Tribunal de première instance, 24 novembre 2005, M. c/ T., Centre Hospitalier Princesse Grace

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Abstract🔗

Preuve des obligations

Rapports médicaux, non constitutifs d'expertises judiciaires mais de présomptions, susceptibles d'être opposables à une partie - Pouvoir des juges d'apprécier si ces présomptions sont suffisamment graves, précises et concordantes pour revêtir une valeur probable (art. 1200 CC)

Responsabilité civile

Chirurgien - Obligations : ordonnance-loi n° 327 du 30 août 1941, article 10 visant le refoulement de déontologie médicale - Obligation d'obtenir le consentement, éclairé et réfléchi du patient à l'intervention - Obligation d'informer le patient des conséquences et risques de l'intervention, preuve de l'accomplissement de cette obligation incombant au chirurgien (art. 1162 CC) - Obligation de s'abstenir d'appliquer une thérapeutique injustifiée

Centre hospitalier

Dommage causé par son personnel ou son matériel, pour mauvaise surveillance post-opératoire, indépendamment de l'absence de toute convention passée avec le patient

Résumé🔗

Les rapports médicaux produits par D. M. ne constituent pas des expertises judiciaires mais de simples présomptions régies par l'article 1200 du Code civil ;

Ces documents ne sont pas soumis aux règles relatives à l'expert judiciaire, telles qu'elles résultent des articles 344 et suivants du Code de procédure civile ; leurs auteurs respectifs n'étaient en conséquence tenus, ni de faire participer Y. T. ou le Centre Hospitalier à leurs opérations, ni même de solliciter leurs observations ;

Y. T. est, en conséquence, mal fondé à soutenir que les rapports médicaux litigieux lui sont inopposables ;

Il appartient seulement aux juges, conformément à l'article 1200 du Code civil, d'apprécier si ces présomptions sont suffisamment graves, précises et concordantes pour revêtir une valeur probante ;

A. - Sur la responsabilité du chirurgien

Il n'est pas discuté que Y. T. a agi, non en tant que médecin appartenant au personnel du Centre Hospitalier, mais dans le cadre d'une activité privée exercée dans cet hôpital ;

Ce cadre est défini par un contrat d'activité privée, en date du 19 mars 2001, qui règle les rapports entre l'établissement et Y. T. ;

Il résulte de l'article 8 du Code de règlement de déontologie médicale, visé à l'article 10 de l'ordonnance-loi n° 327 du 30 août 1941 instituant un Ordre des Médecins, que le médecin doit avoir le plus grand respect de la personne humaine ; il en découle que, sauf urgence caractérisée par la nécessité de sauver la vie d'autrui ou sauf placement d'un malade mental par décision judiciaire, le médecin n'est en principe autorisé à dispenser ses soins à un patient que s'il a obtenu de ce dernier un consentement éclairé et réfléchi ;

Cette obligation a pour corollaire le devoir d'apporter au patient tous les renseignements qui lui permettront d'exercer librement son choix d'accepter ou de refuser les soins proposés ; le médecin est donc tenu, sauf urgence, impossibilité ou refus du patient d'être informé, de lui décrire de façon claire, loyale et appropriée, compte tenu des circonstances et de la personnalité de l'intéressée, la nature et la nécessité des soins et de l'informer des conséquences et des risques qui pourraient en découler ;

Il appartient au praticien, conformément à l'article 1162 du Code civil, de prouver qu'il s'est effectivement acquitté de cette obligation ;

En outre, Y. T. était tenu, comme le rappelle l'article 4 du contrat d'activité privée précité, de donner ses soins conformément aux usages professionnels et dans le respect du Code de déontologie médicale ; selon ce dernier code, il doit, notamment, s'abstenir d'appliquer une thérapeutique injustifiée et, comme corollaire du respect dû à la personne humaine, éviter toute maladresse ou imprudence (art. 8) ;

Les documents médicaux produits par D. M. permettent de constater que l'intervention pratiquée par Y. T. a agi de façon trop agressive sur certaines parties du corps, tout en omettant d'en traiter d'autres ;

