Tribunal de première instance, 1 mars 2007, SAM Éditions latino-américaines c/ Madame B.-N.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Contrat de journaliste rédacteur - Licenciement : motifs non valables - Fausse information prétendue : faits présentés comme incertains article rédigé au mode conditionnel - Insubordination prétendue, en raison du refus de fournir à l'employeur des explications relatives à la publication litigieuse, ce qui n'est point établi, alors que celui-ci ne justifie pas d'une mise en demeure à cet égard et qu'il avait tout loisir d'obtenir des informations nécessaires à l'exercice de son contrôle, que la responsabilité de la publication relevait de la rédactrice en chef, que la journaliste rédactrice était protégée par le principe constitutionnel de la liberté de la presse - Liberté d'expression - Droits du journaliste : article 23 de la Constitution du 17 décembre 1962 - Protection des sources journalistiques : article 38 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 - Divulgation des sources limitée : nécessité d'un intérêt légitime supérieur à celui de la privation de la liberté de la presse

Résumé🔗

Il est constant en l'espèce que la décision de rupture du contrat de travail prise par l'employeur a été motivée par le comportement de sa journaliste, en sorte qu'il s'agit d'un licenciement pour faute ; qu'il incombe donc à tout le moins à l'employeur d'établir la réalité du ou des manquements, en sorte que la discussion juridique instaurée par la société EDLA sur la qualification de la faute ne fera l'objet d'un examen par le tribunal que s'il est retenu l'existence d'un manquement ; que force est en effet de constater que la seule incidence relative à une telle distinction, d'ordre matériel, est en l'espèce inexistante, dès lors que les conséquences pécuniaires liées à une faute grave n'ont pas été appliquées par l'employeur ;

Sur les causes de la rupture, la société EDLA reproche en premier lieu à S. B.-N. d'avoir participé à la publication d'une fausse information tout en garantissant la fiabilité ;

Cependant et ainsi que l'ont fort justement relevé les premiers juges, la journaliste n'a jamais présenté les événements litigieux comme certains, l'article étant rédigé dans son ensemble au mode conditionnel et son titre à la forme interrogative, en sorte que le fait que les changements d'affectation évoqués n'aient finalement pas eu lieu ne constitue pas une fausse information, mais simplement la non-réalisation de possibilités énoncées comme telles et non comme des réalités ;

En outre, il résulte des éléments de la cause et notamment d'une réponse écrite adressée le 3 juin 2004 par C. B., rédactrice en chef, à A. C., président délégué de la société EDLA, que conformément à la pratique, les informations en cause avaient été recoupées par deux sources différentes dont la fiabilité a été évoquée et que la décision de publication n'a été prise par cette dernière qu'après demande de confirmation auprès des sources, ce que confirme Cl. A. dans son attestation du 20 novembre 2003 ;

Il suit de l'ensemble de ces considérations que le premier motif invoqué par l'employeur au soutien de la rupture n'est absolument pas fondé ;

Il convient dès lors de déterminer si la deuxième cause invoquée peut constituer ce motif valable au sens de la loi, savoir si la salariée a fait preuve d'insubordination envers son employeur ;

Cet égard, force est de constater que les éléments produits ne sont pas suffisants pour rapporter la preuve de la réalité de l'insubordination dont se prévaut l'employeur à l'égard d'une salariée qui n'avait jusque là fait l'objet d'aucun reproche dans le cadre de son travail, et qui conteste formellement avoir opposé le refus qui lui est imputé ;

En effet, la société EDLA ne justifie nullement d'une part d'avoir mis en demeure sa salariée de lui fournir toutes les explications utiles relatives à la publication litigieuse, et destinées, selon lui, à s'assurer de ce que cette dernière avait mis tout en œuvre pour permettre la publication d'informations objectives et vérifiées mais nullement à révéler l'identité des sources, et d'autre part, que celle-ci aurait refusé d'y satisfaire ;

En toutes hypothèses, il ne démonte pas davantage de la nécessité d'une telle démarche envers la journaliste rédacteur de l'article, alors d'une part que la décision de publication, et donc la responsabilité d'une telle publication, relevait de la rédactrice en chef, laquelle interrogée sur les circonstances ayant donné lieu à la parution des informations litigieuses a, dans sa réponse adressée au président délégué de la société EDLA, fourni toutes les explications relatives à cet article ; d'autre part, au moment du licenciement la vérification des informations diffusées n'avait pu encore se faire officiellement ;

