Tribunal de première instance, 1 juin 2006, B. c/ Entreprise M. R.,

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Abstract🔗

Cessation de paiements, règlement judiciaire, liquidation

Liquidation - Rôle du syndic - Action du syndic contre le débiteur personne morale aux fins de reporter la date de cessation de paiements - Recevabilité de cette action

Résumé🔗

Suivant jugement du 28 juillet 2000, le Tribunal a constaté la cessation des paiements de la société anonyme monégasque Entreprise M. R. et a fixé provisoirement au 1er janvier 2000 la date de celle-ci, puis suivant jugement du 21 mars 2002, il a prononcé la liquidation de cette société ;

Par acte d'huissier du 11 mars 2003, C. B., déclarant agir en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société Entreprise M. R., a fait assigner celle-ci, prise en la personne de son administrateur délégué, M. R., devant le Tribunal, afin de voir reporter au 28 juillet 1997 la date de la cessation des paiements de la société en liquidation ;

Aux termes de l'article 530 du Code de commerce, dès l'ouverture de la procédure de la liquidation de biens le débiteur est dessaisi ;

Toutefois ce dessaisissement n'est pas absolu, le débiteur conservant la capacité d'accomplir les actes à caractère purement personnel, et pouvant en particulier présenter lui-même sa défense dans le cadre de la procédure collective ;

En conséquence, si le syndic représente le débiteur en liquidation à l'égard des tiers, dans leurs rapports entre eux il ne peut être soutenu que le syndic, qui agit en toute circonstance au nom et pour le compte de la masse des créanciers, agit à la fois pour le débiteur et contre lui ;

Lorsque le débiteur est une personne morale ses dirigeants demeurent en place et ne sont pas, du seul fait de l'ouverture de la liquidation, privés de leur mandat social, leur action étant seulement limitée en raison de la représentation de la société par le syndic à l'égard des tiers ;

En conséquence l'action du syndic contre le débiteur en liquidation, personne morale prise en la personne de son dirigeant, est recevable.


Motifs🔗

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

Suivant jugement du 28 juillet 2000, le Tribunal a constaté la cessation des paiements de la société anonyme monégasque Entreprise M. R. et a fixé provisoirement au 1er janvier 2000 la date de celle-ci, puis, suivant jugement du 21 mars 2002, il a prononcé la liquidation de cette société ;

Par acte d'huissier du 11 mars 2003, C. B., déclarant agir en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société Entreprise M. R., a fait assigner celle-ci, prise en la personne de son administrateur délégué, M. R. devant le Tribunal, afin de voir reporter au 28 juillet 1997 la date de la cessation des paiements de la société en liquidation ;

C. B. expose que les bilans comptables communiqués par M. R. pour les exercices 1994 à 1997 ne comportaient pas la page relative au « bilan actif », mais que plusieurs anomalies avaient pu être relevées ; en effet, dès le premier exercice comptable, le passif exigible s'élevait déjà à 3 908 801,07 francs, financé par un crédit de trésorerie de 3 000 000 francs consenti par la BNP sans que le bilan ne mentionne toutefois un découvert bancaire ou un emprunt ; en 1995 les pertes se seraient élevées à 2 332 756,46 francs et le passif exigible à moins d'un an aurait été de 9 016 819,11 francs, le découvert bancaire étant à lui seul de 3 782 962,67 francs ; la situation se serait encore dégradée en 1996, le passif exigible à moins d'un an progressant à 16 489 341,61 francs et le découvert à 7 652 204,53 francs ; les commissaires aux comptes auraient d'ailleurs relevé que la pérennité de la société était conditionnée par des mesures de redressement à prendre impérativement et auraient refusé de certifier les comptes annuels ; cependant, malgré ces recommandations, aucune mesure de redressement n'aurait été prise et la situation financière aurait continué de se détériorer au cours des années suivantes ;

C. B. soutient que l'affectation du passif personnel de M. R. à la société au cours de l'année 1994 a été le déclencheur du déséquilibre financier de celle-ci, que dès 1996 le passif exigible à moins d'un an s'élevait à la somme record de 16 500 000 francs et que le refus de M. R. de communiquer les pages des bilans relatives à l'actif confirme l'état de cessation des paiements depuis la clôture de l'exercice 1995 ; au regard des dispositions de l'article 414 du Code de commerce, il sollicite en conséquence que, sauf à ordonner à M. R. de communiquer au préalable les pages relatives au « bilan actif » des exercices comptables de 1994 à 1998, la date de cessation des paiements soit fixée au 28 juillet 1997 ;

