Tribunal de première instance, 8 juillet 2004, B. c/ SCI Le Bahia, Cie d'assurances Axa et C., Sté Abeille Assurances (AVIVA)

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Responsabilité du fait des choses et du fait de l'homme. Cumulativement invoquées par la victime - Chute dans le couloir commun d'un immeuble au cours de travaux de réfection entrepris, l'ayant rendu anormalement glissant - Contre le propriétaire sur le fondement de l'article 1231 alinéa 1er du Code civil, celui-ci étant gardien des lieux et ayant conservé son pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle - Contre l'entrepreneur des travaux sur le fondement de l'article 1229 du Code civil, faute par celui-ci de n'avoir pas pris des précautions

Résumé🔗

Le 15 octobre 1996, L. B. chutait dans le couloir commun attenant à son appartement et subissait diverses blessures ;

À cette époque, des travaux sur les parties communes de la résidence, consistant en la réfection des revêtements muraux, avaient été confiés par la Société civile immobilière Le Bahia à D. C., entrepreneur de maçonnerie générale ;

En droit, rien n'interdit à une victime d'invoquer à l'appui de sa demande à la fois la responsabilité du fait personnel et la responsabilité du fait des choses ; en ce cas, lorsque la condamnation est acquise sur le fondement de l'un des deux fondements invoqués, le Tribunal devra justifier sa décision au regard du fondement légal applicable sans qu'il soit utile d'examiner si les conditions exigées pour appliquer l'autre sont réunies ;

En outre, la victime peut parfaitement agir simultanément contre deux défendeurs différents, en invoquant à la fois les articles 1229 et 1231 du Code civil ; il est en effet constant qu'à l'occasion d'un dommage unique causé à la fois par le fait d'une chose dont une personne est gardien et par la faute d'une autre personne, elle peut agir simultanément contre l'auteur de la faute sur le fondement de l'article 1229 précité et contre le gardien sur le fondement de l'article 1231 du même code ;

En cet état, il apparaît que l'action en responsabilité formée par L. B. est parfaitement recevable ;

Au fond, il résulte des éléments constants de la cause que L. B. a été victime le 15 octobre 1996 d'une chute dans les parties communes de l'immeuble Le Bahia, alors que des travaux de réfection des revêtements muraux étaient en cours d'exécution par D. C. auquel ils avaient été confiés ;

Les deux attestations produites par la demanderesse, établies par D. S. le 2 décembre 1996 (pièces n° 9) et S. C. le 4 décembre 1996, révèlent l'état anormalement glissant du sol ce jour là :

- D. S. : « ... le sol était mouillé et glissant et (qu')il y avait des débris qui traînaient par terre. ».

- S. C. : « ... la surface était lisse et dangereuse » ;

Ces constatations n'ont été remises en cause par aucune des parties défenderesses, D. C. se contentant d'indiquer que ces deux documents ne permettaient cependant pas de révéler les circonstances exactes de la chute ;

Toutefois, il s'évince de ces constatations de fait que le sol du couloir commun menant aux appartements privatifs avait été rendu anormalement glissant par la présence anormale en ce lieu de produits destinés à la réfection du revêtement mural ; en outre, la circulation des résidents de l'immeuble se trouvait gênée et rendue difficile par la présence de débris jonchant le sol ;

En premier lieu, il est admis en droit que si l'entrepreneur a en règle générale la garde du chantier et de l'ouvrage qu'il construit, il en va différemment notamment lorsqu'il s'agit d'un immeuble existant sur lequel il ne procède qu'à des réfections, dès lors que le propriétaire reste gardien des parties sur lesquelles il conserve ses pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction ;

En l'espèce, le propriétaire, en confiant à D. C., entrepreneur, la réfection des revêtements muraux de l'immeuble, a toutefois conservé un pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle sur les couloirs communs où les travaux s'emplaçaient en ce que, laissés par lui ouverts à la libre circulation des résidents, il a ainsi privé l'entrepreneur d'un usage exclusif et lui a ôté la maîtrise de ces parties d'immeuble ;

