Tribunal de première instance, 13 janvier 2005, Hoirs B. c/ S. B., épouse Z., T., Vve B.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Procédure civile

Exploit introductif - Exception de nullité : invoquée pour défaut de mise en cause des sociétés concernées - Recevable mais non fondée : aucun texte n'exigeant cette mise en cause à peine de nullité - Assignation en déclaration de jugement commun - Droits de l'appelé en garantie - Participation aux débats en faisant connaître son opinion au regard des prétentions du demandeur et du défendeur - Réclamation de dommages-intérêts contre le demandeur si celui-ci a agi fautivement en le mettant en cause - Irrecevabilité des demandes contre le défendeur - Sociétés civiles - Cession de parts sociales - Droit de l'associé d'être consulté et de refuser d'y consentir conformément aux statuts de la société tenant lieu de loi (C. civ., art. 989) - Refus de l'associé ne présentant pas de caractère fautif

Résumé🔗

Suivant acte authentique reçu le 17 février 1958 par Maître Jean-Charles Rey, alors notaire à Monaco, I. B. et S. P. ont constitué une société particulière dénommée Société Civile Immobilière M..

Cette société a connu plusieurs modifications importantes :

• les associés ont décidé de la transformer, à compter du 5 décembre 1958, en société en nom collectif et de lui donner la nouvelle dénomination « Société B. et Cie ».

• Par un acte du 5 octobre 1984 reçu par le même notaire, ils lui ont ensuite restitué la forme d'une société civile particulière ainsi que son ancienne dénomination.

À la suite de cessions de parts, également intervenues le 5 octobre 1984, les 500 parts représentant le capital social ont été réparties entre divers parents ou alliés d'I. B., décédé le 2 mars 1971 à raison de :

• 67 parts à sa seconde épouse, M. de T.

• 216 parts à son fils né d'un premier mariage, G. B.

• et 217 parts à sa fille née de son premier mariage, S. B., épouse de F. Z., nommé gérante.

La famille B. a également pris des intérêts dans la société dénommée Société Civile Immobilière E., constituée le 7 avril 1959 entre G. B. et R. B. En conséquence de ces cessions de parts, le capital social de cette société s'est trouvé ainsi réparti depuis le 5 octobre 1984.

• 33 parts à M. de T.,

• 234 parts à G. B., gérant,

• et 233 parts à S. B.

Les statuts des deux sociétés prévoient que toute cession de parts est soumise au consentement de tous les associés.

• aux termes de l'article 10 de l'acte du 5 octobre 1984 portant, notamment, modification des statuts de la société M. « la cession des parts s'opérera par acte authentique ou sous seings privés. Conformément aux articles 1529 et suivants du Code civil monégasque, elle devra être signifiée à la Société ou acceptée par celle-ci dans un acte authentique. Elles ne peuvent être cédées qu'avec le consentement de tous les associés ».

• Selon l'article 8 des statuts de la société E. « aucun des associés ne pourra céder ses droits dans la présente société sans le consentement de son coassocié et sous les formes prescrites par les articles 129 et suivants du Code civil monégasque ».

G. B. est décédé le 14 décembre 2000 à Rome, laissant pour lui succéder :

• sa veuve S. D.

• et les trois filles nées de son union avec elle : M. T. B., S. B. et F. B., épouse d'A. S.

Les parts sociales qui appartenaient à G. B. ont été partagées entre sa veuve et ses enfants ; lors d'assemblées générales extraordinaires tenues le 16 février 2001, les associés ont constaté que le capital social respectif des sociétés M. et E. se trouvait désormais réparti comme suit :

Société M. Société E.

* Maria de T............ 67 parts 33 parts

* S. B................. 217 parts 233 parts

* S. D.................. 87 parts 93 parts

* M. T. B............... 43 parts 47 parts

* S. B.................. 43 parts 47 parts

* F. B.................. 43 parts 47 parts

Total.................. 500 500

Par courrier du 25 juillet 2003, M. de T. a fait part à ses cinq coassociées de son souhait de leur vendre une partie de ses parts.

• en ce qui concerne la société M., 65 parts à raison de 13 parts chacune.

• et en ce qui concerne la société E., 30 parts à raison de 6 parts chacune.

Elle prétendait leur assurer ainsi une « égalité de traitement ».

