Tribunal de première instance, 22 septembre 2009, G. R. c/ Banque J. Safra S.A.

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Abstract🔗

Banques

Responsabilité

- Recevabilité de l'action en justice contre la banque en l'absence de réclamation, dans les 30 jours, à la réception du relevé de comptes

- Manquement à l'obligation de conseil quant à la gestion de titres dûment conseillés par le préposée de la banque entraînant une perte de chance pour le client justifiant la condamnation de la banque à des dommages et intérêts

Résumé🔗

Sur la fin de non recevoir tirée de la forclusion :

Il ne fait pas débat que les conditions générales accessoires aux conventions d'ouverture des comptes numéro 7337 et 7601 dont il a été reconnu seul titulaire, ont été signées par R. G. et elles lui sont donc opposables ;

L'article 5 desdites conditions générales prévoit que « l'accord du client sur les opérations portées à son compte est réputé acquis en l'absence de réclamation de sa part par écrit dans le délai de trente jours à compter de la réception de son relevé de compte ».

Ce délai, qui à court à compter de la réception des documents bancaires, n'empêche pas pour autant le mandat d'agir en justice dès lors qu'il emporte seulement présomption simple de la réalité et de la conformité aux mandats des opérations qu'il contient, et, par suite, inversion de la charge de la preuve.

Il en résulte qu'à défaut de pouvoir être déclarée forclose, la demande est recevable.

Sur le fond :

R. G. est ainsi présumé avoir adhéré aux achats et ventes des actions litigieuses, pour certains très spéculatives et à risques élevés de pertes à brève échéance, dès lors qu'il est censé avoir eu accès, notamment par son mandataire spécial, à l'ensemble des informations concernant son compte d'investissements numéro 7106, et avoir été en mesure de vérifier, en direct et au jour le jour, leur évolution tant en ce qui concerne la composition du portefeuille de valeurs détenues que sa valorisation et ses performances ;

Enfin il sera observé que la réparation des préjudices financiers, à les supposer réalisés, découlerait de l'évaluation de la perte d'une chance de récupérer tous les fonds investis, ou de minimiser les pertes dans une conjoncture défavorable ;

S'agissant des opérations portant sur l'achat de titres « argentins » ayant généré une moins-value théorique de 494 532,42 euros à la date du 14 février 2005, force est de constater l'existence d'un document en date du 22 octobre 2002, dont il n'est pas contesté qu'il émanait d'un responsable de la banque susceptible de l'engager valablement, transmis par télécopie à G. R., considéré en tant que représentant les intérêts de R. G., qui démontre à suffisance l'intention du banquier de se reconnaître une certaine responsabilité quant aux conséquences préjudiciables (« perte latente actuelle ») de l'achat d'obligations « Argentina », au prix de 102,99 euros, tombé à 17,50 euros en octobre 2002, en relation directe avec des « conseils donnés par l'un de nos employés », afin de maintenir des relations de clientèle qualifiées d'« excellentes », et, précision essentielle, « sans vouloir remettre en cause notre responsabilité » ;

Ce faisant, la banque a contracté envers son client une obligation de conseil équivalente à une obligation de moyen renforcée, relative à la gestion des obligations argentines acquises à l'initiative de son préposé : « nous ne manquerons pas de vous aider à suivre plus particulièrement cette proposition et de vous proposer éventuellement les solutions techniques visant à rattraper la perte actuelle, et ce, si possible avant l'échéance de ces obligations », prévue pour le 26 février 2008 ;

Cette obligation singulière a été contractée en connaissance et en dépit du profil du client et a pour incidence de paralyser, s'agissant des obligations argentines, les effets de toute clause exonératoire quant à l'exécution d'ordres exempté de tout implication dans la décision d'opportunité ;

Il en résulte que les pertes consécutives aux moins values afférentes aux obligations argentines, quelles que soient leur dénomination, la date de leur acquisition et le compte-support des opérations, ont été reconnues comme étant durables dans leur principe par suite d'un risque avéré de défaillance de l'émetteur de ces obligations, de l'aveu même du responsable de la banque, et doivent ainsi prises en charge par cette dernière au regard de l'obligation contractée et de la responsabilité induite, à concurrence de la perte de chance de récupérer le déficit théorique résultant de la variation du cours après déduction des coupons encaissés.

