Tribunal de première instance, 15 février 2007, N. c/ Crédit Foncier de Monaco

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Abstract🔗

Banques

Société de gestion agréée - Obligation de justifier de l'ordre donné par le mandant - Loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 - Ordonnance souveraine n° 13.184 - Preuve de l'origine de l'ordre possible par présomptions graves, précises et concordantes - Obligation d'information et de conseil non dispensée par la constitution d'un mandataire extérieur - Manquements prétendus non fondés

Résumé🔗

Sur l'existence d'instructions de la cliente

Aux termes de l'article 9, alinéa 2, de la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuille et aux activités boursières assimilées, toute société agréée recevant un mandat pour transmettre des ordres en vue de leur exécution sur les marchés financiers par un intermédiaire habilité à participer aux négociations doit pouvoir justifier que chaque ordre a été donné par le mandant ;

La procédure d'enregistrement chronologique des ordres prévue par l'article 11 de l'Ordonnance souveraine n° 13.184 prise pour l'application de la loi n° 1.194 concerne la date de réception de l'ordre, sa nature et la date de transmission pour exécution, et non l'origine de l'ordre ; en l'absence de définition légale des modes de preuve admissibles, K. N. est mal fondée à soutenir que la preuve de l'origine de l'ordre ne peut être rapportée que par un écrit ou par des enregistrements téléphoniques ;

Les présomptions, qui, selon l'article 1196 du Code civil, sont les conséquences que l'on tire d'un fait connu à un fait inconnu, constituent, conformément à l'article 1200 du Code civil, un mode de preuve recevable chaque fois que la loi admet la preuve testimoniale ; la société Crédit Foncier de Monaco est dès lors recevable à faire la preuve qui lui incombe en invoquant de telles présomptions, sous réserve que celles-ci soient graves précises et concordantes ;

En outre, la loi, qui n'impose pas aux sociétés agréées un délai de conservation des instruments de la preuve qu'elles sont tenues de se ménager, n'interdit pas à celles-ci de prévoir contractuellement un délai de contestation à l'issue duquel l'accord du client est présumé pour tout ce qui concerne les ordres dont l'exécution a été portée à sa connaissance selon les modalités convenues, à la seule condition que ce délai soit en pratique suffisant pour permettre au client de formuler ses contestations, faute de quoi il aurait pour effet, en inversant la charge de la preuve, d'exonérer de leurs obligations les sociétés auxquelles elle incombe légalement ;

En l'espèce, K. N. a déposé auprès de la société Crédit Foncier de Monaco une somme initiale de 300 000 euros, complétée peu après par un versement de 100 000 euros, afin d'investir dans des valeurs mobilières, et a par la suite emprunté successivement 350 000 puis 180 000 euros dans le but d'acquérir de nouveaux titres ; pour la réalisation des investissements ainsi projetés elle n'a confié aucun mandat de gestion à la société Crédit Foncier de Monaco, mais a donné une procuration générale à son époux, P. M., qui était lui même titulaire d'un compte de titres ouvert auprès de la même société agréée ;

Lors de l'ouverture du compte les parties étaient convenues que les ordres pourraient être passés par d'autres moyens que l'écrit ; la télécopie signée par K. N. et datée du 9 novembre 2000 confirme d'ailleurs un ordre passé par téléphone, et il n'est pas justifié d'ordres écrits avant celui du 11 mars 2002, soit dix-huit mois après l'ouverture du compte ; l'existence même de la relation entre les parties rendait cependant nécessaire la réalisation d'investissements, et la société Crédit Foncier de Monaco rapporte la preuve de contacts téléphoniques réguliers avec P. M., mandataire de K. N. ; l'existence d'instructions téléphoniques est donc démontrée ;

K. N. ou son mandataire ont été informés de l'évolution du compte de titre ;

En effet, la lettre du 9 janvier 2001 instituant une ligne d'avance pour un montant de 350 000 euros se réfère expressément à la valeur du gage consenti, soit 719 896 euros après réalisation de l'avance, de même que celle du 9 avril 2002 renouvelant cette ligne d'avance à concurrence de 180 000 euros compte tenu d'une réduction à 300 547 euros de la valeur du même gage ;

