Tribunal de première instance, 20 octobre 2005, F. c/ SAM BSI 1873 International Private Banking

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Abstract🔗

Banques

Mandataire de gestion - Obligations : ordonnance 13.814 du 16 septembre 1997 modifiée par l'ordonnance 14.966 du 27 juillet 2001 - articles 5, 6 et 7 - Obligation de s'informer préalablement des objectifs, de l'expérience, de la situation financière du mandant - Obligation d'indiquer dans les stipulations du mandat les objectifs de la gestion, les catégories d'instruments financiers qui peut comporter le portefeuille, les risques particuliers susceptibles d'entraîner certaines opérations - Manquements du banquier à ses obligations d'où responsabilité de celui-ci - Réparation du préjudice résultant d'une dépréciation modérée du portefeuille du mandant

Résumé🔗

Suivant deux actes sous seing privé du 16 mars 2000, la Société Banca Della Svizzera Italiana - Gerance Internationale Monaco devenue BSI 1873 International Private Banking (ci-après désignée en abrégé « BSI 1873 ») et M. F. ont convenu :

• l'ouverture par la banque au profit de M. F. d'un compte n° 502122 intitulé « K. »,

• l'octroi par M. F. d'un mandat de gestion ;

La gestion ayant abouti à des pertes, M. F. a, par courrier recommandé du 19 décembre 2002 reçu le lendemain, résilié le mandat et a mis la banque en demeure de le rembourser ;

Suivant l'exploit susvisé du 8 juillet 2003, M. F. a fait assigner la société BSI 1873 et demande au Tribunal :

• de la condamner à lui payer la somme de 143 345,23 euros, outre « un taux d'intérêts évalué à 4 % sur ce montant destiné à compenser le préjudice lié à la privation de la rentabilité raisonnable des fonds dilapidés, jusqu'à parfait paiement : Mémoire »,

• de la condamner au paiement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par sa résistance, considérée comme abusive et injustifiée,

• de lui donner acte de ce qu'il ne s'oppose pas à ce qu'en contrepartie de ces paiements, la banque conserve en pleine propriété les titres acquis dans le cadre du mandat de gestion irrégulier ;

Il a soutenu ces demandes dans ses conclusions du 12 mai 2004 par lesquelles il sollicite du Tribunal, « après avoir le cas échéant prononcé la nullité du document du 16 mars 2000 en tant que mandat de gestion », de lui accorder le bénéfice de son exploit introductif d'instance ;

La société BSI 1873 a conclu les 11 février et 25 juin 2004 pour s'opposer à ces prétentions ;

Il est exact que l'article 5 de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, même dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance modificative n° 14.966 du 27 juillet 2001 applicable en la cause, fait obligation aux sociétés bénéficiaires d'un mandat de gestion de s'enquérir, préalablement à la signature financière du mandant, et d'adapter les prestations proposées à cette situation financière ;

Conformément à l'article 1162 du Code civil, il appartient aux sociétés concernées d'apporter la preuve du fait susceptible de les avoir libérées de cette obligation ;

Ni la convention d'ouverture de compte, ni le mandat de gestion litigieux ne contiennent d'informations sur la personnalité et la situation financière de M. F. ;

La banque ne produit pas d'autres pièces, tels des questionnaires ou des bilans patrimoniaux, de nature à démontrer qu'elle a effectivement interrogé son client pour se mettre en mesure d'apprécier l'état de son patrimoine et de lui proposer en conséquence les placements les mieux adaptés à ses besoins ;

Cette obligation s'imposait pourtant d'autant plus à la banque qu'elle proposait à M. F. un mandat de gestion très large incluant la possibilité de ne mettre dans le portefeuille que des valeurs hautement spéculatives ;

La société BSI 1873 n'établit donc pas qu'elle a satisfait à ses devoirs légaux ;

En vertu de l'article 6 de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, le mandat de gestion doit notamment indiquer les objectifs de la gestion, les catégories d'instruments financiers qui peut comporter le portefeuille et les risques particuliers que peuvent comporter certaines opérations ;