Leurs auteurs sont, en revanche, en désaccord sur le point de savoir si la liposuccion constituait une indication appropriée au cas de D. M. et si ses suites hémorragiques étaient prévisibles ;

Le Tribunal n'est donc pas en mesure de se prononcer immédiatement sur la responsabilité d'Y. T. et estime nécessaire de recourir, avant dire droit sur sa responsabilité, à une mesure d'expertise médicale portant sur l'ensemble des points litigieux de la cause ;

B. - Sur la responsabilité du Centre Hospitalier Princesse Grace

Le contrat d'activité privée conclu entre Y. T. et le Centre Hospitalier prévoit, en son article 4, que cet hôpital engage sa responsabilité envers le patient de ce chirurgien si le dommage a été causé par le personnel ou par le matériel mis à sa disposition ;

Le Centre Hospitalier Princesse Grace admet, en invoquant ce contrat, que sa responsabilité peut être recherchée même en l'absence de toute convention passée entre lui et le patient concerné ;

D. M., contrairement à ce que soutient le Centre Hospitalier, n'invoque pas uniquement des faits imputables au seul Y. T., tels défaut d'information suffisante ou des erreurs commises au cours même de l'intervention chirurgicale, mais aussi une mauvaise surveillance post-opératoire ;

De même, le préjudice qu'elle prétend subir ou avoir subi consiste non seulement dans les séquelles physiques et morales qu'elle dit conserver mais aussi dans les souffrances endurées au cours de son séjour au Centre Hospitalier ;

Les pièces médicales susvisées, émanant du Centre Hospitalier lui-même, établissent qu'une importante complication hémorragique est survenue après l'intervention chirurgicale, à un moment où D. M. devait être soignée et surveillée par le personnel de cet hôpital ; elles montrent également une perturbation grave et durable de ses constantes sanguines ;

Il est donc nécessaire d'apprécier si le personnel hospitalier a correctement rempli sa mission, de sorte que le Centre Hospitalier Princesse Grace ne saurait être mis hors de cause à ce stade de la procédure ;

Il convient, là aussi, de recourir à un éclairage technique ; l'expert désigné par le Tribunal devra, en conséquence, examiner à la fois les circonstances relatives à l'intervention et ses suites durant l'hospitalisation de D. M.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Le 27 octobre 2001, D. M. a subi, au Centre Hospitalier Princesse Grace de Monaco, une intervention chirurgicale consistant en une liposuccion au niveau de son abdomen et de ses membres inférieurs ;

Cette intervention a été pratiquée par le docteur Y. T., assisté d'un médecin anesthésiste et d'infirmières du Centre Hospitalier ;

Suivant l'exploit susvisé du 29 novembre 2004, D. M. a fait assigner, d'une part Y. T. et, d'autre part, le Centre Hospitalier Princesse Grace ; elle demandait au tribunal :

de constater l'existence, tant d'une faute de service imputable au Centre Hospitalier, que d'une faute détachable du service de la part d'Y. T.,

de les déclarer solidairement responsables de tous les préjudices qui lui ont été occasionnés par l'intervention du 27 octobre 2001,

avant-dire droit au fond, d'ordonner une expertise médicale, aux frais avancés de ses adversaires, et de les condamner solidairement à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle,

et de lui donner acte de ce qu'elle se réservait de développer ses demandes au fond contre qui il appartiendra au vu des conclusions du rapport d'expertise à intervenir ;

Elle a modifié partiellement ses prétentions dans ses conclusions du 11 mai 2006, demandant désormais, au sujet du principe de la responsabilité, de « constater la faute du docteur T. » et « la faute personnelle » du Centre Hospitalier ;

Le Centre Hospitalier a sollicité, les 16 février et 15 juin 2005, sa mise hors de cause, « sauf à débouter purement et simplement » la demanderesse de l'ensemble de ses prétentions ; à titre subsidiaire, pour le cas où une expertise serait ordonnée, il a conclu au rejet tant de la demande tendant à voir déclarer sa responsabilité en raison d'une prétendue faute de service que des autres demandes relatives à l'indemnité provisionnelle et à la prise en charge des frais d'expertise ;

