Tribunal de première instance, 19 février 2009, Z. c/ Procureur Général, S.A.M. Crédit Foncier de Monaco

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Abstract🔗

Exécution des jugements étrangers

Décisions du juge tutélaire italien

- Plaçant une personne sous le régime de la protection judiciaire et lui désignant un administrateur lequel doit procéder à des actes d'exécutions matérielles sur des biens se trouvant à Monaco (dans un établissement bancaire)

- Effet de plein droit à Monaco des décisions étrangères relatives à l'état et la capacité des personnes

- Exequatur nécessaire quant à l'exécution des biens

- Application de l'article 473 du Code de procédure civile sans examen du fond étant donné que la réciprocité avec la Principauté est admise par l'Italie

- Application de l'article 475 du Code de procédure civile : les pièces produites étant conformes à cet article

Résumé🔗

S'il est de principe en droit international monégasque que les décisions rendues par une juridiction étrangère relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent de plein droit leurs effets dans la Principauté, l'exequatur est nécessaire en cas d'exécution sur les biens.

En l'espèce la mission de S. Z. ès qualité d'administrateur judiciaire de B. Z., et notamment celle de percevoir et administrer les sommes dues à la bénéficiaire en déposant les sommes sur un compte courant ou un livret bancaire ou postal soumis au contrôle du juge tutélaire et d'accomplir, au nom et pour le compte de Mme B. Z., toutes opérations et tout autre acte de disposition patrimoniale excédant le cadre des affaires courantes ainsi que les négociations d'une autre nature, actes administratifs ou fiscaux, rend nécessaires des actes d'exécution sur les biens, actes qui se sont heurtés à l'opposition du C.F.M. en l'absence d'exequatur. L'action est donc recevable.

Aux termes de l'article 473 du Code de procédure civile, l'exécution des jugements étrangers est autorisée sans examen au fond lorsque la réciprocité est admise par la loi du pays où le jugement a été rendu. Les articles 64 et 67 de la loi italienne n° 218 du 31 mai 1995 portant réforme du système italien de droit international privé, dont il est justifié, ne subordonnent en Italie la faculté d'exécution des décisions étrangères, en cas de contestation de leur reconnaissance, qu'à la vérification, par les juridictions saisies des demandes d'exequatur correspondantes, que les sentences qui leur sont ainsi déférées remplissent diverses conditions de forme, dispositions par nature et pour l'essentiel, analogues à celles que prévoit l'article 473 du Code de procédure civile précité. Dès lors la réciprocité est établie et le tribunal doit apprécier, sans examen du fond, si les décisions soumises à exequatur, satisfont, quant à la forme aux prescriptions de l'article 473 du Code de procédure civile et si les pièces prévues à l'article 475 du Code de procédure civile sont bien versées.

Au regard des pièces versées, en italien comme l'autorise l'article 475 du Code de procédure civile, il est produit une expédition authentique des décisions des 15 décembre 2005 et 7 février 2006 du Juge Tutélaire du Tribunal Ordinaire de Pordenone, il est justifié que ces décisions ont été rendues exécutoires immédiatement par le juge tutélaire italien conformément à l'article 741 du Code de procédure civile italien, qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un recours selon la mention du greffier du 28 juillet 2008 et que ces diverses pièces ont été régulièrement légalisées par le Procureur de la République de Pordenone. Par ailleurs les décisions du juge tutélaire apparaissent régulières en la forme et avoir été rendues par une juridiction compétente, les parties ayant été à même de se défendre et l'ordre public monégasque n'étant pas contrarié par ces décisions.

Ces décisions remplissent donc les conditions fixées par le Code de procédure civile monégasque et il convient de les déclarer exécutoires dans la Principauté de Monaco.