L'article 7 contient, en outre, reconnaissance par le mandant « de l'étendue des risques financiers pouvant découler de l'exécution des opérations faisant l'objet du présent mandat, en particulier du caractère aléatoire des opérations sur les marchés à terme et conditionnels » ;

Le mandat litigieux tend finalement, ainsi que le soutient la banque elle-même, à lui donner la plus large latitude pour gérer le portefeuille ; en pareil cas, la loi impose encore plus impérativement au mandataire de vérifier que les risques évidents que comporte un tel choix sont adaptés à la situation personnelle du mandant, d'informer très précisément ce dernier des dangers auxquels il s'expose et de se ménager la preuve qu'il a procédé exactement à ces diligences ;

Les stipulations du mandat sont en l'espèce trop générales et imprécises pour définir suffisamment les objectifs de la gestion qu'elle devait comporter ;

En effet, à défaut de tout indication sur la nature des obligations ou des actions envisagées, le mandat ne permet aucunement de déterminer quel type de gestion M. F. souhaitait pour son portefeuille, dans quelle mesure il acceptait des opérations risquées et jusqu'à quel niveau il était prêt à essuyer des pertes ;

Si le fait d'accepter des investissements dans des pays émergents est révélateur de l'acceptation d'un degré certain de risque, le mandat ne définit nullement la hauteur de ce risque ;

Le mandat ne précise pas davantage la notation de risque afférente aux actions envisagées ;

Ces imprécisions sont incompatibles avec la fourniture d'une information spécifique sur les risques de la gestion ; dès lors, la clause inscrite à l'article 7 du mandat ne constitue qu'une formule abstraite ne contenant en réalité aucune information et dépourvue par ce fait de tout caractère utile ;

La banque a, ainsi, manqué à ses obligations ;

La société BSI 1873 apparaît avoir engagé sa responsabilité en raison de ses fautes ;

Cependant, ces fautes ne peuvent ouvrir droit à réparation au profit de M. F. que si ce dernier démontre qu'elles lui ont effectivement porté préjudice ;

Il résulte de ce qui précède, que M. F. a envisagé, en consentant à des investissements dans des pays dits « émergents » un certain risque de perte ;

Eu égard aux circonstances, notamment aux limites de son investissement et au fait qu'au moment de la signature du mandat de gestion, son portefeuille était relativement diversifié entre des valeurs françaises assez sûres, telles les actions Michelin ou Pinault Printemps Redoute, il est toutefois certain qu'il n'a accepté qu'un risque limité de dépréciation de son portefeuille ;

Cette volonté se trouver confirmée par son attitude au cours de l'exécution du mandat puisque, s'il n'a pas émis de protestation à l'occasion de la dépréciation modérée de son portefeuille entre mars et juin 2000, ni même après des pertes plus sensibles intervenues au cours de l'année 2001, il a réagi au cours de l'année 2002 lorsque les pertes ont pris un tour systématique et plus conséquent ;

Le préjudice lié aux fautes de la banque ne peut donc pas être égal à la dépréciation totale du portefeuille, mais est simplement constitué par le fait qu'il a perdu une chance sérieuse de mettre fin plus tôt au mandat de gestion, conformément à son article 10, et d'éviter ainsi une partie de ses pertes, que le Tribunal évalue à 20 % ;

Il convient de tenir compte, pour chiffrer ce préjudice, de la privation des sommes correspondantes et de l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé M. F. de leur faire produire des fruits par des placements sûrs ;

En revanche, faute pour lui de fournir des informations et des éléments de preuve sur sa situation personnelle, M. F. ne démontre pas que les sommes en cause représentent une part de son patrimoine tellement importante que leur perte lui a causé des difficultés supplémentaires, par exemple en l'empêchant de faire face à certains de ses besoins ou à certaines de ses obligations ;

Il résulte seulement, à la lecture des pièces d'identité jointes au mandat, qu'il paraît exercer la profession d'agent d'assurances et qu'il est âgé, au jour du présent jugement, de 65 ans ;

Ces faits ne permettent pas de présumer que la perte limitée qu'il a subie a eu un retentissement particulier dans son existence ;