Faute de toute donnée chiffrée à la date du terme fixé ou proche de celui-ci, sur des pertes potentielles ou réelles, il y a lieu de prendre en considération le contenu des pièces afférentes aux comptes susvisés versées aux débats par les parties, au demeurant non contradictoires.

Au vu de ces pièces, il apparaît raisonnable d'évaluer cette perte de chance à la somme de 220 000 euros que la défenderesse sera condamnée à payer à R. G. à titre de dommages et intérêts.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 22 SEPTEMBRE 2009

En la cause de :

M. Rodolfo X, de nationalité italienne, né le 29 août 1956 à Milan, demeurant immeuble [...] à Monaco ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur, substituée par Maître Sophie LAVAGNA-BOUHNIK, avocat-défenseur en cette même Cour ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée BANQUE J. SAFRA (Monaco) SA (anciennement BANQUE DU GOTHARD), dont le siège social est 17 avenue d'Ostende à Monaco, prise en la personne de son Président délégué en exercice demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 19 octobre 2006, enregistré (n° 2007/000115) ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la société BANQUE J. SAFRA (Monaco) SA, en date des 18 avril 2007, 12 mars, 15 octobre 2008 et 5 mars 2009 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Rodolfo X, en date des 16 janvier, 3 juillet 2008 et 14 janvier 2009 ;

Ouï Maître Sophie LAVAGNA-BOUHNIK, avocat-défenseur, substituant Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, pour Rodolfo X, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour la société BANQUE J. SAFRA (Monaco) SA, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

Considérant les faits suivants :

Au cours de l'année 1996, R. G. a signé auprès de la société BANQUE DU GOTHARD, deux actes :

  • un contrat d'ouverture d'un compte n° 7337 à son nom,

  • un contrat d'ouverture d'un compte n° 7601 sous l'intitulé « G. »,

  • des conditions générales « de fonctionnement des comptes » ;

R. G. expose que de l'année 1998 à l'année 2001, la banque a procédé, sans ordres, à des opérations d'acquisitions et de ventes de titres très spéculatifs, et qu'il les a contestées dès leur découverte, ce qui a donné lieu à un courrier en réponse de la banque en date du 22 octobre 2002 ;

Par acte d'huissier en date du 19 octobre 2006, R. G. a fait assigner la société anonyme monégasque dénommée « BANQUE J. SAFRA (Monaco) SA », dont le siège social est situé à Monaco, prise en la personne de son représentant légal, venant aux droits de la BANQUE DU GOTHARD, à l'effet de s'entendre :

  • dire et juger qu'elle a été défaillante dans ses obligations contractuelles et légales par suite de l'accomplissement d'opérations hors mandat de gestion, sans ordres préalables et sans conclusion d'une convention écrite décrivant ses obligations, au visa de la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées, et de l'ordonnance n° 13.184 modifiée par celle n° 14.966 du 27 juillet 2001,

  • dire qu'elle est ainsi responsable des pertes financières subies,

  • condamner la banque à lui payer la somme de 615 138,29 euros au titre du préjudice financier consécutif aux pertes cumulées, outre intérêts légaux à compter de l'assignation,

  • condamner en outre la banque à lui payer la somme de 60 000 euros pour le préjudice lié aux frais de procédure et au manque à gagner dans le cadre de placements des fonds perdus,

  • condamner la banque aux dépens dont distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Au moyen de conclusions déposées le 2 mai 2007, la SAM BANQUE J. SAFRA Monaco :

  • soulève l'irrecevabilité des demandes au visa de l'article 989 du Code civil et de l'article 5 des conditions générales des deux conventions d'ouverture de comptes en ce que l'action aurait été initiée postérieurement au délai contractuel de forclusion de trente jours commençant à courir à compter de la réception des relevés de compte qui mentionnent les opérations présumées acceptées de manière irréfragable, en l'espèce contestées par écrit très tardivement, soit plusieurs années après réception, alors que le demandeur serait domicilié à Monaco et dirigerait une société monégasque,

