Tribunal de première instance, 17 janvier 2008, M P c/ Société anonyme monégasque S.

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Abstract🔗

Conventions collectives - Convention collective nationale des banques - Application - Rejet légitime de la candidature du salarié à un nouveau poste - Qualification insuffisante pour le poste.

Résumé🔗

La Convention collective nationale des banques s'appliquait, à l'époque des faits litigieux, aux rapports juridiques entre le salarié et la banque employeur, laquelle était donc tenue de garantir la mise en œuvre des stipulations de l'article 58 de la convention fixant les conditions de nomination sur certains postes en faveur des seuls salariés appartenant à l'entreprise à condition qu'ils soient qualifiés, sauf dérogation justifiée l'intérêt de l'entreprise. Ces principes ont pour nécessaire conséquence une restriction du pouvoir de direction de l'employeur à laquelle il a lui-même consenti en se reconnaissant lié par la convention. Or il justifie du rejet légitime de la candidature du salarié au poste ouvert au recrutement, ayant préféré une candidature extérieure. Si au regard des critères posés pour le poste litigieux, le salarié possédait bien le niveau d'études et les connaissances spéciales requises, il ne maîtrisait pas la langue allemande, ce qui était exigé par l'employeur, et n'établit pas avoir eu une expérience de plusieurs années en management d'équipe. La dénomination de ses fonctions successives ne permet pas de présumer qu'elles contenaient effectivement des fonctions de direction du personnel. Il n'établit donc pas qu'il était entièrement qualifié pour occuper le poste litigieux et que l'employeur lui aurait refusé le poste litigieux par rétorsion à son attitude revendicative alors que certaines revendications ont été satisfaites, ou encore que son mandat de délégué du personnel aurait été pris en considération. Enfin, l'employeur n'avait aucune obligation conventionnelle d'expliquer par écrit les raisons du rejet de la candidature.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 17 JANVIER 2008

En la cause de :

  • M. p. P, né le 4 septembre 1953 à Izmir (Turquie) de nationalité italienne, demeurant et domicilié à « X » X à Monaco

APPELANT, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme monégasque S (Monaco), dont le siège social se trouve X1 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège, ou de son mandataire dûment habilité,

INTIMÉE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu le jugement du Tribunal de Travail, en date du 30 novembre 2006 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 décembre 2006, enregistré ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM S, en date des 18 avril 2007 et 4 octobre 2007 ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de p. P, en date des 21 mai 2007 et 14 novembre 2007 ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour p. P, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, pour l'UBS, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

1° Faits antérieurs à l'instance

p. P est employé par la société S (Monaco) ;

Par une note interne datée du 25 juin 2002, la direction de l'entreprise a annoncé qu'elle recherchait parmi son personnel une personne pour lui confier le poste de « responsable du desk Exécution », considéré comme cadre de la classe VI/VII ;

p. P s'est porté candidat à ce poste ; il a été avisé le 25 juillet 2002 que sa candidature n'avait pas été retenue ;

Le poste a été finalement confié à j. T, qui n'appartenait pas préalablement au personnel de l'entreprise ;

p. P a contesté ce choix, estimant que priorité aurait dû être donnée à un recrutement interne et qu'il présentait les qualités nécessaires pour assurer les fonctions envisagées ;

Il a invoqué l'article 58 d de la Convention Collective nationale des banques ainsi rédigé :

  • « Sauf dérogations justifiées par l'intérêt de l'entreprise, les nominations aux postes des classes II à VII incluses ne portent que sur des employés gradés ou cadres appartenant à l'entreprise ou, à défaut de candidat qualifié, à la profession. Cette réserve ne vise pas les agents de la profession licenciés par suite de suppression d'emploi » ;

2° L'instance suivie devant le Tribunal du Travail

Par requête du 25 juillet 2003, p. P a sollicité la condamnation de la société S (Monaco) à lui payer, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la somme de 611.150 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect de l'article 58-d de la convention collective précitée ;

À la suite d'une vaine tentative de conciliation, l'affaire a été renvoyée le 20 octobre 2003 devant la formation de jugement du Tribunal du Travail ;

Par jugement du 30 novembre 2006, le Tribunal du Travail a débouté p. P de l'intégralité de ses prétentions et l'a condamné aux dépens ;

La société S (Monaco) lui a fait signifier cette décision par un acte du 12 décembre 2006 ;

3° L'instance d'appel

Par l'exploit susvisé du 22 décembre 2006, p. P a interjeté appel ;

