées le 26 juin 2008 et le 14 octobre 2009, T. F. invoque les dispositions de l'article 11 alinéa 2 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 sur le salaire, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.068 du 28 décembre 1983, prévoyant que les montants minima des salaires, primes et indemnités de toute nature ne peuvent être inférieurs à ceux pratiqués pour des conditions de travail identique, dans les mêmes professions de la région économique voisine, ainsi que celles de l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963, modifié par l'arrêté ministériel n° 84-101 du 6 février 1984, qui reprend les dispositions légales en y ajoutant une indemnité exceptionnelle de 5 % ;

Il soutient que pour l'application de ces dispositions, et compte tenu de l'activité exercée par la S.A.M. MONTECARLO PROTECTION PRIVÉE, il convient de se référer aux dispositions de la convention collective française applicable aux entreprises de prévention et de sécurité, établie le 15 février 1985 et étendue par un arrêté du 25 juillet 1985, et que l'application du principe de parité des salaires n'est pas subordonnée à l'existence d'une identité des conditions de travail en France et à Monaco ;

En effet la détermination du salaire minimum résulterait de l'application à la durée du travail d'un taux horaire théorique calculé conformément à l'alinéa 4 de l'article 11 de la loi n° 739 ; en l'espèce la convention collective française mentionnerait elle-même le montant minimum du salaire pour une heure de travail ; contrairement aux allégations de la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE, il ne serait pas démontré que ce montant minimum est la conséquence directe et exclusive de la législation française sur la réduction du temps de travail introduite par les lois dites « Aubry » des 13 juin 1998 et 19 janvier 2000 ;

Au contraire, les revalorisations successives du taux horaire fixé par la convention collective française, intervenues à compter de l'année 2000, auraient expressément prévu que ces augmentations ne pouvaient se cumuler avec l'indemnité de réduction du temps de travail, et le nouveau taux horaire français aurait à chaque fois bénéficié à tous les salariés du secteur considéré, indépendamment de leur temps de travail ;

En outre la référence à l'existence de «conditions de travail identiques», introduite dans la loi par une modification législative issue de la loi n° 1.068 du 28 décembre 1983, n'aurait pas eu pour objet de modifier le principe de parité, mais seulement de parer à la mise en œuvre en France de contrats d'un type particulier par lesquels les employeurs s'engagent à modifier l'organisation du travail en contrepartie d'avantages particuliers ;

Alors même qu'il existait déjà une différence entre la durée légale du travail en France et en Principauté, cette modification législative n'aurait aucunement remis en cause à l'époque le principe de parité des salaires mais aurait eu pour seul but d'éviter que les majorations de salaire pour heures supplémentaires pratiquées en France, en vertu des règles régissant la durée du travail dans ce pays, aient pour effet d'augmenter à Monaco le taux horaire minimum ; ainsi, pour l'application du principe de parité, le législateur aurait uniquement entendu se référer au salaire horaire et non à un salaire global périodique, afin de désolidariser les deux facteurs dont dépend la rémunération du travail : le taux et la durée ;

L'identité des conditions de travail n'étant pas une condition de l'application du principe de parité des salaires, T. F. serait fondé à solliciter le bénéfice du salaire horaire minimum prévu par la convention collective française de référence, à l'exclusion des majorations résultant de la législation française sur la durée du travail ; par ailleurs, la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE ne démontrerait pas que les modifications intervenues en France, ayant eu pour effet de relever les minima salariaux, trouvaient leur cause dans des accords passés avec l'État français ouvrant droit au bénéfice d'aides financières pour les sociétés françaises concernées ;

T. F. serait donc fondé à solliciter le bénéfice des taux horaires minima français définis par les accords collectifs des 27 avril 2000, 30 octobre 2000, 25 septembre 2001 et 27 septembre 2002, lesquels s'appliqueraient quelle que soit la durée du travail effectif ;

Subsidiairement, et dans l'hypothèse où l'existence de conditions de travail identiques serait retenue comme une condition de la mise en œuvre du principe de parité, les dispositions relatives à l'organisation, l'aménagement et la répartition du temps de travail au sein des entreprises ne relèveraient pas des conditions de travail au sens de l'article 11, alinéa 2 de la loi n° 739 dans sa rédaction issue de la loi n° 1.068 ;

En effet, déjà à l'époque de cette modification législative, les dispositions relatives au temps de travail, au repos, aux jours fériés, aux congés payés etc. auraient été différentes à Monaco et en France ; dès lors le législateur n'aurait pu souhaiter subordonner le principe de parité à une identité de législations nationales nécessairement différentes ; de ce fait, la réduction du temps de travail à 35 heures en France ne pourrait être un prétexte à la remise en cause du principe de parité des salaires ;

