Tribunal de première instance, 8 janvier 2009, Mme T GE DE et Mlle E VL DE c/ État de Monaco, Mlle T MA et Mme E LA

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Abstract🔗

Procédure civile

Exceptions

- Caution à fournir par les étrangers

- Conditions des articles 259 et 260 du Code de procédure civile réunies

- Caractère non discriminatoire de la distinction faite en la matière entre étrangers et monégasques

Résumé🔗

Aux termes de l'article 259 du Code procédure civile, l'étranger, demandeur principal ou intervenant, sera tenu, si le défenseur monégasque le requiert avant toute exception, de fournir caution de payer les frais et dommages et intérêts résultant du procès, auxquels il pourrait être condamné.

Aux termes de l'article 260 du Code de procédure civile, la caution ne pourra être exigée :

1° en matière commerciale ;

2° lorsque l'étranger sera domicilié dans la Principauté, conformément à l'article 13 ou à l'article 79 du Code civil ;

3° lorsqu'il y possédera des immeubles d'une valeur reconnue suffisante ;

4° lorsqu'il appartiendra à un pays dont les lois en dispensent les sujets monégasques.

L'intention manifeste du législateur monégasque qui a énoncé ces règles, telle qu'elle s'évince des travaux préparatoires au Code de procédure civile en 1893 est d'éviter qu'un étranger, sans attache avec le pays, ne puisse troubler impunément les citoyens par des poursuites téméraires et vexatoires, grâce à la facilité qu'il aurait de se soustraire, par son absence de rattachement au territoire de la Principauté et son insolvabilité dans cet État, au paiement des frais et dommages-intérêts que sa condamnation lui ferait encourir.

Il existe donc de par la loi, une différence de traitement entre les demandeurs, s'ils sont ou ne sont pas de nationalité monégasque, dans l'exercice du droit d'agir en justice, les monégasques ne pouvant se voir opposer valablement l'exception de caution judicatum solvi, cette distinction ne caractérise pas pour autant une discrimination ; en effet, différencier les nationalités pour elles-mêmes n'est pas la fin recherchée par le législateur monégasque, le but de la loi étant au contraire de garantir au potentiel créancier monégasque la solvabilité, à Monaco, d'un éventuel débiteur étranger.

En outre, des tempéraments sont apportés par les dispositions de l'article 206 du Code de procédure civile suscité, qui permettent au demandeur non monégasque d'être dispensé de la fourniture de la caution, dans la logique du but de solvabilité recherché.

Au regard du but poursuivi et des dérogations prévues par l'article 260 du Code de procédure civile, la distinction évoquée apparaît donc justifiée de manière objective et raisonnable.

Elle apparaît comme un but légitime dans une société démocratique et qu'il existe du rapport de proportionnalité entre le but recherché et les moyens employés dès lors que le moyen est la fourniture d'une simple caution, donc sans aucune perte pour le demandeur s'il obtient gain de cause.

Le juge demeure libre d'en apprécier le montant.

Ce montant pourra éventuellement être modifié en cours d'instance, aux termes des dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile.

En conséquence, la demande de l'État de Monaco ne peut être écartée au regard des dispositions de la convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.

En l'espèce, les conditions légales énoncées par l'article 259 du Code de procédure civile apparaissent réunies, dès lors que les demanderesses sont étrangères, le défenseur monégasque et qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que l'un des quatre exceptions prévues par l'article 260 du Code de procédure civile serait constituée en l'espèce.

Il y a donc lieu de faire droit, sur le principe de la fourniture de caution judicatum solvi, à la demande de l'État de Monaco.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 8 JANVIER 2009

En la cause de :

Mme T GE DE, née le 28 septembre 1969 à Saint-Petersbourg (Russie), de nationalité russe, exerçant la profession de Directrice d'un institut de management, demeurant rue X (Russie) ;

Mlle E VL DE, née le 1er février 1982 à Saint-Petersbourg (Russie), de nationalité russe, exerçant la profession de Directrice d'un institut de management, demeurant X à Saint-Petersbourg (Russie) ;

DEMANDERESSES, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA-BOUHNIK, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

