Tribunal de première instance, 4 décembre 2008, S., SCS A., C. et Cie c/ K.

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Abstract🔗

Concurrence déloyale

Fondement ; loi n° 1.058 du 10 juin 1983

Dépôt d'un sigle à titre de nom commercial et d'enseigne, antérieurement exploité par une société commerciale déclarée en liquidation de biens, de nature à entraîner la perte d'un éventuel concurrent ou même d'empêcher une cession

Action délictuelle en réparation du préjudice : article 1.229 du Code civil

Annulation du dépôt et de son enregistrement

Résumé🔗

Il est constant en conformité avec ses statuts, la SCS V. et Cie, dirigée par son gérant commandité J.-P. V., a utilisé la dénomination « Le Waterfront » depuis le 25 juin 2002, date de son immatriculation au répertoire du commerce, et ce, à titre de nom commercial et d'enseigne pour l'exploitation de son établissement de « piano, lounge, bar, restaurant » situé à Monaco, [...] ;

Monsieur K., à la suite d'un arrêt de la Cour d'Appel en date du 3 mai 2005 ayant confirmé en toutes ses dispositions un jugement du Tribunal de Première Instance qui a prononcé la liquidation des biens de la société V. et Cie et de son gérant commandité, a déposé le modèle « Waterfront » à titre de marque non figurative le 27 mai 2005, composée de cette seule dénomination, enregistrée sous le numéro 05.24684, pour désigner notamment les produits et services ainsi libellés : « restaurants, bars, discothèques, night-clubs (classe 43) ;

L'action en concurrence déloyale sur le fondement des articles 1229 et suivants du Code civil, notamment pour obtenir, à titre de réparation, l'annulation de l'enregistrement de la marque déposée, n'est pas subordonnée à la démonstration d'une exploitation effective de cette marque, pourvu que les circonstances permettent de caractériser des agissements parasitaires portant atteinte à l'exploitation d'un fonds de commerce ;

Ainsi, l'utilisation significative, c'est-à-dire manifeste et durable, d'un sigle à titre de nom commercial constitue, sous l'empire de la loi n° 1.058 en date du 10 juin 1983, une antériorité faisant obstacle à son dépôt à titre de marque dès lors qu'elle tend à la remise en cause de l'exploitation du nom commercial déloyale générateurs d'un préjudice commercial à la condition toutefois qu'un danger de confusion existe entre le nom commercial et la marque postérieurement ;

Cette atteinte est d'autant plus forte dans l'hypothèse d'une intention manifeste du déposant d'entraîner, par le jeu du seul dépôt, la perte d'un éventuel concurrent, ou même une cession, en quelque sorte » contrainte «, du fonds de commerce, au bénéfice du déposant de la marque dont le modèle est superposable au nom commercial ;

L'utilisateur antérieur de la dénomination à titre de nom commercial et d'enseigne peut ainsi s'en prévaloir afin de préserver les bénéfices qu'il a acquis sur le sigle, sans pour autant méconnaître les dispositions de l'article 3 qui imposent simplement que la propriété exclusive d'une marque stricto sensu soit subordonnée à l'accomplissement des formalités de dépôt et d'enregistrement ;

La partie qui se prévaut de l'utilisation de la dénomination convoitée pourtant tout aussi bien en solliciter la propriété exclusive par transfert à son bénéfice de l'enregistrement de la marque ;

L'usage du nom commercial » Le Waterfront «, antérieur au dépôt de la marque du même nom, serait donc susceptible d'empêcher Monsieur K. de bénéficier des droits exclusifs sur cette marque, dès lors que les conditions d'utilisation du nom commercial et les circonstances de l'acquisition de la marque seraient à l'origine d'une situation caractérisant déloyauté et abus faussant le jeu de la concurrence ;

Il ressort de la chronologie des faits qui précèdent que l'exploitation de l'établissement » Le Waterfront « dans le cadre de l'activité prévue par les statuts de la SCS V. et Cie, et telle qu'elle s'est poursuivie au bénéfice du cessionnaire, était suffisamment durable (plus de deux années, avec une interruption non significative consécutivement à la procédure collective sans intention manifeste d'abandon de l'usage du nom commercial et de l'enseigne, sur un territoire national exiguë (Principauté de Monaco), auquel elle pouvait se limiter et s'identifier (activité de restauration) ;

