Tribunal de première instance, 16 mai 2002, R. c/ B. et Cie d'assurances MPF

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Abstract🔗

Accident du travail

Consolidation d'une blessure - Définition - Non-contradiction entre nouvelles prolongations d'arrêt de travail et constatation de la consolidation

Résumé🔗

La consolidation d'une blessure est définie par l'article 4 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 comme l'état dans lequel la victime se trouve soit complètement guérie, soit définitivement atteinte d'une incapacité permanente. Elle doit être constatée dès le moment où, même si une évolution de l'état de santé n'est pas exclue, cet état n'apparaît pas susceptible d'être amélioré d'une façon appréciable et rapide par un traitement médical approprié.

Le docteur Cohen propose de fixer la consolidation à la date du 5 juillet 2000. Il paraît avoir retenu la date de ses opérations d'expertise. Le docteur V., dont la demanderesse produit un rapport présenté comme « contre-expertise », écrit lui-même que les conclusions du docteur Cohen, en ce qui concerne les périodes d'incapacité, la date de reprise du travail et la date de consolidation, ne sont pas contestables.

Il est vrai que le 5 juillet 2000, le docteur C., cité par l'expert, sollicitait l'avis du docteur L., neurochirurgien, au sujet de l'opportunité d'une intervention chirurgicale. Cependant il admettait lui-même qu'une telle intervention serait sans effet sur les douleurs persistantes. C. R. ne produit pas la réponse du docteur C. Aucune perspective d'amélioration appréciable n'apparaissait donc à ce moment.

Le fait que le docteur B. ait, postérieurement au 5 juillet 2000, prescrit de nouvelles prolongations d'arrêt de travail, n'est pas contradictoire avec la constatation de la consolidation.

Il n'y a donc pas lieu à une nouvelle expertise. Il convient au contraire d'homologuer le rapport du docteur Cohen en ce qui concerne la date de consolidation et les périodes d'incapacité temporaire.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

C. R., employée en tant qu'assistante par F. B., expert-comptable, a été victime le 29 janvier 1999 d'un accident de la circulation alors qu'elle se rendait sur les lieux de son travail : circulant à scooter, elle a été percutée par un autre véhicule que pilotait M. B. ;

Après avoir repris le travail, elle a été licenciée le 31 août 1999, avec effet au 30 septembre 1999, au motif d'une faute professionnelle ;

Par ordonnance du 16 juin 2000, le Juge chargé des accidents du travail a ordonné une expertise médicale confiée au docteur Marc Cohen ;

Ce praticien a déposé le 16 août 2000 un rapport aux termes duquel il estimait :

  • que les prolongations de soins prescrites par le médecin traitant pour des périodes postérieures au 2 septembre 1999 étaient rattachables à l'accident et devaient être prises en charge par l'assureur-loi de l'employeur ;

  • que la durée de l'incapacité temporaire des soins s'était étendue du 3 février au 5 avril 1999, puis du 6 avril au 4 juillet 1999, avec une reprise du travail à mi-temps le 6 avril 1999 et à temps complet le 5 juillet 1999 ;

  • que la consolidation de l'état de la victime était intervenue le 5 juillet 2000 ;

C. R. ayant refusé de s'accorder sur ces conclusions, le Juge renvoyait l'affaire devant le Tribunal suivant ordonnance de non-conciliation du 5 octobre 2000 ;

Par l'exploit susvisé du 3 septembre 2001, C. R. faisait assigner tant F. B. que son assureur-loi, la compagnie Mutuelle des Provinces de France Assurances (MPF Assurances), pour demander l'organisation d'une nouvelle expertise ;

Après avoir soulevé une exception de communication de pièces, les défendeurs y ont renoncé dans leurs conclusions du 20 février 2002 et ont demandé l'homologation du rapport de l'expert Cohen ;

C. R. reproche au docteur Cohen :

  • une inexactitude sur la date même de son rapport alors que l'expert fait état d'un courrier médical postérieur au 4 juillet 2000 ;

  • des inexactitudes sur la cylindrée du scooter qu'elle pilotait lors de l'accident et sur les circonstances mêmes de l'accident, faisant abstraction de sa chute ;

  • des omissions et inexactitudes sur les circonstances de son arrêt de travail initial et de sa sortie de l'hôpital ;

  • une erreur sur l'existence d'une perte de salaire ;

  • une mauvaise appréciation sur le caractère congénital ou traumatique d'une fracture de l'isthme gauche de la 5e vertèbre lombaire et sur l'existence même d'une consolidation de son état ;

  • l'omission de mentionner les lésions subies au côté droit ;

  • l'omission de se prononcer sur l'existence d'une incapacité permanente partielle ;

