Tribunal de première instance, 25 mars 2004, Centre hospitalier Princesse Grace c/ K.

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Abstract🔗

Aliments

Devoir de secours des descendants envers les ascendants : article 174 du Code civil - Décès du père créancier d'aliments - Renonciation du fils à la succession : persistance de la dette alimentaire du fils - Action en remboursement du tiers fournisseur de prestations (CHPG) - Contre le fils : serait fondée dans les limites seulement de l'obligation alimentaire du fils vis-à-vis de son père ; mais le principe que les pensions alimentaires ne s'arréragent pas rend l'action introduite après le décès irrecevable

Hôpitaux et établissements de santé

Action directe de ceux-ci en remboursement de leurs prestations contre les débiteurs des personnes hospitalisées non prévue par le droit monégasque (V. art. 166 de l'arrêté ministériel n° 86-620 du 10 novembre 1986)

Résumé🔗

L'article 174 du Code civil pose en principe que les enfants « doivent des aliments » a leurs père et mère qui sont dans le besoin ; sur la base d'un texte similaire, la jurisprudence française a estimé que cette obligation alimentaire résulte exclusivement d'un lien familial particulièrement étroit et n'a pas de corrélation avec la dévolution de l'hérédité, de telle sorte que la renonciation du débiteur d'aliment à la succession du créancier ne peut la faire disparaître ;

Il en résulte en la cause que B. K., bien qu'ayant renoncé à la succession de son père, peut être personnellement tenu des dettes à caractère alimentaire de son ascendant, dans la mesure où l'actif successoral ne permettrait pas de les apurer ; il est admis que les tiers qui ont fourni des prestations au créancier de la pension peuvent agir en remboursement contre le débiteur alimentaire ;

En ce qui concerne les hôpitaux et établissements de santé, si la législation française organise à leur profit une action directe contre les débiteurs d'aliments des personnes hospitalisées, le droit monégasque ne prévoit rien de comparable ; à cet égard au contraire, l'article 166 de l'arrêté ministériel n° 86-620 du 10 novembre 1986 portant établissement du règlement intérieur du CHPG dispose que « les malades dont les frais d'hospitalisation ne sont pas entièrement couverts... doivent prendre personnellement l'engagement ou s'ils sont dans l'impossibilité physique de le faire, par l'intermédiaire d'un membre de la famille ou d'un tiers responsable, d'acquitter les frais de toute nature... et qui demeureront à leur charge » ;

À supposer même que B. K. soit tenu seul, à l'exclusion d'autres membres de sa famille, à l'égard du CHPG en sa qualité de débiteur d'aliments - aucun autre lien de droit n'étant au demeurant caractérisé à son encontre - sa dette ne pourrait pas excéder les limites de son obligation alimentaire vis-à-vis de son père ;

Sur ce point il est de principe que les pensions alimentaires ne s'arréragent pas ; qu'il s'ensuit que la demande portant sur les arrérages formée par le CHPG sur ce fondement alimentaire se heurte au fait qu'elle a été introduite le 18 mars 2003 après le décès du créancier d'aliments survenu le 15 juin 2002 ;


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Il est constant que M. K. a séjourné à plusieurs reprises courant 2000, 2001 et 2002 au Centre Hospitalier Princesse Grace (CHPG) puis à la Résidence du Cap Fleuri qui dépend de cet établissement de santé ;

L'Office d'Assistance Sociale (OAS) de Monaco a pris en charge une partie des frais de séjour de l'intéressé et a proposé une répartition du reliquat entre l'intéressé et sa famille ;

Le 28 septembre 2001, l'OAS a mis B. K., fils de M. K., en demeure de lui payer la somme 19 337,20 francs « correspondant à (sa) participation du 31 janvier au 31 août 2001 » ; cette demande est demeurée sans suite ; le CHPG lui a également demandé le paiement d'une facture le 18 avril 2002 et B. K., par lettre du 22 avril suivant, s'est catégoriquement opposé à cette réclamation qualifiée d'infondée ;

M. K. est décédé au CHPG le 15 juin 2002 ;

Selon déclaration faite au greffe général le 30 août 2002, B. K. a renoncé purement et simplement à la succession de son père ;