Y. T. s'est exprimé, le 21 avril 2005, par des conclusions « rectificatives » se substituant à ses précédentes écritures du 16 mars 2005 ; il a émis des « protestations » sur l'assignation et sur la mesure d'expertise sollicitée, tout en demandant la désignation, pour y procéder, d'un spécialiste en chirurgie plastique et reconstructrice demeurant hors du territoire monégasque et en proposant sa propre rédaction de la mission d'expertise ; il s'est également opposé à l'allocation d'une indemnité provisionnelle et à la mise à sa charge de l'avance à valoir sur les honoraires de l'expert ;

Le débat qui s'est instauré entre les parties peut être ainsi présenté :

Sur la position du chirurgien par rapport au Centre Hospitalier

- le Centre Hospitalier indique qu'Y. T. est intervenu en son sein dans le seul cadre de son activité libérale, conformément à un contrat d'activité privée régi par l'ordonnance n° 13.839 du 29 décembre 1998 et par l'arrêté ministériel n° 98-631 du 29 décembre 1998 ;

- Y. T. indique avoir pratiqué l'intervention litigieuse et avoir « pris en charge en post-opératoire » D. M., qu'il désigne comme sa « patiente » ;

- D. M. prend acte de la production aux débats du contrat d'activité privée conclu entre ses adversaires ;

Sur les manquements reprochés au Centre Hospitalier

- exposant que le contrat d'activité privée conclu avec le chirurgien n'envisage la responsabilité de l'hôpital que si le dommage a été causé par le personnel ou le matériel mis à la disposition du praticien libéral, le Centre Hospitalier fait valoir que, selon les pièces produites par la demanderesse, le préjudice dont cette dernière se plaint ne peut résulter que de l'action d'Y. T. ; il nie, en outre, l'existence d'un quelconque manquement imputable à son personnel ;

- D. M. admet que la responsabilité d'un hôpital ne peut pas être engagée du fait d'une faute commise par un praticien exerçant en son sein à titre libéral ; mais elle soutient que l'accueil du patient à l'hôpital fait alors naître un « contrat d'hospitalisation et de soins » comportant, à la charge de l'hôpital, une obligation générale d'organisation, une obligation de soins et une obligation de surveillance ; elle reproche au Centre Hospitalier une insuffisance de soins et de surveillance post-opératoires, par le fait d'avoir tardé à rappeler le chirurgien et à procéder à des transfusions sanguines alors qu'elle présentait des nausées, des vomissements, des maux de tête et des saignements ; elle précise qu'une meilleure surveillance aurait permis de lui éviter des souffrances ;

Sur les manquements reprochés à Y. T.

- D. M. se fonde sur les rapports des divers médecins pour soutenir que le chirurgien l'a mal informée avant de l'opérer, a procédé à une liposuccion trop agressive au niveau de l'abdomen tandis qu'il n'a pas traité une partie de la face interne des cuisses, provoquant ainsi des inégalités disgracieuses, un œdème persistant des jambes et des chevilles, des douleurs encore actuelles et une perte de sensibilité des cuisses ;

- Y. T. dénie toute valeur probante aux rapports produits par la demanderesse aux motifs qu'ils émanent de praticiens étrangers et qu'ils n'ont pas été établis contradictoirement, lui étant ainsi inopposables ; il met en doute l'existence d'un lien de causalité entre sa propre intervention et l'état actuel de D. M. alors que cette dernière a subi, depuis 2002, cinq autres opérations ;

Sur la demande de provision

- D. M. prétend que les fautes qu'elle reproche au chirurgien sont d'ores et déjà établies par les rapports qu'elle produit et invoque une « jurisprudence constante », en réalité française, selon laquelle l'obligation du chirurgien plasticien doit, en ce qui concerne tant l'information due au patient que l'exécution des actes chirurgicaux, être appréciée plus strictement que celle d'un praticien d'une autre spécialité ; au sujet du quantum de sa demande, elle fait valoir qu'elle a dû payer le coût des interventions réparatrices auxquelles elle a recouru en Italie et qu'elle va être contrainte d'en subir d'autres ;