Par cet acte et ses conclusions ultérieures des 21 mai et 14 novembre 2007, il demande au Tribunal de première instance de :

- réformer la décision entreprise sur l'ensemble de ses dispositions,

- dire que le fait pour son employeur d'avoir refusé de donner priorité à sa candidature, en violation de la Convention collective précitée, constitue une faute engageant la responsabilité de son adversaire et l'obligeant à réparation,

- condamner en conséquence la société S (Monaco) à lui payer une indemnité de 611.150 euros, toutes causes de préjudice confondues ;

La société S (Monaco sollicite la confirmation du jugement rendu par le Tribunal du Travail (conclusions des 18 avril et 4 avril 2007 ;

Les moyens de fait et de droit débattus par les parties peuvent être ainsi résumés :

Sur l'office du juge

  • le Tribunal du Travail a retenu que, s'il n'avait pas vocation à se substituer au chef d'entreprise et ne pouvait donc pas annuler la décision de recrutement de Madame J. T pour dire que le poste aurait dû être attribué à p. P, il avait en revanche pleine compétence pour contrôler l'application des dispositions de l'article 58 d de la Convention Collective ; il en a déduit qu'au-delà d'une simple vérification de régularité formelle de la procédure suivie, il lui appartenait d'une part de déterminer s'il existait au sein des effectifs de l'entreprise au moins un candidat qualifié pour l'occuper, d'autre part, dans l'affirmative, d'apprécier si l'intérêt de l'entreprise justifiait une dérogation à la priorité due aux membres du personnel,

  • la banque soutient que le juge ne peut pas s'attribuer un pouvoir de substitution à l'employeur dans les prérogatives liées à l'intérêt spécifique de l'entreprise, notamment la désignation d'un collaborateur pour occuper un poste dont la définition n'appartient qu'au chef d'entreprise ; elle en déduit que le juge doit s'en tenir à une vérification formelle du respect de l'article 58 d de la Convention Collective, sans pouvoir rechercher si un employé est en capacité d'occuper le poste à pourvoir dans l'intérêt de l'entreprise ;

  • p. P estime qu'il y a contradiction dans le fait, par son adversaire de contester l'office du juge tout en demandant la confirmation du jugement critiqué ; il ajoute que l'employeur est tenu d'appliquer les stipulations d'une convention collective sans qu'il y ait lieu de distinguer entre obligation de moyens et obligation de résultat, surtout lorsqu'il s'agit d'une protection accordée au salarié, de sorte qu'il est insoutenable que l'employeur soit seul juge de son application en dehors de tout contrôle judiciaire ; il adopte sur ce point l'appréciation du Tribunal ;

Sur la charge de la preuve

  • le Tribunal du Travail a estimé qu'il appartenait à p. P d'établir qu'il disposait de la ou des qualifications nécessaires, tandis que l'employeur devait justifier des raisons pour lesquelles l'intérêt de l'entreprise commandait de ne pas donner priorité aux candidatures internes ;

  • p. P fait observer que la banque n'a pas justifié que sa nomination, bien qu'il soit qualifié, aurait été contraire à l'intérêt de l'entreprise ;

  • selon l'employeur, l'article 58 de la Convention Collective « ne fait qu'édicter des moyens de pourvoir en interne des postes créés ou devenant vacants, sans obligation de résultat » ;

Sur l'aptitude de p. P au poste concerné

  • s'appuyant sur l'article 58 a de la Convention Collective et la note de recrutement précités, le Tribunal du Travail a :

    • estimé que les postes de cadre supérieur relevant de la classe VII comportaient une fonction de commandement d'études, ou de conseil ou de contrôle par délégation directe d'un directeur ou de l'employeur, et requéraient notamment une aptitude avérée aux fonctions de management et de commandement, ainsi qu'à l'exercice de l'autorité

    • que p. P ne justifie ni d'une expérience en tant que responsable d'un desk execution ou d'un back office titres, ni d'une expérience de plusieurs années en management d'équipe, ni surtout, au regard de ce critère primordial et déterminant, d'une aptitude avérée aux fonctions d'encadrement et de commandement et à l'exercice de l'autorité,

    • qu'au contraire les appréciations portées sur lui font état de remontrances sur son ouverture à autrui, sa capacité à apporter collaboration, confiance ou aide à ses collègues, la nécessité de mettre le travail d'équipe au-dessus de ses priorités particulières, son caractère changeant, sa mauvaise humeur, et un état occasionnel d'excitation et d'agressivité,