Les défendeurs répondent que les trois premiers points critiqués ne peuvent avoir aucune incidence sur les conclusions de l'expert, que ni la question d'une perte de salaire ni celle d'une éventuelle incapacité permanente partielle n'entraient dans sa mission et qu'aucune critique fondamentale ne lui est faite au sujet de la fracture, alors qu'il n'a pas contesté l'activité sportive antérieure de la victime ;

Sur quoi :

Attendu qu'il ressort du dossier que la compagnie MPF Assurances a fait connaître le 24 mars 2000 au Juge chargé des accidents du travail ses propositions d'indemnisation ; qu'elle offrait de prendre en charge une période d'incapacité temporaire courant jusqu'au 2 juillet 1999 et de servir une rente calculée sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % ;

Que C. R. a écrit le 26 avril 2000 au Juge pour lui indiquer qu'elle subissait toujours des soins et qu'elle avait retrouvé un emploi depuis son licenciement ; elle demandait également si elle pouvait « bénéficier de la commission spéciale » ;

Que l'assureur-loi a ensuite déclaré le 13 juin 2000 qu'il maintenait sa position « quant à la prise en charge de l'accident du travail jusqu'au 2 septembre 1999, date fixée par notre médecin-conseil » ;

Attendu qu'en l'état de cette discussion, le Juge a donné mission au docteur Cohen de :

  • dire si les prolongations de soins prescrites par le médecin traitant de la victime postérieures au 2 septembre 1999 sont rattachables à l'accident et doivent être prises en charge par l'assureur-loi ;

  • déterminer le cas échéant la durée des soins et de l'incapacité temporaire totale qui en est résultée ainsi que la date de reprise du travail ;

  • dire si la victime peut être considérée comme consolidée et, si oui, à quelle date ;

Que C. R. a contesté les conclusions de l'expert relatives à la consolidation en produisant deux certificats de prolongation d'arrêt de travail établis par son médecin traitant, le docteur B. ;

Attendu que la recherche d'une éventuelle incapacité permanente partielle consécutive à l'accident n'a pas alors été envisagée par le Juge qui ne l'a pas incluse dans la mission confiée à l'expert Cohen ; qu'à ce stade de la procédure, l'office du Tribunal se limite à la discussion relative à la période durant laquelle les soins dispensés à la victime doivent être rattachés à l'accident et être en conséquence pris en charge par l'assureur-loi ;

Attendu que le docteur Cohen a déposé son rapport le 16 août 2000 ; qu'il présente la date du 4 juillet 2000 comme celle de l'ouverture de ses opérations d'expertise ; que le fait qu'il n'ait pas ensuite précisé la date de la rédaction de son rapport est sans incidence sur la valeur probante de ses constatations ; que cette date se situe nécessairement entre le 5 juillet 2000, date de la lettre du docteur C. dont il fait état, et celle de son dépôt au greffe ; que le rapport n'est donc entaché d'aucune contradiction sur la date de son établissement ;

Attendu que les prétendues erreurs ou omissions relatives à la cylindrée du cyclomoteur et aux circonstances de l'accident sont manifestement sans incidence sur la détermination des périodes d'arrêt de travail et d'incapacité temporaire ; qu'il en va de même des indications relatives au salaire perçu entre le 6 avril et le 4 juin 1999, étrangères à l'appréciation médicale demandée à l'expert ;

Attendu que le certificat du docteur F. P. se borne à indiquer qu'il a examiné le 29 janvier 1999 la victime qui se plaignait d'une douleur au sacrum ; que ce document ne permet pas de considérer que l'état d'incapacité temporaire existait dès cette date, alors qu'il n'a été constaté qu'à partir du 3 février 1999 lorsque le docteur B. a prescrit à la fois un arrêt de travail et une hospitalisation ;

Attendu que la critique relative aux circonstances dans lesquelles la victime a quitté l'hôpital le 13 février 1999 est tout aussi inopérante ; que l'expert se borne à indiquer qu'elle a pu alors regagner son domicile, ce qui signifie simplement que son médecin traitant a estimé que l'hospitalisation n'était plus nécessaire ; que le fait qu'elle ait dû être transportée à son domicile par une ambulance ou un véhicule sanitaire n'est pas contraire à cette affirmation ;

Attendu que la discussion instaurée au sujet de l'origine congénitale ou traumatique de la fracture de l'isthme gauche de la 5e vertèbre lombaire est sans utilité dans le cadre de la présente instance puisqu'elle n'intéresse que la détermination d'une éventuelle incapacité permanente partielle qui n'entre pas dans le champ d'appréciation soumis au Tribunal ;