- Y. T. répond que la demanderesse ne peut pas, à la fois, solliciter une mesure d'expertise destinée à déterminer la responsabilité du chirurgien et prétendre à une provision ; il conteste avoir commis un quelconque manquement et qualifie de « déraisonnable » le montant de l'indemnité demandée ;

Sur quoi,

I. - Sur la responsabilité d'Y. T. et du Centre Hospitalier Princesse Grace

Attendu qu'il est établi par des pièces médicales émanant du Centre Hospitalier Princesse Grace que D. M., entrée dans l'établissement le 26 octobre 2001, y a été opérée le lendemain par Y. T. ;

Qu'un saignement des jambes a été constaté après l'intervention, un membre du personnel de l'hôpital indiquant, à 18 heures, qu'il était « à surveiller » ;

Que D. M. est demeurée hospitalisée jusqu'au 4 novembre 2001, soit neuf jours après l'intervention, en raison, selon un compte-rendu signé « Guglielmi » d'une complication hémorragique ayant nécessité une transfusion sanguine ;

Que D. M. a ensuite consulté en Italie, où elle a son domicile, puis en France, plusieurs spécialistes en chirurgie plastique ;

Que le professeur M. G. a constaté, dans un certificat établi le 2 septembre 2002 :

une élimination excessive de tissu adipeux sur la zone antérieure des cuisses et sur la partie intérieure du genoux, ayant créé une dénivellation de plus de deux centimètres par rapport aux zones limitrophes et une rétraction cutanée causant un déficit de flexion des genoux,

de même, une lipoaspiration trop agressive au niveau de l'abdomen, avec amincissement important du panicule adipeux sous-cutané, aspect dystrophique de la peau et nombreuses rides,

des conséquences esthétiques qualifiées de catastrophiques, à considérer comme des balafres permanentes, dont l'amélioration par des interventions chirurgicales ne pourra être que partielle,

l'absence de traitement de l'intérieur des cuisses et des hanches ;

Que le professeur romain L. M. a également établi, le 12 novembre 2002, un rapport par lequel, utilisant l'avis du professeur G., il estime :

que D. M. n'a pas donné un consentement éclairé à l'intervention litigieuse, faute d'avoir été informée de manière précise et exhaustive sur sa nature, ses contre-indications ou ses risques,

qu'Y. T. n'a pas procédé à une évaluation préopératoire correcte, car la liposuccion, déconseillée en cas d'accumulation de tissu adipeux dans la partie antérieure des cuisses et dans la zone du nombril, était même, contre-indiquée en l'espèce par un manque de fermeté cutanée qui aurait dû être évalué,

que ce chirurgien a commis une erreur en ne procédant pas à une élimination harmonieuse du tissu gras, son intervention ayant, au contraire, fait apparaître des reliefs, des affaissements, des proéminences, des dépressions, des saillies et des enfoncements esthétiques de la peau,

qu'il y a eu négligence du chirurgien dans le fait de n'avoir pas prévu la nécessité d'une autohémotransfusion et de ne pas avoir fait procéder, avant l'intervention, à un prélèvement sanguin destiné à être transfusé, en cas de besoin, sur sa patiente ;

Que D. M. a encore consulté, le 16 octobre 2003, un chirurgien français, le docteur Sylvain Baudelot ;

Que ce praticien estime, au sujet du devoir d'information du chirurgien, que des informations détaillées sur la lipoaspiration et ses complications étaient contenues dans le document, intitulé « consentement éclairé », soumis à la signature de D. M. ; qu'il fait cependant état des doléances de cette dernière selon lesquelles ce document ne lui a été présenté qu'au moment de l'intervention, alors qu'elle se trouvait déjà sous l'empire d'un traitement pré-anesthésique ;