Des évaluations détaillant les titres possédés en portefeuille, leur nombre et leur valeur, ont été adressées par télécopie à K. N. ou à P. M., à leur demande, le 10 août 2001, le 28 septembre 2001, le 22 février 2002, le 12 juin 2002 et le 9 octobre 2002, sans susciter de leur part aucune réaction, ce qui tend à démontrer que la composition du portefeuille à ces dates correspondait à leurs choix d'investissement ;

Le 11 mars 2002 P. M. a en outre retiré tous les documents relatifs au fonctionnement du compte, lesquels étaient conservés par la société Crédit Foncier de Monaco à la demande de K. N. ; les époux ont ainsi pris connaissance de toutes les opérations faites sur le compte et n'ont émis aucune protestation, mais ont au contraire passé des ordres concernant les titres acquis jusqu'alors ;

Par ailleurs, l'envoi de documents intitulés « rapport de gestion » et analysant la composition du portefeuille, qui n'emporte aucune reconnaissance par la banque qu'elle est à l'origine des opérations faites sur le compte, ne contredit nullement les affirmations de la société Crédit Foncier de Monaco selon lesquelles les ordres étaient donnés par P. M. ;

Il existe donc des présomptions graves, précises et concordantes que toutes les opérations constatées sur le compte de K. N. trouvent leur origine dans des ordres passés sinon par la titulaire du compte elle-même du moins par le mandataire qu'elle avait spécialement constitué à cet effet ; K. N. est dès lors mal fondée à soutenir que la société Crédit Foncier de Monaco ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'origine des ordres ;

K. N. reproche à la société Crédit Foncier de Monaco d'avoir manqué à ses obligations d'information et de conseil « en présence d'une gestion non seulement risquée mais en outre caractérisée par une absence totale de division des risques et marquée par une concentration sectorielle dans le domaine par essence volatile des nouvelles technologies de la téléphonie et des communications sans aucune mesure permettant de minimiser les pertes en cas d'effondrement des cours » ;

Cependant, K. N. ne saurait imputer à la société Crédit Foncier de Monaco les éventuelles erreurs commises par son mandataire lors de la gestion du portefeuille de titres ;

Si la constitution d'un mandataire extérieur ne dispense pas la banque de son obligation d'information et de conseil à l'égard du client, il résulte en l'espèce des documents versés aux débats que P. M., qui était déjà client de la société Crédit Foncier de Monaco, pratiquait lui-même des opérations de gestion de portefeuille pour son propre compte ;

Si K. N. fait valoir à juste titre que la gestion du portefeuille était marquée par une forte concentration sectorielle des titres détenus, sur un marché en pleine croissance, cette politique d'investissement avait manifestement pour origine un chois délibéré de son mandataire, auquel la société Crédit Foncier de Monaco était fondée à reconnaître une certaine expérience ;

K. N., qui soutient que cette concentration était incompatible avec sa situation patrimoniale dans la mesure où l'argent placé auprès de la société Crédit Foncier de Monaco constituait la seule fortune des époux, n'apporte aucune preuve de ses allégations, qu'il s'agisse de l'étendue de leur fortune ou de leur train de vie ; il résulte au contraire de ses propres pièces qu'elle et P. M. étaient titulaires de comptes ouverts dans d'autres établissements spécialisés, notamment auprès de la Société financière privée de Genève d'où ils ont transféré des titres vers le compte de K. N. dans les livres de la société Crédit Foncier de Monaco au début de l'année 2002 ;

Il n'est donc pas démontré que les investissements réalisés au cours des années 2000 et 2001 dans un secteur marqué par une forte croissance et un risque élevé étaient manifestement incompatibles avec leur situation patrimoniale et résultaient d'un manquement de la société Crédit Foncier de Monaco à son obligation de conseil ;

K. N. reproche également à la banque d'avoir violé son obligation d'information en ne lui adressant aucun document permettant d'apprécier l'existence de plus ou de moins-values ;

Cependant, la société Crédit Foncier de Monaco justifie de l'envoi d'août 2001 à octobre 2002, de sept rapports détaillant la composition du portefeuille et sa valeur ;

K. N. ne précise pas de quelles informations elle aurait été privée, et elle ne caractérise aucun lien entre le défaut d'information allégué et l'existence des moins-values dont elle se plaint ;