Par conclusions du 4 décembre 2003, établies pour la société Entreprise M. R. à l'initiative de M. R., celui-ci soutient que le liquidateur ne pouvait agir contre la société qu'il représente et qu'il devait assigner les actionnaires ; la demande dirigée contre l'administrateur délégué personnellement tendant à la communication de pièces serait au demeurant irrecevable, celui-ci n'étant pas partie à la procédure ; en conséquence il demande au Tribunal d'annuler l'assignation ; Par conclusions du 12 mai 2004, C. B. considère que sa demande « ne saurait être déclarée irrecevable au motif que les administrateurs (de surcroît non délégués) de la société n'ont pas été mis en cause » et que M. R. a « parfaitement la possibilité d'émettre des contestations sur le fond de la demande de report de la date de cessation des paiements, pour avoir reçu en personne l'assignation » ;

Par conclusions du 13 octobre 2004, la société Entreprise M. R. répond que lors de la création de la société anonyme monégasque il a apporté à celle-ci son entreprise personnelle, laquelle était titulaire d'un compte courant n° 28000204 ouvert dans les livres de la BNP, et que ce compte a continué de servir pour les besoins de l'entreprise, et seulement pour ses besoins, tant en crédit qu'en débit ; il conteste avoir utilisé les fonds de la société pour payer des dettes personnelles ;

Par ailleurs la société Entreprise M. R. soutient que l'absence de certaines pages des bilans résulte d'une erreur de photocopie de l'expert comptable qui les a établis ;

Par conclusions du 13 avril 2005, C. B. conteste l'explication donnée par la défenderesse en soulignant que l'apport en nature effectué par celui-ci devait, selon les statuts de la société, être « net de tout passif » ; dès lors la société Entreprise M. R. ne pouvait être tenue des pertes réalisées par M. R. au titre de son activité personnelle ;

Par conclusions du 19 octobre 2005, M. R. conteste avoir fait supporter à la société des dettes antérieures à la création de celle-ci et soutient que son compte personnel n'est devenu débiteur qu'après avoir utilisé pour les besoins de l'activité de la société Entreprise M. R., notamment en payant les salaires et les fournisseurs ;

Sur quoi :

Sur la procédure

Attendu que la société Entreprise M. R. qui soulève la nullité de l'assignation n'invoque aucune des causes prévues par les articles 136 et suivants et 156 du Code de procédure civile ;

Attendu que l'assignation est le procédé de droit commun prévu pour la convocation d'une partie devant le Tribunal de première instance et que, si le syndic désigné par ce Tribunal pour suivre une procédure collective peut toujours le saisir par voie de requête pour trancher une difficulté relative à cette procédure, aucune disposition légale ne lui interdit d'agir par voie d'assignation ;

Attendu que l'assignation ne peut donc être annulée ;

Attendu qu'aux termes de l'article 530 du Code de commerce, dès l'ouverture de la procédure de liquidation de biens le débiteur est dessaisi ;

Attendu toutefois que ce dessaisissement n'est pas absolu, le débiteur conservant la capacité d'accomplir les actes à caractère purement personnel, et pouvant en particulier présenter lui-même sa défense dans le cadre de la procédure collective ;

Attendu en conséquence que, si le syndic représente le débiteur en liquidation à l'égard des tiers, dans leurs rapports entre eux il ne peut être soutenu que le syndic, qui agit en toute circonstance au nom et pour le compte de la masse des créanciers, agit à la fois pour le débiteur et contre lui ;

Attendu que lorsque le débiteur est une personne morale ses dirigeants demeurent en place et ne sont pas, du seul fait de l'ouverture de la liquidation, privés de leur mandat social, leur action étant seulement limitée en raison de la représentation de la société par le syndic à l'égard des tiers ;

Attendu en conséquence que l'action du syndic contre le débiteur en liquidation, personne morale prise en la personne de son dirigeant, est recevable ;

Attendu par ailleurs que la demande tendant à l'obtention de pièces détenues par un tiers à la procédure n'est pas irrecevable par elle-même et qu'en outre, selon les énonciations des dernières conclusions, M. R. serait intervenu à la procédure ;

Attendu que les demandes de C. B. sont donc recevables ;

Attendu en revanche que l'action engagée par C. B. es qualités tend exclusivement à la fixation de la date de la cessation des paiements, et que le débat sur l'origine des difficultés financières est étranger à la demande soumise au Tribunal dans la présente instance

Attendu que les demandes reconventionnelles tendant à ce que le Tribunal constate :

que le compte bancaire ouvert par M. R. sous le numéro 28000204, est en réalité un compte de la société Entreprise M. R.,

que le transfert de la somme de 3 547 591,63 francs n'a aucune nature frauduleuse,

que le syndic n'a pas procédé à des recherches suffisantes,

outre qu'elles se bornent à demander la constatation des faits allégués sans en tirer aucune conséquence de droit, ne procèdent pas de la même cause que la demande principale, ne forment pas une défense contre elle et ne tendent pas à obtenir le bénéfice de la compensation ;