En conséquence la société civile immobilière Le Bahia est restée gardienne, en l'absence de tout transfert de garde, des parties communes où l'accident s'est produit, ce qu'elle ne conteste au demeurant pas ;

Celle-ci soutient toutefois que les conditions de sa responsabilité ne seraient pas réunies ;

À cet égard les constatations de fait ci-dessus rappelées établissent à suffisance que la chose dont avait la garde le propriétaire a été l'instrument du dommage en ce que le sol rendu anormalement glissant et encombré a joué un rôle causal dans la chute de L. B., puisque c'est en circulant dans ce couloir que cette dernière a glissé et est tombée sur le sol où elle s'est blessée, la société civile immobilière Le Bahia n'établissant aucun cas de force majeure ou de fait de la victime assimilable à la force majeure susceptible de l'exonérer de sa responsabilité ;

Il s'ensuit que cette société doit être déclarée responsable, sur le fondement de l'article 1231 alinéa 1er du Code civil, de l'accident dont a été victime L. B. - de sorte que sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ne saurait être admise -, de même que son assureur la compagnie Axa Assurances devenue Axa France lard ;

En second lieu, L. B. a également invoqué la faute qu'aurait commise D. C. dans l'exécution de ses prestations ;

À cet égard, il n'est nullement contesté que ses ouvriers travaillaient dans le couloir où s'est produit la chute ; les attestations et témoignages précités ont mis en évidence que le sol avait été maculé par des produits glissants et était encombré de divers débris rendant difficile le passage des personnes ;

Force est de constater que ce faisant, l'entrepreneur a rendu anormalement glissant le sol sur lequel avaient été répandus des produits destinés à la réfection des murs, tout en s'abstenant de signaler aux usagers la présence de tels produits ; en outre, il n'a pas pris la précaution de maintenir un libre passage sécurisé pour les résidents de l'immeuble ;

Ces éléments démontrent en définitive que D. C. a commis une faute par négligence et imprudence ayant incontestablement provoqué la chute de L. B., et doit en conséquence être déclaré responsable, in solidum avec la société immobilière civile Le Bahia et la société Axa France lard, de cet accident à la réalisation duquel ces parties ont concouru, et tenu de même de réparer le dommage qui en est résulté.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Le 15 octobre 1996, L. B. chutait dans le couloir commun attenant à son appartement et subissait diverses blessures ;

cette époque, des travaux sur les parties communes de la résidence, consistant en la réfection des revêtements muraux, avaient été confiés par la Société civile immobilière Le Bahia à D. C., entrepreneur de maçonnerie générale ;

Suivant ordonnance de référé rendue le 9 octobre 1997, L. B. a obtenu l'organisation d'une expertise médicale, confiée au docteur Jean-Charles Boiselle, lequel s'est adjoint l'avis d'un sapiteur ophtalmologue, le docteur Riss ;

Suite au dépôt de son rapport par l'expert, le Tribunal de première instance, saisi de l'action en responsabilité formée par L. B. à l'encontre de la société civile immobilière Le Bahia, de son assureur la compagnie Axa Assurances et de D. C. (instance n° 751 du rôle général de l'année judiciaire 1999-2000), a, par jugement en date du 25 janvier 2001 auquel il y a lieu de se reporter pour un exposé plus complet des faits et moyens de la cause, fait droit aux exceptions d'appel en garantie soulevées par la société Le Bahia et la compagnie Axa et autorisé la mise en cause de D. C. et de la compagnie Abeille Assurances, son assureur ;

La compagnie Axa Assurances a conclu la première pour s'opposer à titre principal à l'action en responsabilité formée par L. B. aux motifs que son assurée n'aurait commis aucune faute susceptible de causer la chute de cette dernière et qu'en tout état de cause, la société civile immobilière Le Bahia n'était nullement le gardien du chantier incriminé, alors enfin qu'aucun lien de cause à effet entre le préjudice et la chute ne serait établi par la demanderesse ;

titre subsidiaire, elle indique que pour le cas où une part de responsabilité serait retenue à son encontre ou celle de son assurée, elle devrait être relevée et garantie par D. C., garantissant en sa qualité d'entrepreneur au maître de l'ouvrage tous dommages qui pourraient survenir pendant l'exécution du chantier, et son assureur la compagnie Abeille Assurances ;