Sa demande est donc mal fondée de ce chef.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par acte d'huissier du 7 juin 2005, K. N. a fait assigner la société Crédit Foncier de Monaco devant le Tribunal afin qu'elle soit déclarée responsable des pertes occasionnées par la gestion irrégulière d'un portefeuille de titres, et qu'elle soit condamnée à lui payer 335 451 euros en réparation du préjudice financier subi, avec intérêts au taux de 4 % l'an à compter du 27 septembre 2000, ainsi que 100 000 euros en réparation du préjudice moral ;

K. N. expose que le 27 septembre 2000, elle a ouvert auprès de la société Crédit Foncier de Monaco un compte codé portant le numéro 103 363, puis le 27 novembre 2000 un compte nominatif, et qu'elle a donné une procuration générale sur ses comptes à son mari, P. M. ; cependant ni lui ni elle n'auraient la moindre confiance à la banque, au point de signer des documents bancaires avant que ceux-ci aient été remplis ; K. N. aurait investi une somme totale de 355 451 euros, représentant l'intégralité de la fortune des époux ; or tous ces avoirs auraient été investis dans des actions, dont une grande partie appartenait au secteur de télécommunications, et des nouvelles technologies, et cela sans instructions de sa part et sans qu'un mandat ait été donné à la société Crédit Foncier de Monaco ;

Du fait de la dévalorisation de ces titres K. N. aurait perdu la totalité de ses avoirs, sans qu'à aucun moment la banque l'ait informée des risques encourus ou des moins-values subies ; dans le même temps la société Crédit Foncier de Monaco aurait gagné 40 000 euros de frais d'exploitation, ainsi que le soulignerait un rapport d'expertise privée, qui relèvent également l'existence d'irrégularités et de fautes commises par la banque ;

K. N. soutient que la société Crédit Foncier de Monaco a engagé sa responsabilité en transmettant des ordres sur les marchés sans pouvoir justifier qu'ils ont été donnés par le client et en exécutant mal un ordre de vente écrit du 11 mars 2002, et que pour sa défense la banque ne saurait invoquer des instructions téléphoniques de P. M. faute d'en rapporter la preuve ; dès lors la société Crédit Foncier de Monaco se serait livrée à une gestion de fait prohibée, dont les conséquences ne seraient pas opposables à la demanderesse ;

De plus cette gestion tournée vers la spéculation sur un marché spécifique sans aucune division des risques caractériserait un manquement à l'obligation de conseil de la banque, qui s'ajouterait à une violation de l'obligation d'information, aucun document n'ayant été adressé à K. N. pour l'informer des plus et des moins-values résultant de la gestion de son portefeuille de titres ;

Par ailleurs la société Crédit Foncier de Monaco, dans son intérêt exclusif et afin de remédier aux pertes subies du fait des acquisitions réalisées par ses soins, aurait consenti à K. N. deux crédits, sans que celle-ci en comprenne la portée ; il s'agirait « d'un mécanisme de soutien abusif avec, au passage, un effet de levier qui aboutit à majorer considérablement les risques et les pertes », et la société Crédit Foncier de Monaco aurait, là encore, manqué à ses obligations essentielles de diligence, de loyauté, de conseil et d'information ;

Par conclusions, du 19 octobre 2005, la société Crédit Foncier de Monaco répond qu'elle n'est pas à l'origine des opérations sur titres faites pour le compte de K. N., laquelle a laissé son époux, P. M., gérer son portefeuille ; les instructions auraient été données par téléphone par le mandataire de la cliente, conformément au contrat qui n'excluait pas ce mode de transmission ; par ailleurs K. N. aurait elle-même passé le 9 novembre 2000 un ordre écrit pour l'achat du warrant Mediobanca en se référant à un entretien téléphonique préalable ; l'ordre écrit du 11 mars 2002 aurait quant à lui exécuter au mieux des intérêts de la cliente, eu égard à la situation des marchés et de ses avoirs ;

La gestion pratiquée par P. M. ne saurait être reprochée à la société Crédit Foncier de Monaco, ni les avances consenties, lesquelles ne constitueraient en aucun cas un soutien abusif dans la mesure où elles correspondaient à la valeur du portefeuille de titres ; d'octobre 2000 à mars 2001, les conseils de la société Crédit Foncier de Monaco auraient permis de réorienter les investissements en réduisant la proportion de titres du secteur des nouvelles technologies, en achetant des valeurs composant les indices MIB30 et CAC40 et en augmentant la part des valeurs financières ; l'achat conseillé de titres CFM CT EUROS aurait en outre permis la réalisation d'un bénéfice par K. N. :

