Tribunal de première instance, 6 mars 2003, Park Palace, sis à Monaco c/ société Legadel

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Procédure civile

Exceptions dilatoires - Appel en garantie : art. 267 du CPC - Invocation après toute défense au fond : irrecevabilité

Obligations

Action Oblique : art. 1021 du C.C. - Substitution au droit d'appel en garantie du défendeur - Irrecevabilité : renonciation du défenseur à ce droit - Créance incertaine du demandeur

Résumé🔗

I. Sur l'exception d'appel en garantie présentée par la société SOCOTEC

L'article 267 du Code de procédure civile dispose que celui qui prétendra avoir le droit d'appeler en garantie devra requérir délai à cet effet avant toute défense au fond ;

La société SOCOTEC a conclu le 17 mars 1999 pour s'opposer aux demandes formées contre elle ; qu'elle a invoqué à cette occasion la prescription de l'action et a discuté à titre subsidiaire tant l'existence d'un quelconque vice caché que les conclusions de l'expert relatives à sa propre responsabilité ; qu'elle s'est ainsi défendue sur le fond même du litige ;

Son exception dilatoire n'a été présentée qu'après cette défense au fond ; qu'aucune demande nouvelle n'a été présentée contre la société SOCOTEC sur laquelle elle ne serait pas encore expliquée au jour de son exception ; que cette exception doit en conséquence être déclarée irrecevable ;

II. Sur la demande présentée par les demandeurs principaux

Ces demandeurs ne soulèvent pas une nouvelle exception dilatoire, mais entendent seulement se substituer à la société Legadel pour exercer son droit, conféré par le précédent jugement du 18 novembre 1999, d'appeler certaines parties en garantie ;

Mais si l'article 1021 du Code civil permet bien à un créancier d'exercer les droits et actions de son débiteur, ce droit ne peut s'appliquer qu'à ceux qui sont encore actuels ;

Toute personne peut toujours renoncer aux droits déjà nés dont elle a la libre disposition, même si ce droit lui a été reconnu par un titre, notamment un jugement ;

La société Legadel a clairement indiqué dans ses conclusions du 6 janvier 2000 que « comme déjà exposé au Tribunal par courrier du 10 décembre 1999 dont copie - annexée aux présentes - a été transmise à tous les Avocats-défenseurs sus-énoncés, elle renonce à appeler quiconque en garantie suite à la procédure initiée par les demandeurs susvisés » ;

Cette renonciation est expresse et ne comporte ni restriction, ni condition ; qu'il en ressort que la société Legadel a définitivement perdu le droit d'appeler en garantie que lui avait reconnu le jugement ;

L'action oblique exercée par les demandeurs a donc perdu tout objet de sorte qu'ils sont dépourvus d'intérêts à agir ;

En outre le droit prévu à l'article 1021 du Code civil n'est ouvert qu'aux personnes pouvant justifier d'une créance à la fois certaine, liquide et exigible ;

Attendu que la demande doit en conséquence être déclarée irrecevable ; il appartient, le cas échéant, au syndicat et aux copropriétaires d'envisager la mise en œuvre de l'action directe reconnue à la victime d'un préjudice envers l'assureur de la personne responsable, si les conditions en sont remplies.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Se plaignant de désordres affectant des garde-corps destinés à ceinturer diverses terrasses, le syndicat principal des copropriétaires de l'immeuble dénommé Park Palace, sis à Monaco, (ci-après le syndicat), a saisi le Juge des référés qui a ordonné, le 28 juillet 1994, au contradictoire de la société Legadel, constructeur de l'immeuble, une mesure d'expertise confiée à André Akerib ;

Par de nouvelles ordonnances des 16 février 1995 et 21 février 1996, l'expertise a été rendue commune à diverses personnes étant intervenues dans la construction :

• les architectes J. et J. N. et leur assureur, la compagnie UAP,

• N. et N. L. M., architectes,

• la société Thinet Côte d'Azur, entreprise tous corps d'état,

• son sous-traitant pour la fourniture et la fixation des garde-corps métalliques sur les acrotères en béton armé, la société Alsco Constral,

• la société COTEBA Management, coordinateur du chantier,

• la société SOCOTEC, bureau de contrôle ;

L'expert a déposé le 10 octobre 1996 un rapport par lequel il exposait :

• que le sinistre résultait d'une protection insuffisante des montants-forts du fait d'une galvanisation inadaptée,