Cette exploitation était inévitablement de nature à créer une interférence entre la clientèle du restaurant et celle que pouvait attirer l'activité déclarée par le déposant de la marque, en grande partie identique, constatations desquelles il ressort l'existence d'un risque de confusion entre les deux signes au jour du dépôt de la marque ;

Les ressemblances visuelles (lettre majuscules), phonétiques et conceptuelles entre les signes, sont telles qu'elles caractérisent, dans la zone dans laquelle le nom commercial était exploité, l'existence, du fait de l'enregistrement de la marque, d'un risque de confusion évident dans l'esprit du public ;

La date à laquelle le dépôt est intervenu, et le contexte de ce dépôt, révèlent l'intention de Monsieur K., candidat déclaré à la reprise du fonds de commerce, de parasiter le sigle nécessaire à l'exploitation du fonds de commerce et, partant, d'empêcher sa cession au bénéfice d'une personne non titulaire des droits sur la marque ;

Il s'évince des décisions cohérentes du syndic et des juges, que le choix du cessionnaire s'est porté sur une personne offrant des garanties supérieures quant à la pérennité de l'entreprise, lesquelles garanties ne se résumaient pas aux propositions financières, dans la mesure où leur mise en œuvre était subordonnée au maintien de toutes les conditions de l'exploitation, dont la comptabilité non conditionnelle entre les situations juridiques du repreneur et du fonds de commerce (permanence de la convention d'occupation précaire des locaux) ;

L'anéantissement des droits découlant de l'enregistrement de la marque » Waterfront « est le seul moyen efficace de nature à faire cesser le préjudice causé aux personnes successivement habilitées à exploiter l'établissement au nom commercial et à l'enseigne » Le Waterfront « ;

L'unique mesure pour y parvenir consiste à faire annuler le dépôt n° 026129 en date du 30 mai 2005 et l'enregistrement consécutif portant le numéro 05.24684, et ce, pour l'ensemble des produits et services compris dans les classes 35, 41 et 43, dont le caractère indissociable est en effet manifeste ;


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 4 DECEMBRE 2008

En la cause de :

1°- M. Jean-Paul SAMBA, syndic de la liquidation des biens de la S. C. S. VI & Cie, exerçant sous l'enseigne » WATERFRONT «, 28 quai Jean-Charles Rey et de J-P VI, gérant commandité désigné à ces fonctions suivant jugement du Tribunal de première instance du 17 février 2005, demeurant et domicilié en cette qualité 9 avenue des Castelans à Monaco ;

2°- La S. C. S. AL, CI et Cie, dont le siège social se trouve 28 quai Jean-Charles Rey, restaurant » Le Waterfront « à Monaco, agissant poursuites et diligences de ses deux gérants commandités en exercice, Messieurs J AL et E CI, demeurant et domiciliés en cette qualité à ladite adresse ;

DEMANDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

M. H (ou H), J KI, demeurant et domicilié » X «, X à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Jérôme MOREL, avocat au barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 4 janvier 2007, enregistré (n° 2007/000298) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de H, J KI, en date des 29 mars, 20 juin 2007, 13 février et 14 mai 2008 ;

Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Jean-Paul SAMBA, ès-qualités et de la société AL, CI et Cie, en date des 10 mai, 11 octobre 2007 et 12 mars 2008 ;

Ouï Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, pour Jean-Paul SAMBA, ès-qualités et la société AL, CI et Cie, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Jérôme MOREL, avocat au barreau de Nice, assisté de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, pour H, J KI, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Par acte d'huissier en date du 4 janvier 2007, J.-P. S., ès qualités de syndic, d'une part, de la liquidation des biens de la SCS V. et Cie, exerçant sous l'enseigne » Waterfront «, d'autre part, de J.-P. V., gérant commandité, désigné par jugement du Tribunal de Première Instance en date du 17 février 2005, ainsi que la SCS A., C. et Cie, dont le siège social est situé au [...], restaurant » Le Waterfront «, représentée par ses gérants commandités en exercice, Messieurs J. A. et E. C., ont fait assigner H., J. K., pour s'entendre, sur le fondement de l'article 1229 du Code civil :

» – Constater l'antériorité du nom commercial et de l'enseigne « Waterfront » exploités par la société V. et Cie sur le dépôt de la marque « Waterfront » par Monsieur J. K.

– Prononcer l'annulation de l'enregistrement de ladite marque déposée par Monsieur J. K. le 30 mai 2005 suivant procès verbal en date du 29 juillet 2005.