Pour le surplus, la société Crédit Foncier de Monaco, tenue par son devoir de non-ingérence, n'aurait pu empêcher P. M. d'appliquer sa stratégie d'investissement ; elle aurait également satisfait à son devoir de conseil en acceptant le renouvellement de l'avance consentie à la cliente mais en réduisant son montant ; K. N. ne pourrait donc invoquer l'existence d'un soutien abusif, alors que sans ce crédit elle n'aurait eu aucune chance de revaloriser son portefeuille ;

Par ailleurs K. N. aurait été régulièrement informée de l'évolution de son portefeuille de titres ; elle aurait expressément demandé que les relevés de compte et autres documents soient conservés par la banque à charge pour la cliente de les y retirer, ce qui aurait été fait pas P. M. les 11 mars et 15 juillet 2002 ; l'existence des instructions données le 11 mars 2002 démontrerait d'ailleurs que le mandataire de K. N. avait connaissance de la composition qualitative et quantitative du portefeuille ; de plus il aurait été informé de l'évaluation du portefeuille par télécopies des 13 février 2001, 28 septembre 2001 et 22 février 2002 adressées à sa demande ; l'information aurait également été dispensée par de nombreuses conversations téléphoniques et la régularité des appels démontrerait que P. M. suivait l'évolution du portefeuille ;

En avril 2002, K. N. aurait d'ailleurs signé la lettre de crédit portant renouvellement de la ligne d'avance qui mentionnait la valeur du portefeuille constituant une garantie au profit de la banque, sans contester les pertes imputables à la gestion initiée par son époux et elle-même ; or à compter d'avril 2002, et sauf la vente de 21 actions Telefonica le 22 août 2002, plus aucune opération ne serait venue affecter la situation du portefeuille ; dès lors, faute de réclamation dans les 30 jours de la remise des documents, K. N. ne pourrait désormais se prévaloir d'un défaut d'information ;

La société Crédit Foncier de Monaco conteste également l'existence du préjudice allégué par K. N. ; la perte subie par la cliente, résultant au demeurant d'opérations que celle-ci avait elle-même décidées, serait de 267 917,99 euros et non de 335 451 euros, la privation d'un gain ne serait pas démontrée, et le préjudice moral n'existerait pas ;

Reconventionnellement, la société Crédit Foncier de Monaco réclame 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en invoquant la mauvaise foi de K. N. et l'atteinte à son image résultant d'accusations vexatoires portées à son encontre ;

Par conclusions du 14 décembre 2005, K. N. invoque la violation par la société Crédit Foncier de Monaco de l'article 9, alinéa 2, de la loi n° 1.194 en contestant l'existence d'instructions téléphoniques données par P. M., et en affirmant qu'il incombe à la banque de rapporter, pour chaque ordre, la preuve des instructions données par le client et que cette preuve doit résulter d'un écrit ou, à tout le moins, d'enregistrements téléphoniques ;

K. N. ajoute que les documents produits par la société Crédit Foncier de Monaco et intitulés « rapport de gestion » démontrent l'existence de la gestion de fait contestée par la défenderesse ;

Elle déclare que le manquement de la société Crédit Foncier de Monaco à son obligation de conseil est caractérisé par une gestion fautive du portefeuille sans division des risques, alors qu'il représentait la quasi-totalité de sa fortune et qu'elle est désormais privée de la plus grande partie de ses moyens d'existence ; les pertes subies seraient trois fois supérieures à la baisse de l'indice CAC40 durant la même période et à aucun moment l'attention de K. N. n'aurait été attirée sur les risques d'une gestion aussi maladroite et spéculative ; K. N. conteste l'existence de conseils de la société Crédit Foncier de Monaco ayant conduit à une réorientation du portefeuille, laquelle n'aurait en aucun cas atteint ses objectifs ;

S'agissant de son préjudice, K. N. précise que l'inopposabilité de la gestion de fait pratiquée par la société Crédit Foncier de Monaco doit conduire à lui restituer les sommes qu'elle a investies, et demande qu'il lui soit donné acte qu'elle abandonne le solde créditeur de son compte, notamment les actions dont elle dispose encore et qui ont été acquises sans son consentement ;