    • et que ces évaluations peuvent être prises en considération, même si elles doivent être appréciées avec précaution et mesure compte tenu des fonctions de délégué du personnel exercées par l'intéressé, dès lors que les évaluations relèvent du pouvoir de direction de l'employeur, qu'elles émanent de trois évaluateurs différents et qu'elles ont eu un caractère contradictoire, p. P ayant pu formuler des observations écrites ;

  • la société S (Monaco) reprend l'appréciation du Tribunal et précise :

    • que le poste litigieux requérait, en raison de son haut niveau de responsabilité, des connaissances spéciales, la maîtrise de plusieurs langues étrangères, une expérience en tant que conseiller senior et responsable d'un desk execution ou d'un back office titres et une expérience de plusieurs années en management d'équipes, c'est-à-dire une aptitude au commandement impliquant, au-delà de la maîtrise intellectuelle des problèmes à traiter, charisme et capacité pédagogique,

    • que p. P présentait une « inaptitude psychologique » au poste litigieux en raison d'un trop fort repli sur soi et de mouvements d'humeur notables qui auraient risqué de retentir sur l'homogénéité de l'équipe à diriger et sur son rendement,

    • que ses capacités et qualités techniques, non contestées dans le cadre des fonctions qu'il occupe, n'empêchaient pas qu'il ne répondait pas au critère primordial et déterminant gouvernant le recrutement,

    • que le Tribunal ne s'est aucunement contredit alors qu'en réalité p. P n'a jamais su ou pu assumer pleinement ses obligations de commandement et de gestion d'une équipe,

    • que ses évaluations professionnelles, qui ont stigmatisé un « certain déséquilibre psychologique », manifesté par le détournement de moyens mis à sa disposition en se procurant des documents internes pour les divulguer à son seul profit, ont justifié plusieurs sanctions disciplinaires ;

  • p. P estime que le Tribunal a à tort pris en considération l'article 58 a de la Convention Collective, ajoutant ainsi des conditions non prévues alors qu'il convenait seulement de retenir la définition de salarié qualifié donnée par l'article 58 d, qui n'exige que la qualité d'employé, gradé ou cadre appartenant à l'entreprise ; il fait valoir :

    • qu'à la suite de son embauche en juillet 1979, il a été successivement responsable du département Trésorerie-Change, « à l'origine de la création du Front Office et Back Office de la banque », chargé de façon simultanée des clientèles anglaises et italiennes, a été correspondant avec la Banque de France, à partir de 1992 fondé de pouvoir de la classe VI, chargé de la responsabilité du Front Office, département Trésorerie-Change et par intérim de la bourse, et à compter de 2002 chargé d'opérations execution desk,

    • qu'il a notamment été chef de service et désigné en 1995 avec une demi-douzaine d'autres salariés pour mettre en place, avec succès, un nouveau système informatique,

    • qu'il présentait donc toutes les conditions requises, précisant que la maîtrise de la langue allemande n'est nullement nécessaire dans les fonctions en cause puisque les contacts se font pour l'essentiel en anglais ou en italien ;

    • que sa promotion à ce poste aurait été naturelle alors qu'il n'avait pas changé de coefficient depuis 1992 et que l'article 58 c de la Convention Collective prévoit un droit à avancement pour un cadre de la classe VI au bout de 10 années,

    • que le Tribunal s'est contredit en lui déniant toute aptitude aux fonctions d'encadrement ou de commandement alors que cette aptitude est primordiale et déterminante pour accéder à la classe VI à laquelle il appartient, et qu'il avait trois gradés sous sa responsabilité,

    • que le poste litigieux n'était nullement un poste de direction, mais seulement un poste de chef d'équipe en salle des marchés,

    • que ses évaluations professionnelles, seul fondement retenu par le Tribunal, ne peuvent pas être prises en considération alors qu'elles émanent « unilatéralement » de l'employeur ou d'agents placés sous sa subordination, qu'elles sont vagues et d'ordre psychologique sans remettre en cause les compétences professionnelles, et qu'elles ne reflètent pas objectivement ses réels aptitudes et comportement, seule une partie des évaluations, à l'exclusion d'appréciations antérieures élogieuses, ayant été produite,

    • que ces évaluations ne sont pas fidèles alors que sa charge de travail a été augmentée entre 1996 et 1999 à la suite de la réduction du nombre de membres de son service, que ses fonctions de délégué du personnel attestent de ses capacités d'écoute des autres, que son témoignage en faveur d'une salariée licenciée et son action en tant que délégué en 2000 ont déplu à l'employeur,