Le Tribunal dispose en conséquence des éléments nécessaires pour fixer à 20 000 euros le montant de l'indemnité propre à réparer l'entier préjudice subi par M. F.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Suivant deux actes sous seing privé du 16 mars 2000, la société Banca Della Svizzera Italiana - Gérance Internationale Monaco devenue BSI 1873 International Private Bankink (ci-après désignée en abrégé « BSI 1873 ») et M. F. ont convenu :

l'ouverture par la banque au profit de M. F. d'un compte n° 502122, intitulé « K. »,

l'octroi par M. F. d'un mandat de gestion ;

La gestion ayant abouti à des pertes, M. F. a, par un courrier recommandé du 19 décembre 2002 reçu le lendemain, résilié le mandat et a mis la banque en demeure de le rembourser ;

Suivant l'exploit susvisé du 8 juillet 2003, M. F. a fait assigner la société BSI 1873 et demande au Tribunal :

de la condamner à lui payer la somme de 143 345,23 euros, outre « un taux d'intérêts évalué à 4 % sur ce montant destiné à compenser le préjudice lié à la privation de la rentabilité raisonnable des fonds dilapidés, jusqu'à parfait paiement : Mémoire »,

de la condamner au paiement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par sa résistance, considérée comme abusive et injustifiée,

de lui donner acte de ce qu'il ne s'oppose pas à ce qu'en contrepartie de ces paiements, la banque conserve en pleine propriété les titres acquis dans le cadre du mandat de gestion irrégulier ;

Il a soutenu ces demandes dans ses conclusions du 12 mai 2004 par lesquelles il sollicite du Tribunal, « après avoir le cas échéant prononcé la nullité du document du 16 mars 2000 en tant que mandat de gestion », de lui accorder le bénéfice de son exploit introductif d'instance ;

La société BSI 1873 a conclu les 11 février et 25 juin 2004 pour s'opposer à ces prétentions ;

Les parties ont débattu des moyens de fait et de droit suivants :

Sur l'obligation d'information et de conseil de la banque

- M. F. reproche à la banque, faute pour elle de s'être renseignée sur sa situation financière, son expérience en matière d'investissements, ses attentes et le degré de risque qu'il considérait comme acceptable, d'avoir manqué à son obligation de le tenir informé des risques inhérents aux opérations envisagées, qui se sont révélées très spéculatives alors que sa situation ne le lui permettait pas ;

- la banque répond que le demandeur ne peut pas sérieusement prétendre être un profane en matière financière alors qu'il était déjà titulaire dans un autre établissement, au moment de l'ouverture de son compte, d'un portefeuille entièrement composé d'actions ; elle ajoute qu'il a reconnu, selon l'article 7 du mandat, avoir été informé des risques liés à la gestion de ses avoirs, notamment ceux liés à l'achat d'instruments financiers des pays « émergents » ;

Sur la régularité du mandat de gestion

- M. F. fait valoir qu'au mépris de l'article 6 de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, le mandat de gestion litigieux ne comporte aucun objectif précis de gestion et ne précise pas clairement, ni les catégories d'instruments financiers pouvant composer le portefeuille, ni leur répartition entre les instruments à risque et les autres, ce qui ne permet pas de déterminer le degré des risques pris ;

- la banque répond que le mandat de gestion lui laissait toute latitude, y compris celle d'investir la totalité du portefeuille en actions ou en obligations, et de définir la répartition entre les différents instruments financiers, et décrivait ainsi suffisamment un objectif résolument spéculatif ;

Sur les conséquences des manquements reprochés à la banque

- M. F. déduit de ces manquements que la gestion de la banque lui est inopposable, de sorte que cette dernière doit répondre envers lui des conséquences des opérations imprudentes et spéculatives qu'elle a réalisées sans son accord ; il sollicite donc sa condamnation à lui payer une somme correspondant à la valeur initiale de son portefeuille, soit 200 439,52 euros, diminuée de trois prélèvements représentant un total de 57 094,29 euros ; dans le dernier état de ses conclusions, il invoque également la nullité du mandat et prétend à la reconstitution de son capital initial ;