L'ÉTAT DE MONACO, pris en la personne de Son Excellence Monsieur le Ministre d'État, demeurant en cette qualité Palais du Gouvernement, Place de la Visitation à Monaco, conformément aux dispositions des articles 139 et 153 du Code de procédure civile, à la Direction des Affaires Juridiques, 1 avenue des Castelans à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

Mlle T MA, née le 19 février 1974 à BUSTO ARSIZIO (Italie), de nationalité italienne, demeurant Via X à Vintimille (Italie), vendeuse ;

Mme E LA, née le 6 novembre 1950 à NOGARO (Gers), de nationalité française, demeurant « Le X », X à Beausoleil (06240), responsable de magasins ;

DÉFENDERESSES, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 8 janvier 2008, enregistré (n° 2008/000385) ;

Vu les conclusions de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO, en date des 8 mai 2008 et 15 octobre 2008 ;

Vu les conclusions de Maître Sophie LAVAGNA-BOUHNIK, avocat-défenseur, au nom de T GE DE et E VL DE, en date du 5 juin 2008 ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de T MA et E LA, en date du 10 juillet 2008 ;

Ouï Maître Sophie LAVAGNA-BOUHNIK, avocat-défenseur, pour T GE DE et E VL DE, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, pour l'ÉTAT DE MONACO, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour T MA et E LA, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

Considérant les faits suivants :

Par acte en date du 8 janvier 2008, T. D. et E. D. faisaient assigner l'État de Monaco, T. M. et E. L. devant le Tribunal de Première Instance en sollicitant leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 150 000 euros à T. D. et de 150 000 euros à E. D.

Elles affirmaient en substance qu'elles avaient fait l'objet, le 21 octobre 2006 à 17 heures 50 sur le territoire de la Principauté de Monaco d'une interpellation par les Services de la Sûreté Publique. Elles déclaraient que cette interpellation faisait suite à une dénonciation réalisée à 17 heures 35 par T. M., vendeuse auprès de la boutique « Linea Nuovo » suite à la prétendue disparition de quatre pull-overs concomitamment à leur présence au sein de ce commerce quelques instants auparavant, où elles avaient fait l'acquisition d'un article au moyen d'une carte bancaire.

Elles faisaient valoir notamment qu'une fois interpellées sur la voie publique, aucun élément litigieux n'avait été retrouvé sur elles et qu'elles avaient été par la suite entendues par les services enquêteurs puis retenues toute une nuit dans les locaux de la Sûreté Publique et qu'une perquisition infructueuse avait été opérée le lendemain, 22 octobre 2006 dans la chambre qu'elles occupaient à l'Hôtel de Paris le temps de leur séjour à Monaco.

Elles estimaient qu'au moment de leur interpellation, les conditions de la flagrance n'auraient pas été réunies dès lors qu'il n'existait qu'un simple soupçon à leur égard. En outre, elles faisaient valoir qu'une interruption de la continuité dans l'enchaînement des opérations policières avait eu lieu, en ce que la perquisition n'avait été effectuée que le lendemain de l'arrestation alors que l'interpellation ayant eu lieu à 17 heures 50, cette perquisition aurait pu être effectuée avant 21 heures le jour même.

De plus les services enquêteurs auraient omis de réaliser des vérifications importantes, en ce que, selon elles, d'autres personnes se seraient trouvées dans le magasin en même temps qu'elles et qu'aucune recherche n'avait été diligentée à ce sujet.

Dès lors, elles estimaient que des fautes lourdes étaient caractérisées, engageant la responsabilité de l'État.

À l'encontre de T. M., les demanderesses estiment que les soupçons qu'elle a exprimés n'auraient pour véritable cause que leur nationalité russe et ne seraient justifiés par aucun élément objectif, de sorte que la dénonciation qu'elle avait effectuée serait fautive. En effet, cette vendeuse aurait affirmé que la carte bancaire ayant servi au paiement aurait été d'origine douteuse, alors même que le paiement avait été effectué sans difficulté et que les investigations réalisées ultérieurement par les services enquêteurs auraient démontré que rien ne permettait d'affirmer que les cartes en leur possession étaient des contrefaçons ou auraient fait l'objet d'une falsification.