Que le docteur B., contrairement au professeur M., estime ensuite que l'indication de liposuccion était excellente, mais rejoint son confrère au sujet du caractère agressif de l'intervention et de l'omission de traiter certaines zones du corps de sa patiente ;

Qu'en ce qui concerne les suites de l'opération, le docteur B. considère enfin :

que le saignement massif présenté par D. M. est tout à fait inhabituel dans les lipoaspirations, même importantes,

et que les transfusions de sang pratiquées sur elle ont été insuffisantes pour faire remonter la numération globulaire ;

Attendu que les rapports médicaux produits par D. M. ne constituent pas des expertises judiciaires mais de simples présomptions régies par l'article 1200 du Code civil ;

Attendu que ces documents ne sont donc pas soumis aux règles relatives à l'expertise judiciaire, telles qu'elles résultent des articles 344 et suivants du Code de procédure civile, que leurs auteurs respectifs n'étaient en conséquence tenus, ni de faire participer Y. T. ou le Centre Hospitalier à leurs opérations, ni même solliciter leurs observations ;

Attendu qu'Y. T. est, en conséquence, mal fondé à soutenir que les rapports médicaux litigieux lui sont inopposables ;

Qu'il appartient seulement aux juges, conformément à l'article 1200 du Code civil, d'apprécier si ces présomptions sont suffisamment graves, précises et concordantes pour revêtir une valeur probante ;

A. - Sur la responsabilité du chirurgien

Attendu qu'il n'est pas discuté qu'Y. T. a agi, non en tant que médecin appartenant au personnel du Centre Hospitalier, mais dans le cadre d'une activité privée exercée dans cet hôpital ;

Que ce cadre est défini par un contrat d'activité privée, en date du 19 mars 2001, qui règle les rapports entre l'établissement et Y. T. ;

Attendu qu'il résulte de l'article 8 du Code du règlement de déontologie médicale, visé à l'article 10 de l'ordonnance-loi n° 327 du 30 août 1941 instituant un Ordre des Médecins, que le médecin doit avoir le plus grand respect de la personne humaine ; qu'il en découle que, sauf urgence caractérisée par la nécessité de sauver la vie d'autrui ou sauf placement d'un malade mental par décision judiciaire, le médecin n'est en principe autorisé à dispenser ses soins à un patient que s'il a obtenu de ce dernier un consentement éclairé et réfléchi ;

Attendu que cette obligation a pour corollaire le devoir d'apporter au patient tous les renseignements qui lui permettront d'exercer librement son choix d'accepter ou de refuser les soins proposés ; que le médecin est donc tenu, sauf urgence, impossibilité ou refus du patient d'être informé, de lui décrire de façon claire, loyale et appropriée, compte tenu des circonstances et de la personnalité de l'intéressé, la nature et la nécessité des soins et de l'informer des conséquences et des risques qui pourraient en découler ;

Attendu qu'il appartient au praticien, conformément à l'article 1162 du Code civil, de prouver qu'il s'est effectivement acquitté de cette obligation ;

Attendu qu'en outre, Y. T. était tenu, comme le rappelle l'article 4 du contrat d'activité privée précité, de donner ses soins conformément aux usages professionnels et dans le respect du Code de déontologie médicale ; que selon ce dernier code, il doit, notamment, s'abstenir d'appliquer une thérapeutique injustifiée et, comme corollaire du respect dû à la personne humaine, éviter toute maladresse ou imprudence (art. 8) ;

Attendu que les documents médicaux produits par D. M. permettent de constater que l'intervention pratiquée par Y. T. n'a pas abouti au résultat qu'elle recherchait puisque son abdomen et ses jambes présentent un aspect disgracieux ;

Attendu que ces documents sont suffisamment précis et concordants pour rendre plausible la thèse selon laquelle Y. T. a agi de façon trop agressive sur certaines parties du corps, tout en omettant d'en traiter d'autres ;