Par conclusions déposées le 20 février 2006, la société Crédit Foncier de Monaco, demande au Tribunal d'écarter des débats le rapport d'expertise produit par K. N. au motif que cette production d'une pièce établie unilatéralement n'a pas pour effet de lui donner un caractère contradictoire ;

Au fond la société Crédit Foncier de Monaco soutient que le cadre contractuel organisé de manière à permettre à P. M. de gérer les avoirs de son épouse et la corrélation entre les dates des appels téléphoniques du mandataire et celles des opérations faites sur le compte n° 103363 constituent des indices graves et concordants démontrant l'existence d'instructions données par téléphone ; K. N. elle-même, lors de l'envoi d'une confirmation par télécopie, se serait référée à un entretien téléphonique préalable ; des titres auraient été transférés depuis la Société financière privée basée à Genève le 16 janvier 2002 et K. N. aurait régulièrement alimenté son compte pour permettre les investissements qu'elle conteste aujourd'hui, et aurait même sollicité des crédits pour permettre de poursuivre ses achats de titres ; de plus des ordres écrits auraient été donnés par P. M. le jour même du retrait de la documentation conservée à la banque le 11 mars 2002 ;

P. M., qui gérait lui-même son propre portefeuille de titres n'aurait d'ailleurs pas été un profane, et il existerait de grandes similitudes entre les portefeuilles de chacun des époux ; quant à l'ordre écrit du 11 mars 2002, la société Crédit Foncier de Monaco ne pourrait être taxée de l'avoir mal exécuté alors qu'elle y serait pliée à la lettre ;

En ce qui concerne le respect des dispositions de l'article 9 de la loi n° 1.194, la société Crédit Foncier de Monaco soutient qu'il s'applique uniquement lorsqu'il existe un mandat de gestion et que, en l'espèce, il existait des stipulations contractuelles dispensant le donneur d'ordre d'une confirmation écrite de ses instructions ; de plus K. N. n'aurait jamais émis la moindre protestation relative à la composition de son portefeuille ;

Par ailleurs, la société Crédit Foncier de Monaco conteste le caractère calamiteux, allégué par la demanderesse qui occulterait la tendance des marchés à l'époque, de la gestion du portefeuille, et la violation de ses obligations d'information et de conseil ; K. N. aurait été informée de l'évolution de son portefeuille conformément aux modalités choisies par ses soins et assumerait l'entière responsabilité d'un éventuel enlèvement tardif des documents détenus par la banque ;

Sur quoi,

Sur la production de pièces

Attendu qu'aucune disposition légale n'interdit à une partie de se référer à un avis technique établi à sa demande par un homme de l'art ;

Attendu que le rapport établi le 16 novembre 2004 par C. B., expert-comptable, a été régulièrement communiqué par K. N. à la société Crédit Foncier de Monaco, laquelle a de ce fait été en mesure de le discuter contradictoirement, et que l'appréciation de sa valeur probante relève du fond du litige ;

Attendu qu'il n'y a donc pas lieu de l'écarter des débats avant tout examen de l'affaire au fond ;

Sur l'existence d'instructions de la cliente

Attendu qu'aux termes de l'article 9, alinéa 2, de la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuille et aux activités boursières assimilées, toute société agréée recevant un mandat pour transmettre des ordres en vue de leur exécution sur les marchés financiers par un intermédiaire habilité à participer aux négociations doit pouvoir justifier que chaque ordre a été donné par le mandant ;

Attendu que la procédure d'enregistrement chronologique des ordres prévue par l'article 11 de l'Ordonnance souveraine n° 13.184 prise pour l'application de la loi n° 1.194 concerne la date de réception de l'ordre, sa nature et la date de transmission pour exécution, et non l'origine de l'ordre ; qu'en l'absence de définition légale des modes de preuve admissibles, K. N. est mal fondée à soutenir que la preuve de l'origine de l'ordre ne peut être rapportée que par écrit ou par des enregistrements téléphoniques ;

Attendu que les présomptions, qui, selon l'article 1196 du Code civil, sont les conséquences que l'on tire d'un fait connu à un fait inconnu, constituent, conformément à l'article 1200 du Code civil, un mode de preuve recevable chaque fois que la loi admet la preuve testimoniale ; que la société Crédit Foncier de Monaco est dès lors recevable à faire la preuve qui lui incombe en invoquant de telles présomptions, sous réserve que celles-ci soient graves précises et concordantes ;