S. D. et ses filles ont répondu, le 28 juillet 2003, qu'elles acceptaient cette offre.

En revanche, S. B. a fait connaître, les 29 juillet et 18 août 2003, qu'il convenait de maintenir l'équilibre antérieur entre elle et son frère, qu'elle devait, en conséquence, acquérir la moitié des parts mises en vente et qu'elle s'opposerait, par toute voie légale, à toute autre répartition ; elle invoquait spécialement les clauses des statuts requérant l'accord de tous les associés.

Elle a ensuite fait défense à M. de T., par un acte signifié le 16 septembre 2003, de céder les parts sociales « dans les proportions qu'elle suggérait dans son courrier... en date... du 25 juillet 2003 ».

Suivant l'exploit susvisé du 29 octobre 2003, S. D. et ses filles ont fait assigner S. B. et M. de T. ; elles demandent au Tribunal de :

• déclarer abusive l'opposition manifestée par S. B.,

• dire et juger que la cession envisagée par M. de T. devra intervenir conformément aux modalités prévues dans la lettre précitée du 25 juillet 2003,

• et déclarer le jugement à intervenir commun à M. de T.

Elles ont soutenu ces prétentions dans leurs conclusions du 5 mai 2004.

M. de T. a conclu le 14 janvier 2004 pour formuler les mêmes demandes.

Dans ses écritures déposées le 13 février 2004, remplaçant et annulant celles précédemment déposées le 11 février précédent, puis dans celles du 12 octobre 2004, S. B. a d'abord soulevé la nullité de l'exploit introductif d'instance ainsi que l'irrecevabilité des demandes présentées par M. de T.

Elle a ensuite contesté le bien-fondé des prétentions de ses adversaires et a sollicité la condamnation solidaire des « demanderesses » à lui payer une indemnité de 30 000 euros en réparation du préjudice causé par leur procédure, selon elle abusive.

Les demanderesses ont demandé au Tribunal de déclarer irrecevable l'exception de nullité.

I. - Sur l'exception de nullité de l'exploit introductif d'instance

A. - Sur la recevabilité de l'exception

Toute exception de procédure doit, par analogie avec la demande en justice régie par l'article 156 du Code civil, indiquer son objet et contenir un exposé sommaire des moyens qui en constituent le fondement.

S. B. sollicite clairement l'annulation de l'exploit d'assignation et formule ainsi une prétention parfaitement déterminée.

L'invocation du défaut de mise en cause des sociétés M. et E. ne constitue qu'un moyen présenté au soutien de cette exception.

Ce moyen ne saurait être considéré comme inexistant au motif que son sérieux et son bien-fondé sont discutés par les demanderesses, alors que cette question relève de l'examen au fond de l'exception.

L'exception doit, en conséquence, être déclarée recevable.

B. - Sur le bien-fondé de l'exception

Le présent litige ne concerne que des rapports juridiques personnels entre les parties.

La demande tend seulement à faire juger que S. B. commet un abus de droit en refusant de consentir à la cession envisagée et n'affecte pas des droits dont peuvent être titulaires les sociétés M. et E.

Le seul fait qu'une personne puisse avoir un intérêt dans une instance suivie entre d'autres ne rend pas nécessaire sa mise en cause dès l'introduction de l'instance et n'a pour effet que de permettre son intervention, volontaire ou forcée, en cours de procédure, conformément aux articles 383 et 386 du Code de procédure civile.

Sous réserve des règles applicables à la dissolution des sociétés, aucun texte n'exige spécialement, à peine de nullité, la mise en cause d'une société à l'occasion d'un litige entre ses associés.

Les demanderesses pouvaient donc valablement agir contre S. B. sans faire assigner, en même temps qu'elle, les sociétés M. et E., de sorte qu'il y a lieu de rejeter l'exception de nullité présentée par S. B.

II. - Sur la recevabilité des demandes présentées par M. de T.

Aucune demande n'a été présentée par les demanderesses contre M. de T., qu'elles n'ont fait assigner que pour lui rendre commun le jugement sollicité.

La partie qui n'est assignée qu'en déclaration de jugement commun est en droit de participer aux débats et de faire connaître son opinion sur la recevabilité ou le bien-fondé des prétentions respectives du demandeur et du défendeur.

Elle peut, en outre, solliciter la condamnation du demandeur à lui payer des dommages-intérêts dans le cas où celui-ci aurait agi fautivement en la mettant en cause.