Le second motif n'apparaît donc pas davantage fondé ;

Pour sa part, S. B.-N. soutient que le motif réel de licenciement a résidé dans son refus de divulguer ses sources journalistiques, et produit en ce sens l'attestation établie par C. B. le 27 mars 2006 aux termes de laquelle celle-ci indique qu'après avoir fait savoir à son éditeur et actionnaire, qui désirait connaître « qui avait fourni cette information à Mme B.-N. » que celle-ci n'entendait pas livrer le nom de sa source, celui-ci lui avait alors « fait comprendre que soit Mme B.-N. obtempérait en citant cet informateur, soit elle devait en assumer les conséquences » ;

L'employeur qui conteste avoir jamais demandé à cette dernière de lui révéler ses sources journalistiques, relève néanmoins à cet égard que le droit à la protection des sources, qu'il admet, ne peut toutefois pas lui être opposé en sa qualité d'employeur en l'état de son pouvoir de contrôle et de direction au sein de l'entreprise ;

En effet, durant l'exécution de sa prestation de travail, le salarié est tenu de se conformer aux instructions de l'employeur, sauf toutefois le cas où le refus du salarié de s'y soumettre est jugé légitime ;

En l'espèce, la liberté d'expression du journaliste, unanimement reconnue en droit européen, est un principe à valeur constitutionnelle en Principauté de Monaco consacré par les dispositions de l'article 23 de la Constitution ;

Depuis, a été adoptée la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression dont l'article 38 a consacré la protection des sources, texte qui n'est en réalité que l'expression dudit principe général ; que ses dispositions sont toutefois inapplicables en la cause, car postérieures aux faits ;

Dans un tel cadre et afin de protéger cette liberté d'expression, que la société EDLA reconnaît, les principes directeurs en la matière énoncent que pour qu'il y ait divulgation, il faut que l'intérêt légitime de divulguer l'emporte clairement sur l'intérêt public de la non divulgation, en sorte qu'elle doit se justifier par un impératif supérieur à celui de la préservation de la liberté de la presse, impératif qui fait défaut en l'espèce et qui n'est en outre même pas allégué ; qu'au contraire, l'ensemble des éléments de la cause révèle au demeurant que l'employeur avait tout loisir d'obtenir les informations nécessaires à son contrôle (lettre B. du 3 juin 2004, attestation A.) ;

Au regard de ces considérations et dès lors qu'aucun autre élément tendant à établir les fautes imputés à S. B.-N. ne se dégage des éléments de la cause, le tribunal ne peut en définitive, que confirmer la décision des premiers juges sur ce point ;


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que statuant dans l'instance opposant S. B.-N. à la société anonyme monégasque dénommée Éditions latino-américaines, le Tribunal du travail, par jugement du 3 mars 2005 auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits de la cause, a :

dit que le licenciement de S. B.-N. ne repose ni sur une faute grave, ni sur un motif valable,

dit en outre que cette mesure revêt un caractère abusif,

condamné en conséquence la société anonyme monégasque Éditions latino-américaines à payer à S. B.-N. la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice, essentiellement d'ordre moral, subi,

débouté S. B.-N. de sa demande de bâtonnement,

condamné la société Éditions latino-américaines aux dépens ;

Attendu que suivant exploit en date du 28 avril 2005, la société anonyme monégasque Éditions latino-américaines, ci-après EDLA, a relevé appel de ce jugement, signifié le 19 avril 2005, aux fins de :

voir infirmer la décision entreprise, et ce faisant,

dire et juger que le licenciement repose sur un motif valable,

débouter en conséquence S. B.-N. de l'ensemble de ses demandes ;

Qu'au soutien de son appel, la demanderesse reproche aux premiers juges d'avoir :

considéré que l'employeur était tenu par la qualification de la faute donnée dans la lettre de démission malgré le versement des indemnités légales révélant de fait un licenciement pour motif valable et non pour faute grave,

dénaturé la portée des pièces versées aux débats relativement à l'information publiée et plus particulièrement l'attestation Audibert de laquelle il résulterait en réalité qu'elle n'a pas recoupé l'information et qu'elle n'a pas été personnellement témoin de ce recoupage et qu'en définitive la journaliste a garanti la fiabilité d'une information pourtant truffée de contrevérités, ce qui a permis sa publication,

retenu l'opposabilité à l'employeur du principe de protection des sources ;