E. L., responsable du magasin aurait quant à elle, selon les demanderesses, donné fautivement crédit aux dires de sa vendeuse et serait en outre tenue du fait de sa responsabilité de commettant du fait de sa préposée sur le fondement de l'article 1231 du Code civil.

L'État de Monaco a conclu le 8 mai 2008 et avant toute défense au fond, soulevait l'exception de caution judicatum solvi, estimant que les conditions énoncées par l'article 259 du Code de procédure civile seraient remplies. Quant au montant sollicité, l'État de Monaco se déclarait convaincu que la procédure initiée à son encontre était infondée et abusive, entraînant des frais de procédure et que l'honneur de l'État était atteint du fait de l'accusation portée contre ses services de Police d'avoir fait preuve de discrimination fondée sur la nationalité des dames D. Dès lors, l'État de Monaco indiquait d'ores et déjà qu'il entendait solliciter à titre reconventionnel la condamnation de chacune des défenderesses au paiement d'une somme de 50 000 euros et sollicitait que T. D. et E. D. soient condamnées chacune à verser une somme de 50 000 euros à titre de caution judicatum solvi.

T. D. et E. D. ont conclu le 5 juin 2008 sur cette exception et estimaient que son invocation par l'État de Monaco n'était fondée que sur le seul moyen tenant à leur nationalité russe et invoquaient les dispositions combinées des articles 6 et 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales pour conclure au rejet de la demande de l'État de Monaco sur ce point.

L'article 14 énonçant le principe de l'interdiction de la discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus dans la convention, notamment du fait de l'origine nationale, elles visaient les droits garantis par l'article 6, posant le principe du droit à un procès équitable et le concept d'égalité des armes en découlant, qui implique l'obligation pour les États d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

Dès lors, selon elles, la combinaison de ces deux articles devrait exclure l'application aux faits de la cause de l'exception de caution de judicatum solvi, qui reviendrait à créer une discrimination fondée sur la nationalité russe des demanderesses dans l'exercice de leur droit d'agir en Justice.

T. M. et E. L. ont conclu le 10 juillet 2008 et s'en rapportent à justice sur le bien fondé de l'exception de caution judicatum solvi soulevée par l'État.

L'État de Monaco a encore conclu le 15 octobre 2008 et faisait valoir que l'exception de judicatum solvi était expressément prévue par un texte de loi, en l'occurrence l'article 259 du Code de procédure civile et qu'aucun des critères légaux de dispense n'était présent en l'espèce. En outre, selon le défendeur, le droit de solliciter une caution judicatum solvi serait accordé aux seuls nationaux monégasques afin de les protéger légitimement contre toute action abusive introduite par un étranger qui pour sa part n'offrirait aucune garantie de solvabilité à son adversaire. De plus, la Principauté de Monaco, lors de son adhésion à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales avait émis des réserves afin d'assurer le maintien de mesures de protection de ses nationaux et le critère déterminant ne serait pas tant la nationalité du demandeur, puisque l'étranger domicilié en Principauté et qui y possède des biens d'une valeur reconnue suffisante est dispensé de fournir caution, que la protection du défendeur monégasque dans le cadre de l'exécution d'éventuelles condamnations pécuniaires à son profit.

L'affaire était fixée à plaider à l'audience du 11 décembre 2008 sur la seule exception de caution judicatum solvi et mise en délibéré à cette date.

Sur quoi,

Attendu qu'aux termes de l'article 259 du Code de procédure civile, l'étranger, demandeur principal ou intervenant, sera tenu, si le défendeur monégasque le requiert avant toute exception, de fournir caution de payer les frais et dommages et intérêts résultant du procès, auxquels il pourrait être condamné.

Attendu qu'aux termes de l'article 260 du Code de procédure civile, la caution ne pourra être exigée :

1° en matière commerciale ;

2° lorsque l'étranger sera domicilié dans la Principauté, conformément à l'article 13 ou à l'article 79 du Code civil ;

3° lorsqu'il y possédera des immeubles d'une valeur reconnue suffisante ;

4° lorsqu'il appartiendra à un pays dont les lois en dispensent les sujets monégasques.

