Tribunal de première instance, 6 janvier 2005, N. c/ l'Ordre des Architectes de la Principauté de Monaco

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Abstract🔗

Tribunal suprême

Compétence : art. 90 B de la Constitution - Conseil de l'Ordre des Architectes - Décision en matière disciplinaire - Recours en annulation - Compétence du tribunal Suprême : s'agissant d'une décision relevant par son objet de l'exercice d'une autorité administrative

Architectes

Conseil de l'Ordre - Décision disciplinaire : prérogative relevant de la puissance publique - Recours en annulation : compétence du Tribunal Suprême

Résumé🔗

Selon l'article 90B de la Constitution, le Tribunal suprême statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des autorités administratives ;

La compétence du tribunal suprême ne s'apprécie pas en fonction d'un critère organique fondé sur la nature de l'auteur de la décision, mais s'étend au contraire à toutes les décisions relevant par leur objet de l'exercice d'une autorité administrative ;

Dès lors si l'ordre des architectes, qui regroupe les membres d'une profession libérale, est une personne morale de droit privé et ne saurait être considéré en lui-même comme une autorité administrative, cela ne saurait suffire à exclure la compétence du Tribunal suprême ;

Si l'exercice du pouvoir disciplinaire relève d'une fonction d'autorité, il n'a pas nécessairement un caractère administratif, notamment lorsque, comme en l'espèce, cette autorité est exercée par une organisation uniquement à l'égard de ses membres et non sur des tiers ;

Cependant l'organisation de la profession d'architecte sous forme d'un ordre professionnel s'explique par son rôle social éminent, qui intéresse la sécurité de l'hygiène publique ainsi que l'esthétique du pays dont elle modèle l'aspect et le caractère, et qui, pour cette raison, a justifié que les pouvoirs publics imposent l'observation de règles indispensables pour assurer la protection de l'intérêt général ;

À ce titre, l'ordre des architectes est non seulement une institution de défense et de représentation de la profession mais également une institution de contrôle de celle-ci, ce qui a justifié que lui soit conféré un pouvoir réglementaire et disciplinaire, sous le contrôle des pouvoirs publics ;

Ce contrôle se manifeste notamment par le fait que les règles de la profession établies par le conseil de l'ordre doivent, conformément à l'article 8 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 réglementant la profession d'architecte, être approuvées par le gouvernement ;

En outre l'inscription d'un architecte à l'ordre ne relève pas de l'exercice de la liberté de s'associer pour la défense d'intérêts collectifs ou communs, mais a un caractère obligatoire pour tout architecte désireux d'exercer cette profession dans la Principauté, conformément à l'article 11 de l'ordonnance-loi n° 341 ;

Pour l'exercice du pouvoir disciplinaire à l'égard des architectes, le conseil de l'ordre est donc investi de prérogatives relevant de la puissance publique qui imposent aux architectes de se soumettre à son autorité et l'autorisent à contrôler l'exercice de toute activité professionnelle de ce type sur l'ensemble du territoire ; et, de ce fait, dans l'exercice du pouvoir disciplinaire qu'il exerce seul pour prononcer un blâme ou un avertissement, le conseil de l'ordre des architectes agit en qualité d'autorité administrative, au même titre que la Ministre d'État lorsque celui-ci, sur proposition du conseil de l'ordre, décide d'une suspension temporaire ou d'une radiation du tableau ;

En conséquence le recours en annulation contre ses décisions en matière disciplinaire ne relève pas de la compétence du Tribunal de première instance.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Le 12 juin 2003, F. N. a comparu devant le conseil de l'ordre des architectes, réuni en comité secret et statuant en matière disciplinaire, au motif pris qu'il aurait dû, avant de contracter avec un client, la SCI A. B, consulter son confrère C. J., intervenu avant lui dans le même projet de construction, et, par lettre recommandée du 17 juin 2003, un blâme lui a été notifié ;

Par acte d'huissier en date du 14 octobre 2003, F. N. a fait assigner l'ordre des architectes devant le Tribunal afin de faire annuler la décision prise à son encontre et d'obtenir une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Au soutien de ses demandes, F. N. fait valoir que la décision n'a pas été motivée, que le conseil de l'ordre des architectes a été saisi de manière irrégulière, à savoir par C. J. seulement et non par deux membres du bureau ou les deux tiers des membres du conseil, et que les droits de la défense n'ont pas été respectés dans la mesure où il n'a pas été avisé préalablement à sa comparution de la qualification des faits retenus contre lui ni de la sanction encourue ; de plus il déclare n'avoir pas commis le manquement à ses obligations professionnelles qui lui était reproché dans la mesure où le conseil de l'ordre des architectes a retenu à tort l'existence d'un contrat liant C. J. à la SCI A. B ;

L'ordre des architectes répond que la demande est irrecevable dans la mesure où, conformément au règlement intérieur, les sanctions disciplinaires que constituent le blâme et l'avertissement ne sont susceptibles d'aucun recours, et que si l'appel des décisions prises en matière disciplinaire devait être admis seule la cour d'appel serait susceptible d'en connaître ; il ajoute que l'appréciation des manquements commis par le membre d'un ordre professionnel et de la sanction qu'ils justifient relève de l'appréciation souveraine et exclusive du pouvoir corporatif, que la décision litigieuse a été suffisamment motivée sur ce point, que la saisine résultait d'un rapport établi par deux membres du bureau, et que les droits de la défense ont été respectés dans la mesure où F. N. a eu connaissance de tous les éléments réunis contre lui et a pu être assisté d'un avocat ;