    • que les griefs d'agressivité et d'excitation n'ont pas été justifiés,

    • que la sanction disciplinaire liée à la production en justice d'un document interne est actuellement contestée en justice,

    • qu'il n'y a lieu de prendre en compte que les qualités professionnelles, les résultats et l'aptitude au commandement sans examen sous l'angle du profil psychologique,

Sur les circonstances du recrutement

  • p. P reproche à son employeur de lui avoir réclamé un curriculum vitae, alors qu'il était depuis plus de 20 ans dans l'entreprise, et de ne lui avoir fourni aucun motif au refus de sa candidature, malgré même l'intervention de l'Inspecteur du Travail ; il prétend encore :

    • qu'il a été victime d'une réaction d'hostilité due à l'exercice par lui de fonctions de délégué du personnel et à l'engagement avec d'autres salariés d'une procédure pour contester le retrait arbitraire d'une prime de rendement, se trouvant en outre cantonné dans un poste dont les attributions sont devenues de plus en plus subalternes,

    • que son employeur a affiché plus largement sa volonté de privilégier la promotion d'employés et de cadres venant de l'extérieur au détriment des employés pourvus d'ancienneté, malgré le rappel fait le 8 septembre 1998 par l'Association Monégasque des Banques de respecter l'article 58 d précité dans l'intérêt des nationaux monégasques et des « gens du pays » ;

    • qu'il n'a toujours pas été envisagé de lui confier le poste en cause lorsqu'il s'est trouvé vacant par suite de la réaffectation de Madame J. T et ne lui a pas davantage fait de proposition de développement depuis ;

l'employeur répond :

  • que l'exigence d'un nouveau curriculum vitae mis à jour était nécessaire, conformément au protocole habituel, pour procéder à un examen fiable et exhaustif de la candidature, d'autant que, compte tenu des trois changements d'enseigne intervenus en 20 ans, le service des ressources humaines était en droit de s'assurer qu'il disposait de l'intégralité des éléments pouvant être utiles au candidat ;

  • que p. P omet de faire état, dans la réponse qu'il a reçue, d'une proposition de développement au sein de la banque, montrant ainsi sa volonté systématique d'en découdre avec son employeur,

  • que le ralentissement de sa progression de carrière s'explique par son incapacité à exercer ses obligations de commandement et de gestion d'une équipe,

  • que son statut de délégué du personnel est étranger à la décision de recrutement litigieuse ;

Sur le préjudice

  • p. P fait valoir :

    • sur le plan matériel, qu'il a été fautivement privé d'une augmentation de salaire à hauteur de 1.550 euros par mois et que, ayant perdu tout espoir d'obtenir une promotion avant son départ à la retraite, il a droit à une indemnité de 361.150 euros, soit 233 mois de complément de salaire entre le moment où il aurait dû bénéficier du poste et le moment de son départ à la retraite,

    • qu'il a encore perdu une chance de bénéficier de promotions, augmentations de salaire, primes et bonus jusqu'à son départ en retraite, soit 150.000 euros,

    • que sur le plan moral, il lui a été difficile, alors qu'il n'a jamais ménagé ses efforts depuis plus de 20 ans, d'être écarté d'un poste pour lequel il avait régulièrement fait acte de candidature et qui constituait pour lui une promotion naturelle, ce dans le contexte d'une série de vexations commises par l'employeur en raison de sa qualité de délégué du personnel ;

  • l'employeur estime ces prétentions infondées et prétend qu'il serait en outre inéquitable d'y faire droit alors que la personne à laquelle le poste a été attribué a déjà reçu la rémunération correspondante ; il prétend que la notion de « perte de chance » ne ressort que du champ de la responsabilité délictuelle alors que le litige intéresse le droit des contrats ; il ajoute que le préjudice invoqué au titre de la perte de chance n'a pas de caractère direct et certain, alors que le pouvoir d'appréciation discrétionnaire du chef d'entreprise a exclu toute possibilité de réalisation de la chance invoquée, et que l'indemnité pour perte de chance ne peut être présentée de manière forfaitaire alors qu'elle ne peut correspondre qu'à une fraction des privations alléguées ;

SUR QUOI,

Attendu que l'appel a été interjeté avant l'expiration du délai de dix jours prévu à l'article 62 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 et après le délai de trois jours qui a suivi le prononcé du jugement ;

Attendu que l'exploit d'appel contient toutes les indications prévues par l'article 427 du Code de procédure civile et apparaît donc régulier ;