En revanche, elle n'est pas admissible à former des demandes contre le défendeur.

Il résulte, en effet, de la combinaison des articles 156 et 382 du Code de procédure civile que les parties appelées en cause par le demandeur ne peuvent faire évoluer l'objet du litige, tel qu'il a été défini par le demandeur dans l'exploit introductif d'instance et dans ses demandes incidentes, qu'au moyen de demandes reconventionnelles régulièrement formées contre lui ; ce principe interdit à un défendeur, sous réserve des règles applicables aux exceptions d'appel en garantie ou de communication de pièces, de présenter des demandes contre un autre défendeur ; cette prohibition doit également s'appliquer aux parties appelées en déclaration de jugement commun.

M. de T. se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à reprendre les prétentions des demanderesses sans solliciter aucune condamnation distincte à son profit.

Elle ne fait ainsi qu'exprimer son opinion sur le mérite de ces prétentions et reste donc dans les limites de ses droits.

S. B. doit donc être déboutée de son exception d'irrecevabilité.

III. - Sur le fond

Il est constant que les statuts des sociétés M. et E. soumettent valablement à l'agrément de l'ensemble des associés toute cession de parts sociales.

Ces statuts ne distinguent pas selon que la cession doit intervenir au bénéfice de tiers ou de personnes ayant déjà la qualité d'associé. L'acte du 5 octobre 1984, portant modification des statuts de la société M., a été spécialement raturé pour supprimer la stipulation, initialement envisagée, selon laquelle les parts auraient été librement cessibles entre associés.

Selon l'article 989 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise.

Les stipulations d'un contrat de société M. et E. ont ainsi consenti à une limitation de leurs droits respectifs de disposer des parts dont ils sont propriétaires et de leurs possibilités de pouvoir acquérir d'autres parts de leurs coassociés.

S. B. se trouve titulaire du droit d'être consultée sur toute cession de parts et de refuser d'y consentir.

Cependant, l'exercice d'un droit peut engager la responsabilité civile de son titulaire, conformément aux articles 1229 et 1230 du Code civil, lorsqu'il dégénère en faute, négligence ou imprudence.

Il appartient aux demanderesses d'établir que le refus de consentir qu'elles reprochent à S. B. est fautif et leur cause préjudice.

Aucune faute ne saurait résulter du simple fait qu'elles se trouvent empêchées d'acquérir les parts proposées par M. de T., alors qu'une telle situation n'est que le résultat des pactes sociaux qui leur sont opposables.

Les demanderesses ne proposent pas de démontrer que l'absence de réalisation des cessions envisagées serait contraire à l'intérêt des sociétés M. et E..

La défense de ses intérêts personnels par un associé n'est pas, en elle-même, contraire à l'intérêt social.

Le litige n'apparaît même pas de nature à perturber la vie sociale alors que l'activité de ces sociétés se borne à l'exploitation d'immeubles loués et ne semble pas dépendre de la qualité des relations entre les associés.

S. D. veuve B. et ses filles ne font pas état d'un besoin personnel d'acquérir les parts litigieuses.

Seule M. de T. serait admissible, si elle agissait elle-même en tant que demanderesse principale, à invoquer une atteinte à son droit de vendre ses parts.

Rien ne permet de présumer que S. B. cherche à nuire à ses coassociés alors que, loin de manifester une opposition absolue à toute cession, elle leur a immédiatement proposé d'autres modalités de répartition des parts proposées à la cession.

Les demanderesses se montrent ainsi défaillantes à rapporter la preuve qui leur incombe.

Il convient, en conséquence, sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens de défense de S. B. tirés des volontés d'I. B., de les débouter de leurs demandes.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants

Suivant acte authentique reçu le 17 février 1958 par Maître Jean-Charles Rey, alors notaire à Monaco, I. B. et S. P. ont constitué une société particulière dénommée Société Civile Immobilière M. ;

Cette société a connu plusieurs modifications importantes :

les associés ont décidé de la transformer, à compter du 5 décembre 1958, en société en nom collectif et de lui donner la nouvelle dénomination « Société B. et Cie »,

par un acte du 5 octobre 1984 reçu par le même notaire, ils lui ont ensuite restitué la forme d'une société civile particulière ainsi que son ancienne dénomination ;

la suite de cessions de parts, également intervenues le 5 octobre 1984, les 500 parts représentant le capital social ont été réparties entre divers parents ou alliés d'I. B., décédé le 2 mars 1971 à raison de :