  • subsidiairement, sollicite le rejet des demandes pour n'avoir commis aucun manquement dans l'exécution des contrats au regard de l'obligation de conseil, de loyauté et d'information,

  • en l'absence de preuve de toute gestion de fait à l'insu du client, le défaut de confirmation écrite des ordres n'en tenant pas lieu, la gestion ayant même été déléguée le 21 février 2001 à un dénommé R., administrateur de la SAM FINANCIAL STRATÉGIE,

  • au regard des compétences du client dont la fiche mentionne un niveau de connaissance élevé des marchés financiers,

  • par suite de l'impossibilité d'anticiper la chute de valeur des obligations argentines, et plus généralement des marchés financiers au cours de la période 2000-2001,

  • plus subsidiairement, sollicite un débouté faute de préjudice né et actuel, les moins values latentes devant le cas échéant être amputées des versements de coupons (180 000 euros de février 1999 à mars 2001 sur le compte n° 7337),

  • en tout état de cause, réclame une condamnation du demandeur aux dépens dont distraction au profit de Maître Franck MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Au moyen de conclusions déposées le 16 janvier 2008, R. G. maintient ses prétentions et il sollicite le rejet de celles soutenues par la banque, motifs pris de ce que :

  • le défaut de contestation écrite dans le délai de trente jours fait naître une présomption simple de régularité des opérations portées à la connaissance du client et n'emporte ni renonciation au droit d'agir contre la banque, ni forclusion,

  • la preuve du défaut de mandat écrit en violation des prescriptions légales ne doit pas être rapportée par le client,

  • l'existence de pourparlers a retardé la phase judiciaire,

  • la perte au titre des obligations argentines est de 494 532,42 euros au mois d'octobre 2006 ;

Au sein de ses conclusions déposées le 22 avril 2008, la banque réplique :

  • que la loi de 1997 ne considère pas comme étant irrégulières les clauses de limitation dans le temps des contestations,

  • que ne pas appliquer la forclusion reviendrait à dénaturer la clause,

  • subsidiairement, que la présomption emportant inversion de la charge de la preuve, il appartient au client de démontrer que les opérations ne sont pas conformes à ses instructions, ce qu'il ne fait pas dès lors que les éléments sont contraires (contestation tardive, absence de reconnaissance de sa responsabilité par la banque, concomitance de l'action avec une affaire correctionnelle pendante qui fait « contagion », pertes en relation avec la crise financière généralisée de la fin de l'année 2000) ;

Par des conclusions déposées le 4 juillet 2008, le demandeur insiste sur la recevabilité de l'action au regard du droit supérieur pour tout justiciable de faire entendre sa cause en justice en dehors de la prescription légale, ainsi que sur le moyen tiré de l'absence d'écrit de nature à entraîner « de facto » l'irrégularité des opérations querellées, ajoutant qu'un arrêt de la Cour d'appel de Monaco, statuant correctionnellement à l'égard de ses dirigeants, en date du 7 avril 2008, a mis en évidence les manquements de la banque à ses devoirs d'information et de conseil et a consacré le droit à dédommagement de ses clients victimes ;

Au moyen de conclusions déposées le 15 octobre 2008, la SAM BANQUE J. SAFRA Monaco fait valoir :

  • que l'absence de mandat écrit s'explique par le défaut de tout mandat de gestion à elle confié,

  • que son client averti a souhaité au contraire gérer son portefeuille et transmettre ses ordres téléphoniquement,

  • que R. G. n'ignorait rien des investissements en obligations argentines souscrites en mai 1998 dès lors qu'il en a perçu les coupons jusqu'à sa réclamation verbale en octobre 2002,

  • les manquements imputés ne peuvent se déduire d'un arrêt étranger à la cause et frappé de pourvoi ;

Le 14 janvier 2009, R. G. a déposé des écritures afin de préciser que l'absence de mandat écrit est acquise aux débats, qu'un projet de lettre confirme l'existence de négociations entraînant reconnaissance, à tout le moins implicite, d'une responsabilité quant aux titres argentins, et le retard pris pour apporter une solution au litige ;