Enfin et à titre infiniment subsidiaire, elle formule des propositions d'indemnisation sur les postes de préjudices dont elle admet la réalité, savoir l'IPP et le pretium doloris ;

Pour sa part, la société Le Bahia, qui considère que sa responsabilité est recherchée sur le fondement du fait des choses, sollicite sa mise hors de cause dès lors qu'il serait nécessaire pour la mise en œuvre d'une telle responsabilité que la chose soit intervenue dans la réalisation du dommage et que cette intervention ait été causale, ce qui ne s'avèrerait pas être le cas en l'espèce en l'état du comportement normal de la chose et de son rôle purement passif ;

Subsidiairement, elle soutient que la demanderesse ne justifie d'aucun lien de causalité entre le dommage corporel allégué, lequel serait dû en réalité à un état antérieur, et l'accident du 15 octobre 1996, de sorte qu'elle s'oppose aux demandes de cette dernière et sollicite sa condamnation au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

L. B. a répliqué par conclusion du 26 juin 2002 en reprenant l'intégralité de ses demandes fondées sur un cumul des responsabilités ; elle rappelle avoir chuté dans les parties communes de la résidence Le Bahia alors que des travaux de réfection étaient effectués par D. C. dont les ouvriers avaient utilisé des produits particulièrement glissants ; elle estime que les attestations et témoignages produits permettent de démontrer que le dommage qu'elle subit est dû à la faute combinée de D. C. et de la société Le Bahia pour le compte de laquelle les travaux étaient réalisés ; elle précise que la société Le Bahia en sa qualité de propriétaire de l'immeuble était chargée de l'entretien des parties communes et aurait dû non seulement signaler les travaux de réfection mais encore faire constater l'état glissant du sol du couloir ; elle estime que cette absence de signalisation s'analysant en une négligence entraîne sa responsabilité, tant du fait personnel que du fait de la chose sauf à démontrer le transfert de la garde de la chose, et lui ouvre droit à réparation du préjudice lié à la chute ;

De son côté, D. C. fait valoir que la responsabilité délictuelle suppose la réunion de trois éléments, savoir une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux, et affirme qu'en l'espèce la première condition ferait défaut ; il soutient en effet que les attestations produites, bien que soulignant que la surface du sol était lisse (ce que ne pouvait ignorer la demanderesse en raison de sa connaissance des lieux) seraient toutefois insuffisantes à rapporter la preuve de la faute qu'il aurait commise en ce qu'aucun des témoins n'aurait vu directement les circonstances exactes de la chute, alors au surplus que la connaissance des travaux par L. B. aurait dû l'inciter à la plus grande prudence ;

Il réfute par ailleurs l'existence de tout préjudice lié à la chute invoquée tant en l'état des faits de l'espèce caractérisés par une consultation chez un ophtalmologue près d'un mois après l'incident, que des examens pratiqués, le rapport d'expertise n'établissant aucun lien de causalité entre le problème oculaire et la chute, précisant enfin que la déchirure rétinienne est une pathologie et non un traumatisme ;

Subsidiairement, il sollicite la réduction des demandes de réparation à l'indemnisation réelle du préjudice subi et formule des offres dans le sens d'une modération ;

Enfin, dans le dernier état de ses écrits judiciaires en date du 23 octobre 2003, L. B. rétorque que la faute commise par D. C. consisterait en un double manquement, savoir un défaut de signalisation adéquat et une absence de maintien d'un passage permettant de circuler librement et sans danger dans les parties communes ;