Que l'intention manifeste du législateur monégasque qui a énoncé ces règles, telle qu'elle s'évince des travaux préparatoires au Code de procédure civile en 1893 est d'éviter qu'un étranger, sans attache avec le pays, ne puisse troubler impunément les citoyens par des poursuites téméraires et vexatoires, grâce à la facilité qu'il aurait de se soustraire, par son absence de rattachement au territoire de la Principauté et son insolvabilité dans cet État, au paiement des frais et dommages-intérêts que sa condamnation lui ferait encourir ;

Que s'il existe donc de par la loi, une différence de traitement entre les demandeurs, s'ils sont ou ne sont pas de nationalité monégasque, dans l'exercice du droit d'agir en justice, les monégasques ne pouvant se voir opposer valablement l'exception de caution judicatum solvi, cette distinction ne caractérise pas pour autant une discrimination ; qu'en effet, différencier les nationalités pour elles-mêmes n'est pas la fin recherchée par le législateur monégasque, le but de la loi étant au contraire de garantir au potentiel créancier monégasque la solvabilité, à Monaco, d'un éventuel débiteur étranger ;

Attendu en outre, que des tempéraments sont apportés par les dispositions de l'article 260 du Code de procédure civile sus-cité, qui permettent au demandeur non monégasque d'être dispensé de la fourniture de la caution, dans la logique du but de solvabilité recherché ;

Qu'au regard du but poursuivi et des dérogations prévues par l'article 260 du Code de procédure civile, la distinction évoquée apparaît donc justifiée de manière objective et raisonnable ;

Qu'elle apparaît comme un but légitime dans une société démocratique et qu'il existe du rapport de proportionnalité entre le but recherché et les moyens employés dès lors que le moyen est la fourniture d'une simple caution, donc sans aucune perte pour le demandeur s'il obtient gain de cause ;

Que le juge demeure libre d'en apprécier le montant ;

Que ce montant pourra éventuellement être modifié en cours d'instance, aux termes des dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile ;

Attendu en conséquence, que la demande de l'État de Monaco ne peut être écartée au regard des dispositions de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ;

Attendu qu'en l'espèce, les conditions légales énoncées par l'article 259 du Code de procédure civile apparaissent réunies, dès lors que les demanderesses sont étrangères, le défendeur monégasque et qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que l'une des quatre exceptions prévues par l'article 260 du Code de procédure civile serait constituée en l'espèce ;

Attendu qu'il y a donc lieu de faire droit, sur le principe de la fourniture de caution judicatum solvi, à la demande de l'État de Monaco ;

Attendu sur le montant sollicité, que la caution a pour objet de garantir le paiement des frais et dommages-intérêts résultant du procès auxquels le demandeur étranger pourrait être condamné ;

Attendu qu'au regard d'une part de l'intérêt du litige, de la somme des demandes principales de 300 000 euros et des frais et dépens qui pourraient en résulter, d'autre part du fait que le montant sollicité n'est pas débattu par les défenderesses et que celles-ci ne font pas état d'éléments de nature financière pouvant laisser croire à leur indigence, il apparaît raisonnable de fixer à 10 000 euros chacune le montant de la caution qui devra être fournie par T. D. et B. D. ;

Attendu qu'il y a lieu d'ordonner la fourniture par les demanderesses d'une caution arbitrée à 10 000 euros chacune qui sera constituée par l'engagement irrévocable d'un établissement bancaire de la Principauté avant le 2 avril 2009 ;

Que la cause et les parties doivent être renvoyées à l'audience du 2 avril 2009 pour la mise en état de l'affaire ;

Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

Par ces motifs,

Le Tribunal, statuant contradictoirement, avant-dire-droit,

Ordonne que T. D. et E. D. fourniront une caution d'un montant de 10 000 euros chacune qui sera constituée par l'engagement irrévocable d'un établissement bancaire de la Principauté, avant le 2 avril 2009 ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du JEUDI 2 AVRIL 2009 à 9 heures ;

Réserve les dépens en fin de cause.

Composition🔗

Mme GRINDA-GAMBARINI, Prés ; Mme DUBES, Prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes LAVAGNA-BOUHNIK et KARCZAG-MENCARELLI, av. déf.

Note🔗

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2010, n° 10, p. 197 à 201.

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