Qu'à titre subsidiaire, elle sollicite la réformation du jugement sur le montant des dommages-intérêts alloués qu'elle juge excessif dès lors d'une part que le préjudice moral retenu reposerait sur un licenciement pour faute grave, ce qu'elle conteste, et que le préjudice matériel apparaît limité par le fait que la salariée n'a travaillé que peu de temps au sein de l'entreprise et qu'au moment de la rupture elle n'exerçait plus qu'une activité à mi-temps ;

Attendu que S. B.-N., s'opposant formellement à ces demandes, a conclu à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la société EDLA au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, l'employeur ne visant manifestement qu'à retarder le paiement des dommages-intérêts destinés à compenser son préjudice ;

Qu'elle rappelle avoir pris toutes les précautions relativement à l'article incriminé lequel a d'une part été soumis à la rédactrice en chef avant sa parution, laquelle l'a recoupé avec ses propres sources d'info et a autorisé sa publication, d'autre part été rédigé au conditionnel en l'absence de confirmation de l'information ;

Qu'elle soutient que l'employeur est lié par la qualification employée dans la lettre de licenciement, et qu'en toute hypothèse s'agissant d'un licenciement pour faute, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité de cette faute, ce qu'il ne fait pas ;

Qu'en effet, s'agissant du motif, elle estime qu'il ne pouvait pas lui être reproché la publication d'une « fausse information » dès lors que cette information avait été présentée comme incertaine et qu'elle avait été recoupée par la rédactrice en chef, elle-même témoin direct des faits en tant que journaliste au sein de Monaco-Hebdo et seule responsable de la publication ;

Qu'elle conclut à l'allégation d'un faux motif de licenciement à son encontre, ayant consisté à la sanctionner pour avoir protégé ses sources en tant que journaliste, droit qui relève pourtant de ladite profession et qui est conforme aux principes européens tendant à promouvoir l'indépendance de l'information, et notamment l'indépendance éditoriale des rédactions face aux propriétaires des publications ;

Qu'enfin elle estime que les dommages-intérêts alloués par les premiers juges sont justifiés tant dans leur principe en ce qu'ils visent à réparer le préjudice né du licenciement déclaré abusif, que dans leur quantum au regard de la situation enviable qu'elle avait dans l'entreprise (contrat à durée indéterminée et travail à mi-temps pour s'occuper de son enfant en bas âge), alors que désormais elle travaille de manière irrégulière ;

Attendu que par la suite le litige s'est ainsi noué entre les parties qui ont conclu les 14 décembre 2005, 9 mars et 9 novembre 2006 pour la société EDLA, les 18 janvier et 27 avril 2006 pour S. B.-N.,

Sur la nature de la faute

l'employeur entend voir réformer la décision entreprise en ce qu'il y aurait une incompatibilité entre le fait de mentionner une faute grave dans la lettre de licenciement et celui de régler finalement les indemnités de préavis et de congédiement, en sorte que le contrat de travail doit être considéré comme ayant été rompu sur la base d'un motif valable ; que le motif repose en l'espèce non dans le refus de révéler ses sources journalistiques, mais sur l'insubordination de la salariée ayant consisté à refuser à donner la moindre explication à son supérieur hiérarchique pour lui permettre de comprendre la décision de publication d'une information exposant la société à des recours et d'exercer ainsi son pouvoir de direction et de contrôle ; la faute de la salariée aurait également consisté dans la publication d'une fausse information, en apportant cette information et en garantissant la fiabilité de ses sources, ce qui n'était nullement le cas ;

la salariée rétorque pour sa part que la qualification de « faute grave » a été retenue par l'employeur lequel est censé connaître la loi et est libre de verser les indemnités légales même en cas de faute grave ; elle assure avoir été licenciée pour un faux motif dès lors que son licenciement est intervenu avant de savoir si la réalité de l'information était établie ou non et qu'au demeurant l'employeur a reconnu que le motif réel de la rupture reposait dans le fait de s'opposer à son pouvoir de direction et de contrôle ; elle conteste cependant avoir refusé de donner la moindre explication et produit une attestation Bonifassi laquelle révèlerait que la véritable cause de la rupture trouverait son origine dans son refus de livrer ses sources ;