Elle relève, sur le préjudice, que l'apparition des symptômes a été immédiate et que les médecins ont mis en évidence des conséquences graves qui trouvent leur origine exclusive dans l'accident ;

Suivant exploit en date du 2 février 2001 (instance n° 425 du rôle général de 2001), la société anonyme dénommée Axa Assurances a fait assigner D. C. et la société anonyme dénommée Abeille Assurances, en présence de L. B. et de la société Le Bahia, aux fins de :

- voir ces parties condamnées in solidum à la relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre, motif pris de la faute qu'aurait commise D. C. en maculant les sols d'une matière glissante lors de l'exécution des travaux de réfection qui lui avaient été confiés ;

- voir ordonner la jonction de l'instance en garantie avec l'instance objet de la demande principale ;

En réponse, la compagnie Abeille et D. C. concluent à leur mise hors de cause en l'absence tant d'une faute commise par D. C. que de lien de causalité avec le préjudice invoqué par L. B. ;

titre subsidiaire, ils sollicitent la réduction des demandes d'indemnisation à hauteur du réel préjudice subi ;

Pour sa part, L. B. soutient que la responsabilité de D. C. résulte à suffisance des éléments de la cause et notamment des attestations produites, et que son préjudice consistant en une déchirure rétinienne est directement lié à la chute ;

La société Axa Assurances a conclu le 20 décembre 2001 par un jeu de conclusions identique à celui déposé dans l'instance principale, par lesquelles :

- elle s'oppose à titre principal à l'action en responsabilité ;

- elle sollicite à titre subsidiaire d'être relevée et garantie par D. C. et la compagne Abeille ;

- elle formule à titre infiniment subsidiaire des propositions d'indemnisation sur les postes de préjudices qu'elle admet, savoir l'IPP et le pretium doloris ;

La société Le Bahia a fait de même le 20 mars 2002 et soutient pour l'essentiel devoir être mise hors de cause, les conditions pour engager sa responsabilité du fait des choses n'étant pas réunies ; subsidiairement, et en l'absence d'un lien de causalité entre le dommage et l'accident, elle s'oppose aux prétentions de la demanderesse principale ; enfin, à titre très subsidiaire, elle demande à être relevée et garantie par D. C. et la compagnie Abeille de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge ;

La compagnie d'assurances Aviva, venant aux droits de la compagnie Abeille, et D. C. s'en rapportent à justice sur la demande de jonction mais font observer que l'appel en garantie d'Axa serait dénué de fondement juridique et devrait en tout état de cause être rejeté, à défaut pour cette dernière de faire la démonstration d'une faute de nature délictuelle commise par D. C. ;

En dernier lieu, la société Axa a rétorqué que l'appel en garantie était fondé sur les dispositions des articles 267 et suivants du Code de procédure civile et qu'il était parfaitement justifié, dès lors que la chute de L. B. pouvait résulter des négligences commises par D. C. qui aurait laissé sur le sol des matériaux non signalés ;

Elle entend dès lors, pour le cas où ses autres prétentions ne seraient pas retenues, qu'il soit fait droit à sa demande de garantie et que D. C. et la compagnie Abeille soient en sens contraire déboutés des fins de leurs conclusions du 17 décembre 2003 ;

Enfin, suivant exploit en date du 9 février 2001 (instance n° 426 du rôle général de 2001), la société civile immobilière Le Bahia a fait assigner D. C. et la société anonyme dénommée Abeille Assurances, en présence de L. B. et de la société Axa, aux fins de :

- voir ces parties condamnées à la relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre, en l'état de la faute qu'aurait commise D. C. en maculant les sols d'une matière glissante lors de l'exécution des travaux de réfection qui lui avaient été confiés ;

- voir ordonner la jonction de l'instance en garantie avec l'instance objet de la demande principale ;

En réponse, la compagnie Abeille et D. C. concluent à leur mise hors de cause en l'absence tant d'une faute commise par D. C. que de lien de causalité avec le préjudice invoqué par L. B. ;

titre subsidiaire, ils sollicitent la réduction des demandes d'indemnisation à hauteur du réel préjudice subi ;