* 67 parts à sa seconde épouse, M. de T.,

* 216 parts à son fils né d'un mariage, G. B.,

et 217 parts à sa fille née de son premier mariage, S. B., épouse de F. Z., nommée gérante ;

La famille B. a également pris des intérêts dans la société dénommée Société Civile Immobilière E., constituée le 7 avril 1959 entre G. B. et R. B. ; en conséquence de cessions de parts, le capital social de cette société s'est trouvé ainsi réparti depuis le 5 octobre 1984 :

* 33 parts à M. de T.,

* 234 parts à G. B., gérant,

et 233 parts à S. B. ;

Les statuts des deux sociétés prévoient que toute cession de parts est soumise au consentement de tous les associés :

aux termes de l'article de l'acte du 5 octobre 1984 portant, notamment, modification des statuts de la société M., « la cession des parts s'opérera par acte authentique ou sous seings privés. Conformément aux articles 1529 et suivants du Code civil monégasque, elle devra être signifiée à la Société ou acceptée par celle-ci dans un acte authentique. Elles ne peuvent être cédées qu'avec le consentement de tous les associés » ;

selon l'article 8 des statuts de la société E., « aucun des associés ne pourra céder ses droits dans la présente société sans le consentement de son coassocié et sous les formes prescrites par les articles 1529 et suivants du Code civil monégasque » ;

G. B. est décédé le 14 décembre 2000 à Rome, laissant pour lui succéder :

sa veuve S. D.,

et les trois filles nées de son union avec elle : M. T. B., S. B. et F. B., épouse d'A. S. ;

Les parts sociales qui appartenaient à G. B. ont été partagées entre sa veuve et ses enfants ; lors d'assemblées générales extraordinaires tenues le 16 février 2001, les associés ont constaté que le capital social respectif des sociétés M. et E. se trouvait désormais réparti comme suit :

Société M. Société E.

M. de T................. 67 parts 33 parts

S. B................. 217 parts 233 parts

S. D.................. 87 parts 93 parts

M. T. B............... 43 parts 47 parts

S. B.................. 43 parts 47 parts

F. B.................. 43 parts 47 parts

Total.................. 500 500

Par courrier du 25 juillet 2003, M. de T. a fait part à ses cinq coassociées de son souhait de leur vendre une partie de ses parts :

en ce qui concerne la société M., 65 parts à raison de 13 parts chacune,

et en ce qui concerne la société E., 30 parts à raison de 6 parts chacune ;

Elle prétendait leur assurer ainsi une « égalité de traitement » ;

S. D. et ses filles ont répondu, le 28 juillet 2003, qu'elles acceptaient cette offre ;

En revanche, S. B. a fait connaître, les 29 juillet et 18 août 2003, qu'il convenait de maintenir l'équilibre antérieur entre elle et son frère, qu'elle devait, en conséquence, acquérir la moitié des parts mises en vente et qu'elle s'opposerait, par toute voie légale, à toute autre répartition ; elle invoquait spécialement les clauses des statuts requérant l'accord de tous les associés ;

Elle a ensuite fait défense à M. de T., par un acte signifié le 16 septembre 2003, de céder les parts sociales « dans les proportions qu'elle suggérait dans son courrier...... en date ...... du 25 juillet 2003 » ;

Suivant l'exploit susvisé du 29 octobre 2003, S. D. et ses filles ont fait assigner S. B. et M. de T. ; elles demandent au Tribunal de :

déclarer abusive l'opposition manifestée par S. B.,

dire et juger que la cession envisagée par M. de T. devra intervenir conformément aux modalités prévues dans la lettre précitée du 25 juillet 2003 ;

et déclarer le jugement à intervenir commun à M. de T. ;

Elles ont soutenu ces prétentions dans leurs conclusions du 5 mai 2004 ;

M. de T. a conclu le 14 janvier 2004 pour formuler les mêmes demandes ;

Dans ses écritures déposées le 13 février 2004, remplaçant et annulant celles précédemment déposées le 11 février précédent, puis dans celles du 12 octobre 2004, S. B. a d'abord soulevé la nullité de l'exploit introductif d'instance ainsi que l'irrecevabilité des demandes présentées par M. de T.