Attendu en outre que la loi, qui n'impose pas aux sociétés agréées un délai de conservation des instruments de la preuve qu'elles sont tenues de se ménager, n'interdit pas à celles-ci de prévoir contractuellement un délai de contestation à l'issue duquel l'accord du client est présumé pour tout ce qui concerne les ordres dont l'exécution a été portée à sa connaissance selon les modalités convenues, à la seule condition que ce délai soit en pratique suffisant pour permettre au client de formuler ses contestations, faute de quoi il aurait pour effet, en inversant la charge de la preuve, d'exonérer de leurs obligations les sociétés auxquelles elle incombe légalement ;

Attendu en l'espèce que K. N. a déposé auprès de la société Crédit Foncier de Monaco une somme initiale de 300 000 euros, complétée peu après par un versement de 100 000 euros, afin d'investir dans des valeurs mobilières, et a par la suite emprunté successivement 350 000 puis 180 000 euros dans le but d'acquérir de nouveaux titres ; que pour la réalisation des investissements ainsi projetés elle n'a confié aucun mandat de gestion à la société Crédit Foncier de Monaco, mais a donné une procuration générale à son époux, P. M., qui était lui même titulaire d'un compte de titres ouvert auprès de la même société agréée ;

Attendu que lors de l'ouverture du compte les parties étaient convenues que les ordres pourraient être passés par d'autres moyens que l'écrit ; que la télécopie signée par K. N. et datée du 9 novembre 2000 confirme d'ailleurs un ordre passé par téléphone, et qu'il n'est pas justifié d'ordres écrits avant celui du 11 mars 2002, soit dix-huit mois après l'ouverture du compte ; que l'existence même de la relation entre les parties rendait cependant nécessaire la réalisation d'investissements, et que la société Crédit Foncier de Monaco rapporte la preuve de contacts téléphoniques réguliers avec P. M., mandataire de K. N. que l'existence d'instructions téléphoniques est donc démontrée ;

Attendu que K. N. ou son mandataire ont été informés de l'évolution du compte de titre ;

Attendu en effet que la lettre du 9 janvier 2001 instituant une ligne d'avance pour un montant de 350 000 euros se réfère expressément à la valeur du gage consenti, soit 719 896 euros après réalisation de l'avance, de même que celle du 9 avril 2002 renouvelant cette ligne d'avance à concurrence de 180 000 euros compte tenu d'une réduction à 300 547 euros de la valeur du même gage ;

Attendu que des évaluations détaillant les titres possédés en portefeuille, leur nombre et leur valeur, ont été adressés par télécopie à K. N. ou à P. M., à leur demande, le 10 août 2001, le 28 septembre 2001, le 22 février 2002, le 12 juin 2002 et le 9 octobre 2002, sans susciter de leur part aucune réaction, ce qui est tend à démontrer que la composition du portefeuille à ces dates correspondait à leurs choix d'investissement ;

Attendu que le 11 mars 2002 P. M. a en outre retiré tous les documents relatifs au fonctionnement du compte, lesquels étaient conservés par la société Crédit Foncier de Monaco à la demande de K. N. que les époux ont ainsi pris connaissance de toutes les opérations faites sur le compte et n'ont émis aucune protestation, mais ont au contraire passé des ordres concernant les titres acquis jusqu'alors ;

Attendu que la première contestation par K. N. des opérations faites sur son compte est du 22 novembre 2002, alors que par lettre du 16 octobre 2002 la société Crédit Foncier de Monaco l'avait invitée à reconstituer une couverture suffisante de la ligne de crédit qui lui avait été consentie et que par lettre du 18 novembre 2002, faute pour la cliente d'avoir satisfait à cette obligation, la société Crédit Foncier de Monaco l'avait informée de la réalisation du gage, entraînant la cession des valeurs mobilières gagées à concurrence du montant de sa créance ; que cette contestation tardive est donc manifestement la conséquence de la volonté de la banque d'invoquer le bénéfice de la sûreté qui lui avait été consentie, et non la réaction à une éventuelle immixtion antérieure de la banque dans la gestion du portefeuille ;

Attend que K. N. ne précise pas en quoi son éloignement géographique, relatif au demeurant, constituait en l'espèce une circonstance l'empêchant de faire valoir des contestations, alors même que son mandataire s'était rendu dans les locaux de la banque plus de huit mois auparavant pour retirer les documents concernant le fonctionnement du compte de titres ;