Attendu que leurs auteurs sont, en revanche, en désaccord sur le point de savoir si la liposuccion constituait une indication appropriée au cas de D. M. et si ses suites hémorragiques étaient prévisibles ;

Attendu que le Tribunal n'est donc pas en mesure de se prononcer immédiatement sur la responsabilité d'Y. T. et estime nécessaire de recourir, avant dire droit sur sa responsabilité, à une mesure d'expertise médicale portant sur l'ensemble des points litigieux de la cause ;

Que le Tribunal doit, selon l'article 346 du Code de procédure civile, désigner la ou les parties tenues de verser à l'expert une provision à titre d'avance ;

Qu'il convient de mettre la charge de cette provision à la demanderesse, eu égard aux données du litige ;

B. - Sur la responsabilité du Centre Hospitalier Princesse Grace

Attendu que le contrat d'activité privé conclu entre Y. T. et le Centre Hospitalier prévoit, en son article 4, que cet hôpital engage sa responsabilité envers le patient de ce chirurgien si le dommage a été causé par le personnel ou par le matériel mis à sa disposition ;

Attendu que le Centre Hospitalier Princesse Grace admet, en invoquant ce contrat, que sa responsabilité peut être recherchée même en l'absence de toute convention passée entre lui et le patient concerné ;

Attendu que D. M., contrairement à ce que soutient le Centre Hospitalier n'invoque pas uniquement des faits imputables au seul Y. T., tels un défaut d'information suffisante ou des erreurs commises au cours même de l'intervention chirurgicale, mais aussi une mauvaise surveillance post-opératoire ;

Que de même, le préjudice qu'elle prétend subir ou avoir subi non seulement dans les séquelles physiques et morales qu'elle dit conserver mais aussi dans les souffrances endurées au cours de son séjour au Centre Hospitalier ;

Attendu que les pièces médicales susvisées, émanant du Centre Hospitalier lui-même, établissent qu'une importante complication hémorragique est survenue après l'intervention chirurgicale, à un moment où D. M. devait être soignée et surveillée par le personnel de cet hôpital ; qu'elles montrent également une perturbation grave et durable de ses constantes sanguines ;

Attendu qu'il est donc nécessaire d'apprécier si le personnel hospitalier a correctement rempli sa mission, de sorte que le Centre Hospitalier Princesse Grace ne saurait être mis hors de cause à ce stade de la procédure ;

Attendu qu'il convient, là aussi, de recourir à un éclairage technique ; que l'expert désigné par le Tribunal devra, en conséquence, examiner à la fois les circonstances relatives à l'intervention et ses suites durant l'hospitalisation de D. M. ;

II. - Sur la demande de provision

Attendu que le Tribunal n'est pas encore en mesure de se prononcer sur l'existence de manquements imputables aux parties défenderesses ;

Que l'importance du préjudice allégué ne saurait, à elle seule, justifier l'allocation d'une indemnité provisionnelle ;

Qu'il convient donc de surseoir à statuer de ce chef ;

Et attendu que le sursis à statuer s'impose également en ce qui concerne la charge des dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, STATUANT CONTRADICTOIREMENT ET AVANT-DIRE DROIT AU FOND,

Ordonne le maintien dans la cause du Centre Hospitalier Princesse Grace ;

Ordonne une mesure d'expertise médicale et désigne en qualité d'expert pour y procéder M. le professeur G. M., expert en chirurgie plastique et esthétique, demeurant Hôpital…, lequel, serment préalablement prêté par écrit aux formes de droit, assisté le cas échéant de tout sapiteur de son choix, aura pour mission de :

* examiner D. M. et prendre connaissance tant du dossier médical constitué à l'occasion de l'intervention du 27 octobre 2001, que des pièces que lui fourniront les parties ;

* rechercher quel devait être, dans l'intention des parties, les gestes chirurgicaux que devait effectuer Y. T., sur quelles parties du corps ces gestes devaient s'exercer et quelle en était le résultat attendu ;

* rechercher selon quelles modalités Y. T. a informé D. M. de la nature, des suites et des risques prévisibles de l'intervention ;