Elle a ensuite contesté le bien-fondé des prétentions de ses adversaires et a sollicité la condamnation solidaire des « demanderesses » à lui payer une indemnité de 30 000 euros en réparation du préjudice causé par leur procédure, selon elle abusive ;

Les demanderesses ont demandé au Tribunal de déclarer irrecevable l'exception de nullité ;

Sur Quoi,

I. - Sur l'exception de nullité de l'exploit introductif d'instance

A. - Sur la recevabilité de l'exception

Attendu que toute exception de procédure doit, par analogie avec la demande en justice régie par l'article 156 du Code civil, indiquer son objet et contenir un exposé sommaire des moyens qui en constituent le fondement ;

Attendu que S. B. sollicite clairement l'annulation de l'exploit d'assignation et formule ainsi une prétention parfaitement déterminée ;

Que l'invocation du défaut de mise en cause des sociétés M. et E. ne constitue qu'un moyen présenté au soutien de cette exception ;

Attendu que ce moyen ne saurait être considéré comme inexistant au motif que son sérieux et son bien-fondé sont discutés par les demanderesses, alors que cette question relève de l'examen au fond de l'exception ;

Que l'exception doit, en conséquence, être déclarée recevable ;

B. - Sur le bien-fondé de l'exception

Attendu que le présent litige ne concerne que des rapports juridiques personnels entre les parties ;

Que la demande tend seulement à faire juger que S. B. commet un abus de droit en refusant de consentir à la cession envisagée et n'affecte pas des droits dont peuvent être titulaires les sociétés M. et E. ;

Attendu que le seul fait qu'une personne puisse avoir un intérêt dans une instance suivie entre d'autres ne rend pas nécessaire sa mise en cause dès l'introduction de l'instance et n'a pour effet que de permettre son intervention, volontaire ou forcée, en cours de procédure, conformément aux articles 383 et 386 du Code de procédure civile ;

Attendu que sous réserve des règles applicables à la dissolution des sociétés, aucun texte n'exige spécialement, à peine de nullité, la mise en cause d'une société à l'occasion d'un litige entre ses associés ;

Que les demanderesses pouvaient donc valablement agir contre S. B. sans faire assigner, en même temps qu'elle, les sociétés M. et E., de sorte qu'il y a lieu de rejeter l'exception de nullité présentée par S. B. ;

II. - Sur la recevabilité des demandes présentées par M. de T.

Attendu qu'aucune demande n'a été présentée par les demanderesses contre M. de T., qu'elles n'ont fait assigner que pour lui rendre commun le jugement sollicité ;

Attendu que la partie qui n'est assignée qu'en déclaration de jugement commun est en droit de participer aux débats et de faire connaître son opinion sur la recevabilité ou le bien-fondé des prétentions respectives du demandeur et du défendeur ;

Qu'elle peut, en outre, solliciter la condamnation du demandeur à lui payer des dommages-intérêts dans le cas où celui-ci aurait agir fautivement en la mettant en cause ;

Qu'en revanche, elle n'est pas admissible à former des demandes contre le défendeur ;

Attendu qu'il résulte, en effet, de la combinaison des articles 156 et 382 du Code de procédure civile que les parties appelées en cause par le demandeur ne peuvent faire évoluer l'objet du litige, tel qu'il a été défini par le demandeur dans l'exploit introductif d'instance et dans ses demandes incidentes, qu'au moyen de demandes reconventionnelles régulièrement formées contre lui ; que ce principe interdit à un défendeur, sous réserve des règles applicables aux exceptions d'appel en garantie ou de communication de pièces, de présenter des demandes contre un autre défendeur ; que cette prohibition doit également s'appliquer aux parties appelées en déclaration de jugement commun ;

Attendu que M. de T. se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à reprendre les prétentions des demanderesses sans solliciter aucune condamnation distincte à son profit ;

Qu'elle ne fait ainsi qu'exprimer son opinion sur le mérite de ces prétentions et reste donc dans les limites de ses droits ;

Attendu que S. B. doit donc être déboutée de son exception d'irrecevabilité ;

III. - Sur le fond

Attendu qu'il est constant que les statuts des sociétés M. et E. soumettent valablement à l'agrément de l'ensemble des associés toute cession de parts sociales ;

Attendu que ces statuts ne distinguent pas selon que la cession doit intervenir au bénéfice de tiers ou de personnes ayant déjà la qualité d'associé ; que l'acte du 5 octobre 1984, portant modification des statuts de la société M., a été spécialement raturé pour supprimer la stipulation, initialement envisagée, selon laquelle les parts auraient été librement cessibles entre associés ;