• qu'il pouvait être imputable :

  • à la société Alsco Constral en tant que fournisseur du matériau inadapté et responsable d'une faute d'exécution constituée par le défaut de protection des soudures,

  • à la société Thinet, engagée par le fait de son sous-traitant, et en outre pour avoir favorisé la corrosion des équipements en cause et ne pas avoir fait de réserve,

  • aux architectes, faute pour eux d'avoir envisagé une vérification en laboratoire, et en raison d'une mauvaise direction du chantier et d'un défaut de conception qui rendait inaccessible la zone litigieuse, empêchait la perception normale de la corrosion et ne permettait pas un entretien normal des montants-forts,

  • à la société SOCOTEC, en raison de l'absence de réserve de sa part et pour ne pas avoir envisagé une vérification en laboratoire ;

Statuant toujours en référé le 28 mai 1997, le juge a autorisé le syndicat à faire procéder, à ses frais avancés, aux travaux de réfection préconisés par l'expert ;

Suivant l'exploit susvisé du 15 mai 1998, le syndicat et les divers copropriétaires déjà énumérés en tête du jugement ont fait assigner devant le Tribunal la société Legadel, la société Thinet Côte d'Azur, J. N., les héritiers de J. N., décédé, et la société SOCOTEC (instance n° 938 de l'année judiciaire 1997-1998) pour demander, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

• que ces défendeurs soient déclarés garants du vice caché qui affectait les montants-forts des garde-corps,

• qu'ils soient condamnés à leur rembourser le coût intégral des travaux de réparation, soit 2 806 034,10 francs toutes taxes comprises, et à leur payer la somme d'un million de francs à titre de dommages-intérêts ;

À la suite du décès de J. N., les demandeurs ont fait assigner ses héritiers en reprise d'instance en vertu de l'exploit susvisé du 16 novembre 1998 (instance n° 235 de l'année judiciaire 1998-1999) ;

La société Thinet Côte d'Azur et la société Legadel ont soulevé des exceptions d'appel en garantie ;

Par jugement du 18 novembre 1999, le Tribunal a :

• ordonné la jonction des deux instances,

• rejeté l'exception présentée par la société Thinet Côte d'Azur, au motif qu'elle n'était appuyée sur aucun fondement juridique,

• fait partiellement droit à l'exception soutenue par la société Legadel en l'autorisant à appeler en garantie la société Thinet Côte d'Azur, les héritiers de J. N., ceux de J. N., la société SOCOTEC, N. et N. L. M. et la compagnie UAP ;

La société Legadel a cependant fait connaître par un courrier du 10 décembre 1999, puis par des conclusions du 6 janvier 2000, qu'elle renonçait, « compte tenu de l'ampleur des frais d'huissier à avancer », à procéder à ces appels en garantie ;

Dans ses conclusions du 12 avril 2000, auxquelles se sont substituées des écritures qualifiées de « rectificatives » du 6 juillet 2000, la société SOCOTEC a à son tour sollicité l'autorisation d'appeler en garantie ses codéfendeurs ;

Les demandeurs ont conclu le 17 janvier 2001 à l'irrecevabilité de cette exception dilatoire, selon eux présentée d'une façon non conforme à l'article 267 du Code de procédure civile ;

Un débat s'est ensuite ouvert sur la recevabilité des demandes principales formées par le syndicat et les copropriétaires qui lui sont unis d'intérêt :

  • les défendeurs ont tous fait valoir que l'action est prescrite en raison de l'écoulement du délai de 10 ans prévu à l'article 1630 du Code civil et qu'il n'est pas démontré l'existence d'une faute lourde susceptible de justifier une action en responsabilité fondée sur le droit commun ;

  • les demandeurs ont précisé qu'ils entendaient agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, soumise à la prescription trentenaire ;

Cependant, les demandeurs ont demandé le 17 octobre 2002 au Tribunal de dire qu'ils étaient « fondés à exercer » l'appel en garantie auquel avait renoncé la société Legadel ;

Ils font valoir que la société Legadel est totalement insolvable et que sa carence à appeler en garantie la compagnie UAP, assureur du chantier au titre d'une police « Globale Chantier », risque de leur être préjudiciable ; ils fondent leur demande sur les dispositions de l'article 1021 du Code civil, qui permet en principe à tout créancier d'exercer les droits et actions de leur débiteur ;