Qu'il convient en conséquence de déclarer l'appel recevable ;

Attendu que les critiques formulées contre le jugement du Tribunal du Travail par la société S (Monaco) visent non une disposition de ce jugement, au sens de l'article 199 du Code de procédure civile, mais seulement certains de ses motifs ; qu'elles ne constituent donc qu'un moyen de droit et non un appel incident ;

  • I. Sur les obligations de l'employeur et l'office du Tribunal

Attendu qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 416 du 7 juin 1945 sur les conventions collectives, les personnes liées par une convention collective sont, à défaut de clause contraire, tenues d'observer les conditions de travail qui y sont convenues ; que selon l'article 26 de la même loi, les personnes liées par la convention peuvent intenter une action en dommages-intérêts aux autres personnes liées par la convention et qui en violent les engagements ;

Attendu qu'il résulte de ces principes que les parties à la convention sont tenues d'exécuter la convention ; qu'il n'y a là qu'une application de règle générale exprimée à l'article 989 du Code civil selon laquelle les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi ;

Attendu qu'il est constant que la Convention collective nationale des banques s'appliquait, à l'époque des faits litigieux, aux rapports juridiques entre la société S (Monaco) et ses salariés ;

Attendu que cette société était donc tenue de garantir la mise en œuvre des stipulations de l'article 58 de la convention ;

Attendu que cet article, qui forme un tout, contient notamment trois principes essentiels :

  • l'avancement à tous les degrés de la hiérarchie est commandé par l'intérêt de l'entreprise et consacre les qualités professionnelles de l'agent, les résultats obtenus par son travail et son aptitude au commandement, sans qu'il soit tenu compte d'aucune autre considération (paragraphe a),

  • les nominations aux postes des classes II à VII incluses ne portent que sur des employés gradés ou cadres appartenant à l'entreprise à condition qu'ils soient qualifiés (paragraphe d),

  • une dérogation à cette règle est possible à condition qu'elle soit justifiée par l'intérêt de l'entreprise ;

Attendu que ces principes ont pour nécessaire conséquence une restriction du pouvoir de direction de l'employeur à laquelle il a lui-même consenti en se reconnaissant lié par la convention ;

Attendu que le Tribunal, saisi d'une demande en dommages-intérêts, est donc tenu de rechercher s'il y a eu violation par l'employeur des engagements résultant de la Convention collective ; qu'il ne peut y avoir là ni substitution au chef d'entreprise, ni atteinte injustifiée à son pouvoir de direction ;

Attendu qu'il est énoncé dans la note adressée au personnel le 25 juin 2002 que le poste litigieux à pourvoir appartenait soit à la classe VI, soit à la classe VII ; que l'article 58 d de la Convention collective est donc bien applicable en l'espèce ;

Attendu que selon l'article 1162 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver tandis que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ;

Attendu que le Tribunal du Travail a donc exactement retenu :

  • qu'il appartient à p. P d'établir qu'il était bien qualifié pour occuper le poste litigieux,

  • que dans le cas où cette qualification serait démontrée, c'est à la société S (Monaco) qu'il incomberait de prouver que l'intérêt de l'entreprise aurait justifié que le poste ne lui soit pas attribué ;

  • II. Sur la qualification de p. P

Attendu que les critères prévus dans la note précitée du 25 juin 2002 étaient les suivants :

  • niveau d'études : 4 ou 5 ans d'études après le baccalauréat,

  • connaissances spéciales : execution of equity, fixed income, foreign exchange, derivative products,

  • langues étrangères : anglais, français, allemand, si possible italien,

  • expérience : expérience en tant que conseiller senior avec d'excellents contacts clientèle, expérience de plusieurs années en tant que responsable d'un desk Execution/Backoffice Titres, et expérience de plusieurs années en management d'équipe,

  • autres qualification : connaissance si possible du système informatique Olympic ;

Attendu que ces exigences étaient conformes aux prescriptions du paragraphe a de l'article 58 dès lors qu'elles ne prenaient en considération que les qualités professionnelles de l'agent, les résultats obtenus par son travail et son aptitude au commandement ;

Attendu que l'aptitude de p. P devait être appréciée au moment du choix fait par l'employeur ; que deux conséquences doivent en être tirées :

  • les faits survenus postérieurement ne peuvent être probants que s'ils reflètent la qualification du salarié à l'époque du choix,

  • de même les faits antérieurs doivent être appréciés en tenant compte des éventuelles évolutions intervenues entre leur date et le moment du choix ;