- la banque considère que le demandeur n'apporte pas la preuve du caractère imprudent, dangereusement spéculatif ou irrégulier des opérations effectuées en vertu du mandat ; elle conteste en outre l'existence d'un préjudice alors qu'aucune cession d'avoirs n'a été concomitante à la résiliation du mandat et que la perte alléguée n'est donc qu'éventuelle ; de façon subsidiaire, elle estime que le préjudice que pourrait avoir subi son adversaire ne consisterait qu'en une simple perte de chance qu'il ne met pas le Tribunal en mesure d'apprécier ;

Sur les dommages-intérêts complémentaires

- M. F. décrit son préjudice comme la privation durant une longue période des avoirs qui constituent sa fortune et la nécessité dans laquelle il s'est trouvé d'engager des frais pour faire valoir ses droits en justice ;

Sur quoi,

Attendu qu'il résulte des relevés produits aux débats que la valeur des avoirs de M. F. s'élevait, au jour de l'ouverture de son compte, à 57 930,63 euros ;

Qu'à la date du 30 juin 2000, après apport par virement d'une somme nette de 17 385,03 euros et entrée de nouveaux titres pour 125 123,86 euros, le portefeuille se composait de liquidités pour 9,73 % et d'actions ou de fonds en actions pour le surplus ;

* 500 actions International Business Machines Corp. IBM, soit 30,06 % ;

* 100 actions Dalmine SPA, soit 17,01 %,

* 10 actions Ing. C. Olivetti & C. SPA, soit 20 %,

* 500 actions Mediaset SPA, soit 4,20 %,

* 10 actions Seat Pagine Gialle SPA, soit 19 % ;

Qu'une perte de 4,77 % était déjà constatée à cette date puisque la valeur du portefeuille était seulement de 190 503,22 euros alors que 200 439,52 euros avaient été investis ;

Que la banque a ensuite procédé à divers achats et reventes qui ont abouti parfois à de légers gains (actions Nokia, Telefonica, Koninklijke, Alcatel...), mais le plus souvent, à partir de l'année 2001, à des pertes parfois lourdes, notamment :

perte de 20 022,22 euros sur les actions Deutsche Telekom achetées le 21 juillet 2000 et revendues le 23 août 2001,

perte de 19 775,20 euros sur les actions Seat Pagine revendues le 23 février 2001,

perte de 4 566,04 euros sur les actions Yahoo acquises le 21 février 2001 et revendues le 8 avril 2002,

perte de 11 445,65 euros sur les valeurs Sun Microsystems acquises en janvier 2002 et revendues le 8 avril 2002,

perte de 10 232,40 euros sur les titres AOL Time Warner acquis le 26 novembre 2001 et revendus le 4 juin 2002,

perte encore plus sensible sur les actions Ing. Olivetti, pour lesquelles la documentation fournie au Tribunal est incomplète ;

Que M. F. a cependant effectué trois prélèvements pour un total de 57 094,29 euros ;

Que le portefeuille s'est ainsi trouvé très déprécié, malgré les dividendes perçus, puisqu'à la date du 16 octobre 2002, sa valeur n'était plus que de 37 709,34 euros ;

Que si l'on ajoute à cette somme celle correspondant aux prélèvements, on parvient à un total de 94 803,63 euros, soit environ la moitié de la valeur initiale ;

Que le montant des pertes a été à peu près égal au cours des deux exercices 2001 et 2002 ;

Attendu que le conseil de M. F. a fait connaître à la banque, par son courrier précité du 19 décembre 2002, qu'il entendait lui confirmer « la révocation de tous mandats de gestion » ;

I. - Sur les manquements aux obligations prévues par l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997

A. - Sur les obligations prévues par l'article 5 de l'ordonnance

Attendu qu'il est exact que l'article 5 de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, même dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance modificative n° 14.966 du 27 juillet 2001 applicable en la cause, fait obligation aux sociétés bénéficiaires d'un mandat de gestion de s'enquérir, préalablement à la signature du mandat, des objectifs, de l'expérience en matière d'investissement et de la situation financière du mandant, et d'adapter les prestations proposées à cette situation financière ;