Attendu par ailleurs que l'envoi de documents intitulés « rapport de gestion » et analysant la composition du portefeuille, qui n'emporte aucune reconnaissance par la banque qu'elle est à l'origine des opérations faites sur le compte, ne contredit nullement les affirmations de la société Crédit Foncier de Monaco selon lesquelles les ordres étaient donnés par P. M. ;

Attendu qu'il existe donc des présomptions graves, précises et concordantes que toutes les opérations constatées sur le compte de K. N. trouvent leur origine dans des ordres passés sinon par la titulaire du compte elle-même du moins par le mandataire qu'elle avait spécialement constitué à cet effet ; que K. N. est dès lors mal fondée à soutenir que la société Crédit Foncier de Monaco, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'origine des ordres ;

Sur l'exécution des ordres écrits du 11 mars 2002

Attendu que K. N. soutient que les instructions écrites du 11 mars 2002 n'ont pas été exécutées conformément aux termes mêmes des ordres ainsi passés pour ce qui concerne les titres « Holding Partecip », « Mediobanca » et « Telefonica », lesquels auraient été vendus à un cours inférieur au cours limite fixé par le mandant ;

Attendu qu'au cours de la période de validité des ordres, soit jusqu'au 30 mars 2002, 2000 titres Holding Particip, ont été vendus au prix de 7 394,55 euros, soit au cours de 3,70 euros, alors que le cours limite avait été fixé à 4,90 euros, et que 1 500 titres Mediobanca ont été vendus au prix de 17 707,07 euros et 500 au prix de 5 952,08 euros, soit au cours de 11,80 et de 11,90 euros, alors que le cours limite avait été fixé à 12,60 euros ; que le 5 avril 2002, soit après l'expiration de la période de validité de l'ordre, les 1 054 titres Telefonica Espana mentionnés dans l'ordre du 11 mars ont été cédés au prix de 12 929,73 euros, soit au cours de 12,27 euros, alors que le cours limite avait été fixé à 15 euros ;

Attendu qu'à supposer que K. N. ne soit pas revenue sur les ordres ainsi donnés par écrit, alors qu'elle n'en avait jusqu'alors jamais contesté l'exécution, il convient en tout état de cause de constater qu'elle n'allègue aucun préjudice résultant directement de ces ventes, et qu'elle ne justifie pas de ce qu'une vente à un meilleur cours aurait été possible avant le mois de novembre 2002, date de la réalisation du gage ; qu'elle fait au contraire valoir que du 9 avril au 16 octobre 2002 « le prix de revient des titres ayant subi une moins-value supplémentaire de 114 547 euros, l'estimation du portefeuille était tombée à 186 000 euros » ; qu'elle est donc en tout état de cause mal fondée à invoquer un préjudice résultant d'une éventuelle mauvaise exécution de l'ordre du 11 mars 2002, les cessions de titres concernées ayant eu pour effet de limiter « la moins-value supplémentaire » alléguée ;

Sur l'obligation d'information et de conseil

Attendu que K. N. reproche à la société Crédit Foncier de Monaco d'avoir manqué à ses obligations d'information et de conseil « en présence d'une gestion non seulement risquée mais en outre caractérisée par une absence totale de division des risques et marquée par une concentration sectorielle dans le domaine par essence volatile des nouvelles technologies de la téléphonie et des communications sans aucune mesure permettant de minimiser les pertes en cas d'effondrement des cours » ;

Attendu cependant que K. N. ne saurait imputer à la société Crédit Foncier de Monaco les éventuelles erreurs commises par son mandataire lors de la gestion du portefeuille de titres ;

Attendu que si la constitution d'un mandataire extérieur ne dispense pas la banque de son obligation d'information et de conseil à l'égard du client, il résulte en l'espèce des documents versés aux débats que P. M., qui lui était déjà client de la société Crédit Foncier de Monaco, pratiquait lui-même des opérations de gestion de portefeuille pour son propre compte ;

Attendu que si K. N. fait valoir à juste titre que la gestion du portefeuille était marquée par une forte concentration sectorielle des titres détenus, sur un marché en pleine croissance, cette politique d'investissement avait manifestement pour origine un choix délibéré de son mandataire, auquel la société Crédit Foncier de Monaco était fondée à reconnaître une certaine expérience ;

