Tribunal de première instance, 15 décembre 2005, C. B. c/ N. B.

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Abstract🔗

Procédure civile

Péremption d'instance - Art. 405 et autres du CPC - Moyen invoqué non fondé : à défaut de discontinuation des poursuites pendant plus d'un an, en raison du maintien, obtenu contradictoirement chaque année, de l'inscription de la cause au rôle du tribunal

Résumé🔗

La péremption reposant sur une présomption d'abandon de l'instance, il appartient à N. B., qui invoque ce moyen, d'établir que C. B., par son inaction prolongée, a entendu faire abandon des poursuites engagées contre lui ;

Au soutien du moyen de péremption, N. B. se prévaut de l'inaction de son adversaire pendant la période où l'affaire a été placée au « rôle général » du Tribunal, soit du 21 mars 1996 au 21 avril 2004 ;

Il est constant que durant cette période, l'affaire a été appelée chaque année avant qu'un an ne s'écoule entre deux appels ; ainsi, les 5 mars 1997, 25 février 1998, 24 février 1999, 11 février 2000, 9 février 2001, 8 février 2002, 7 février 2003 et 6 février 2004, C. B., par son avocat-défenseur, a demandé et obtenu au contradictoire de son adversaire le maintien de l'inscription de la cause au rôle du Tribunal ;

Ces circonstances, même si aucune autre initiative procédurale n'a été prise, révèlent à suffisance sa volonté non équivoque de poursuivre l'instance qu'il a pris soin de faire appeler chaque année, avant l'expiration du délai annuel, en présence de l'avocat-défenseur de N. B. ; il n'est d'ailleurs pas contesté que le placement de l'affaire au rôle général était motivé par la législation alors en vigueur concernant les droits d'enregistrement très élevés que C. B. aurait dû provisionner pour faire face à une éventuelle décision de condamnation à son encontre, cette considération étant exclusive de toute renonciation à l'instance engagée par ses soins ;

N. B. ne s'est au demeurant pas mépris sur la véritable intention de son adversaire puisqu'il s'est lui-même abstenu, pendant toutes ces années, de demander la radiation de l'instance ;

Il convient de rappeler à cet égard que les décisions de placement et de maintien de la procédure au rôle général sont prises de l'accord des parties à l'instance et ont pour conséquence, connue d'elles par avance, de provoquer l'appel annuel de leur cause avant l'expiration du délai de péremption ; cette situation fait d'ailleurs présumer la renonciation à se prévaloir du moyen d'ordre privé tiré de l'article 405 du Code de procédure civile puisqu'à l'occasion de chacun de ces appels, la partie demanderesse a conclu oralement au maintien des prétentions antérieurement émises et qu'en l'espèce, aucune opposition du défendeur ne s'est manifestée ;

Les décisions de justice des juridictions monégasques citées par N. B. n'apparaissent pas pertinentes - non plus ailleurs que la jurisprudence récente et la doctrine françaises invoquées, qui reposent sur une législation différente de celle en vigueur à Monaco -, dès lors que dans les espèces considérées, la question des appels réguliers au rôle général, ainsi que leur portée, n'était pas posée ;

En définitive aucune discontinuation des poursuites pendant un an n'est caractérisée dans la présente instance, les parties, par leur représentant, s'étant au contraire accordées pour poursuivre la procédure à l'occasion de chaque rappel annuel de leur cause, C. B., en particulier, ayant ainsi manifesté sa volonté de ne pas abandonner les poursuites ;

Il s'ensuit que le moyen de péremption opposé par N. B. doit être rejeté.


Motifs🔗

Le tribunal

Considérant les faits suivants :

Par exploit d'assignation du 12 février 1991, C. B. a fait citer N. B. devant ce Tribunal pour obtenir paiement d'une commission - à déterminer en son montant - relative à une vente immobilière, outre 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

N. B. s'est opposé à ces demandes en opposant une fin de non-recevoir et des moyens de défense au fond ;

Par jugement d'instruction du 19 janvier 1995, le Tribunal de ce siège a considéré, au vu des écrits judiciaires échangés par les parties, que l'affaire se trouvait en état d'être jugée et a fixé au 23 mars 1995 la date des plaidoiries ;

Celles-ci ont eu lieu le 18 mai 1995 mais le délibéré du Tribunal a été rabattu dès le 24 mai suivant, à la demande de C. B. formée par lettre du 19 mai 1995 ;

L'affaire a ensuite été renvoyée à diverses reprises pour une nouvelle fixation de date de plaidoiries puis a été placée au « rôle général » le 21 mars 1996 ;

Elle y est demeurée jusqu'au 21 avril 2004, en étant cependant appelée chaque année aux dates suivantes :

mars 1997

février 1998

février 1999

février 2000

février 2001

février 2002

février 2003

février 2004

Par conclusions dites « de synthèse » du 21 avril 2004, C. B. poursuit la condamnation de son adversaire à lui payer la somme principale de 2 427 662,60 euros, outre diverses demandes accessoires ;

En réponse et selon conclusions du 19 janvier 2005, N. B., avant toute défense au fond, a soulevé le moyen de péremption de l'instance par application de l'article 405 du Code de procédure civile ;