– Condamner Monsieur J. K. au paiement de la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi par la société V. et Cie.

– Le condamner aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Christine Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur, sous due affirmation. «

Ils exposent :

– que la SCS V. et Cie, qui exploitait un commerce de piano, » lounge «, bar, restaurant avec ambiance musicale, sous le nom commercial et l'enseigne » Waterfront «, a été déclarée en état de cessation de paiement au 1er décembre 2002, par jugement en date du 20 août 2004, puis en liquidation de biens, à l'instar de son gérant commandité, par jugement en date du 17 février 2005,

– que le liquidateur, autorisé à cette fin, a organisé la cession des éléments du fonds de commerce qui a été finalisée par acte authentique en date du 31 mars 2006,

– que le 14 avril 2006, Monsieur K. a formé opposition à cette cession, estimant être propriétaire de la marque » Waterfront « depuis son dépôt n° 26129 effectué le 30 mai 2005 auprès de la Direction de l'Expansion Économique, service des marques de fabrique, de commerce ou de services, sous le n° 05 24684,

– que le droit de propriété sur le nom commercial et l'enseigne, dont l'usage remonterait à une période antérieure à la date du dépôt de la marque, est opposable à Monsieur K. et rendrait indisponible le signe » Waterfront « en tant que marque devant être exploitée par un concurrent,

– que la reproduction fidèle du signe » Waterfront « serait source de confusion pour la clientèle, surtout en territoire monégasque,

– que les manœuvres de Monsieur K. tendraient à l'appropriation du signe et à la mise en échec de la cession du fonds qu'il aurait tenté d'acquérir sans succès ;

Aux termes de conclusions déposées le 29 mars 2007, H. J. K. sollicite le rejet des demandes aux motifs :

– que la marque a été déposée dans un contexte particulier dès lors qu'il contestait les décisions qui ont abouti au choix d'un cessionnaire dont les propositions étaient moins disantes,

– que le syndic ne pouvait pas régulariser un acte authentique en date du 2 décembre 2005, réitéré le 31 mars 2006, alors que la marque » Waterfront « n'était pas la propriété de son administré,

– que dès l'opposition, l'exploitation de la marque par le cessionnaire aurait du être interrompue,

– que la décision du juge des référés qui a fait droit à la demande d'annulation de l'opposition a été appelée,

– que J.-P. V. lui-même ne s'est pas opposé à l'utilisation de l'» appellation « » Waterfront « (lettre en date du 24 février 2005),

– que l'article 3 de la loi 1.058 en date du 10 juin 1983 imposant le dépôt et l'enregistrement d'une marque pour s'en attribuer la propriété exclusive, nul ne pouvait revendiquer la propriété de la marque » Waterfront « au moment de son dépôt, à défaut de transposition possible de la jurisprudence française sur l'indisponibilité de la marque après usage de celle-ci en tant que nom commercial ;

Il formule des demandes reconventionnelles tendant à :

– la condamnation de la SCS A., C. et Cie au paiement de la somme de 17 000 euros par mois au titre de l'usage de la marque » Waterfront « depuis le mois d'avril 2006, soit la somme de 187 000 euros à parfaire,

– sa condamnation à l'abandon de cet usage, à titre de nom commercial et de marque, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement,

– l'octroi de l'exécution provisoire,

– la condamnation de J.-P. S. et de la SCS A., C. et Cie aux entiers dépens distraits au profit de Maître Joëlle Pastor- Bensa, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Par des conclusions déposées le 10 mai 2007, les demandeurs réitèrent leurs prétentions, y ajoutant le rejet des demandes reconventionnelles formées par Monsieur K., arguant de ce que l'échec de la proposition de ce dernier quant à la reprise du fonds s'expliquerait par l'incompatibilité du rachat proposé de 75 % des parts sociales avec les termes de la convention d'occupation précaire suivant lesquels : » J.-P. V. devra rester associé commandité, gérant et détenteur d'environ 55 % des parts sociales, ce qui devra être attesté lors de chaque assemblée générale annuelle par le comptable de la société «.