En outre, l'existence en France de dispositions permettant un certain aménagement du temps de travail n'exclurait pas nécessairement le cas d'un salarié travaillant dans les mêmes conditions de travail que T. F. et bénéficiant néanmoins des minima salariaux français ;

La référence aux minima français serait donc faite uniquement pour déterminer la valeur d'une heure normale de travail d'un salarié exécutant les mêmes tâches, avec les mêmes capacités et compétences, dans le même secteur d'activité ; une autre interprétation aurait pour effet de priver la loi monégasque de toute portée, par l'application d'une loi étrangère, voire d'accords collectifs étrangers ;

En conséquence, compte tenu des coefficients qui lui ont successivement été attribués au cours de la période considérée, T. F. évalue à 1 583,55 euros le rappel de salaire qui lui est dû pour le travail effectué depuis le mois de septembre 2000 et jusqu'au mois de mars 2003, outre 158,35 euros au titre des congés payés afférents ;

De plus, conformément à l'article 2 de l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963, les rémunérations minimales devraient être majorées d'une indemnité exceptionnelle de 5 % de leur montant ; en l'espèce cette indemnité n'aurait pas été versée de septembre 2000 à mars 2003 et l'impayé s'élèverait à la somme totale de 2 543,87 euros ;

Enfin, le refus de la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE de payer une somme totale de 4 419,57 euros aurait eu des répercussions certaines et notables sur le pouvoir d'achat de T. F. et ses conditions de vie ; ce refus l'aurait également contraint d'engager une action pour faire valoir ses droits ; le préjudice ainsi subi justifierait l'octroi d'une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Par conclusions déposées le 17 octobre 2007 et le 5 février 2009, la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE sollicite la confirmation des jugements entrepris ;

Elle déclare que la loi n° 1.068 du 28 décembre 1983 a modifié l'article 11 de la loi n° 739 du 13 mai 1963 sur le salaire, que l'arrêté ministériel n° 84-101 du 6 février 1984 a modifié l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963, et que dans le même temps, la loi n° 1.067 du 28 décembre 1983 a fixé la durée du travail hebdomadaire en Principauté, consacrant l'autonomie des conditions de travail, notamment en ce qui concerne le régime des heures supplémentaires ;

En France, la loi du 11 juin 1996, dite « Robien », aurait incité les entreprises à réduire la durée hebdomadaire du travail, tout en prévoyant des mesures d'accompagnement et de compensation ; la loi du 13 juin 1998, dite « Aubry I »aurait eu pour objectif de développer les négociations et de financer le passage à une durée de travail hebdomadaire de 35 heures grâce à des aides de l'État français dénommées « aides dégressives à la réduction du temps de travail» ; la loi du 19 janvier 2000, dite « Aubry II », et ses décrets d'application constitueraient un abondant support législatif de mesures incitatives et de dispositifs d'aide financière ou d'allègement de charges sociales ; en particulier le maintien du salaire aurait été assuré par un complément différentiel, dans l'attente de la progression du salaire horaire minimum ;

Ainsi, ces lois auraient créé en France une situation juridique exceptionnelle et temporaire pour les besoins de la mise en œuvre de la réduction du temps de travail, qui ne pourrait servir de référence à la définition des salaires minima à Monaco ;

Par ailleurs, la loi du 19 janvier 2000 aurait profondément modifié la réglementation française du travail, afin de permettre aux entreprises de sauvegarder leur compétitivité malgré le passage aux 35 heures hebdomadaires en maintenant le même niveau de salaire ;

En vertu du principe de souveraineté, il serait évident que les dispositions légales françaises ne peuvent avoir d'effet en Principauté ; de ce fait, les prétentions de T. F. tendant à l'application automatique des effets de la réduction du temps de travail entraîneraient pour les employeurs monégasques des conséquences pénalisantes pour leur compétitivité, notamment un surcoût salarial évalué à 11,43 % ;

Or le législateur monégasque aurait expressément entendu limiter la règle de l'égalité des salaires aux cas où les conditions de travail sont identiques, en excluant notamment toute extension du principe d'égalité aux durées de travail ;

D'ailleurs, le Gouvernement princier aurait cessé de publier au Journal de Monaco les minima conventionnels français, en ne communiquant que le seul S.M.I.C. français, et aurait, au cours de l'année 2003, conseillé aux employeurs de majorer les salaires en tenant compte de l'inflation et non des augmentations réelles appliquées en France ; depuis il aurait même été publiquement reconnu que l'importance des différences de conditions de travail entre la France et Monaco pouvait conduire à ne plus appliquer la loi n° 739 ;