Pour sa part, L. B. soutient que la responsabilité de D. C. résulte à suffisance des éléments de la cause, notamment des attestations produites, et que son préjudice consistant en une déchirure rétinienne est directement lié à la chute ;

La société Le Bahia a conclu le 20 mars 2002 et soutient pour l'essentiel devoir être mise hors de cause, les conditions pour engager sa responsabilité du fait des choses n'étant pas réunies ; subsidiairement, à défaut d'un lien de causalité entre le dommage et l'accident, elle s'oppose aux prétentions de la demanderesse principale ; enfin à titre subsidiaire, elle demande à être relevée et garantie par D. C. et la compagnie Abeille de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge ;

La compagnie d'assurances Aviva, venant aux droits de la compagnie Abeille, et D. C. s'en rapportent à justice sur la demande de jonction mais font observer que l'appel en garantie d'Axa serait dénué de fondement juridique et devrait en tout état de cause être rejeté à défaut pour cette dernière de faire la démonstration d'une faute de nature délictuelle commise par D. C. ;

En dernier lieu, la société Le Bahia, tout en sollicitant la jonction de ladite instance avec celle introduite suivant exploit du 4 mai 2000, a rétorqué que l'appel en garantie était fondé sur les dispositions des articles 267 et suivants du Code de procédure civile et qu'il était parfaitement justifié dès lors que la chute de L. B. est due aux négligences commises par D. C. qui aurait laissé sur le sol des matériaux non signalés ;

Elle sollicite en conséquence sa mise hors de cause à titre principal et, subsidiairement, conclut au rejet des prétentions de L. B. contre laquelle elle réclame le paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Enfin et à titre subsidiaire, elle entend être garantie par D. C. et son assureur en l'état de la faute commise par l'entrepreneur ;

Sur quoi :

Sur la jonction :

Attendu que les instances successivement initiées le 4 mai 2000 (n° 751 du rôle 1999-2000), le 2 février 2001 (n° 425 du rôle 2000-2001) et le 9 février 2001 (n° 426 du rôle 2000-2001) sont relatives à un seul et même litige, les demandes et moyens soumis au Tribunal étant identiques ; qu'il est donc opportun, pour une bonne administration de la justice, de statuer sur chacune de ces instances par un seul et même jugement et d'ordonner à cette fin leur jonction ;

Sur la responsabilité :

Attendu, en droit, que rien n'interdit à une victime d'invoquer à l'appui de sa demande à la fois la responsabilité du fait personnel et la responsabilité du fait des choses ; qu'en ce cas, lorsque la condamnation est acquise sur le fondement de l'un des deux fondements invoqués, le Tribunal devra justifier sa décision au regard du fondement légal applicable sans qu'il soit utile d'examiner si les conditions exigées pour appliquer l'autre sont réunies ;

Qu'en outre, la victime peut parfaitement agir simultanément contre deux défendeurs différents, en invoquant à la fois les articles 1229 et 1231 du Code civil ; qu'il est en effet constant qu'à l'occasion d'un dommage unique causé à la fois par le fait d'une chose dont une personne est gardien et par la faute d'une autre personne, elle peut agir simultanément contre l'auteur de la faute sur le fondement de l'article 1229 précité et contre le gardien sur le fondement de l'article 1231 du même code ;

Attendu qu'en cet état, il apparaît que l'action en responsabilité formée par L. B. est parfaitement recevable ;

Attendu, au fond, qu'il résulte des éléments constants de la cause que L. B. été victime le 15 octobre 1996 d'une chute dans les parties communes de l'immeuble Le Bahia dont est propriétaire la société civile immobilière Le Bahia, alors que des travaux de réfection des revêtements muraux étaient en cours d'exécution par D. C. auquel ils avaient été confiés ;

Que les deux attestations produites par la demanderesse, établies par D. S. le 2 décembre 1996 (pièce n° 9) et S. C. le 4 décembre 1996, révèlent l'état anormalement glissant du sol ce jour là :