Attendu que le rejet de la candidature de p. P au poste litigieux est intervenue entre le 11 juillet 2002, date d'envoi de sa candidature par messagerie électronique, et soit le 25 juillet 2002, date du message par lequel un membre de la direction confirme son rejet, soit le 19 juillet 2002, date à laquelle, selon ce message, p. P aurait été informé verbalement des raisons du refus (pièces n° 17 et 18 du dossier de p. P) ;

  • A. Faits postérieurs au choix

  • 1° Appréciations de l'Inspecteur du Travail

Attendu que p. P s'est plaint le 9 novembre 2002 auprès de l'Inspecteur du Travail du rejet de sa candidature (pièce n° 23 de son dossier) ; qu'après demandes d'explications à l'employeur (pièce n° 24), l'Inspecteur du Travail a fait connaître le 4 juillet 2003 à p. P qu'il lui « apparaissait au regard des informations en ma possession que vous possédiez toutes les connaissances requises dans la note diffusée au personnel et l'expérience demandée (à l'exception de la langue allemande) pour tenir le poste objet du litige » (pièce n° 27) ;

Attendu cependant que cette appréciation ne constitue qu'un simple avis ; que cet avis n'est pas déterminant dès lors qu'il n'est pas circonstancié, à défaut de contenir une analyse comparative des qualités exigées et du profil de p. P ; qu'il se trouve d'ailleurs tempéré par un autre courrier du 22 juillet 2003 dans lequel l'Inspecteur du Travail, en réponse aux éléments d'information fournis par l'employeur, lui en accuse réception et dit avoir « bien noté… que les évaluations de l'intéressé telles que communiquées par la hiérarchie n'étaient pas des meilleures », sans autre critique de la position de la société S (Monaco) (pièces n° 4 et 5 du dossier de l'employeur) ;

  • 2° Sanction disciplinaire à la suite de la production d'une pièce relative à J. T

Attendu que p. P a produit aux débats un document intitulé « Transfert compte à compte » faisant état du versement à « Monsieur ou Madame T », le 25 août 2004, d'une somme à titre de salaire (pièce n° 40) ; qu'il a invoqué cette pièce pour soutenir que la faute qu'il reproche à son employeur lui a causé un préjudice matériel ;

Attendu que ce document a été communiqué au conseil de la banque le 25 novembre 2004 selon le bordereau qui figure au dossier ;

Attendu que cette communication a donné lieu à un échange de courriers entre les conseils des parties, puis à une sanction disciplinaire dont p. P s'est plaint auprès de l'Inspecteur du Travail (pièces n° 31 à 35 du dossier de p. P et n° 6 à 11 du dossier de l'employeur) ;

Attendu que l'incident relatif à la communication de la pièce n° 40 est donc postérieur de plus de deux ans à l'époque à laquelle la société S (Monaco) a apprécié la candidature de p. P ; que le comportement adopté à cette occasion par p. P n'est pas de nature à influer sur son aptitude, au moment du choix de l'employeur, à occuper le poste litigieux ;

  • B. Faits antérieurs au choix

Attendu qu'il est certain que p. P a donné suffisamment satisfaction à son employeur pour bénéficier, depuis son embauche, d'avancements successifs ;

Attendu que la compréhension des documents produits par les parties est parfois malaisée, aucune d'elles n'ayant ni précisé le sens des expressions spécifiques et des abréviations utilisées dans le secteur bancaire, ni fourni le texte intégral de la Convention Collective nationale des banques qui décrit les emplois ;

Attendu que les seules affirmations de p. P sont sans valeur probante dès lors qu'elles sont discutées par son adversaire ;

Attendu qu'il établit, par des pièces émanant de son employeur, qu'il a occupé les postes suivants :

  • en 1986, il a été promu en qualité de « chef de service » (pièce n° 56) alors qu'il était auparavant mandataire commercial (pièce n° 54),

  • au 1er janvier 1993, il a été nommé fondé de pouvoir en raison de la confiance de son employeur dans ses capacités, son efficience et son aptitude à diriger des êtres humains (pièce n° 58), cette fonction appartenant à la classe de qualification VI (pièce n° 61),

  • en 1996, selon lui, il est devenu responsable IP-Trading, chargé notamment de la bonne exécution des ordres sur devises, dépôt et bourse, de la surveillance de la gestion des soldes de comptes en devises et de l'organisation des renseignements téléphoniques, ces responsabilités comportant la conduite d'un groupe, de bonnes connaissances bancaires, notamment dans les secteurs devises et titres, de la souplesse dans les heures de travail et la maîtrise du stress et des risques (pièces n° 1 et 30 de son dossier) ;