M. Z. sollicite par ailleurs de dire et juger que la S.A.M. Crédit Foncier de Monaco devra exécuter les décisions des 15 décembre 2005 et 7 février 2006 et de dire et juger que la décision à intervenir sera opposable à tous tiers. À ce titre il convient de rappeler qu'il est nécessaire de distinguer la question de l'état et de la capacité de la personne, qui est opposable à tous de plein droit dès son acquisition de force exécutoire en Italie, soit en l'espèce immédiatement, des dispositions relatives à la possibilité d'exécution sur les biens qui ont nécessité l'exequatur. Ces dispositions sont soumises aux conséquences de l'exequatur. Or, cette exequatur a pour conséquence d'organiser et d'ordonner l'exécution conformément à la loi monégasque. En l'espèce l'exécution ordonnée l'est conformément à la loi monégasque sur l'exécution des jugements mais également, s'agissant de décisions de mise sous protection et d'organisation mais également, s'agissant de décisions de mise sous protection et d'organisation de la mesure, sur les textes spécifiques relatifs aux incapables majeurs.

Ainsi la S.A.M. CRÉDIT FONCIER DE MONACO devra exécuter ces décisions, sauf la suspension du jugement en cas d'appel conformément à l'article 424 du Code de procédure civile, tandis que s'agissant des tiers, et conformément à l'article 410-8° du Code civil relatif aux décisions restreignant la capacité d'un majeur, ces décisions, sauf les effets de plein droit ne leur seront opposables, hors le cas où ils en auraient eu personnellement connaissance, que deux mois après leur mention sur le registre ad hoc tenu au greffe général à la requête du ministère public.

L'instance a été rendue nécessaire pour permettre l'exécution d'une décision étrangère à Monaco au regard de l'opposition et de la demande de la S.A.M. CRÉDIT FONCIER DE MONACO.


Motifs🔗

TRIBUNAL

DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 19 FEVRIER 2009

En la cause de :

M. S ZA, né le 14 avril 1937 à Milan (Italie), demeurant et domicilié X (Italie), agissant en qualité d'administrateur judiciaire de Mme B ZA, en vertu d'un décret de nomination d'un administrateur judiciaire rendu le 15 décembre 2005 par M. le Juge Tutélaire du Tribunal de Pordenone,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

1 - Monsieur le Procureur Général de Monaco, séant au Palais de Justice à Monaco-Ville,

DEFENDEUR, comparaissant en personne ;

2 - La société anonyme monégasque dénommée CREDIT FONCIER DE MONACO, dont le siège social est sis à Monaco, 11 boulevard Albert 1er, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège social,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 9 septembre 2008, enregistré (n° 2009/000062) ;

Vu les conclusions de M. le Procureur Général date du 10 décembre 2008 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la société CRÉDIT FONCIER DE MONACO, en date du 15 janvier 2009 ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, pour S. Z., en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, pour la société CRÉDIT FONCIER DE MONACO, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

Par acte d'huissier en date du 9 septembre 2008 S. Z. a assigné devant le tribunal de Première instance le Procureur Général de MONACO et la S.A.M CRÉDIT FONCIER DE MONACO aux fins :

– de constater que S. Z., ès qualité d'administrateur judiciaire de B. Z., se heurte à des difficultés d'exécution sur le territoire de la Principauté de MONACO,

– en conséquence de prononcer l'exequatur des décisions des 15 décembre 2005 et 7 février 2006 par lesquelles le Juge Tutélaire du Tribunal Ordinaire de PORDENONE a placé B. Z. sous régime de protection judiciaire et a nommé Monsieur S. Z. en qualité d'administrateur judiciaire, avec toutes conséquences de droit,

– de dire et juger que la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO devra exécuter les décisions des 15 décembre 2005 et 7 février 2006 qui auront reçu l'exequatur en Principauté de MONACO,

– de dire et juger que la décision à intervenir sera opposable à tous tiers auprès desquels S. Z. aurait à effectuer tout acte d'administration et/ou de disposition conformément à la mission qui lui a été confiée par le juge tutélaire sans qu'il ne soit besoin de procéder à une assignation aux fins d'exequatur à l'encontre de chacun des tiers,

– de condamner tout succombant aux dépens ;