Par l'exploit susvisé du 18 mars 2003, le CHPG a fait assigner B. K. en paiement de la somme principale de 5 894,70 euros, outre intérêts à calculer selon diverses mises en demeure, et de celle de 1 400 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, sous le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Dans ses écrits judiciaires, le CHPG prétend que la famille de M. K., plus précisément son fils B., est responsable du paiement de la quote-part - mise à la charge de la famille - des factures correspondant aux séjours hospitaliers ; il s'estime en droit de réclamer ce paiement à B. K. et insiste sur le caractère incontestable de sa créance, en relevant que des factures (titres de recettes) ont été émises au nom de B. K. « compte tenu du devoir de secours » auquel il est obligé à l'égard de son père ;

Le CHPG en déduit que sa créance ne concerne pas le passif successoral de M. K. mais B. K. personnellement, en sorte que la renonciation à succession à laquelle il a procédé serait sans effet ;

B. K., pour s'opposer à ces prétentions, fait valoir que seul M. K. était débiteur des frais correspondant à ses séjours hospitaliers et que la dette de son père lors du décès est entrée dans le passif de la succession à laquelle il a renoncé, en sorte qu'il ne peut être tenu de cette dette en qualité d'héritier ;

Il s'interroge par ailleurs sur le fondement juridique de l'action du CHPG et dénie toute portée au fait que des factures ont été émises à son nom, dès lors qu'il n'a lui-même bénéficié d'aucune prestation de la part du CHPG ; il considère de même sans valeur la répartition opérée de sa seule initiative par l'OAS ; enfin, alors que les avoirs bancaires de M. K. s'élevaient à 13 306,39 euros au 31 janvier 2001, il estime que le moyen tiré du devoir de secours est « particulièrement fantaisiste » ;

Sur quoi,

Attendu que le CHPG ayant déclaré fonder sa demande sur le devoir de secours de B. K. à l'égard de son père M., il y a lieu d'examiner si les dispositions du droit monégasque applicables au litige sont de nature en l'espèce à consacrer la créance qu'il invoque ;

Attendu que l'article 174 du Code civil pose en principe que les enfants « doivent des aliments » à leurs père et mère qui sont dans le besoin ; que sur la base d'un texte similaire, la jurisprudence française a estimé que cette obligation alimentaire résulte exclusivement d'un lien familial particulièrement étroit et n'a pas de corrélation avec la dévolution de l'hérédité, de telle sorte que la renonciation du débiteur d'aliment à la succession du créancier ne peut la faire disparaître ;

Attendu qu'il en résulte en la cause que B. K., bien qu'ayant renoncé à la succession de son père, peut être personnellement tenu des dettes à caractère alimentaire de son ascendant, dans la mesure où l'actif successoral ne permettait pas de les apurer ; qu'il est admis que les tiers qui ont fourni des prestations au créancier de la pension peuvent agir en remboursement contre le débiteur alimentaire ;

Attendu qu'en ce qui concerne les hôpitaux établissements de santé, si la législation française organise à leur profit une action directe contre les débiteurs d'aliments des personnes hospitalisées, le droit monégasque ne prévoit rien de comparable ; qu'à cet égard au contraire, l'article 166 de l'arrêté ministériel n° 86-620 du 10 novembre 1986 portant établissement du règlement intérieur du CHPG dispose que « les malades dont les frais d'hospitalisation ne sont pas entièrement couverts... doivent prendre personnellement l'engagement, ou s'ils sont dans l'impossibilité physique de le faire, par l'intermédiaire d'un membre de la famille ou d'un tiers responsable, d'acquitter les frais de toute nature... et qui demeureront à leur charge » ;

Attendu qu'à supposer même que B. K. soit tenu seul, à l'exclusion d'autres membres de sa famille, à l'égard du CHPG en sa qualité de débiteur d'aliments - aucun autre lien de droit n'étant au demeurant caractérisé à son encontre - sa dette ne pourrait pas excéder les limites de son obligation alimentaire vis-à-vis de son père ;

Attendu sur ce point qu'il est de principe que les pensions alimentaires ne s'arréragent pas ; qu'il s'ensuit que la demande portant sur des arrérages formée par le CHPG sur ce fondement alimentaire se heurte au fait qu'elle a été introduite le 18 mars 2003 après le décès du créancier d'aliments survenu le 15 juin 2002 ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de débouter le CHPG de ses prétentions principales ; que sa demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive doit également être rejetée dès lors qu'il n'est pas fait droit à son action ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement,

Déboute le Centre hospitalier Princesse Grace de l'ensemble de ses demandes.

Composition🔗

M. Narmino prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. Mes Rey av. déf. ; Giaccardi av ; Geay av. bar. de Nice.

Note🔗

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2005, n° 7, p. 277 à 279.

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