* donner son avis sur la question de savoir si D. M. se trouvait en état de consentir, de façon éclairée, à l'intervention chirurgicale ;

* dire si, à son sens, l'acte chirurgical litigieux était indiqué et compatible avec l'état de santé de D. M. ;

* décrire le déroulement de l'intervention chirurgicale et l'action d'Y. T. ;

* dire si cette action a été effectuée conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale et rechercher si le chirurgien a, à cette occasion, commis des erreurs, des maladresses ou des imprudences ;

* décrire l'état de santé de D. M. et les soins qui lui ont été donnés au Centre Hospitalier Princesse Grace après l'intervention chirurgicale, en précisant l'identité et le statut des personnes ayant dispensé ces soins ;

* donner son avis sur la question de savoir si ces soins ont été appropriés et donnés au moment adéquat ;

* rechercher si D. M. s'est trouvée, à la suite de l'intervention et des soins consécutifs, dans un état d'incapacité temporaire de travail et, le cas échéant, fixer la durée de cet état ;

* rechercher et décrire les soins médicaux et chirurgicaux qui ont pu lui être dispensés depuis l'intervention litigieuse en raison de ses suites ;

* dire si ces soins et interventions lui paraissent justifiés par l'état de santé de D. M. ;

* rechercher si elle subit, du fait des éventuelles séquelles de l'intervention et des soins litigieux, une incapacité permanente, fournir les éléments propres à permettre son appréciation et dire, notamment, si cet état a, ou a eu, une incidence sur l'activité professionnelle de D. M. ;

* décrire, en précisant leur intensité, les souffrances endurées par D. M. en distinguant selon qu'elles proviennent de l'intervention litigieuse, des soins consécutifs ou des autres interventions pratiquées depuis ;

* dire s'il subsiste des conséquences esthétiques ;

* si D. M. allègue avoir été, ou être privée, de la possibilité de s'adonner à des activités de loisirs ou de jouir de certains agréments de l'existence, donner son avis sur l'éventuel lien de causalité entre cette privation et l'intervention litigieuse ou ses suites ;

En tant que de besoin, autorise l'expert à se faire communiquer par le Centre Hospitalier Princesse Grace l'entier dossier médical constitué au sujet de l'intervention litigieuse ;

L'autorise également à recueillir auprès des médecins et du personnel du Centre Hospitalier, conformément à l'article 354 du Code de procédure civile, toutes les informations relatives à l'intervention et à ses suites qui lui paraîtront utiles à l'accomplissement de sa mission ;

Dit que D. M. devra fournir à l'expert, sur sa demande, toutes les pièces médicales établies antérieurement à l'intervention litigieuse ainsi que celles afférentes aux interventions qu'elle a subies depuis ;

Dit que D. M. devra s'acquitter de la provision qui devra être versée à l'expert à titre d'avance ;

Impartit à l'expert ainsi commis un délai de HUIT JOURS pour l'acceptation ou le refus de sa mission, ledit délai courant à compter de la réception par lui de la copie de la présente décision qui lui sera adressée par le Greffe Général ;

Dit qu'en cas d'acceptation de sa mission, le même expert déposera au Greffe Général un rapport écrit de ses opérations dans les TROIS MOIS du jour où il les aura débutées, à défaut d'avoir pu concilier les parties, ce qu'il lui appartiendra de tenter dans toute la mesure du possible ;

Charge Monsieur Jean-Charles Labbouz, magistrat au siège, du contrôle de l'expertise ;

Surseoit à statuer jusqu'au dépôt du rapport d'expertise sur la demande d'indemnité provisionnelle ;

Réserve les dépens en fin de cause ;

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mme Gonelle, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pastot-Bensa, Lorenzi, Michel, av. déf. ; Corn, av. bar de Paris, Mazetti, av. bar de Nice.

Note🔗

Ce jugement, après avoir rappelé les principes concernant la responsabilité du chirurgien et du Centre Hospitalier a ordonné une expertise.

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2006, n° 8, p. 116 à 122.

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