À l'appui de ses demandes, il expose que s'il est acquis que les décisions relatives à l'état et à la capacité de Madame Z. sont exécutoires de plein droit en principauté de MONACO sans qu'il soit besoin d'aucune formalité, ce principe exclut les cas où les jugements doivent donner lieu à des actes d'exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes. En l'espèce Monsieur Z. s'est heurté notamment au refus du CRÉDIT FONCIER DE MONACO auprès duquel il entendait réaliser tous les actes de gestion et de disposition nécessaires à l'accomplissement de sa mission et il est donc recevable à solliciter l'exequatur. Rappelant les articles 472, 473 et 475 du Code de procédure civile il ajoute que la réciprocité avec la Principauté de MONACO est admise par l'Italie de sorte que l'examen au fond n'est pas nécessaire et que l'expédition authentique est produite aux débats, que les décisions sont exécutoires dès leur prononcé, que les documents ont été légalisés par le Procureur de la République de PORDENONE et que leurs dispositions ne sont pas contraires à l'ordre public monégasque ;

Par conclusions du 11 décembre 2008, le Procureur Général a exposé que la réciprocité avec l'Italie est établie et que les conditions de forme sont remplies puisqu'une expédition authentique est produite, que ces décisions ont été rendues exécutoires dès leur prononcé par le juge tutélaire italien et qu'enfin l'article 475 du Code de procédure civile énonce que les pièces qui doivent être produites aux débats en matière d'exequatur devront être traduites lorsqu'elles ne sont pas rédigées en français ou en italien. Il a donc indiqué ne pas s'opposer à l'exequatur sollicité ;

Le 15 janvier 2009, la S.A.M CRÉDIT FONCIER DE MONACO a sollicité qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle s'en rapporte à la justice et que les dépens soient laissés à la charge de S. Z. Elle a exposé qu'au regard des actes d'exécution appelés à être exécutés en principauté l'exequatur est nécessaire et que si l'exequatur était inutile le tribunal déclarerait la demande sans objet. Elle a ajouté que l'établissement bancaire n'a pas qualité pour discuter de la question de la régularité internationale d'une décision à laquelle il n'a pas été partie et que les dépens doivent être laissés à la charge du bénéficiaire de l'action selon la jurisprudence traditionnelle du tribunal en la matière ;

Sur ce,

S'il est de principe en droit international monégasque que les décisions rendues par une juridiction étrangère relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent de plein droit leurs effets dans la Principauté, l'exequatur est nécessaire en cas d'exécution sur les biens ;

En l'espèce la mission de S. Z. ès qualité d'administrateur judiciaire de B. Z., et notamment celle de percevoir et administrer les sommes dues à la bénéficiaire en déposant les sommes sur un compte courant ou un livret bancaire ou postal soumis au contrôle du juge tutélaire et d'accomplir, au nom et pour le compte de Madame B. Z., toutes opérations et tout autre acte de disposition patrimoniale excédant le cadre des affaires courantes ainsi que les négociations d'une autre nature, actes administratifs ou fiscaux, rend nécessaires des actes d'exécution sur les biens, actes qui se sont heurtés à l'opposition du C.F.M en l'absence d'exequatur. L'action est donc recevable ;

Au terme de l'article 473 du Code de procédure civile, l'exécution des jugements étrangers est autorisée sans examen au fond lorsque la réciprocité est admise par la loi du pays où le jugement a été rendu. Les articles 64 et 67 de la loi italienne n° 218 du 31 mai 1995 portant réforme du système italien de droit international privé, dont il est justifié, ne subordonnent en Italie la faculté d'exécution des décisions étrangères, en cas de contestation de leur reconnaissance, qu'à la vérification, par les juridictions saisies des demandes d'exequatur correspondantes, que les sentences qui leur sont ainsi déférées remplissent diverses conditions de forme, dispositions par nature et pour l'essentiel, analogues à celles que prévoit l'article 473 du Code de procédure civile précité. Dès lors la réciprocité est établie et le tribunal doit apprécier, sans examen du fond, si les décisions soumises à exequatur, satisfont, quant à la forme aux prescriptions de l'article 473 du Code de procédure civile et si les pièces prévues à l'article 475 du Code de procédure civile sont bien versées ;