Attendu que l'expert n'a nullement limité ses recherches au côté gauche, mais a envisagé de façon globale les conséquences des atteintes vertébrales ; que le côté gauche est le seul siège des séquelles observées ; que les documents médicaux produits par C. R. ne font d'ailleurs pas état de séquelles atteignant le membre inférieur droit ; que l'électromyogramme pratiqué le 1er avril 1999 évoque seulement de discrets signes d'atteinte neurogène périphérique dans le territoire des fibres des racines contro-latérales droites ; que là encore la discussion concerne essentiellement la détermination d'une incapacité permanente partielle ;

Attendu en revanche qu'un débat peut être instauré au sujet de la consolidation de l'état de santé de la victime ;

Attendu que la consolidation d'une blessure est définie par l'article 4 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 comme l'état dans lequel la victime se trouve soit complètement guérie, soit définitivement atteinte d'une incapacité permanente ; qu'elle doit être constatée dès le moment où, même si une évolution de l'État de santé n'est pas exclue, cet état n'apparaît pas susceptible d'être amélioré d'une façon appréciable et rapide par un traitement médical approprié ;

Attendu que le docteur Cohen propose de fixer la consolidation à la date du 5 juillet 2000 ; qu'il paraît avoir retenu la date de ses opérations d'expertise ; que le docteur V., dont la demanderesse produit un rapport présenté comme « contre-expertise », écrit lui-même que les conclusions du docteur Cohen, en ce qui concerne les périodes d'incapacité, la date de reprise du travail et la date de consolidation, ne sont pas contestables ;

Attendu qu'il est vrai que le 5 juillet 2000, le docteur C. cité par l'expert, sollicitait l'avis du docteur L., neurochirurgien, au sujet de l'opportunité d'une intervention chirurgicale ; que cependant il admettait lui-même qu'une telle intervention serait sans effet sur les douleurs persistantes ; que C. R. ne produit pas la réponse du docteur C. ; qu'aucune perspective d'amélioration appréciable n'apparaissait donc à ce moment ;

Attendu que le fait que le docteur B. ait, postérieurement au 5 juillet 2000, prescrit de nouvelles prolongations d'arrêt de travail, n'est pas contradictoire avec la constatation de la consolidation ;

Attendu qu'il n'y a donc pas lieu à une nouvelle expertise ; qu'il convient au contraire d'homologuer le rapport du docteur Cohen en ce qui concerne la date de consolidation et les périodes d'incapacité temporaire ;

Attendu que l'assureur-loi sera en conséquence tenu :

  • de servir les indemnités journalières relatives aux périodes d'arrêt de travail ;

  • de supporter l'ensemble des frais médicaux consécutifs à l'accident exposés jusqu'au 5 juillet 2000 ;

Qu'il doit être rappelé que même pour la période postérieure, ces frais restent à la charge de l'assureur-loi conformément à l'article 10 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ;

Qu'il appartient aux parties de poursuivre leur débat devant le Juge chargé des accidents du travail en ce qui concerne la fixation de la rente éventuellement due au titre de l'incapacité permanente partielle ; que C. R. conserve en outre le droit de demander réparation des autres chefs de préjudice à l'auteur de l'accident suivant les règles du droit commun, conformément à l'article 13 de la loi n° 636 précitée ;

Et attendu qu'en vertu de l'article 231 du Code de procédure civile, les dépens doivent incomber à la partie qui succombe ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS ;

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Vu le rapport d'expertise déposé le 16 août 2000 par le docteur Marc Cohen,

Dit n'y avoir lieu à nouvelle expertise ;

Dit que l'accident de trajet subi le 29 janvier par C. R. a occasionné les conséquences suivantes :

  • incapacité temporaire totale du 3 février au 5 avril 1999,

  • incapacité temporaire partielle à 50 % du 6 avril au 4 juillet 1999,

  • consolidation au 5 juillet 2000 ;

Dit que la compagnie Mutuelle des Provinces de France Assurances, substituée à l'employeur F. B., sera tenue de prendre en charge tous les soins et traitements dispensés en raison de l'accident à C. R. jusqu'au 5 juillet 2000, sans préjudice de tous soins ultérieurs, ainsi que les indemnités journalières correspondant aux arrêts de travail prescrits durant cette période ;

Renvoie les parties à régler devant le Juge chargé des accidents du travail les autres conséquences pécuniaires de l'accident, notamment celles relatives à l'incapacité permanente partielle.

Composition🔗

MM. Narmino, prés. ; Fougeras-Lavergnolle, juge suplt f.f. subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla et Brugnetti, av. déf. ; Bouhnik-Lavagna, av.

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