Sur l'information

l'employeur soutient qu'une fausse information peut être présentée sous la forme conditionnelle, sa fausseté résultant de son seul caractère erroné ;

la salariée indique que l'article litigieux se contenait de faire état d'une information non confirmée et non certaine, et que sa publication avait été autorisée par la rédactrice en chef seule responsable de ce chef ;

Sur la protection des sources journalistiques

l'employeur assure que le principe de protection des sources journalistiques, qui ne résulterait d'aucune disposition légale d'ordre public à Monaco au moment des faits, ne saurait en toute hypothèse être opposable à l'employeur qui doit pouvoir exercer son pouvoir de direction et de contrôle ; il soutient cependant que la difficulté du litige réside, non dans le problème de la protection d'une prétendue source, mais dans la méconnaissance par la salariée des obligations nées du contrat de travail, lesquelles lui imposaient de lui permettre d'exercer son pouvoir de direction et de contrôle sur les causes ayant permis d'aboutir à la publication d'une fausse information afin d'éviter le renouvellement d'une telle erreur ;

la salariée soutient pour sa part que le principe de protection des sources s'impose à la société EDLA dès lors qu'elle emploie des personnes exerçant une profession qui comporte une déontologie à respecter, l'existence d'un lien de subordination n'étant pas de nature à faire échec à ce principe ;

Sur quoi,

Attendu que l'appel, qui apparaît avoir été régulièrement formé, doit être déclaré recevable ;

Que le Tribunal doit donc statuer sur les dispositions de la décision du Tribunal du travail frappées d'appel ;

Attendu sur le fond du litige qu'il ressort des éléments de la cause que S. B.-N. a été embauchée le 1er septembre 2000 en qualité de journaliste-rédacteur ;

Qu'elle a été licenciée de cet empli, qu'elle n'exerçait plus qu'à mi-temps à sa demande, le 15 mai 2003, la rupture du contrat de travail reposant sur une faute grave consistant en « la publication d'une information ne correspondant pas à la réalité des faits » et « sans en avoir contrôlé l'authenticité » ;

Attendu que l'employeur a, dans la présente instance, fait valoir un second motif au soutien de cette mesure de licenciement, tiré de l'insubordination de la salariée, caractérisée selon lui, par le refus de lui donner des explications relativement à la parution litigieuse ;

Sur le bien-fondé du licenciement

Attendu en droit, qu'il est communément admis, du fait de l'absence d'obligation de motivation du licenciement par l'employeur, que le motif de la rupture exprimé dans la lettre de licenciement n'est pas exclusif de l'allégation ultérieure d'un nouveau motif par l'employeur ;

Attendu en conséquence, en l'espèce, que le tribunal se doit d'analyser l'ensemble des motifs invoqués, alors même que celui tiré de l'insubordination n'avait pas été invoqué dans la lettre de rupture, ce que les premiers juges ont également fait ;

Attendu qu'il est constant en l'espèce que la décision de rupture du contrat de travail prise par l'employeur a été motivée par le comportement de sa journaliste, en sorte qu'il s'agit d'un licenciement pour faute ; qu'il incombe donc à tout le moins à l'employeur d'établir la réalité du ou des manquements, en sorte que la discussion juridique instaurée par la société EDLA sur la qualification de la faute ne fera l'objet d'un examen par le tribunal que s'il est retenu l'existence d'un manquement ; que force est en effet de constater que la seule incidence relative à une telle distinction, d'ordre matériel, est en l'espèce inexistante, dès lors que les conséquences pécuniaires liées à une faute grave n'ont pas été appliquées par l'employeur ;

Attendu sur les causes de la rupture, que la société EDLA reproche en premier lieu à S. B.-N. d'avoir participé à la publication d'une fausse information tout en garantissant la fiabilité ;

Attendu cependant et ainsi que l'ont fort justement relevé les premiers juges, que la journaliste n'a jamais présenté les événements litigieux comme certains, l'article étant rédigé dans son ensemble au mode conditionnel et son titre à la forme interrogative, en sorte que le fait que les changements d'affectation évoqués n'aient finalement pas eu lieu ne constitue pas une fausse information, mais simplement la non réalisation de possibilités énoncées comme telles et non comme des réalités ;

Qu'en outre, il résulte des éléments de la cause et notamment d'une réponse écrite adressée le 3 juin 2004 par C. Boniffassi, rédactrice en chef, à A. Carol, président délégué de la société EDLA, que conformément à la pratique, les informations en cause avaient été recoupées par deux sources différentes dont la fiabilité a été évoquée et que la décision de publication n'a été prise par cette dernière qu'après demande de confirmation auprès des sources, ce que confirme Cl. Audibert dans son attestation du 20 novembre 2003 ;