Au regard des pièces versées, en italien comme l'autorise l'article 475 du Code de procédure civile, il est produit une expédition authentique des décisions des 15 décembre 2005 et 7 février 2006 du Juge Tutélaire du Tribunal Ordinaire de PORDENONE, il est justifié que ces décisions ont été rendues exécutoires immédiatement par le juge tutélaire italien conformément à l'article 741 du Code de procédure civile italien, qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un recours selon la mention du greffier du 28 juillet 2008 et que ces diverses pièces ont été régulièrement légalisées par le Procureur de la République de PORDENONE. Par ailleurs les décisions du juge tutélaire apparaissent régulières en la forme et avoir été rendues par une juridiction compétente, les parties ayant été à même de se défendre et l'ordre public monégasque n'étant pas contrarié par ces décisions ;

Ces décisions remplissent donc les conditions fixées par le Code de procédure civile monégasque et il convient de les déclarer exécutoires dans la Principauté de MONACO ;

Monsieur Z. sollicite par ailleurs de dire et juger que la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO devra exécuter les décisions des 15 décembre 2005 et 7 février 2006 et de dire et juger que la décision à intervenir sera opposable à tous tiers. À ce titre il convient de rappeler qu'il est nécessaire de distinguer la question de l'état et de la capacité de la personne, qui est opposable à tous de plein droit dès son acquisition de force exécutoire en Italie, soit en l'espèce immédiatement, des dispositions relatives à la possibilité d'exécution sur les biens qui ont nécessité l'exequatur. Ces dispositions sont soumises aux conséquences de l'exequatur. Or, cette exequatur a pour conséquence d'organiser et d'ordonner l'exécution conformément à la loi monégasque. En l'espèce l'exécution ordonnée l'est conformément à la loi monégasque sur l'exécution des jugements mais également, s'agissant de décisions de mise sous protection et d'organisation de la mesure, sur les textes spécifiques relatifs aux incapables majeurs ;

Ainsi la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO devra exécuter ces décisions, sauf la suspension du jugement en cas d'appel conformément à l'article 424 du Code de procédure civile, tandis que s'agissant des tiers, et conformément à l'article 410-8° du Code civil relatif aux décisions restreignant la capacité d'un majeur, ces décisions, sauf les effets de plein droit, ne leur seront opposables, hors le cas où ils en auraient eu personnellement connaissance, que deux mois après leur mention sur le registre ad hoc tenu au greffe général à la requête du ministère public ;

L'instance a été rendue nécessaire pour permettre l'exécution d'une décision étrangère à MONACO au regard de l'opposition et de la demande de la S.A.M CRÉDIT FONCIER DE MONACO ;

Dès lors il y a lieu de condamner La S.A.M CRÉDIT FONCIER DE MONACO aux dépens de l'instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant contradictoirement,

Déclare exécutoire dans la Principauté de MONACO les décisions des 15 décembre 2005 et 7 février 2006 du Juge Tutélaire du Tribunal Ordinaire de PORDENONE relativement à la protection judiciaire de B. Z. ;

Dit que la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO devra exécuter les décisions faisant l'objet de l'exequatur, sauf la suspension du jugement d'exequatur en cas d'appel, et que ces décisions ne seront opposables aux tiers, sauf les effets de plein droit et hors le cas où ils en auraient eu personnellement connaissance, que deux mois après leur mention sur le registre ad hoc tenu au greffe général à la requête du ministère public ;

Condamne la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, le 19 FEVRIER 2009, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Président, Officier de l'ordre de Saint-Charles, Monsieur Emmanuel ROBIN, Juge, Monsieur Cyril BOUSSERON, Juge, en présence de Monsieur Morgan RAYMOND, Juge suppléant faisant fonction de Substitut du Procureur Général, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, Greffier.-

Note🔗

NOTE : Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2008, n° 10, p. 202 à 205.

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