  • au 31 août 1998, adjoint au poste Forex/Transactions/Exécution, responsable essentiellement de l'exécution, de la transmission et de la surveillance des ordres, du développement des relations d'affaires avec des clients sélectionnés, du suivi des évolutions de normes de marché et de procédures officielles standard et d'une formation interne pour les collègues ; ce poste exigeait capacité à gérer des volumes importants et le stress, une facilité d'intégration à une équipe, une personnalité ouverte avec abord facile à autrui, la mise en œuvre de l'idée d'association et de service au client, attitude personnelle positive (pièces n° 2 et 2 bis),

  • le 10 avril 2000, l'employeur lui a confié la charge, avec un collègue, de l'activité de Trésorerie-Change, qu'il a acceptée (pièce n° 11),

  • au 25 avril 2000, il était courtier Exécutions Forex, avec rang de directeur adjoint, responsable, outre des missions déjà décrites en 1998, du coaching des ventes pour certains clients d'accès direct sélectionnés, de contribution aux départements « produit consultatif d'investissements », de couverture des positions FX, de surveillance étroite des positions de la banque, de développement des relations avec les clients, du développement de bonnes procédures et de bons rapports de contrôle et de remplacement dans les fonctions de trésorerie et d'exécution (pièces n° 12 et 12 bis, 13 et 13 bis) ;

Attendu qu'au regard des critères posés pour le poste litigieux, la société S (Monaco) paraît admettre que p. P possédait bien le niveau d'études et les connaissances spéciales requises ;

Attendu que sa connaissance du système Olympic est démontrée par son bulletin de paie pour octobre 1998 puisque ce document fait état d'une prime exceptionnelle « Olympic » de 4.000 francs (pièce n° 61), ainsi que par l'évaluation de ses performances professionnelles faite en 1997 par l'employeur (pièce n° 13 du dossier de l'employeur) ;

Attendu en revanche que p. P admet lui-même qu'il ne maîtrisait pas en 2002 la langue allemande ;

Attendu qu'il ne démontre pas que l'exigence de cette qualification ait pu être abusive de la part de son employeur ;

Attendu en outre qu'il n'établit pas avoir eu une expérience de plusieurs années en management d'équipe ;

Attendu qu'il m'indique pas dans ses écritures le nombre de personnes ayant pu être placés sous sa direction et que les documents émanant de son employeur ne le précisent pas ; que la dénomination de ses fonctions successives ne permet pas de présumer qu'elles contenaient effectivement des fonctions de direction du personnel ;

Attendu qu'on lit dans un courrier adressé le 20 mars 2000 par p. P à un administrateur délégué de la société S (Monaco) que le Front office ne comportait que deux personnes (lui-même et M. CA.) avant d'obtenir puis de perdre le renfort de quatre membres du service « PM » (pièce n° 10) ; qu'il n'y a pas là la description d'une équipe ;

Attendu que p. P n'établit donc pas qu'il était entièrement qualifié pour occuper le poste litigieux ; qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner les évaluations professionnelles produites par son employeur ;

Attendu que p. P ne démontre pas davantage que son employeur aurait pris en considération, en violation de l'article 58 a de la Convention collective précitée, des éléments d'appréciation autres que ses qualités professionnelles, les résultats obtenus par son travail et son aptitude au commandement ;

Attendu qu'il ressort certes des courriers produits aux débats qu'il a fréquemment adopté une attitude revendicative :

  • il a formulé des réserves le 7 septembre 1998 au sujet de la description de ses fonctions dont il estimait certaines exigences excessives (pièces n° 3 et 5),

  • il s'est plaint les 20 septembre 1999 et 28 avril 2000 de devoir effectuer des tâches de transmission d'ordres de bourse qu'il estimait subalternes ou d'être repoussé à un poste d'exécution (pièces n° 7, 13 et 13 bis),

  • il a prétendu au paiement d'heures supplémentaires au titre du service de permanence de passation des ordres (messages et courrier des 16 juillet 1999, 2 mars et 20 mars 2000 : pièces n° 6, 8 bis et 10),

  • il a saisi l'Inspecteur du Travail de ces litiges (pièce n° 14) ;

Attendu que son employeur a évoqué le 13 mars 2000, en réaction à la décision de p. P de ne plus assurer le service de permanence, la possibilité de sanctions disciplinaires (pièce n° 9) ;