Ils précisent que ce contexte ne justifierait pas les manœuvres de Monsieur K. qui tendaient à faire échec à la cession au bénéfice d'une personne étrangère à l'entourage proche de J.-P. V. ;

Ils nient toute obligation pesant sur le syndic de faire cesser l'usage du nom commercial par suite d'une opposition irrégulière en droit tel que confirmée par le Juge des référés, et ce, pour non-respect du formalisme exigé par l'ordonnance en date du 23 juin 1907 sur la vente des fonds de commerce (défaut de chiffrage et de précision de la cause de la créance) ;

Ils contestent toute qualité de J.-P. V., dessaisi dès le prononcé du jugement de liquidation, pour reconnaître un quelconque droit à l'usage de la marque précitée, ajoutant que ni le droit monégasque, ni la jurisprudence interne, ne permettent de solutionner le problème de l'indisponibilité du sigle à titre de marque par suite de l'antériorité de l'usage à titre de nom commercial et d'enseigne, lesquels ne sont pas visés par la loi n° 1.058 ;

Ils se prévalent donc de la jurisprudence française précitée ainsi que du principe suivant lequel la fraude corrompt tout ;

Ils concluent enfin au rejet des demandes reconventionnelles en ce que l'opposition a été déclarée irrégulière et sachant que la propriété sur la marque se heurte à l'antériorité de l'usage du nom commercial ;

Au moyen de conclusions déposées le 20 juin 2007, Monsieur K. maintient ses moyens et prétentions, arguant de ce que les énonciations de la convention d'occupation précaire n'étaient pas des obstacles dirimants de nature à empêcher la cession du fonds à son bénéfice dès lors qu'il était en mesure d'y apporter les modifications utiles, et de ce que le juge des référés aurait fait une confusion entre l'opposition au paiement du prix et l'opposition à la cession, ajoutant que seul l'enregistrement est constitutif de droit sur la marque ;

Dans leurs conclusions déposées le 11 octobre 2007, les demandeurs confirment leurs prétentions et ils répliquent que l'enregistrement d'une marque indisponible ne produit pas les effets escomptés ;

Au moyen de nouvelles écritures déposées le 13 février 2008, qui n'apportent pas de modifications évidentes à ses moyens et prétentions, le défendeur souligne seulement que l'absence de notoriété de la marque interdit de s'approprier la jurisprudence française susvisée, et il évoque la confirmation de l'ordonnance de référé en date du 29 novembre 2006 par la Cour d'Appel qui aurait indiqué qu'il n'aurait pas eu la qualité de créancier nécessaire pour former opposition au paiement du prix ;

Au sein de leurs conclusions déposées le 12 mars 2008, les demandeurs répliquent que ce n'est pas la notoriété du sigle convoité qui est exigée mais seulement sa connaissance sur un territoire national, soit en l'espèce la Principauté de Monaco, la confusion devant résulter de ce que le sigle » Waterfront «, qui a été exploité pour identifier le restaurant pendant plusieurs années, a fait l'objet d'un dépôt à l'identique en tant que marque au titre d'une activité de » bar, restaurant, discothèque, night club «, laquelle n'a jamais été utilisée par Monsieur K. entre la date de son dépôt, le 30 mai 2005, et celle de l'assignation, le 4 janvier 2007, ce qui démontrerait sa mauvaise foi et sa volonté de nuire ;

Enfin, par des écritures déposées le 14 mai 2008, Monsieur K. fait valoir que la connaissance du sigle par la clientèle du restaurant en Principauté serait affectée par le fait que l'établissement aurait été fermé durant une année, élevant le montant de sa demande reconventionnelle, soit le paiement d'une somme de 408 000 euros sauf à parfaire ;

Sur ce,

Attendu qu'il est constant qu'en conformité avec ses statuts, la SCS V. et Cie, dirigée par son gérant commandité J.-P. V., a utilisé la dénomination » Le Waterfront « depuis le 25 juin 2002, date de son immatriculation au répertoire du commerce, et ce, à titre de nom commercial et d'enseigne pour l'exploitation de son établissement de » piano, lounge, bar, restaurant « situé à Monaco, 28 Quai Jean-Charles Rey ;

Que l'exploitation de l'établissement, rendue possible par l'existence d'une convention d'occupation précaire des locaux consentie dès l'origine par l'Administration des Domaines, s'est poursuivie depuis cette date et aux mêmes fins, sauf l'intermède nécessaire à la mise en œuvre d'une solution pérenne dans le cadre de la procédure de liquidation de l'année 2005 jusqu'au début de l'année 2006 ;

Que Monsieur K., à la suite d'un arrêt de la Cour d'Appel en date du 3 mai 2005 ayant confirmé en toutes ses dispositions un jugement du Tribunal de Première Instance qui a prononcé la liquidation des biens de la société V. et Cie et de son gérant commandité, a déposé le modèle » Waterfront « à titre de marque non figurative le 27 mai 2005, composée de cette seule dénomination, enregistrée sous le numéro 05.24684, pour désigner notamment les produits et services ainsi libellés : » restaurants, bars, discothèques, night-clubs (classe 43) « ;

