Tribunal de première instance, 4 février 2010, Consorts B. c/ Ministère Public en présence de la Compagnie Monégasque de banque

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Abstract🔗

Blanchiment de capitaux

Blanchiment de capitaux

Séquestre d'avoirs bancaires ordonné par le Président du Tribunal au visa de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 modifiée par la loi n° 1.362 du 3 août 2009

Demande de main levée dans le cadre de la loi modificative

Compétence du Tribunal et non point du juge de référé

Décision de main levée motivée par le défaut d'élément objectif probant susceptible d'établir la réalité des soupçons et de justifier le maintien de cette mesure conservatoire

Résumé🔗

1° Sur la compétence :

La décision de séquestre a été prise le 20 juin 2008 suite au rapport dressé le 19 juin 2008 par le Service d'Information et de Contrôle des Circuits Financiers (SICCFIN) et au visa de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

La loi n° 1.162 a été abrogée par la loi n° 1.362 du 3 août 2009 qui renvoie en son article 209, alinéa 1 aux dispositions des articles 851 et 852 du Code de procédure civile.

Le formalisme légal en résultant permet au Président du Tribunal de proroger une opposition du SICCFIN par une décision de blocage de fonds suivant ordonnance rendue sur pied de requête émanant du Procureur Général.

Quant aux voies de recours, l'article 852 du Code de procédure civile dispose :

« On ne pourra se pourvoir en référé contre une ordonnance sur requête que dans les cas suivants :

1. lorsque cette voie de recours est expressément autorisée par la loi,

2. lorsque, en l'absence d'une prohibition légale, elle aura été formellement réservée par l'ordonnance du juge » ;

Force est de constater que la loi n° 1.362 du 3 août 2009 n'autorise pas expressément une telle voie de recours devant le juge qui a autorisé le séquestre d'une part, alors d'autre part que l'ordonnance du juge en date du 20 juin 2008 ne l'a pas davantage réservée ;

Le parallélisme des formes évoqué par le ministère public ne saurait autoriser le Président qu'à procéder par ordonnance à une mainlevée sollicitée par requête du Procureur Général lui-même, et ce, hors l'intervention de la personne dont les fonds ont été séquestrés ;

Ce justiciable peut en revanche légitimement s'adresser au Tribunal, juridiction de droit commun dont le Président n'est au demeurant que l'émanation, pour solliciter la mainlevée de la mesure prise, à défaut de toute autre voie de droit à elle ouverte par la loi ou la décision critiquée ;

L'exception d'incompétence doit dès lors être rejetée, le grief tiré de l'irrecevabilité de l'assignation n'étant pas opérant en l'état de l'analyse qui précède ;

2° Sur la demande de mainlevée du séquestre :

La décision de séquestre a été prise le 20 juin 2008, suite à un rapport alors dressé le 19 juin 2008 par le SICCFIN expressément visé dans ladite décision ;

Le ministère public ne verse pas aux ébats ledit rapport, ni les éléments éventuels d'investigation ultérieurs ;

Il est au contraire affirmé à la barre, et non au demeurant démenti par le ministère public, qu'une information a été ouverte en Principauté de Monaco et n'a à ce jour débouché sur aucune inculpation d'un membre de la famille B.

M. le Procureur Général, qui observe que les décisions italiennes sont étrangères au séquestre, ne démontre pas que la suspicion ayant motivé la mesure entreprise existe toujours à l'heure où le tribunal statue ;

Il n'est fait état d'aucun élément objectif probant susceptible d'établir la réalité de tels soupçons et de justifier le maintien d'une mesure conservatoire ;

Sans qu'il y ait lieu de renverser la charge de cette preuve, il convient de rappeler que la Principauté de Monaco est un État de droit dans lequel les étrangers jouissant des mêmes droits publics et privés que les nationaux, ont le droit de disposer librement de leurs biens ;

Dès lors qu'il n'est justifié en l'état d'aucun motif de nature à interdire à B., B. et B. de jouir des fonds déposés sur leur compte bancaire et aucune pièce n'étant produite pour établir l'existence voire même la persistance de soupçons pesant sur l'origine des fonds se trouvant sur le compte bancaire de ces derniers, il y a lieu de faire droit à la demande de mainlevée.