Ainsi, le principe de parité des salaires connaîtrait aujourd'hui deux exceptions : la différence des conditions de travail et les modifications consécutives à des accords passés avec des tiers autre que les partenaires sociaux ;

Sur le premier point, l'identité des conditions de travail, il existerait depuis 1998 des différences notables entre la France et Monaco, en ce qui concerne non seulement la durée légale du travail mais également l'organisation du temps de travail ; la France autoriserait notamment une flexibilité beaucoup plus grande, accordant ainsi aux entreprises une souplesse et une facilité d'adaptation aux fluctuations de la demande ; cela serait particulièrement vrai pour les entreprises de prévention et de sécurité, compte tenu de leur domaine d'activité ; cette rupture d'identité des conditions de travail justifierait l'application de l'exception prévue à l'alinéa 2 de l'article 11 de la loi n° 739 ;

Sur le second point, l'existence d'accords passés avec des tiers autres que les salariés ou leurs syndicats, le passage aux 35 heures en France aurait été le résultat de négociations impliquant la participation de trois partenaires, l'État, les entreprises et les syndicats de salariés ; en particulier l'État français garantirait des allègements de charges, des dégrèvements et des subventions de toute nature, lesquels auraient abaissé les coûts salariaux ; ainsi la loi « Aubry II » aurait procédé à des allègements de charges patronales et, en 2002, la loi « Fillon » aurait accordé de nouvelles réductions de charges sociales de manière dégressive ;

Or toutes les entreprises françaises de prévention et de sécurité auraient bénéficié de telles aides, qui auraient largement couvert leurs charges sur salaires, ainsi que cela résulterait de l'attestation de M. P. B. gérant d'une entreprise de sécurité située dans les Alpes Maritimes ;

Compte tenu de la rupture du principe d'égalité économique entre les entreprises de prévention et de sécurité situées de part et d'autre de la frontière, et dans la mesure où cette disparité est la conséquence directe des aides financières provenant d'accords conclu avec l'État français, T. F. serait mal fondé à opposer à la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE les minima français ;

L'affaire a été plaidée à l'audience du 21 janvier 2010, puis mise en délibéré jusqu'à ce jour ;

Sur quoi,

Sur les demandes de confirmation

Attendu que les deux parties sollicitent la confirmation du jugement rendu par le Tribunal du travail le 28 avril 2005, et de celui en date du 29 mars 2007 en ce qu'il a condamné la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à payer à T. F. la somme de 12,16 euros ;

Attendu qu'il convient de faire droit à leur demande commune en ce sens ;

Sur la parité des salaires

Attendu que selon l'article 11, alinéa 1 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 sur le salaire, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.068 du 28 décembre 1983, sauf les exceptions prévues par la loi, les montants minima des salaires, primes et indemnités de toute nature et majorations autres que celles prévues par les dispositions relatives à la durée du travail, ne peuvent être inférieurs à ceux qui seront fixés par arrêté ministériel ;

Attendu que selon l'alinéa 2 du même article, sous réserve des dispositions de l'alinéa suivant, ces montants minima seront au moins égaux à ceux pratiqués en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, pour des conditions de travail identiques, dans les mêmes professions, commerces ou industries de la région économique voisine ;

Attendu que l'arrêté ministériel pris pour l'application de ces dispositions est l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963, modifié par l'arrêté ministériel n° 84-101 du 6 février 1984, dont l'article 1 er prévoit que les montants minima ne peuvent être inférieurs à ceux qui, en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, pour des conditions de travail identiques, sont pratiqués dans des professions, commerces ou industries similaires à Nice ou, à défaut, dans le département des Alpes-Maritimes ;

Attendu que si ces dispositions légales et réglementaires fixent les minima salariaux en Principauté par référence à ceux pratiqués pour des emplois similaires dans le département français limitrophe, l'existence de montants minima en Principauté n'est pas subordonnée à l'existence effective dans la région de référence d'emplois de même nature et exercés dans des conditions de travail identique ;

Attendu que la référence faite à des conditions de travail identiques, comme celle faite aux mêmes professions, commerces ou industries, n'étant pas une condition mais une modalité d'application de la loi, il ne peut être exigé du salarié prétendant au bénéfice de l'article 11 de la loi n° 739 qu'il démontre l'existence effective dans le département français des Alpes-Maritimes de salariés exerçant la même profession que lui et bénéficiant de conditions de travail identiques ;