Que le projet du syndic tendant à la cession de gré à gré du fonds de commerce en ses éléments matériels et immatériels, dont l'enseigne et le nom commercial, a été finalisé au cours de l'année 2005 et mis en œuvre au début de l'année 2006 ;

Que l'opposition, déclarée irrégulière par deux juridictions de degrés distincts, avait été formalisée par Monsieur K. très rapidement après la publication de l'acte de cession au mois d'avril 2006, au motif qu'il était propriétaire de la marque précitée, le tout faisant suite à sa lettre à J.-P. V. en date du 13 mars 2006, au sein de laquelle il déplorait de ne pas avoir été tenu informé des conditions de la cession en tant que candidat malheureux à la reprise du fonds de commerce ;

Que prenant acte de l'injonction de Monsieur K. de cesser l'exploitation de la marque » Waterfront «, les parties demanderesses l'ont fait assigner afin de faire juger qu'il ne pouvait se prévaloir de la propriété de cette dénomination et pour entendre annuler l'enregistrement de ladite marque ;

Attendu que l'action en concurrence déloyale sur le fondement des articles 1229 et suivants du Code civil, notamment pour obtenir, à titre de réparation, l'annulation de l'enregistrement de la marque déposée, n'est pas subordonnée à la démonstration d'une exploitation effective de cette marque, pourvu que les circonstances permettent de caractériser des agissements parasitaires portant atteinte à l'exploitation d'un fonds de commerce ;

Qu'ainsi, l'utilisation significative, c'est-à-dire manifeste et durable, d'un sigle à titre de nom commercial constitue, sous l'empire de la loi n° 1.058 en date du 10 juin 1983, une antériorité faisant obstacle à son dépôt à titre de marque dès lors qu'elle tend à la remise en cause de l'exploitation du nom commercial identique et qu'elle implique l'accomplissement d'actes de concurrence déloyale générateurs d'un préjudice commercial à la condition toutefois qu'un danger de confusion existe entre le nom commercial et la marque postérieure ;

Que cette atteinte est d'autant plus forte dans l'hypothèse d'une intention manifeste du déposant d'entraîner, par le jeu du seul dépôt, la perte d'un éventuel concurrent, ou même une cession, en quelque sorte » contrainte «, du fonds de commerce, au bénéfice du déposant de la marque dont le modèle est superposable au nom commercial ;

Attendu que l'utilisateur antérieur de la dénomination à titre de nom commercial et d'enseigne peut ainsi s'en prévaloir afin de préserver les bénéfices qu'il a acquis sur le sigle, sans pour autant méconnaître les dispositions de l'article 3 qui imposent simplement que la propriété exclusive d'une marque stricto sensu soit subordonnée à l'accomplissement des formalités de dépôt et d'enregistrement ;

Attendu que la partie qui se prévaut de l'utilisation de la dénomination convoitée pourrait tout aussi bien en solliciter la propriété exclusive par transfert à son bénéfice de l'enregistrement de la marque ;

Attendu que l'usage du nom commercial » Le Waterfront «, antérieur au dépôt de la marque du même nom, serait donc susceptible d'empêcher Monsieur K. de bénéficier des droits exclusifs sur cette marque, dès lors que les conditions d'utilisation du nom commercial et les circonstances de l'acquisition de la marque seraient à l'origine d'une situation caractérisant déloyauté et abus faussant le jeu de la concurrence ;

Attendu qu'il ressort de la chronologie des faits qui précèdent que l'exploitation de l'établissement » Le Waterfront « dans le cadre de l'activité prévue par les statuts de la SCS V. et Cie, et telle qu'elle s'est poursuivie au bénéfice du cessionnaire, était suffisamment durable (plus de deux années, avec une interruption non significative consécutive à la procédure collective sans intention manifeste d'abandon de l'usage du nom commercial et de l'enseigne, sur un territoire national exiguë (Principauté de Monaco), auquel elle pouvait se limiter et s'identifier (activité de restauration) ;

Que cette exploitation était inévitablement de nature à créer une interférence entre la clientèle du restaurant et celle que pouvait attirer l'activité déclarée par le déposant de la marque, en grande partie identique, constatations desquelles il ressort l'existence d'un risque de confusion entre les deux signes au jour du dépôt de la marque ;