Il estime en effet que C. B. n'a pas manifesté, pendant près de neuf ans, sa volonté de poursuivre l'instance et que « la discontinuation des poursuites pendant un an », au sens de l'article 405 précité, est acquise ; selon lui, le simple appel de l'affaire au rôle général ne peut constituer à lui seul une diligence processuelle et ne peut faire échec à la péremption de plein droit telle qu'édictée par l'article 407 du Code de procédure civile ;

Il en déduit que les conclusions de son adversaire sont irrecevables ;

titre subsidiaire, il déclare réitérer ses précédentes exceptions d'irrecevabilité et de fin de non-recevoir à l'encontre des demandes dont il fait l'objet et poursuit la condamnation de C. B. à lui payer 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Par conclusions des 16 mars et 11 mai 2005, C. B. considère que le moyen de péremption qui lui est opposé n'est pas fondé et maintient ses demandes ; il poursuit en définitive la condamnation de N. B. - ou de la société Les Jardins Hector Otto dont celui-ci se déclare le gérant - à lui payer 2 432 236, 10 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation du 12 février 1991, ainsi que 15 244,90 euros à titre de dommages-intérêts, en sollicitant l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Pour sa part, N. B. réitère sa demande tendant à faire juger que l'action de C. B. est éteinte par discontinuation des poursuites pendant plus d'un an et que la péremption a joué de plein droit ;

Il fait valoir que le principe édicté par l'article 405 du Code de procédure civile n'est pas susceptible d'être mis en échec par un prétendu usage dont il conteste la portée et se prévaut de décisions de justice monégasques et françaises ayant fait application de ce principe ;

En cet état, les parties se sont accordées pour que le Tribunal statue, par décision avant-dire droit au fond, sur le seul moyen tiré de la péremption ;

Sur quoi,

Attendu que la péremption reposant sur une présomption d'abandon de l'instance, il appartient à N. B., qui invoque ce moyen, d'établir que C. B., par son inaction prolongée, a entendu faire abandon des poursuites engagées contre lui ;

Attendu qu'au soutien du moyen de péremption, N. B. se prévaut de l'inaction de son adversaire pendant la période où l'affaire a été placée au « rôle général » du Tribunal, soit du 21 mars 1996 au 21 avril 2004 ;

Attendu qu'il est constant que durant cette période, l'affaire a été appelée chaque année avant qu'un an ne s'écoule entre deux appels ; qu'ainsi, les 5 mars 1997, 25 février 1998, 24 février 1999, 11 février 2000, 9 février 2001, 8 février 2002, 7 février 2003 et 6 février 2004, C. B., par son avocat-défenseur, a demandé et obtenu au contradictoire de son adversaire le maintien de l'inscription de la cause au rôle du Tribunal ;

Attendu que ces circonstances, même si aucune autre initiative procédurales n'a été prise, révèlent à suffisance sa volonté non équivoque de poursuivre l'instance qu'il a pris soin de faire appeler chaque année, avant l'expiration du délai annuel, en présence de l'avocat-défenseur de N. B. ; qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que la placement de l'affaire au rôle général était motivé par la législation alors en vigueur concernant les droits d'enregistrement très élevés que C. B. aurait dû provisionner pour faire face à une éventuelle décision de condamnation à son encontre, cette considération étant exclusive de toute renonciation à l'instance engagée par ses soins ;

Que N. B. ne s'est au demeurant pas mépris sur la véritable intention de son adversaire puisqu'il s'est lui-même abstenu, pendant toutes ces années, de demander la radiation de l'instance ;

Attendu qu'il convient de rappeler à cet égard que les décisions de placement et de maintien de la procédure au rôle général sont prises de l'accord des parties à l'instance et ont pour conséquence, connue d'elles par avance, de provoquer l'appel annuel de leur cause avant l'expiration du délai de péremption ; que cette situation fait d'ailleurs présumer la renonciation à se prévaloir du moyen d'ordre privé tiré de l'article 405 du Code de procédure civile puisqu'à l'occasion de chacun de ces appels, la partie demanderesse a conclu oralement au maintien des prétentions antérieurement émises et qu'en l'espèce, aucune opposition du défendeur ne s'est manifestée ;

Attendu que les décisions de justice des juridictions monégasques citées par N. B. n'apparaissent pas pertinentes - non plus d'ailleurs que la jurisprudence récente et la doctrine françaises invoquées, qui reposent sur une législation différente de celle en vigueur à Monaco -, dès lors que dans les espèces considérées, la question des appels réguliers au rôle général, ainsi que leur portée, n'était pas posée ;

Attendu en définitive qu'aucune discontinuation des poursuites pendant un an n'est caractérisée dans la présente instance, les parties, par leur représentant, s'étant au contraire accordées pour poursuivre la procédure à l'occasion de chaque appel annuel de leur cause, C. B., en particulier, ayant ainsi manifesté sa volonté de ne pas abandonner les poursuites ;

Qu'il s'ensuit que le moyen de péremption opposé par N. B. doit être rejeté ;

Attendu que par application de l'article 231 du Code de procédure civile, ce défendeur doit être condamné aux dépens du présent jugement ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, STATUANT CONTRADICTOIREMENT AVANT-DIRE-DROIT AU FOND SUR LES PRÉTENTIONS DES PARTIES,

Rejette le moyen de péremption d'instance soulevé par N. B. ;

Renvoie la cause et les parties, en l'état, à l'audience du mercredi 15 février 2006 à 9 heures.

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mme Gonelle, prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut et Leandri, av. déf.

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