- D. S. : « ... le sol était mouillé et glissant et (qu')il y avait des débris qui traînaient par terre. »

- S. C. : « ... la surface était lisse et dangereuse » ;

Que ces constatations n'ont été remises en cause par aucune des parties défenderesses, D. C. se contentant d'indiquer que ces deux documents ne permettaient cependant pas de révéler les circonstances exactes de la chute ;

Attendu, toutefois, qu'il s'évince de ces constatations de fait que le sol du couloir commun menant aux appartements privatifs avait été rendu anormalement glissant par la présence anormale en ce lieu de produits destinés à la réfection du revêtement mural ; qu'en outre, la circulation des résidents de l'immeuble se trouvait gênée et rendue difficile par la présence de débris jonchant le sol ;

Attendu, en premier lieu, qu'il est admis en droit que si l'entrepreneur a en règle générale la garde du chantier et de l'ouvrage qu'il construit, il en va différemment notamment lorsqu'il s'agit d'un immeuble existant sur lequel il ne procède qu'à des réfections, dès lors que le propriétaire reste gardien des parties sur lesquelles il conserve ses pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction ;

Attendu qu'en l'espèce, le propriétaire, en confiant à D. C., entrepreneur, la réfection des revêtements muraux de l'immeuble, a toutefois conservé un pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle sur les couloirs communs où les travaux s'emplaçaient en ce que, laissés par lui ouverts à la libre circulation des résidents, il a ainsi privé l'entrepreneur d'un usage exclusif et lui a ôté la maîtrise de ces parties d'immeuble ;

Attendu en conséquence que la société civile immobilière Le Bahia est restée gardienne, en l'absence de tout transfert de garde, des parties communes où l'accident s'est produit, ce qu'elle ne conteste au demeurant pas ;

Que celle-ci soutient toutefois que les conditions de sa responsabilité ne seraient pas réunies ;

Attendu à cet égard que les constatations de fait ci-dessus rappelées établissent à suffisance que la chose dont avait la garde le propriétaire a été l'instrument du dommage en ce que le sol rendu anormalement glissant et encombré a joué un rôle causal dans la chute de L. B., puisque c'est en circulant dans ce couloir que cette dernière a glissé et est tombée sur le sol où elle s'est blessée, la société civile immobilière Le Bahia n'établissant aucun cas de force majeure ou de fait de la victime assimilable à la force majeure susceptible de l'exonérer de sa responsabilité ;

Qu'il s'ensuit que cette société doit être déclarée responsable, sur le fondement de l'article 1231 alinéa 1er du Code civil, de l'accident dont a été victime L. B. - de sorte que sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ne saurait être admise -, de même que son assureur la compagnie Axa Assurances devenue Axa France lard ;

Attendu, en second lieu, que L. B. a également invoqué la faute qu'aurait commise D. C. dans l'exécution de ses prestations ;

Qu'à cet égard, il n'est nullement contesté que ses ouvriers travaillent dans le couloir où s'est produit la chute ; que les attestations et témoignages précités ont mis en évidence que le sol avait été maculé par des produits glissants et était encombré de divers débris rendant difficile le passage des personnes ;

Attendu que force est de constater que ce faisant, l'entrepreneur a rendu anormalement glissant le sol sur lequel avaient été répandus des produits destinés à la réfection des murs, tout en s'abstenant de signaler aux usagers la présence de tels produits ; qu'en outre, il n'a pas pris la précaution de maintenir un libre passage sécurisé pour les résidents de l'immeuble ;

Attendu que ces éléments démontrent en définitive que D. C. a commis une faute par négligence et imprudence ayant incontestablement provoqué la chute de L. B., et doit en conséquence être déclaré responsable, in solidum avec la société civile immobilière Le Bahia et la société Axa France lard, de cet accident à la réalisation duquel ces parties ont concouru, et tenu de même de réparer le dommage qui en est résulté ;

Sur le préjudice :