Que les ressemblances visuelles (lettres majuscules), phonétiques et conceptuelles entre les signes, sont telles qu'elles caractérisent, dans la zone dans laquelle le nom commercial était exploité, l'existence, du fait de l'enregistrement de la marque, d'un risque de confusion évident dans l'esprit du public ;

Que la date à laquelle le dépôt est intervenu, et le contexte de ce dépôt, révèlent l'intention de Monsieur K., candidat déclaré à la reprise du fonds de commerce, de parasiter le sigle nécessaire à l'exploitation du fonds de commerce et, partant, d'empêcher sa cession au bénéfice d'une personne non titulaire des droits sur la marque ;

Qu'il s'évince des décisions cohérentes du syndic et des juges, que le choix du cessionnaire s'est porté sur une personne offrant des garanties supérieures quant à la pérennité de l'entreprise, lesquelles garanties ne se résumaient pas aux propositions financières, dans la mesure où leur mise en œuvre était subordonnée au maintien de toutes les conditions de l'exploitation, dont la compatibilité non conditionnelle entre les situations juridiques du repreneur et du fonds de commerce (permanence de la convention d'occupation précaire des locaux) ;

Attendu que l'anéantissement des droits découlant de l'enregistrement de la marque » Waterfront « est le seul moyen efficace de nature à faire cesser le préjudice causé aux personnes successivement habilitées à exploiter l'établissement au nom commercial et à l'enseigne » Le Waterfront « ;

Que l'unique mesure pour y parvenir consiste à faire annuler le dépôt n° 026129 en date du 30 mai 2005 et l'enregistrement consécutif portant le numéro 05.24684, et ce, pour l'ensemble des produits et services compris dans les classes 35, 41 et 43, dont le caractère indissociable est en effet manifeste ;

Qu'il y aura donc lieu d'annuler la marque » Waterfront « avec toutes conséquences de droit ;

Attendu que la prétention tendant à l'octroi de dommages et intérêts est formulée indistinctement par les demandeurs, soit d'une part, J.-P. S., ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la SCS V. et Cie et de J.-P. V., gérant commandité, d'autre part, la SCS A., C. et Cie, le tout avec le bénéfice d'une solidarité active non discutée, mais au titre d'un préjudice subi par la seule société SCS V. et Cie ;

Que cette demande n'est donc pas fondée et doit être rejetée de ce seul chef ;

Attendu que la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour l'usage de la marque » Waterfront « sera rejetée en l'absence de tout fondement par suite de l'annulation de son enregistrement ;

Attendu qu'il y a lieu de rejeter le surplus des demandes plus amples ou contraires en l'absence de fondement ou de preuve ;

Attendu qu'aucune demande n'a été formée par les demandeurs au titre de l'exécution provisoire ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement contradictoire,

Constate que les exploitants successifs du fonds de commerce de » piano, lounge, bar, restaurant « situé à Monaco, [...], disposaient du droit d'utiliser, sans préjudice des droits éventuels de tiers, la dénomination » Le Waterfront « à titre de nom commercial et d'enseigne ;

Dit qu'en ayant déposé la marque » Waterfront « aux fins de son enregistrement à Monaco aux fins de parasiter le sigle constitué de la même dénomination, nécessaire à l'exploitation du fonds de commerce au nom et à l'enseigne » Le Waterfront «, Monsieur H. K. a commis un acte de concurrence déloyale par abus de droit au préjudice des exploitants successifs du fonds de commerce dénommé le » Le Waterfront « ;

Prononce l'annulation du dépôt n° 026129 en date du 30 mai 2005 ainsi que de l'enregistrement de la marque » Waterfront " sous le numéro 05.24684 ;

Dit que la décision sera transmise à la Direction de l'Expansion Économique, Service des Marques de Fabrique, de Commerce ou de Service, aux fins que de droit, par la partie la plus diligente, une fois la décision devenue définitive ;

Interdit à Monsieur H. K. de se prévaloir des droits attachés au dépôt de la marque dont l'enregistrement est annulé ;

Déboute les parties pour le surplus ;

Condamne Monsieur H. K. aux dépens, dont distraction au bénéfice de Maître Christine Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Mme Grinda-Gambarini, prés. ; M. Dubes, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla, Pastor-Bensa, av. déf. et Me Morel, av. Bar de Nice.

Note🔗

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