Qu'il suit de l'ensemble de ces considérations que le premier motif invoqué par l'employeur au soutien de la rupture n'est absolument pas fondé ;

Qu'il convient dès lors de déterminer si la deuxième cause invoquée peut constituer ce motif valable au sens de la loi, savoir si la salariée a fait preuve d'insubordination envers son employeur ;

Attendu à cet égard, que force est de constater que les éléments produits ne sont pas suffisants pour rapporter la preuve de la réalité de l'insubordination dont se prévaut l'employeur à l'égard d'une salariée qui n'avait jusque-là fait l'objet d'aucun reproche dans le cadre de son travail, et qui conteste formellement avoir opposé le refus qui lui est imputé ;

Qu'en effet, la société EDLA ne justifie nullement d'une part d'avoir mis en demeure sa salariée de lui fournir toutes les explications utiles relatives à la publication litigieuse, et destinées, selon lui, à s'assurer de ce que cette dernière avait mis tout en œuvre pour permettre la publication d'informations objectives et vérifiées mais nullement à révéler l'identité des sources, et d'autre part que celle-ci aurait refusé d'y satisfaire ;

Qu'en toutes hypothèses, il ne démontre pas davantage de la nécessité d'une telle démarche envers la journaliste rédacteur de l'article, alors d'une part que la décision de publication, et donc la responsabilité d'une telle publication, relevait de la rédactrice en chef, laquelle interrogée sur les circonstances ayant donné lieu à la parution des informations litigieuses a, dans sa réponse adressée au président délégué de la société EDLA, fourni toutes les explications relatives à cet article ; que d'autre part, au moment du licenciement la vérification des informations diffusées n'avait pu encore se faire officiellement ;

Que le second motif n'apparaît donc pas davantage fondé ;

Que pour sa part, S. B.-N. soutient que le motif réel de licenciement a résidé dans son refus de divulguer ses sources journalistiques, et produit en ce sens l'attestation établie par C. Boniffassi le 27 mars 2006 aux termes de laquelle celle-ci indique qu'après avoir fait savoir à son éditeur et actionnaire qui désirait connaître « qui avait fourni cette information à Mme B.-N. » que celle-ci n'entendait pas livrer le nom de sa source, celui-ci lui avait alors « fait comprendre que soit Mme B.-N. obtempérait en citant cet informateur, soit elle devait en assumer les conséquences » ;

Que l'employeur qui conteste avoir jamais demandé à cette dernière de lui révéler ses sources journalistiques, relève néanmoins à cet égard que le droit à la protection des sources, qu'il admet, ne peut toutefois pas lui être opposé en sa qualité d'employeur en l'état de son pouvoir de contrôle et de direction au sein de l'entreprise ;

Attendu en effet, que durant l'exécution de sa prestation de travail, le salarié est tenu de se conformer aux instructions de l'employeur, sauf toutefois le cas où le refus du salarié de s'y soumettre est jugé légitime ;

Qu'en l'espèce, la liberté d'expression du journaliste, unanimement reconnue en droit européen, est un principe à valeur constitutionnelle en Principauté de Monaco consacré par les dispositions de l'article 23 de la Constitution ;

Que depuis, a été adoptée la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression dont l'article 38 a consacré la protection des sources, texte qui n'est en réalité que l'expression dudit principe général ; que ses dispositions sont toutefois inapplicables en la cause, car postérieures aux faits ;

Que dans un tel cadre et afin de protéger cette liberté d'expression, que la société EDLA reconnaît, les principes directeurs en la matière énoncent que pour qu'il y ait divulgation, il faut que l'intérêt légitime de divulguer l'emporte clairement sur l'intérêt public de la non divulgation, en sorte qu'elle doit se justifier par un impératif supérieur à celui de la préservation de la liberté de la presse, impératif qui fait défaut en l'espèce et qui n'est en outre même pas allégué ; qu'au contraire, l'ensemble des éléments de la cause révèle au demeurant que l'employeur avait tout loisir d'obtenir les informations nécessaires à son contrôle (lettre Boniffassi du 3 juin 2004, attestation Audibert) ;