Enfin, par des écritures déposées le 5 mars 2009, la banque ajoute une demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que le moyen suivant lequel l'irrecevabilité découlerait du délai non raisonnable pour émettre la contestation, soit à l'issue d'une période de six années, insistant en outre sur le profil de « spéculateur » du demandeur (confirmé par l'examen des investissements constants de ses comptes et sous-comptes) qui ferait l'impasse sur les nombreuses plus-values générées par son portefeuille ainsi que sur les coupons perçus (sur le compte 7337 : 180 000 euros pour les titres argentins, 19 760,96 euros sur le compte n° 7601) et les dividendes versés (260 000 euros du 16 septembre 1997 au 27 avril 2005) ;

Motifs :

Sur la fin de non recevoir tirée de la forclusion :

Attendu qu'il ne fait pas débat que les conditions générales accessoires aux conventions d'ouverture des comptes numéros 7337 et 7601 dont il a été reconnu seul titulaire, ont été signées par R. G. et qu'elles lui sont donc opposables ;

Attendu que l'article 5 desdites conditions générales prévoit que « l'accord du Client sur les opérations portées à son compte est réputé acquis en l'absence de réclamation de sa part par écrit dans le délai de trente jours à compter de la réception de son relevé de compte » ;

Attendu que ce délai, qui court à compter de la réception des documents bancaires, n'empêche pas pour autant le mandant d'agir en justice dès lors qu'il emporte seulement présomption simple de la réalité et de la conformité aux mandats des opérations qu'il contient, et, par suite, inversion de la charge de la preuve ;

Attendu qu'il en résulte qu'à défaut de pouvoir être déclarée forclose, la demande est recevable ;

Sur le fond :

Attendu que la loi du 9 juillet 1997 et l'ordonnance du 16 septembre 1997 prise pour son application n'étaient pas en vigueur au moment de la signature des conventions litigieuses au cours de l'année 1996, en sorte que R. G. ne saurait s'en prévaloir faute de justifier d'un cas d'application immédiate de la loi aux contrats en cours, voire à défaut de nouveaux contrats emportant novations ;

Attendu qu'en l'absence de preuve de l'existence d'un mandat étendu à la gestion du portefeuille de titres, c'est le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, énoncée aux articles 1001 et suivants du Code civil, qui s'applique, aux fins de sanctionner les éventuels manquements de la banque dans l'accomplissement de ses obligations nées de la souscription des seules conventions d'ouverture de comptes de titres énoncées aux articles 15 et suivants des conditions générales, et ce, en tant que gestionnaire de comptes affectés au dépôt et à la garde des titres ;

Attendu qu'en cette qualité, elle est tenue d'assurer la conservation des titres en dépôt et, plus globalement, le fonctionnement des comptes, ce qui recoupe notamment l'exécution des ordres transmis par le client, « par écrit » ou par « tout autre moyen », sous réserve, le cas échéant, et à la seule discrétion de la banque, de confirmation écrite ;

Attendu que la seule exception notable en matière de gestion relative au fonctionnement des comptes de titres est circonscrite à des opérations portant sur les droits qui y sont attachés, essentiellement à l'occasion de la perception des dividendes et des coupons, voire dans le cadre d'événements susceptibles d'affecter les titres eux-mêmes ;

Attendu que le respect de ces obligations n'autorise et n'implique aucune ingérence de la banque dans la gestion individuelle du portefeuille par son client, notamment quant à l'opportunité des investissements et la composition du portefeuille, ce qui résulte d'ailleurs des stipulations contenues à l'article 18 des conditions générales ;

Attendu cependant qu'elle n'est pas exclusive de toute obligation d'information, ce qui ressort des termes des conditions générales qui font peser sur la banque une obligation d'information en tant que dépositaire professionnel rémunéré, variable en fonction de certains critères objectifs, au regard notamment du profil du client, et matérialisée par l'accomplissement de certains actes, expressément envisagés (relevés de compte, avis d'opéré, droits attachés aux titres...) ou, sans forme exigée, consubstantiels au fonctionnement des comptes de dépôt des titres ;

Attendu que les stipulations contractuelles précitées suivant lesquelles, à l'expiration d'un délai précis, les opérations reportées sur les relevés de compte et les avis d'opéré sont réputées matériellement accomplies et présumées conformes aux instructions données, ne sont pas prohibées par la loi dès lors que les présomptions, simples en l'espèce, demeurent des modes de preuve admissibles ;