Attendu qu'il convient dès lors de les déclarer irrecevables par application de l'article 382 du Code de procédure civile ;

Sur le fond

Attendu que l'état de cessation des paiements est caractérisé par l'impossibilité manifeste de faire face au passif exigible avec l'actif disponible ;

Attendu que le bilan au 31 décembre 1994 indique que l'actif disponible (espèces en caisse et dépôts à vue) s'élevait à 50 023,40 francs et que le passif immédiatement exigible (dépenses à régler) était de 79 873,11 francs ;

Attendu qu'au 31 décembre 1995 l'actif disponible était constitué uniquement d'espèces en caisse d'un montant de 2 276 francs alors que les dépenses à régler étaient de 200 473,11 francs ;

Attendu qu'à cette même date les découverts bancaires s'élevaient à 3 782 962,67 francs ;

Attendu qu'au 31 décembre 1996 le seul actif disponible, soit 1 639,71 francs d'espèces en caisse, était toujours inférieur au passif exigible, soit 1 975 francs de dépenses à régler, le montant des découverts bancaires ayant plus que doublé depuis l'année précédente pour s'établir à 7 652 204,53 francs ;

Attendu qu'à la même date, et sans que la date d'exigibilité soit précisée autrement que par la mention « exigible à moins d'un an », les sommes dues aux fournisseurs et à d'autres créanciers s'élevaient à plus de 7 700 000 francs et la créance de l'administration fiscale était évaluée à 1 115 158,97 francs ;

Attendu que le passif exigible à moins d'un an était d'un montant total de 16 489 341,61 francs alors que l'actif recouvrable dans le même délai n'excédait pas 10 360 302,65 francs et que le stock était valorisé à 2 241 661 francs seulement ;

Attendu qu'il résulte des constatations ci-dessus que depuis le 31 décembre 1994 l'actif disponible a toujours été inférieur au passif exigible, que cette situation perdurait au 31 décembre 1996, même si l'augmentation considérable des découverts bancaires avait permis de retarder la constatation de cette situation, et que les perspectives comptables pour 1997 ne permettaient pas d'envisager un rééquilibrage au cours de l'exercice ;

Attendu que les commissaires aux comptes, qui déclaraient ne pas être en mesure de certifier si les comptes annuels étaient réguliers et sincères, en particulier en ce qui concerne la valeur du stock, soulignaient l'existence d'une situation financière préoccupante et précisaient que la pérennité de la société était conditionnée par des mesures de redressement à prendre par le conseil d'administration ;

Attendu qu'il n'est justifié d'aucune mesure prise au cours de l'année 1997 pour répondre à la dégradation de la situation financière et que le bilan au 31 décembre 1997 fait état, pour tout actif disponible, d'une somme de 1 296,15 francs en caisse, alors que le passif exigible était constitué pour 194 042,71 francs d'effets à payer et pour 111 856,48 francs de dépenses à régler ;

Attendu qu'il convient donc de constater que jamais la société Entreprise M. R. n'est sortie de son état de cessation des paiements au cours de l'année 1997, et de fixer en conséquence au 28 juillet 1997, conformément à la demande, la date de celle-ci ;

Sur les dépens

Attendu qu'il convient d'ordonner la compensation des dépens et de dire que ceux exposés par C. B. en qualité de syndic seront employés en frais privilégiés de liquidation des biens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant contradictoirement,

Dit n'y avoir lieu d'annuler l'assignation,

Donne acte à M. R. de son intervention volontaire et de la production de la page des bilans correspondant au « bilan actif »,

Déclare recevable l'action de C. B. à l'encontre de la société anonyme monégasque Entreprise M. R. prise en la personne de M. R.,

Déclare irrecevables les demandes reconventionnelles de la société Entreprise M. R. et de M. R. ;

Fixe au 28 juillet 1997 la date de cessation des paiements de la société Entreprise M. R.,

Ordonne la compensation des dépens et dit que ceux exposés par C. B. ès qualités seront employés en frais privilégiés de liquidation des biens ;

Composition🔗

Mme Grinda-Gambarini, prés. ; Mme Dorato-Chicouras, prem. juge ; Mme Robin, juge ; Mlle Gonelle, prem. subst. proc. gén. ; Mme Fléché, gref. ; Mes Pasquier-Ciulla et Mullot, av. déf. ; Zabaldano, av. ; Marquet, av. stag.

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