Attendu que K. N. qui soutient que cette concentration était incompatible avec sa situation patrimoniale dans la mesure où l'argent placé auprès de la société Crédit Foncier de Monaco constituait la seule fortune des époux, n'apporte aucune preuve de ses allégations, qu'il s'agisse de l'étendue de leur fortune ou de leur train de vie ; qu'il résulte au contraire de ses propres pièces qu'elle et P. M. étaient titulaires de comptes ouverts dans d'autres établissements spécialisés, notamment auprès de la Société financière privée de Genève d'où ils ont transféré des titres vers le compte de K. N. dans les livres de la société Crédit Foncier de Monaco au début de l'année 2002 ;

Attendu qu'il n'est donc pas démontré que les investissements réalisés au cours des années 2000 et 2001 dans un secteur marqué par une forte croissance et un risque élevé étaient manifestement incompatibles avec leur situation patrimoniale et résultaient d'un manquement de la société Crédit Foncier de Monaco à son obligation de conseil ;

Attendu que K. N. reproche également à la banque d'avoir violé son obligation d'information en ne lui adressant aucun document permettant d'apprécier l'existence de plus ou de moins-values ;

Attendu cependant que la société Crédit Foncier de Monaco justifie de l'envoi d'août 2001 à octobre 2002, de sept rapports détaillant la composition du portefeuille et sa valeur ;

Attendu que K. N. ne précise pas de quelles informations elle aurait été privée, et qu'elle ne caractérise aucun lien entre le défaut d'information allégué et l'existence des moins-values dont elle se plaint ;

Attendu que sa demande est donc mal fondée de ce chef ;

Attendu que K. N. reproche également à la société Crédit Foncier de Monaco d'avoir violé son obligation d'information et de conseil lors de la souscription de crédits, proposés dans l'intérêt exclusif de la banque ;

Attendu toutefois que l'économie de l'opération consistant à permettre à K. N. d'investir à crédit résulte suffisamment des documents contractuels signés par les parties ; que ces documents sont parfaitement explicites sur le fait que ce crédit, est garanti par l'ensemble des avoirs de la cliente auprès de la société Crédit Foncier de Monaco, lesquels devaient représenter, compte tenu de la nature des titres détenus, au moins 143 % du crédit consenti ; qu'il était également indiqué à K. N. que, à la date de l'ouverture de crédit et compte tenu de celui-ci, le nantissement représentait 205 % de l'avance consentie ; que ces précisions lui permettaient de connaître la portée de son engagement et le risque encouru, et qu'il n'existait aucune ambiguïté sur le fait qu'elle supportait, outre le risque lié à l'acquisition de valeurs boursières, le coût du crédit ainsi consenti ;

Attendu que K. N. ne précise pas de quelle information ou de quel conseil, elle aurait été privée à l'occasion de la souscription initiale de ce crédit ;

Attendu que la réduction de la ligne de crédit à l'occasion de son renouvellement n'est pas la conséquence de la diminution de valeur du portefeuille et n'a emporté aucune attribution d'un crédit supplémentaire ;

Attendu que K. N. est donc mal fondée à invoquer l'existence d'un soutien abusif ou d'un manquement de la société Crédit Foncier de Monaco à se obligations d'information et de conseil à l'occasion de l'ouverture d'une ligne d'avance ;

Sur l'abus de procédure

Attendu que la société Crédit Foncier de Monaco fait valoir à juste titre que K. N. a abusé de son droit d'agir en justice en lui reprochant de mauvaise foi d'avoir acquis des valeurs mobilières sans ordre de sa part et de s'être livré à une gestion de fait de son portefeuille ;

Attendu que l'abus ainsi commis justifie de condamner K. N. à payer à la société Crédit Foncier de Monaco 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé ;

Sur les dépens

Attendu que, conformément à l'article 231 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats le rapport établi par l'expert-comptable C. B.,

Déboute K. N. de ses demandes,

Condamne K. N. à payer à la société Crédit Foncier de Monaco 10 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne K. N. aux dépens, distraits au profit de Maître J.-P. Licari, avocat défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Mme Grinda-Gambarini, prés. ; M. Dubes, prem. subs. proc. gén. ; Mes Michel et Licari, av. déf. -

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