Tribunal de première instance, 14 février 2002, F. c/ Société P. et Cie, P., R.

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Projet de contrat suivi d'effet - Réalisation du contrat sans la participation de l'un des partenaires du projet - Action de ce dernier contre les contractants

- Fondement : non contractuel en l'absence de promesse de contrat et d'avant contrat - délictuel si la preuve d'un abus de droit de la part des contractants est rapportée (non)

Contrats et obligations

Cause illicite : prohibée par la loi, contraire à l'ordre public frauduleuse : non établie - Nullité de l'obligation : demandée valablement par tout intéressé, tiers au contrat, infondée

Résumé🔗

D. F. fonde exclusivement sa demande sur les dispositions de l'article 1229 du Code civil relatif à la responsabilité délictuelle.

Il en résulte nécessairement que la faute qu'il impute à ses adversaires ne résulte pas de l'inexécution d'une convention. Il découle des limites du procès ainsi fixées par D. F. lui-même qu'il n'invoque pas un engagement opposable à ses adversaires de constituer avec lui une société. Il n'y a pas lieu de rechercher si les parties étaient liées par une promesse de société ou tout autre avant-contrat.

F. G., F. P. et P. R. restaient donc en principe libres de conclure entre eux un contrat de société sans que D. F. en soit partie.

Il appartient seulement au Tribunal d'examiner s'ils ont commis un abus dans l'exercice de ce droit. Il incombe à D. F. de rapporter la preuve de circonstances particulières susceptibles de caractériser cet abus.

D. F. ne peut pas soutenir que le contrat de société tendait à le spolier des bénéfices d'un projet dont il aurait été l'initiateur ou le principal auteur. Il ne bénéficiait d'aucun droit analogue à un droit de propriété intellectuelle.

Il n'est pas davantage établi que ses partenaires l'aient déloyalement écarté du projet après l'avoir amené à exposer des efforts ou des dépenses importants.

La rupture des relations entre les parties est fondée sur des motifs sérieux et ne présente pas un caractère abusif. Les défendeurs n'ont pas à cette occasion commis de faute et n'ont pas engagé leur responsabilité à l'égard de D. F..


Motifs🔗

Le Tribunal,

Au cours de l'année 1998, D. F., F. G., F. P. et P. R. ont formé le projet d'ouvrir à Monaco un « café-brasserie » ; le 20 janvier 1999 le Gouvernement Princier a émis un avis favorable à la création de ce commerce et à son exploitation dans des locaux domaniaux ;

Le Gouvernement a refusé l'autorisation de constituer dans ce but une société anonyme monégasque et a préconisé la constitution d'une société en commandite simple ;

Cette société a finalement été constituée le 2 juin 1999, sous la dénomination « SCS F. P. et Cie » entre les seuls F. G., F. P. et P. R. ;

Suivant l'exploit susvisé du 30 septembre 1999, D. F. exposait qu'il avait été fautivement évincé de ce projet et il faisait assigner la société F. P. et Cie, F. G., F. P. et P. R. en demandant au Tribunal de :

  • dire et juger que la convention de société conclue le 2 juin 1999 était entachée de fraude et prononcer son annulation pour illicéité de sa cause ;

  • prononcer la dissolution de la société F. P. et Cie et désigner tel liquidateur qu'il appartiendra ;

  • condamner in solidum F. G., F. P. et P. R. à lui payer la somme de trois millions de francs à titre de dommages-intérêts ;

Par des conclusions du 17 mai 2000 il maintenait ces prétentions et sollicitait en outre l'annulation et le rejet des débats de l'attestation établie par M. P., produite par ses adversaires sous le n° 4 de leur dossier ;

Dans ses écritures déposées le 6 février 2001 il demandait encore l'annulation et le rejet de leurs attestations cotées sous les n° 12 et 13 ;

Lors de l'audience de plaidoirie son conseil a présenté oralement une demande additionnelle et subsidiaire tendant à l'organisation d'une expertise en vue de l'évaluation de son préjudice ;