Attendu cependant que ces faits ne permettent pas de présumer que l'employeur aurait entendu lui refuser le poste litigieux par rétorsion à ses revendications ; que la société S (Monaco), loin de les mépriser, les a en partie satisfaites en affectant p. P à l'activité de Trésorerie-Change et en acceptant de lui régler des heures supplémentaires pour la période allant du 1er mars au 10 avril 2000 (pièce n° 11) ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que p. P a exercé les fonctions de délégué du personnel ;

Attendu cependant qu'il ne produit aucune pièce relative aux actions qu'il a menées à ce titre ; que le Tribunal n'est pas en mesure de présumer que son mandat de délégué du personnel aurait été pris en considération par l'employeur pour lui refuser le poste litigieux ;

Attendu que le comportement de l'employeur lors de l'examen et du rejet de la candidature n'est pas davantage probant ;

Attendu que le fait d'avoir demandé à p. P de fournir un curriculum vitae actualisé n'est pas révélateur de mauvaise volonté alors que la SAM S indiquait dans sa demande que le curriculum vitae inséré dans son dossier remontait à 1978 et qu'elle était fondée à s'assurer auprès de p. P qu'elle disposait bien de tous les éléments d'information nécessaires ;

Attendu que le refus de l'employeur d'expliquer par écrit les raisons du rejet de la candidature n'apparaît pas fautif alors que l'article 58 de la Convention Collective ne l'y obligeait pas ;

Attendu que le fait, allégué par p. P, qu'il n'aurait pas bénéficié d'un avancement au bout de 10 ans dans la classe VI, n'est pas davantage déterminant ;

Attendu que l'article 58 c de la Convention Collective ne crée pas de véritable droit à l'avancement, mais prévoit seulement qu'à défaut d'avancement, le cadre concerné peut soumettre son cas à l'examen d'une commission instituée auprès de la direction de l'établissement et habilitée à proposer son inscription sur la liste d'aptitude à l'avancement ; qu'il appartenait donc à p. P de saisir cette commission ; qu'en revanche le défaut d'avancement n'est pas par lui-même constitutif d'une faute imputable à l'employeur ;

Attendu que p. P ne justifie pas de son affirmation selon laquelle la société S (Monaco) privilégierait systématiquement l'embauche de nouveaux cadres extérieurs à l'entreprise ;

Attendu enfin que le Tribunal ne peut tirer aucune présomption du fait que j T a changé de fonctions au début de l'année 2003 ;

Attendu que la société S (Monaco) a indiqué le 10 juillet 2003 à l'Inspecteur du Travail qu'il n'y avait pas lieu d'envisager son remplacement dès lors que le service Execution desk avait fusionné avec le service « Active Advisory », dirigé par g. de VI., pour former sous l'autorité de ce dernier un service unique dénommé « Transaction Product », tandis que j T. reprenait le service « Processing » du département « OPS » (pièce n° 5 du dossier de l'employeur) ;

Attendu que p. P ne démontre pas en quoi cette réorganisation serait révélatrice d'une volonté de la société S (Monaco) d'agir contrairement à l'article 58 de la Convention collective précitée ;

  • III. Sur la demande de p. P

Attendu qu'il résulte de ce qui précède qu'à défaut de rapporter la preuve qui lui incombe, p. P doit être débouté de ses demandes ;

Attendu qu'en raison de cette décision, la société S (Monaco) n'est pas tenue de rapporter la preuve des conditions ouvrant droit à une dérogation aux obligations posées par l'article 58 d de la Convention Collective ;

Attendu que la décision des premiers juges doit en conséquence être confirmée ;

Et attendu que les dépens d'appel doivent incomber, par application de l'article 231 du Code de procédure civile, à p. P, partie succombante ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers juges,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail,

Déclare recevable l'appel interjeté par p. P contre le jugement rendu le 30 novembre 2006 par le Tribunal du Travail ;

Confirme ce jugement en toutes ses dispositions ;

Condamne p. P aux dépens de l'instance d'appel et en ordonne la distraction au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous l'affirmation prévue à l'article 233 du Code de procédure civile ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef ;

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, le 17 JANVIER 2008, par Monsieur Gérard LAUNOY, Premier Juge, faisant fonction de Président, Monsieur Emmanuel ROBIN, Juge, Monsieur Thierry CABALÉ, Juge, en présence de Monsieur Gérard DUBES, Premier Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Antoinette FLECHE, greffier.

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