Attendu qu'il n'est pas justifié d'une contestation écrite portant sur des opérations précises dans les délais susvisés, la seule pièce exploitable étant en définitive un projet de courrier du responsable de la banque adressé au fondé de pouvoir du client, faisant expressément référence à la position de ce dernier quant à des conseils donnés par un préposé de la banque pour l'achat d'obligation argentines le 4 avril 2001 ;

Attendu que ce projet de courrier remontant au mois d'octobre 2002 n'a été précédé d'aucune contestation écrite de la part de R. G., en sorte que, dans tous les cas, le délai prescrit n'a pas été observé par ce dernier qui supporte finalement la charge de la preuve d'une dissociation entre ses instructions et les opérations, quelles qu'elles soient, contenues au sein des documents bancaires présumés acceptés ;

Attendu que s'il s'induit du contenu des conventions que les ordres étaient normalement écrits, les parties n'ont pas entendu écarter toute possibilité de faire usage d'autres moyens, notamment téléphoniques ou par télécopie ;

Attendu que dans le cadre de l'utilisation éventuelle de tels procédés, a été prévue une décharge de responsabilité au titre des risques inhérents à la transmission de ces ordres, lesquels devaient être enregistrés et confirmés par écrit sans que le défaut de confirmation puisse être invoqué par le client pour contester l'ordre exécuté, l'enregistrement faisant foi en l'absence de confirmation écrite ;

Attendu que s'agissant plus spécialement du compte « G » numéro 7601, objet d'une procuration au bénéfice d'un financier et manifestement l'instrument d'opérations fortement spéculatives, une convention spécifique dite «sur opérations à risque », a été signée le 11 décembre 2001 par le titulaire ou son mandataire, laquelle prévoit de manière encore plus explicite, sans novation des conventions antérieures, laquelle ne se présume pas, et de nouveau hors tout mandat de gestion, la faculté pour le client, à son initiative et sous sa propre responsabilité, de donner des instructions par des moyens alternatifs (fax, téléphone) en contrepartie, d'une part, d'une décharge de responsabilité au bénéfice de la banque, y compris quant à d'éventuels conseils sur l'opportunité des investissements, d'autre part, de l'avertissement d'un enregistrement possible pour chaque ordre faisant foi en cas de contestation ;

Attendu qu'il ressort d'un tableau établi et versé aux débats par R. G. que les opérations qu'il conteste concernent des achats d'actions figurant sur le compte numéro 7601, qu'il considère non conformes à ses instructions et inopportunes au vu des risques encourus :

  • « TECNOST » : achat du 09.06.2000 pour une valeur de 102 497,50 euros, et vente le 03.11.2000 ayant généré une perte de 4 889,50 euros,

  • « TECNOST » : achat du 06.03.2000 pour un montant de 109 250 euros, et vente le 13.06.2000 avec une perte de 3 750 euros (3,43 %), ligne présentant une moins value de 100 % au 20.06.2000,

  • « SEAT PAGINE GIALLE » : achat le 06.03.2000 à concurrence de 93 150 euros, et vente le 02.11.2000 moyennant une perte de 44 250 euros (47,50 %) ;

  • « TELECOM ITALIA » : achat du 06.03.2000 pour une somme de 91 950 euros, vente le 02.11.2000 et perte de la somme de 23 700 euros (25,77 %) ;

Attendu que ces données permettent de mettre en évidence que ces titres sont de nature et d'exposition aux risques très variables, et que l'investissement global, qui porterait ainsi sur une somme totale de 436 627,50 euros, aurait engendré une perte moyenne, réalisée ou potentielle, de l'ordre de 36 % sur une période échelonnée de huit mois environ ;

Attendu qu'en dépit de disparités évidentes, cette situation globale n'apparaît pas pour autant révélatrice d'engagements disproportionnés au regard de la nature du compte numéro 7601 et de la valorisation moyenne du portefeuille de titres durant cette période, dès lors qu'elle ne représenterait qu'environ 50 % de cette valorisation correspondant à une part en actions de 43,75 % ;