Attendu qu'au regard de ces considérations et dès lors qu'aucun autre élément tendant à établir les fautes imputées à S. B.-N. ne se dégage des éléments de la cause, le Tribunal ne peut en définitive, que confirmer la décision des premiers juges sur ce point ;

Sur la rupture abusive alléguée

Attendu, s'agissant du droit de S. B.-N. à prétendre à l'allocation des dommages-intérêts prévue par l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 au bénéfice des salariés victimes d'une rupture abusive de leur contrat, qu'il y a lieu de déterminer si ce salarié rapporte la preuve du préjudice subi et de l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre un terme au contrat, laquelle peut consister dans l'allégation d'un faux motif ou dans la légèreté blâmable avec laquelle le licenciement est intervenu ;

Attendu, et ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, que la société EDLA a fait preuve d'une brutalité et d'une légèreté dans l'exercice de son droit de rupture qu'elle a en outre mis en œuvre pour un motif fallacieux ; que ces éléments confèrent au licenciement un caractère abusif, la rapidité avec laquelle la décision a été prise à l'égard d'un salarié qui n'avait jamais fait l'objet du moindre reproche, et la violation des droits fondamentaux reconnus à tout journaliste, constituant en effet, le préjudice d'ordre moral retenu par le tribunal du travail ; qu'en outre S. B.-N. produit les éléments de sa rémunération pour les années 2003, 2004 et 2005 qui établissent la réalité d'un préjudice financier ;

Que le montant des dommages-intérêts apparaît avoir équitablement été fixé à 35 000 euros, compte tenu de l'atteinte apportée à la réputation professionnelle de la salariée au regard notamment du motif de rupture invoqué, de la situation enviable de S. B.-N. au sein de la société EDLA, caractérisée par un contrat à durée indéterminée lui offrant la sécurité de l'emploi et une embauche à temps partiel, selon sa volonté, correspondant à ses contraintes familiales, celle-ci n'ayant par la suite plus occupé que des emplois ponctuels de pigistes, tout au moins jusqu'en 2005, aucun élément n'étant fourni pour l'année 2006 ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal du travail le 3 mars 2005, la somme de 35 000 euros allouée à titre de dommages-intérêts ayant été acceptée par S. B.-N. ;

Sur les dommages-intérêts pour appel abusif

Attendu que la procédure instaurée témérairement devant le Tribunal de Première Instance statuant comme juridiction d'appel revêt un caractère abusif ayant occasionné à S. B.-N. un préjudice certain qui sera réparé par l'allocation à son profit de dommages-intérêts que le Tribunal de première instance a les éléments suffisants d'appréciation pour fixer à la somme de 3 000 euros au paiement de laquelle il y a lieu de condamner la société EDLA ;

Et attendu que les dépens d'appel incombent à la société EDLA, qui succombe, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers juges,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Déclare l'appel recevable en la forme ;

Au fond, confirme le jugement du Tribunal du Travail du 3 mars 2005 en toutes ses dispositions frappées d'appel ;

Condamne la société anonyme monégasque dénommée Éditions latino-américaines à payer à S. B.-N. la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ;

La condamne aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître F. Michel, avocat défenseur sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef ;

Composition🔗

Mme Grinda-Gambarini, prés. ; M. Dubes, prem. subs. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla et Michel, av. déf.

Note🔗

Ce jugement fait état de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 dont les dispositions étaient inapplicables en la cause, car postérieures aux faits, comme le souligne le dit jugement.

Rappelons que l'article 38 de cette loi dispose :

Tout journaliste a le droit de taire ses sources d'information

Il ne peut être contraint, sauf dans les cas visés au quatrième alinéa, de communiquer des renseignements, enregistrements ou documents, sur quelque support que se soit, portant sur l'identité d'un informateur, celle de l'auteur d'un texte ou d'une production audiovisuelle, ou bien sur la nature, la provenance ou le contenu d'informations.

Nul journaliste ne peut être pénalement poursuivi lorsqu'il exerce ce droit, sauf s'il enfreint les dispositions de l'alinéa suivant.

Les sources d'information, doivent, dans les conditions fixées dans le Code de procédure pénale, être réévaluées lorsque le journaliste en est requis par un juge aux fins :

de prévenir la perpétration d'une infraction mentionnée aux chiffres 1° à 3° de l'article 15 ;

d'arrêter l'auteur d'une telle infraction lorsque les informations requises ne peuvent être obtenues d'une autre manière.

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2007, n° 9, p. 177 à 181.

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