Attendu, sur l'existence d'un lien de causalité entre l'accident dont a été victime L. B. et le préjudice corporel dont elle demande réparation, essentiellement lié à un trouble oculaire, que le docteur Riss, sapiteur que s'est adjoint l'expert Boiselle, a conclu aux termes de son examen que « l'histoire clinique de cette patiente met en évidence l'observation d'une déchirure rétinienne apparue dans les suites d'une chute avec traumatisme cervical. Chez cette patiente myope, il ne peut être exclu que ce traumatisme ait pu entraîner l'apparition de la déchirure rétinienne » ;

Que ce médecin sapiteur a par ailleurs noté que cette déchirure avait été parfaitement contenue par laser mais qu'existait une discrète baisse d'acuité visuelle au niveau de l'œil gauche, sans toutefois d'altération notable du champ visuel ;

Qu'en l'état de ces constatations cliniques, l'expert a fixé à 4 mois la durée de l'ITT, évalué à 2,5 sur 7 le pretium doloris et fixé à 3 % le taux de l'IPP ;

Attendu qu'il résulte de cet ensemble d'éléments que la déchirure rétinienne a été admise par l'expert et le sapiteur comme une conséquence directe de la chute dont a été victime L. B. ; que le rapport d'expertise n'ayant suscité aucune critique de la part des défendeurs, il apparaît en conséquence que D. C. ne saurait valablement contester le lien de causalité ainsi consacré entre l'accident et ce préjudice ;

Attendu qu'il y a lieu dès lors d'examiner le préjudice qui est résulté de cette chute au travers des divers postes de préjudice dégagés par l'expert ;

En ce qui concerne l'ITT :

Attendu que le docteur Boiselle a retenu une incapacité temporaire totale de travail du 15 octobre 1996 au 8 mars 1997 ;

Attendu que L. B. sollicite de ce chef une indemnité de 6 097,96 euros de nature à réparer la gêne dans les actions de la vie courante subie en raison de son impossibilité de voyager en avion, de porter des objets lourds, de pratiquer des sports violents et de supporter des éclairages lumineux et intenses, avec notamment l'impossibilité de travailler sur ordinateur, ce qui l'aurait conduite à refuser un travail ;

Attendu que si la victime ne justifie pas toutefois d'une perte effective de revenus, la gêne ressentie par elle dans l'accomplissement des actes de la vie quotidienne, notamment du fait des contre-indications précitées pendant un délai de trois mois, ainsi que cela résulte du certificat médical établi par le docteur M. le 8 novembre 1996, est constitutive d'un préjudice objectif qui doit être réparé par l'allocation d'une somme forfaitaire de 2 000 euros, eu égard aux éléments d'appréciation dont le tribunal dispose ;

En ce qui concerne l'IPP :

Attendu que l'expert a fixé à 3 % le taux de l'incapacité permanente partielle résultant de l'accident en retenant les conclusions du sapiteur aux termes desquelles il existe une discrète baisse d'acuité visuelle de l'œil gauche (perte de deux dixièmes) avec un état qui s'est stabilisé à 6/10, un décollement partiel du vitré et la présence de corps flottants intra vitréens confirmée par une attestation du docteur C.-H. en date du 11 mars 2002 ;

Attendu que ce préjudice physiologique sera indemnisé, eu égard à l'âge de cette victime lors de l'accident - 60 ans - et de son état antérieur de myopie consacré par certificat du docteur L., par l'allocation d'une indemnité de 3 000 euros qui apparaît équitable ;

En ce qui concerne le pretium doloris :

Attendu que le docteur Boiselle a fixé à 2,5 sur 7 ce chef de préjudice ; que les faits de la cause révèlent que L. B. a présenté une déchirure rétinienne et une hémorragie du vitré de l'œil gauche ayant nécessité un traitement par photocoagulation laser ;

Attendu qu'au vu de ces éléments, il y a lieu d'évaluer à la somme de 2 000 euros ce chef de préjudice ;