Attendu en conséquence que le salarié est fondé à demander que son salaire ne soit pas inférieur à celui qui lui aurait été versé en application de la réglementation et des dispositions collectives applicables dans le département des Alpes Maritimes, au regard de ses conditions de travail en Principauté, même dans l'hypothèse où aucun salarié de la région économique de référence n'exerce d'emploi similaire dans des conditions de travail identiques, et sous la seule réserve des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 11 ;

Attendu en effet que pour la mise en œuvre du principe ainsi défini, l'alinéa 3 de l'article 11 de la loi n° 739 se réfère à un taux horaire théorique, défini à l'alinéa 4, par lequel il convient de multiplier la durée effective du travail du salarié, et qui résulte de la division des minima français de référence par le nombre d'heures auxquels ils correspondent, déduction faite de leurs majorations pour heures supplémentaires ; que ce taux horaire théorique a pour effet d'écarter les effets de la durée légale du travail sur le coût horaire du travail ;

Attendu qu'en dehors de cette hypothèse, il appartient à celui qui invoque une différence entre les conditions de travail du salarié concerné et celles de la région de référence de démontrer que la mise en œuvre dans cette région de conditions de travail identiques justifierait de s'écarter du salaire théorique de référence ;

Attendu en l'espèce que T. F. invoque la convention collective française applicable aux entreprises de prévention et de sécurité, domaine d'activité de la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE, et notamment ses dispositions relatives aux agents d'exploitation, employés administratifs ou techniciens, catégorie dont il relève ; qu'il revendique le taux horaire défini par cette convention collective pour le niveau, l'échelon et le coefficient correspondant à l'emploi qu'il occupait au cours de la période considérée ;

Attendu que le taux horaire invoqué correspond strictement au taux horaire théorique défini par l'article 11, alinéa 4 de la loi n° 739 en ce qu'il est obtenu en divisant les minima de référence mensuels par le nombre d'heures auxquels ils correspondent, à savoir la durée légale du travail, en-dehors de toute majoration pour heures supplémentaires ;

Attendu que si la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE invoque l'existence en France de conditions de travail différentes pour les employés des entreprises de sécurité, en ce que ces entreprises bénéficieraient d'une grande souplesse pour adapter le temps de travail aux besoins, elle ne soutient pas qu'une entreprise qui accorderait à un salarié des conditions équivalentes à celles dont T. F. bénéficie pourrait verser un salaire inférieur aux montants minima définis par la convention collective ;

Attendu qu'elle est dès lors mal fondée à invoquer l'existence de conditions de travail différentes pour s'opposer au paiement du montant minimum de salaire revendiqué par le salarié et calculé sur la base des taux horaires minima définis par la convention collective de référence ;

Attendu par ailleurs que conformément à l'article 11, alinéa 5 de la loi n° 739, il ne doit pas être tenu compte des modifications qui, dans la région de référence, affectent le salaire, soit directement soit indirectement en raison de changements intervenus dans la durée du travail, lorsque ces modifications trouvent leur cause dans des accords passés par les employeurs avec des contractants autres que leurs salariés ou leurs syndicats ;

Attendu que les modifications qui affectent le salaire ne peuvent donc être écartées lorsqu'elles trouvent leur cause dans des accords passés par les employeurs avec leurs salariés ou leurs syndicats ; qu'une convention collective constitue par définition un tel accord ;

Attendu que les modifications des minima de références résultant des accords collectifs invoqués par T. F. ne peuvent donc être écartées ;

Attendu qu'il importe peu que ces accords aient été conclus en considération d'une diminution des charges sociales résultant, pour l'ensemble des employeurs, de dispositions générales édictées par voie législative ou réglementaire, de telles dispositions générales n'étant pas assimilables à un accord passé entre les employeurs et un tiers ;

Attendu, que la contestation de la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE est donc également mal fondée de ce chef ;

Attendu en conséquence que T. F. est fondé à demander le bénéfice du taux horaire défini par la convention collective française des entreprises de prévention et de sécurité ;

Sur le rappel de salaire et d'indemnité de congés payés

Attendu que la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE ne conteste pas le calcul par T. F. de la différence entre le salaire qui lui est dû, compte tenu de l'évolution du taux horaire minimum conventionnel français, et le salaire qui lui a été versé, pour la période du 1er septembre 2000 au 31 mars 2003 ;

Attendu qu'il convient donc de faire droit à sa demande en paiement d'une somme de 1 583,55 euros ;

Attendu que T. F. est également fondé à solliciter le revalorisation de l'indemnité afférente aux congés et égale à un dixième de la rémunération totale au cours de la période de référence ; que le montant réclamé n'est pas contesté par la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE, et que celle-ci sera donc condamnée à lui payer la somme de 158,35 euros à ce titre ;