Motifs🔗

TRIBUNAL

DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 4 FEVRIER 2010

En la cause de :

1°- M. Bruno A, né le 18 mars 1940 à Leno, de nationalité italienne, demeurant en Italie, via Rossini 121- Fiano (TO) ;

2°- Mme Nicolina épouse A, née le 4 août 1941 à Guilmi, de nationalité italienne, demeurant en Italie, via Rossini 121- Fiano (TO) ;

3°- Mlle Alessandra A, née le 12 mai 1979 à Torino, de nationalité italienne, demeurant en Italie, via Rossini 121- Fiano (TO) ;

DEMANDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

Le Ministère Public, pris en la personne de Monsieur le Procureur Général, domicilié en cette qualité au Palais de Justice de Monaco, rue Bellando de Castro ;

DÉFENDEUR, comparaissant en personne ;

En présence de :

La société anonyme monégasque dénommée COMPAGNIE MONÉASQUE DE BANQUE, établissement institué gardien ayant son siège social 23 avenue de la Costa à Monaco, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Considérant les faits suivants :

Suivant exploit du 21 janvier 2010, B. B., N. épouse B. et A. B. ont fait assigner M. le Procureur Général, en présence de la société anonyme monégasque COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE, à l'effet de voir ordonner la mainlevée de la mesure de séquestre ordonnée le 20 juin 1998 - en réalité 2008 - sur le compte n° 271174 appartenant aux consorts B ouvert dans les livres de la COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE ;

M. le Procureur Général a pris des conclusions écrites le 26 janvier 2010 aux termes desquelles il conclut à l'incompétence du Tribunal de première instance et à l'irrecevabilité de l'assignation dirigée à son encontre ;

Rappel des faits :

Mme le Président du Tribunal de première instance de la Principauté de Monaco a, suivant ordonnance du 20 juin 2008 et au visa de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 modifiée relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux, ordonné le séquestre immédiat des avoirs détenus sur le compte numéro 271174 ouvert au nom de B. B. dans les livres de l'établissement bancaire COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE et confié ledit séquestre à cet établissement à l'effet d'assurer les fonctions de gardien jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné ;

Procédure - moyens et prétentions des parties :

Par assignation du 21 janvier 2010, B. B., N. épouse B. et A. B. entendent voir lever la mesure de séquestre ordonnée le 20 juin 2008 sur le compte leur appartenant ouvert dans les livres de la COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE en faisant valoir pour l'essentiel :

  • que si une instruction est ouverte en Principauté de Monaco au cabinet du juge NEDELEC du chef de blanchiment ils n'ont fait l'objet d'aucune inculpation depuis le blocage intervenu il y a dix huit mois,

  • qu'en Italie, la société B. B., administrée par A. B. et ayant pour activité l'exécution de marchés publics, faisait partie du consortium SAN MARINO, encore nommé CES (Consortium Entrepreneurs Subalpini),

  • que les membres de ce consortium se sont vu reprocher en Italie des faits de « corruption impropre », infraction prévue par l'article 328 du Code pénal italien réprimant la corruption de l'agent public afin que celui-ci agisse conformément à ses fonctions,

  • qu'il a été interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal Ordinaire de Turin le 28 avril 2008 ayant condamné les membres du consortium précité, parmi lesquels la société B. B.,

  • que ni N. B., ni sa fille A. n'ont été poursuivies ni condamnées en Italie,

  • que les faits par ailleurs reprochés à M. B. dans le cadre de la procédure italienne se sont déroulés entre 1985 et 2000, tandis que le compte ouvert par la famille B. auprès de la COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE le 27 décembre 2006 n'a été alimenté que courant 2007, soit sept années après les faits reprochés,

  • que ces fonds n'ont pas d'origine illicite, alors que l'infraction italienne d'entente dans l'attribution de marchés publics n'a pas son équivalent en Principauté de Monaco, en sorte qu'aucune infraction de blanchiment n'est susceptible d'être reprochée à Monaco,

  • que la mesure de blocage aux fins de sauvegarde prévue par la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 n'est pas fondée et la mainlevée doit en être ordonnée ;

M. le Procureur Général a par des écrits judiciaires datés du 26 janvier 2010 conclu à l'incompétence de la juridiction de céans en ces termes : « ... La loi 1.362 du 3 août 2009, succédant à la loi 1.162 du 7 juillet 1993 renvoie expressément aux dispositions des articles 851 et 852 du Code de procédure civile ; le séquestre ayant été ordonné par Mme le Président du Tribunal de première instance, il ne peut, de l'avis du ministère public, être levé que par la même Autorité », tout en sollicitant en définitive que le Tribunal se déclare « incompétent » et déclare « irrecevable l'assignation du Ministère Public » ;

Les parties demanderesses ayant quant à elles plaidé que le Tribunal de première instance, juridiction de droit commun, est bien compétent, à défaut de toute mention spéciale dans l'ordonnance sur requête ou dans la loi attribuant une compétence dérogatoire à une autre juridiction, il a été demandé au ministère public s'il entendait se réserver de conclure ultérieurement au fond sur la demande de mainlevée ;

M. le Procureur Général ayant au contraire sollicité que l'affaire soit retenue en l'état sans produire de conclusion écrite sur le bien fondé de la demande, il a fait valoir oralement les moyens suivants, dont la teneur est consignée au plumitif d'audience :

  • le présent séquestre est étranger à la procédure pénale suivie en Italie,

  • le séquestre trouve son fondement dans les soupçons pesant sur l'origine des fonds, qui pourraient provenir d'un délit commis à l'étranger,

  • les demandeurs ne rapportent pas la preuve de l'origine non frauduleuse des fonds séquestrés depuis 2008,