En ce qui concerne le préjudice professionnel et d'agrément :

Attendu que L. B. réclame la somme de 15 244,90 euros à ce titre en faisant état de son impossibilité d'exercer son activité professionnelle ;

Attendu cependant que cette dernière, outre qu'elle n'indique pas la période à laquelle se rapporterait cette incapacité, ne produit aucune pièce à l'appui de ses prétentions tant en ce qui concerne sa rémunération habituelle que la réalité d'une interruption de travail effective ; que s'agissant du préjudice d'agrément, qui n'a pas été retenu par l'expert, un tel préjudice est constitué lorsque l'exercice d'activités autres que le travail ou les tâches de la vie courante, se rattachant notamment au sport et aux loisirs, est rendu impossible ou plus difficile par les conséquences d'un accident ;

Attendu qu'en l'espèce L. B. ne rapporte pas la preuve de la pratique de telles activités ; qu'elle se contente de soutenir que la réduction de son champ de vision l'empêcherait de circuler librement dans la région et de distinguer les différents billets et pièces de monnaie ; que le préjudice ainsi décrit apparaît plutôt se rattacher aux conséquences des blessures au titre de l'incapacité permanente partielle, étant toutefois précisé que l'expert n'a toutefois pas reconnu l'existence d'une altération notable du champ visuel ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de la débouter de ce chef de demande ;

En ce qui concerne les frais médicaux :

Attendu que L. B. expose qu'elle a dû s'acquitter de certains frais médicaux à hauteur de la somme de 731,76 euros (4 800 francs) ; qu'elle ne produit toutefois aucune pièce justificative au soutien d'une telle demande dont elle ne peut qu'être déboutée ;

Sur les appels en garantie :

Attendu que la société civile immobilière Le Bahia et sa compagnie d'assurances Axa ont demandé, après avoir été autorisées à le faire par jugement de ce tribunal du 25 janvier 2001, à être relevées et garanties de toutes condamnations qui pourraient être mises à leur charge par D. C. et son assureur la compagnie Aviva, laquelle n'a pas contesté cette qualité ;

Attendu, en l'espèce, qu'il est constant que dans les rapports contractuels existant entre la société Le Bahia et D. C., la faute commise par l'entrepreneur est à l'origine du dommage ;

Qu'il s'ensuit que la société Le Bahia et la compagnie Axa doivent être accueillies en leurs demandes ; qu'elles seront donc relevées et garanties par D. C. et la compagnie Aviva, in solidum, des condamnations qui viennent d'être prononcées à leur encontre ;

Sur l'exécution provisoire :

Attendu qu'eu égard à l'urgence s'attachant à l'indemnisation d'un préjudice important et certain, sans laquelle les intérêts légitimes de la victime, âgée aujourd'hui de 68 ans, seraient en péril, il apparaît opportun de faire droit à la demande d'exécution provisoire ;

Et attendu que D. C. et son assureur qui supportent la charge définitive des réparations résultant de l'accident devront supporter les entiers dépens, par application des dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par jugement contradictoire,

Ordonne la jonction des instances successivement enrôlées le 4 mai 2000 (n° 751 de l'année judiciaire 1999-2000), le 2 février 2001 (n° 425 de l'année judiciaire 2000-2001) et le 9 février 2001 (n° 426 de l'année judiciaire 2000-2001) ;

Déclare la société civile immobilière Le Bahia, la société anonyme Axa France lard et D. C. responsables de la chute survenue le 15 octobre 1996 et tenus in solidum d'en réparer intégralement les conséquences dommageables subies par L. B. ;

Les condamne in solidum à payer de ce chef à L. B. la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Condamne D. C. et la compagnie d'assurances Aviva à relever et garantir la société civile immobilière Le Bahia et la société anonyme Axa France Iard des condamnations ainsi mises à leur charge, outre intérêts et frais ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mme Vikström, subst. proc. gén. ; Mes Michel, Escaut, Pastor-Bensa, Blot, av. déf. ; Pujol, av. bar de Nice.

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