Sur l'indemnité de 5 %

Attendu que selon l'article 2 de l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963, les rémunérations minimales, telles que définies à l'article premier dudit arrêté, sont majorées d'une indemnité exceptionnelle de 5 % de leur montant, laquelle ne donne pas lieu aux versements ou aux retenues prévues au titre de la législation sociale et de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ;

Attendu que les bulletins de salaire de T. F. pour la période du 1 er septembre 2000 au 31 mars 2003 ne mentionnent pas le versement de l'indemnité exceptionnelle de 5 % prévue par la disposition ci-dessus, alors même que le salaire de base était inférieur au salaire minimum français ;

Attendu que T. F. est donc fondé à solliciter le paiement de l'indemnité exceptionnelle de 5 % prévue par l'arrêté ministériel n° 63-131 calculée sur le salaire effectivement perçu au cours de la période considérée et le rappel de salaire alloué par le présent jugement ;

Attendu qu'en l'absence de contestation par la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE du calcul fait par le demandeur, il sera fait droit à la totalité de la demande sur ce point ;

Sur les intérêts

Attendu que T. F. est fondé à solliciter les intérêts au taux légal des sommes dues en vertu du contrat de travail, à compter du 28 avril 2003, date de la saisine du Tribunal du travail ;

Attendu qu'il sera donc fait droit à sa demande de ce chef, tant en ce qui concerne les condamnations résultant du présent jugement que celles prononcées par le Tribunal du travail et confirmées en cause d'appel ;

Sur les dommages et intérêts

Attendu que l'inexécution fautive par l'employeur de son obligation au paiement du salaire a privé depuis dix ans le salarié d'une partie de sa rémunération ;

Attendu que T. F. s'est en outre trouvé dans l'obligation d'introduire une action en justice pour obtenir la contrepartie minimum au travail fourni ; que la contestation par la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE de l'existence même d'un minimum salarial en Principauté a retardé indûment l'issue du litige, d'autant que cette société a prétendu de manière abusive que le conflit avec son salarié était un conflit collectif ;

Attendu que T. F. est donc bien fondé à demander réparation du préjudice subi, et résultant de la volonté de la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE de se soustraire à la loi en vigueur en raison de considérations générales d'ordre économique, relatives à la rupture d'un prétendu principe d'égalité entre les entreprises françaises et monégasques ;

Attendu que compte tenu du temps écoulé et de la lourdeur du procès, la somme de 1 000 euros réclamée par T. F. n'excède pas le préjudice réellement subi ; qu'il sera donc fait droit à la demande ; qu'il n'y a en revanche pas lieu de fixer à une date antérieure au présent jugement le point de départ des intérêts sur cette indemnisation, dont le montant est évalué au jour du jugement ;

Sur les dépens

Attendu que, conformément à l'article 231 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Attendu que la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE qui succombe sera donc condamnée aux entiers dépens, de première instance et d'appel ;

Attendu que selon l'article 233 du même Code, les avocats-défenseurs pourront demander la distraction des dépens à leur profit, en affirmant qu'ils ont fait la plus grande partie des avances ;

Attendu qu'il convient de faire droit à la demande de distraction de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sur son affirmation de droit ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

Le Tribunal, statuant contradictoirement, comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Confirme le jugement rendu entre les mêmes parties par le Tribunal du travail le 28 avril 2005 en toutes ses dispositions, et celui en date du 29 mars 2007 en ce qu'il a condamné la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à payer à T. F. la somme complémentaire de 12,16 euros,

Réforme ce dernier jugement pour le surplus,

Condamne la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à payer à T. F. la somme de 1 583,55 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er septembre 2000 au 31 mars 2003, outre celle de 158,35 euros à titre de complément d'indemnité de congés payés pour la même période,

Condamne la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à payer à T. F. la somme de 2 543,87 euros au titre de l'indemnité exceptionnelle de 5 % prévue par l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963 fixant les taux minima des salaires, pour la période du 1er septembre 2000 au 31 mars 2003,

Condamne la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à payer à T. F. les intérêts au taux légal, à compter du 28 avril 2003, des sommes dues en vertu des condamnations ci-dessus et de celles prononcées par le Tribunal du travail et confirmées en cause d'appel,

Condamne la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE à payer à T. F. la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

Condamne la S.A.M. MONTE-CARLO PROTECTION PRIVÉE aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, le 25 MARS 2010, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Président, officier de l'ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, Monsieur Emmanuel ROBIN, Juge, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, Greffier.

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P R I N C I P A U T E D E M O N A C O

Note🔗

Ce jugement confirme les deux décisions rendues par le Tribunal du Travail les 28 avril 2005 et 29 mars 2007.

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