Attendu que, conformément à l'article 1162 du Code civil, il appartient aux sociétés concernées d'apporter la preuve du fait susceptible de les avoir libérées de cette obligation ;

Attendu que ni la convention d'ouverture de compte, ni le mandat de gestion litigieux ne contiennent d'informations sur la personnalité et la situation financière de M. F. ;

Que la banque ne produit pas d'autres pièces, tels des questionnaires ou des bilans patrimoniaux, de nature à démontrer qu'elle a effectivement interrogé son client pour se mettre en mesure d'apprécier l'état de son patrimoine et de lui proposer en conséquence les placements les mieux adaptés à ses besoins ;

Attendu que cette obligation s'imposait pourtant d'autant plus à la banque qu'elle proposait à M. F. un mandat de gestion très large incluant la possibilité de ne mettre dans le portefeuille que des valeurs hautement spéculatives ;

Attendu que la société BSI 1873 n'établit donc pas qu'elle a satisfait à ses devoirs légaux ;

B. - Sur les obligations prévues par l'article 6 de l'ordonnance

Attendu qu'en vertu de l'article 6 de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, le mandat de gestion doit notamment indiquer les objectifs de la gestion, les catégories d'instruments financiers que peut comporter le portefeuille et les risques particuliers que peuvent comporter certaines opérations ;

Attendu que le mandat litigieux se borne à énoncer à ses articles 5 et 6 :

que l' « asset allocation » de la gestion est de type « speciale »,

en ce qui concerne les instruments financiers : « Actions ? à 100 % » et « Obligations ? à 100 % » ;

et la possibilité d'investir dans les pays « émergents » dont le mandant reconnaît que les débiteurs n'ont pas de « rating officiel » ou ont un « rating » inférieur aux standards utilisés par la banque ;

Attendu que l'article 7 contient, en outre, reconnaissance par le mandant « de l'étendue des risques financiers pouvant découler de l'exécution des opérations faisant l'objet du présent mandat, en particulier du caractère aléatoire des opérations sur les marchés à terme et conditionnels » ;

Attendu que le mandat litigieux tend finalement, ainsi que le soutient la banque elle-même, à lui donner la plus large latitude pour gérer le portefeuille ; qu'en pareil cas, la loi impose encore plus impérativement au mandataire de vérifier que les risques évidents que comporte un tel choix sont adaptés à la situation personnelle du mandant, d'informer très précisément ce dernier des dangers auxquels il s'expose et de se ménager la preuve qu'il a procédé exactement à ces diligences ;

Attendu que les stipulations du mandat sont en l'espèce trop générales et imprécises pour définir suffisamment les objectifs de la gestion qu'elle devait comporter ;

Qu'en effet, à défaut de toute indication sur la nature des obligations ou des actions envisagées, le mandat ne permet aucunement de déterminer quel type de gestion M. F. souhaitait pour son portefeuille, dans quelle mesure il acceptait des opérations risquées et jusqu'à quel niveau il était prêt à essuyer des pertes ;

Que si le fait d'accepter des investissements dans des pays émergents est révélateur de l'acceptation d'un degré certain de risque, le mandat ne définit nullement la hauteur de ce risque ;

Que le mandat ne précise pas davantage la notation de risque afférente aux actions envisagées ;

Attendu que ces imprécisions sont incompatibles avec la fourniture d'une information spécifique sur les risques de la gestion ; que dès lors, la clause inscrite à l'article 7 du mandat ne constitue qu'une formule abstraite ne contenant en réalité aucune information et dépourvue par ce fait de tout caractère utile ;

Attendu que la banque a, ainsi, manqué à ses obligations ;

II. - Sur les conséquences juridiques des manquements commis par la banque

Attendu que M. F. est mal fondé à soutenir que les manquements ci-dessus constatés doivent, par eux-mêmes, entraîner l'annulation du mandat de gestion ;

Attendu, au contraire, que ni la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997, ni son ordonnance d'application du 16 septembre 1997 ne sanctionnent de la nullité du mandat le défaut de respect des exigences qu'elles posent ;