  • en présence de soupçons existant, il convient de maintenir le blocage et de rejeter la demande de mainlevée ;

La COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE, par courrier du 25 janvier 2010, indiquant que le montant global des avoirs détenus, s'élevait à la somme de 725 230 euros, a déclaré s'en rapporter à justice ;

Sur ce,

Motifs de la décision

1. - Sur la compétence :

Attendu que la décision de séquestre a été prise le 20 juin 2008 suite au rapport dressé le 19 juin 2008 par le Service d'Information et de Contrôle des Circuits Financiers (SICCFIN) et au visa de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux ;

Attendu que la loi n° 1.162 a été abrogée par la loi n° 1.362 du 3 août 2009 qui renvoie en son article 209, alinéa 1 aux dispositions des articles 851 et 852 du Code de procédure civile ;

Que le formalisme légal en résultant permet au Président du Tribunal de proroger une opposition du SICCFIN par une décision de blocage de fonds suivant ordonnance rendue sur pied de requête émanant du Procureur Général ;

Attendu quant aux voies de recours, que l'article 852 du Code de procédure civile dispose :

« On ne pourra se pourvoir en référé contre une ordonnance sur requête que dans les cas suivants :

1. lorsque cette voie de recours est expressément autorisée par la loi

2. lorsque, en l'absence d'une prohibition légale, elle aura été formellement réservée par l'ordonnance du juge » ;

Attendu que force est de constater que la loi n° 1.362 du 3 août 2009 n'autorise pas expressément une telle voie de recours devant le juge qui a autorisé le séquestre d'une part, alors d'autre part que l'ordonnance du juge en date du 20 juin 2008 ne l'a pas davantage réservée ;

Attendu que le parallélisme des formes évoqué par le ministère public ne saurait autoriser le Président qu'à procéder par ordonnance à une mainlevée sollicitée par requête du Procureur Général lui-même, et ce, hors l'intervention de la personne dont les fonds ont été séquestrés ;

Attendu que ce justiciable peut en revanche légitimement s'adresser au Tribunal, juridiction de droit commun dont le Président n'est au demeurant que l'émanation, pour solliciter la mainlevée de la mesure prise, à défaut de toute autre voie de droit à elle ouverte par la loi ou la décision critiquée ;

Attendu que l'exception d'incompétence doit dès lors être rejetée, le grief tiré de l'irrecevabilité de l'assignation n'étant pas opérant en l'état de l'analyse qui précède ;

2. - Sur la demande de mainlevée du séquestre :

Attendu que la décision de séquestre a été prise le 20 juin 2008, suite à un rapport alors dressé le 19 juin 2008 par le SICCFIN expressément visé dans ladite décision ;

Attendu que le ministère public ne verse pas aux débats ledit rapport, ni les éléments éventuels d'investigation ultérieurs ;

Qu'il est au contraire affirmé à la barre, et non au demeurant démenti par le ministère public, qu'une information a été ouverte en Principauté de Monaco et n'a à ce jour débouché sur aucune inculpation d'un membre de la famille B. ;

Que M. le Procureur Général, qui observe que les décisions italiennes sont étrangères au séquestre, ne démontre pas que la suspicion ayant motivé la mesure entreprise existe toujours à l'heure où le Tribunal statue ;

Qu'il n'est fait état d'aucun élément objectif probant susceptible d'établir la réalité de tels soupçons et de justifier le maintien d'une mesure conservatoire ;

Attendu que sans qu'il y ait lieu de renverser la charge de cette preuve, il convient de rappeler que la Principauté de Monaco est un État de droit dans lequel les étrangers jouissant des mêmes droits publics et privés que les nationaux, ont le droit de disposer librement de leurs biens ;

Que dès lors qu'il n'est justifié en l'état d'aucun motif de nature à interdire à B. B., N. épouse B. et A. B. de jouir des fonds déposés sur leur compte bancaire et aucune pièce n'étant produite pour établir l'existence voire même la persistance de soupçons pesant sur l'origine des fonds se trouvant sur le compte bancaire de ces derniers, il y a lieu de faire droit à la demande de mainlevée ;

Attendu que les dépens doivent demeurer à la charge du Trésor ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Vu l'ordonnance du 20 juin 2008 et l'article 852 du Code de procédure civile,

Rejette l'exception d'incompétence ;

Ordonne la mainlevée du séquestre des avoirs détenus sur le compte ouvert auprès de la COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE sous le numéro 271174 prescrit par ordonnance présidentielle du 20 juin 2008 ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, le 4 FEVRIER 2010, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Président, officier de l'ordre de Saint-Charles, Madame Michèle HUMBERT, Juge, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, Greffier.

Note🔗

NOTE : Ce jugement a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par le ministère public et ordonne la mainlevée du séquestre des avoirs détenus sur le compte ouvert auprès de la Compagnie Monégasque de Banque sous tel numéro, prescrit par ordonnance présidentielle du 20 juin 2008.

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