Attendu qu'en tout état de cause, la responsabilité de la banque ne peut découler de la seule invocation de l'absence d'ordres écrits, pas plus que de désagréments résultant d'investissements jugés a posteriori inopportuns ou de sous performances ;

Attendu qu'il est incontestable que R. G. qui se borne à invoquer de prétendues entorses à un formalisme légal, pourtant non applicable de plein droit, ainsi que des pertes financières arithmétiques découlant d'investissements non consentis, ne rapporte pas la preuve adéquate qui aurait permis de contrecarrer l'application de la présomption simple tirée du report de ces opérations sur les relevés bancaires ;

Attendu qu'à défaut de démonstration de l'absence de tout consentement éclairé ou libre dans l'accomplissement des actes successifs, ce qui implique la preuve de l'existence d'une insanité d'esprit ou d'un dol, voire de contraintes morales, et faute de preuve conforme de l'existence d'un mandat de gestion, même tacite ou « de fait », laquelle ne peut émaner que de la personne contre laquelle on veut prouver, R. G. ne peut prétendre avoir bénéficié, s'agissant de ces actions, d'engagements de la banque supérieurs à ceux décrits au sein des conventions précitées ;

Attendu qu'à cet égard, il n'est pas justifié de comportements de la banque ou de son préposé, ayant eu pour effet d'inciter précisément R. G. homme d'affaire manifestement rompu aux opérations financières, à acheter des titres très spéculatifs, a priori en cohérence avec l'essence même de la convention validée par son gestionnaire professionnel immédiatement après les opérations incriminées et dans leur prolongement ;

Attendu que même à les supposer abusifs, ces engagements seraient difficilement générateurs d'une responsabilité contractuelle en présence de clauses exonératoires expresses, lesquelles ne pourraient être écartées qu'en raison d'un comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du banquier, en tant que débiteur de l'obligation, à l'accomplissement de sa mission contractuelle ;

Attendu que la faute lourde dont s'agit peut notamment résulter d'une inexécution ou d'une mauvaise exécution des ordres du client en dehors de tout élément absolutoire prévu par les clauses de décharge, d'une présentation fallacieuse, par la banque, de l'évolution des actifs de son client au point de le tromper sur la nature et sur le montant de ses investissements, ou d'une implication forte dans l'orientation du portefeuille traduisant une volonté d'en tirer des bénéfices exclusifs des intérêts de son client ;

Attendu que cette preuve spécifique, qui fait manifestement défaut dans la cause, ne peut être suppléée par une preuve par analogie, non admissible et dans tous les cas insuffisantes, qui consisterait en une simple référence à un procès pénal au sein duquel R. G. n'était pas partie et qui aurait entraîné la condamnation d'un préposé de la banque et, de manière moins importante, de deux anciens dirigeants, que R. G. aurait connus et avec lesquels il aurait eu des relations supposées « de clientèle » ;

Attendu que R. G. est ainsi présumé avoir adhéré aux achats et ventes des actions litigieuses, pour certaines très spéculatives et à risques élevés de pertes à brève échéance, dès lors qu'il est censé avoir eu accès, notamment par son mandataire spécial, à l'ensemble des informations concernant son compte d'investissements numéro 7106, et avoir été en mesure de vérifier, en direct et au jour le jour, leur évolution tant en ce qui concerne la composition du portefeuille de valeurs détenues que sa valorisation et ses performances ;

Attendu enfin qu'il sera observé que la réparation des préjudices financiers, à les supposer réalisés, découlerait de l'évaluation de la perte d'une chance de récupérer tous les fonds investis, ou de minimiser les pertes dans une conjoncture défavorable ;

Attendu qu'en l'absence de preuve des éléments propres à la consécration de la responsabilité contractuelle civile de droit commun, il y a donc lieu de débouter R. G. de ses demandes relatives aux préjudices liés aux seules opérations sur les actions susdites ;