Qu'en réalité, le manquement à ces exigences ne saurait entraîner la nullité du mandat que dans les termes du droit commun prévu par les articles 963 et suivants du Code civil, c'est-à-dire notamment s'il est à l'origine d'un vice du consentement ;

Attendu que M. F. n'invoque pas l'existence d'un tel vice de sorte qu'il n'y a pas lieu d'envisager l'annulation du mandat ;

Attendu en revanche que la société BSI 1873 apparaît avoir engagé sa responsabilité en raison de ses fautes ;

Attendu, cependant, que ces fautes ne peuvent ouvrir droit à réparation au profit de M. F. que si ce dernier démontre qu'elles lui ont effectivement porté préjudice ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que M. F. a envisagé, en consentant à des investissements dans des pays dits « émergents », un certain risque de perte ;

Qu'eu égard aux circonstances, notamment aux limites de son investissement et au fait qu'au moment de la signature du mandat de gestion, son portefeuille était relativement diversifié entre des valeurs françaises assez sûres, telles les actions Michelin ou Pinault Printemps Redoute, il est toutefois certain qu'il n'a accepté qu'un risque limité de dépréciation de son portefeuille ;

Que cette volonté se trouve confirmée par son attitude au cours de l'exécution du mandat puisque, s'il n'a pas émis de protestation à l'occasion de la dépréciation modérée de son portefeuille entre mars et juin 2000, ni même après des pertes plus sensibles intervenues au cours de l'année 2001, il a réagi au cours de l'année 2002 lorsque les pertes ont pris un tour systématique et plus conséquent ;

Attendu que le préjudice lié aux fautes de la banque ne peut donc pas être égal à la dépréciation totale du portefeuille, mais est simplement constitué par le fait qu'il a perdu une chance sérieuse de mettre fin plus tôt au mandat de gestion, conformément à son article 10, et d'éviter ainsi une partie de ses pertes, que le Tribunal évalue à 20 % ;

Attendu qu'il convient de tenir compte, pour chiffrer ce préjudice, de la privation des sommes correspondantes et de l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé M. F. de leur faire produire des fruits par des placements sûrs ;

Attendu en revanche que, faute pour lui de fournir des informations et des éléments de preuve sur sa situation personnelle, M. F. ne démontre pas que les sommes en cause représentent une part de son patrimoine tellement importante que leur perte lui a causé des difficultés supplémentaires, par exemple en l'empêchant de faire face à certains de ses besoins ou à certaines de ses obligations ;

Qu'il résulte seulement, à la lecture des pièces d'identité jointes au mandat, qu'il paraît exercer la profession d'agent d'assurances et qu'il est âgé, au jour du présent jugement, de 65 ans ;

Attendu que ces faits ne permettent pas de présumer que la perte limitée qu'il a subie a eu un retentissement particulier dans son existence ;

Attendu que le Tribunal dispose en conséquence des éléments nécessaires pour fixer à 20 000 euros le montant de l'indemnité propre à réparer l'entier préjudice subi par M. F. ;

Attendu que cette décision prive d'objet la demande de donner acte relative au sort des titres qui composaient en dernier lieu le portefeuille ;

III. - Sur les dommages-intérêts complémentaires

Attendu qu'il résulte des motifs déjà exposés que, si la société BSI 1873 a gravement manqué à ses obligations, il apparaît que les prétentions de M. F. ne sont que partiellement justifiées, de sorte que la résistance de son adversaire ne présente pas un caractère abusif ;

Attendu qu'il convient, en conséquence, de débouter M. F. de sa demande de dommages-intérêts complémentaires ;

Et attendu que l'article 231 du Code de procédure civile met les dépens à la charge de la partie succombante ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, STATUANT CONTRADICTOIREMENT,

Condamne la société Banca Della Svizzera Italiana (en abrégé « BSI 1873 ») à payer à M. F. la somme de Vingt mille euros (20 000 euros) à titre de dommages-intérêts ;

Déboute M. F. du surplus de ses demandes ;

Composition🔗

M. Narmino prés. ; Mme Gonelle, prem. subst. proc. gén. ; Me Michel et Licari av. déf. ; Manceau, av. bar. de Paris.

Note🔗

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2006, n° 8, p. 109 à 115.

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