Attendu que selon l'article 989 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise ;

Que les stipulations d'un contrat de société obligent non seulement les fondateurs de la société, mais aussi les personnes qui, postérieurement à sa constitution, acquièrent des parts leur donnant la qualité d'associé ;

Attendu que les associés des sociétés M. et E. ont ainsi consenti à une limitation de leurs droits respectifs de disposer des parts dont ils sont propriétaires et de leurs possibilités de pouvoir acquérir d'autres parts de leurs coassociés ;

Attendu que S. B. se trouve titulaire du droit d'être consultée sur toute cession de parts et de refuser d'y consentir ;

Attendu, cependant, que l'exercice d'un droit peut engager la responsabilité civile de son titulaire, conformément aux articles 1229 et 1230 du Code civil, lorsqu'il dégénère en faute, négligence ou imprudence ;

Attendu qu'il appartient aux demanderesses d'établir que le refus de consentir qu'elles reprochent à S. B. est fautif et leur cause préjudice ;

Attendu qu'aucune faute ne saurait résulter du simple fait qu'elles se trouvent empêchées d'acquérir les parts proposées par M. de T., alors qu'une telle situation n'est que le résultat des pactes sociaux qui leur sont opposables ;

Que les demanderesses ne proposent pas de démontrer que l'absence de réalisation des cessions envisagées serait contraire à l'intérêt des sociétés M. et E. ;

Attendu que la défense de ses intérêts personnels par un associé n'est pas, en elle-même, contraire à l'intérêt social ;

Que le litige n'apparaît même pas de nature à perturber la vie sociale alors que l'activité de ces sociétés se borne à l'exploitation d'immeubles loués et ne semble pas dépendre de la qualité des relations entre les associés ;

Attendu que S. D. veuve B. et ses filles ne font pas état d'un besoin personnel d'acquérir les parts litigieuses ;

Que seule M. de T. serait admissible, si elle agissait elle-même en tant que demanderesse principale, à invoquer une atteinte à son droit de vendre ses parts ;

Attendu que rien ne permet de présumer que S. B. cherche à nuire à ses coassociés alors que, loin de manifester une opposition absolue à toute cession, elle leur a immédiatement proposé d'autres modalités de répartition des parts proposées à la cession ;

Attendu que les demanderesses se montrent ainsi défaillantes à rapporter la preuve qui leur incombe ;

Qu'il convient, en conséquence, sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens de défense de S. B. tirés des volontés d'I. B., de les débouter de leurs demandes ;

IV. - Sur la demande reconventionnelle

Attendu que cette demande, dirigée contre les « demanderesses », ne vise pas M. de T., simple partie assignée en déclaration de jugement commun ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que S. D. veuve B. et ses filles ont engagé un procès sans se mettre aucunement en mesure de rapporter la preuve mise à leur charge par la loi, alors qu'elles prétendaient faire échec à une stipulation claire des contrats de société et que les circonstances rendaient improbable une acceptation de leurs prétentions par S. B. ;

Qu'elles ont ainsi agi de façon téméraire et ont engagé leur responsabilité civile en raison de cette faute ;

Qu'elles ont causé à S. B. un préjudice constitué par les frais qu'elle a dû exposer pour signifier son opposition et assurer sa défense devant le Tribunal, ainsi que par les tracas occasionnés par la conduite de la procédure ;

Attendu qu'il y a lieu de lui allouer, à titre de réparation, une indemnité de 3 000 euros, eu égard aux éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose pour l'évaluation du préjudice subi ;

Et attendu que l'article 231 du Code de procédure civile met les dépens à la charge de la partie succombante ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, STATUANT CONTRADICTOIREMENT,

Déclare recevable mais mal fondée l'exception de nullité de l'exploit introductif d'instance présentée par S. B. épouse Z. ;

Déboute S. B. épouse Z. de son exception tendant à faire déclarer irrecevables les prétentions de M. de T. Veuve B. ;

Déboute S. D. Veuve B., M. T. B., S. B. ct F. B. épouse S. de l'intégralité de leurs demandes ;

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; M. Bellinzona, juge suplt f.f. de subst. proc. gén. ; Mes Licari, Mullot et Escaut, av. déf.

  • Consulter le PDF