Ajoutant à ses écritures initiales, et pour asseoir la compétence du Tribunal, F. N. fait valoir que l'ordre des architectes n'est pas une autorité administrative au sens de l'article 90B de la Constitution, mais que « le caractère administratif de l'intervention de l'ordre des architectes ne saurait être démenti » dans la mesure où « il lui appartient notamment de veiller au respect de la réglementation » et où « l'ordre des architectes dispose manifestement de prérogatives de puissance publique » ;

En réponse l'ordre des architectes conteste le caractère administratif de l'intervention des ordres professionnels en soulignant que F. N. « utilise maladroitement un courant d'une jurisprudence française qui ne rallie pas l'entier assentiment de l'ensemble de la doctrine », en affirmant que l'on ne saurait « méconnaître le sens profond de l'organisation corporative » qui « signifie que confiance est faite à ces corps pour qu'ils jugent eux-mêmes qui est digne d'en faire partie » et que « l'État ne leur délègue pas son pouvoir », et en soutenant que le demandeur « remet gravement en cause la finalité des institutions corporatives lesquelles sont des organes privés et qui constituent une réalité sociale incontournable, et ce en minimisant ainsi la teneur du pouvoir réglementaire et disciplinaire qui leur appartient » ;

Reconventionnellement, l'ordre des architectes réclame 7 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Sur quoi,

Attendu que, selon l'article 90B de la Constitution, le Tribunal suprême statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des autorités administratives ;

Attendu que la compétence du Tribunal suprême ne s'apprécie pas en fonction d'un critère organique fondé sur la nature de l'auteur de la décision, mais s'étend au contraire à toutes les décisions relevant par leur objet de l'exercice d'une autorité administrative ;

Attendu dès lors que si l'ordre des architectes, qui regroupe les membres d'une profession libérale, est une personne morale de droit privé et ne saurait être considéré en lui-même comme une autorité administrative, cela ne saurait suffire à exclure la compétence du Tribunal suprême ;

Attendu que si l'exercice du pouvoir disciplinaire relève bien d'une fonction d'autorité, il n'a pas nécessairement un caractère administratif, notamment lorsque, comme en l'espèce, cette autorité est exercée par une organisation uniquement à l'égard de ses membres et non sur des tiers ;

Attendu cependant que l'organisation de la profession d'architecte sous forme d'un ordre professionnel s'explique par son rôle social éminent, qui intéresse la sécurité et l'hygiène publique ainsi que l'esthétique du pays dont elle modèle l'aspect et le caractère, et qui, pour cette raison, a justifié que les pouvoirs publics imposent l'observation de règles indispensables pour assurer la protection de l'intérêt général ;

Attendu que, à ce titre, l'ordre des architectes est non seulement une institution de défense et de représentation de la profession mais également une institution de contrôle de celle-ci, ce qui a justifié que lui soit conféré un pouvoir réglementaire et disciplinaire, sous le contrôle des pouvoirs publics ;

Attendu que ce contrôle se manifeste notamment par le fait que les règles de la profession établies par le conseil de l'ordre doivent, conformément à l'article 8 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 réglementant la profession d'architecte, être approuvées par le gouvernement ;

Attendu en outre que l'inscription d'un architecte à l'ordre ne relève pas de l'exercice de la liberté de s'associer pour la défense d'intérêts collectifs ou communs, mais a un caractère obligatoire pour tout architecte désireux d'exercer cette profession dans la Principauté, conformément à l'article 11 de l'ordonnance-loi n° 341 ;

Attendu que, pour l'exercice du pouvoir disciplinaire à l'égard des architectes, le conseil de l'ordre est donc investi de prérogatives relevant de la puissance publique qui imposent aux architectes de se soumettre à son autorité et l'autorisent à contrôler l'exercice de toute activité professionnelle de ce type sur l'ensemble du territoire ; et que, de ce fait, dans l'exercice du pouvoir disciplinaire qu'il exerce seul pour prononcer un blâme ou un avertissement, le conseil de l'ordre des architectes agit en qualité d'autorité administrative, au même titre que le Ministre d'État lorsque celui-ci, sur proposition du conseil de l'ordre, décide d'une suspension temporaire ou d'une radiation du tableau ;

Attendu en conséquence que le recours en annulation contre ses décisions en matière disciplinaire ne relève pas de la compétence du Tribunal de première instance ;

Sur l'abus de procédure

Attendu que l'erreur du demandeur sur la compétence des juridictions de droit commun ne saurait à elle seule caractériser l'abus dans l'exercice d'une voie de droit et que l'ordre des architectes sera, en conséquence, débouté de sa demande de dommages et intérêts ;

Sur les dépens

Attendu que, conformément à l'article 231 du Code de procédure civile, F. N. qui succombe sera condamné aux entiers dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant contradictoirement,

Se déclare incompétent pour connaître du litige ;

Déboute l'ordre des architectes de sa demande de dommages-intérêts.

Composition🔗

MM. Launoy, prem. juge f.f de prés. ; Bellinzona, juge supl. f. f de subst. du proc. gén. ; Mes Licari et Sbarrato.

Note🔗

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2007, n° 9, p. 125 à 128.

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