Attendu que s'agissant des opérations portant sur l'achat de titres « argentins » ayant généré une moins-value théorique de 494 532,42 euros à la date du 14 février 2005, force est de constater l'existence d'un document en date du 22 octobre 2002, dont il n'est pas contesté qu'il émanait d'un responsable de la banque susceptible de l'engager valablement, transmis par télécopie à G. R., considéré en tant que représentant les intérêts de R. G. qui démontre à suffisance l'intention du banquier de se reconnaître une certaine responsabilité quant aux conséquences préjudiciables (« perte latente actuelle ») de l'achat d'obligations « Argentina », au prix de 102,99 euros, tombé à 17,50 euros en octobre 2002, en relation directe avec des « conseils donnés par l'un de nos employés », afin de maintenir des relations de clientèle qualifiées d'« excellentes », et, précision essentielle, « sans vouloir remettre en cause notre responsabilité » ;

Attendu que ce faisant, la banque a contracté envers son client une obligation de conseil équivalente à une obligation de moyen renforcée, relative à la gestion des obligations argentines acquises à l'initiative de son préposé : « nous ne manquerons pas de vous aider à suivre plus particulièrement cette position et de vous proposer éventuellement les solutions techniques visant à rattraper la perte latente actuelle, et ce, si possible avant l'échéance de ces obligations », prévue pour le 26 février 2008 ;

Attendu que cette obligation singulière a été contractée en connaissance et en dépit du profil du client et a pour incidence de paralyser, s'agissant des obligations argentines, les effets de toute clause exonératoire quant à l'exécution d'ordres exempte de tout implication dans la décision d'opportunité ;

Attendu qu'il en résulte que les pertes consécutives aux moins values afférentes aux obligations argentines, quelles que soient leur dénomination, la date de leur acquisition et le compte-support des opérations, ont été reconnues comme étant durables dans leur principe par suite d'un risque avéré de défaillance de l'émetteur de ces obligations, de l'aveu même du responsable de la banque, et doivent ainsi être prises en charge par cette dernière au regard de l'obligation contractée et de la reconnaissance de responsabilité induite, à concurrence de la perte de chance de récupérer le déficit théorique résultant de la variation du cours après déduction des coupons encaissés ;

Attendu que faute de toute donnée chiffrée à la date du terme fixé ou proche de celui-ci, sur des pertes potentielles ou réelles, il y a lieu de prendre en considération le contenu des pièces afférentes aux comptes susvisés versées aux débats par les parties, au demeurant non contradictoires ;

Attendu qu'au vu de ces pièces, il apparaît raisonnable d'évaluer cette perte de chance à la somme de 220 000 euros que la défenderesse sera condamnée à payer à R. G. à titre de dommages et intérêts ;

Attendu que la demande en dommages et intérêts accessoire ne peut être fondée sur la perte financière consécutive à la privation des fonds liée aux opérations susdites, sauf à entériner une double réparation pour le même préjudice ;

Attendu en revanche que la banque a manqué de loyauté en s'étant abstenue de tirer toutes les conséquences de son engagement pris envers son client au mois d'octobre 2002, l'ayant ainsi exposé à des pertes accrues et l'ayant contraint de surcroît à initier une procédure judiciaire, ce qui justifie l'allocation d'une somme de 10 000 euros de ce chef ;

Attendu que la demande reconventionnelle de la banque est privée de tout fondement par suite de la consécration de certaines prétentions de R. G. dont les récriminations sont partiellement légitimées ;

Attendu que la SAM BANQUE J. SAFRA (MONACO), qui succombe pour l'essentiel, sera condamnée aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement contradictoire,

Rejette la demande d'irrecevabilité formée par la SAM BANQUE J. SAFRA (MONACO) au titre de la forclusion ;

Dit que la SAM BANQUE J. SAFRA (MONACO) est responsable envers R. G., dûment conseillé par le préposé de la banque, de la perte de chance de récupérer le déficit découlant d'opérations ayant porté sur des obligations dites « argentines » ;

Condamne la SAM BANQUE J. SAFRA (MONACO) à payer à R. G. la somme de 220 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice ;

Condamne la SAM BANQUE J. SAFRA (MONACO) à payer à R. G. la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la SAM BANQUE J. SAFRA (MONACO) aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Joëlle PASTORBENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Mme DORATO-CHICOURAS, V.-Prés ; M. RAYMOND, Juge supplt. du Subst. Proc. Gén. ; Mes PASTOR-BENSA et MICHEL, av. déf.

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