La société Legadel ne s'est pas exprimée sur cette demande ; les défendeurs s'en rapportent à justice sur son mérite ;

Sur quoi,

I. Sur l'exception d'appel en garantie présentée par la société SOCOTEC

Attendu que l'article 267 du Code de procédure civile dispose que celui qui prétendra avoir le droit d'appeler en garantie devra requérir délai à cet effet avant toute défense au fond ;

Attendu que la société SOCOTEC a conclu le 17 mars 1999 pour s'opposer aux demandes formées contre elle ; qu'elle a invoqué à cette occasion la prescription de l'action et a discuté à titre subsidiaire tant l'existence d'un quelconque vice caché que les conclusions de l'expert relatives à sa propre responsabilité ; qu'elle s'est ainsi défendue sur le fond même du litige ;

Attendu que son exception dilatoire n'a été présentée qu'après cette défense au fond ; qu'aucune demande nouvelle n'a été présentée contre la société SOCOTEC sur laquelle elle ne se serait pas encore expliquée au jour de son exception ; que cette exception doit en conséquence être déclarée irrecevable ;

II. Sur la demande présentée par les demandeurs principaux

Attendu que ces demandeurs ne soulèvent pas une nouvelle exception dilatoire, mais entendent seulement se substituer à la société Legadel pour exercer son droit, conféré par le précédent jugement du 18 novembre 1999, d'appeler certaines parties en garantie ;

Mais attendu que si l'article 1021 du Code civil permet bien à un créancier d'exercer les droits et actions de son débiteur, ce droit ne peut s'appliquer qu'à ceux qui sont encore actuels ;

Attendu que toute personne peut toujours renoncer aux droits déjà nés dont elle a la libre disposition, même si ce droit lui a été reconnu par un titre, notamment un jugement ;

Attendu que la société Legadel a clairement indiqué dans ses conclusions du 6 janvier 2000 que « comme déjà exposé au Tribunal par courrier du 10 décembre 1999 dont copie - annexée aux présentes - a été transmise à tous les Avocats-Défenseurs sus-énoncés, elle renonce à appeler quiconque en garantie suite à la procédure initiée par les demandeurs susvisés » ;

Attendu que cette renonciation est expresse et ne comporte ni restriction, ni condition ; qu'il en ressort que la société Legadel a définitivement perdu le droit d'appeler en garantie que lui avait reconnu le jugement ;

Attendu que l'action oblique exercée par les demandeurs a donc perdu tout objet de sorte qu'ils sont dépourvus d'intérêt à agir ;

Attendu en outre que le droit prévu à l'article 1021 du Code civil n'est ouvert qu'aux personnes pouvant justifier d'une créance à la fois certaine, liquide et exigible ;

Attendu que la créance des demandeurs est loin d'être certaine puisqu'elle est contestée dans son principe même par l'ensemble des défendeurs ; que les demandeurs sont donc également privés de qualité à agir ;

Attendu que la demande doit en conséquence être déclarée irrecevable ; qu'il appartient, le cas échéant, au syndicat et aux copropriétaires d'envisager la mise en œuvre de l'action directe reconnue à la victime d'un préjudice envers l'assureur de la personne responsable, si les conditions en sont remplies ;

Et attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens de l'instance, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ; que la société SOCOTEC et les demandeurs principaux devront respectivement prendre la charge des dépens liés à leurs demandes ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement par mesure d'instruction,

Déclare irrecevable l'exception dilatoire d'appel en garantie présentée par la société SOCOTEC ;

Déclare irrecevable la demande présentée par le syndicat des copropriétaires du Park Palace, L. M., les sociétés Rabarwert, ICATEXC EST., Finance Corp. Pro Agra Inc, Emka Properties Inc, Imfin Park Palace, M. F. F. et l'indivision constituée entre M. S., H. D., B. D., H. D. et D. D., tendant à ce qu'ils soient autorisés à exercer par voie oblique le droit d'appeler en garantie conféré à la société Legadel par le jugement de ce Tribunal en date du 18 novembre 1999 ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du mercredi 9 avril 2003 à 9 heures ;

Condamne la société SOCOTEC aux dépens liés à son exception dilatoire, avec distraction au profit de Maître Didier Escaut, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit ;

Composition🔗

M. Narmino prés. ; Mlle Lelay prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut, Palmero, Brugnetti av. déf.

  • Consulter le PDF