La société F. P. et Cie, F. P. et P. R. concluaient ensemble le 19 janvier 2000 pour s'opposer aux demandes formées contre eux et solliciter la condamnation de D. F. à leur payer la somme de 30 000 francs « au titre des frais irrépétibles » ;

Modifiant leur demande reconventionnelle dans leurs conclusions des 25 octobre 2000 et 21 mars 2001, ils prétendaient avoir subi un préjudice et sollicitaient la condamnation de leur adversaire au paiement de la somme de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

F. G. concluait séparément les 15 mars 2000 et 15 novembre 2000 à l'irrecevabilité et subsidiairement au mal fondé de l'action de D. F. ; il demandait sa condamnation à lui verser une indemnité de 200 000 francs ;

Dans ses dernières conclusions du 25 avril 2001 il élevait sa demande de dommages-intérêts à 300 000 francs ;

Les prétentions et arguments des parties peuvent être ainsi présentés :

Sur la nullité des pièces cotées 4, 12 et 13 :

  • D. F. fait valoir que ces pièces ne respectent pas les conditions de forme exigées par les chiffres 3°, 4° et 5° de l'article 324 du Code de procédure civile ;

Sur le rôle respectif des parties dans le projet :

  • D. F. prétend avoir été le « leader » ou la « cheville ouvrière » du groupe : ses futurs associés le laissaient agir et il faisait seul avancer le projet, entrant lui-même en relation avec un architecte-décorateur parisien (le cabinet Sunhill), un architecte monégasque (B.) et un bureau d'étude (INGETEC) pour concevoir et réaliser la brasserie, il signait les contrats et recevait la plupart des courriers provenant des corps de métier sollicités ;

  • F. G. conteste les affirmations de son adversaire ; il explique que les parties, sans avoir signé aucun pacte social, avaient envisagé de constituer une société dont les modalités n'avaient pas été définies ; seul l'objet du projet avait été déterminé, chaque participant devant apporter 500 000 francs libérés au plus tard à la réception de l'accord de l'administration des domaines en vue de la location de locaux ;

  • la société F. P. et Cie, F. P. et P. R. évoquent un projet « établi à quatre » ; ils précisent que F. P. et P. R. y avaient déjà travaillé dès avant l'intervention de F. et qu'ils ont ensuite effectué comme lui des démarches, ont participé à des négociations et ont été les interlocuteurs de l'architecte, du bureau d'études et de l'expert-comptable ; ils refusent toute valeur probante au fait que D. F. a seul discuté avec l'architecte-décorateur alors que ce dernier était un de ses amis à l'égard duquel ils ne s'estimaient pas eux-mêmes liés et que cette initiative a d'ailleurs entraîné un retard et des frais inutiles ; au sujet de F. G., ils indiquent que celui-ci avait été chargé d'un commun accord d'assurer des tâches administratives ;

  • D. F. relève une contradiction dans ces différentes explications quant à l'existence ou non d'une promesse de société ; il admet quant à lui qu'aucun acte de promesse de société n'a été formellement signé, mais relève qu'il est « patent et reconnu » qu'il devait être associé dans la future société puisque c'est à ce titre que la somme de 500 000 francs était exigée de lui ;

Sur l' « éviction » de D. F. :

  • F. G. soutient que D. F., une fois l'accord de l'administration des Domaines obtenu, à d'abord refusé de s'acquitter de sa participation de 500 000 francs, puis a remis un chèque « d'atermoiement » qui s'est révélé dépourvu de provision avant de faire opposition à son paiement en déclarant faussement à la banque que ce chèque lui avait été volé ; il en déduit que ses trois partenaires étaient en droit de l'exclure « du fait de l'inexécution de ses propres obligations » ;

  • avec lui la société F. P. et Cie, F. P. et P. R. insistent sur les principes fondamentaux de la liberté précontractuelle et notamment le droit de chaque partenaire de rompre des pourparlers lorsque la négociation s'enlise ou révèle une divergence de vue persistante ; selon eux la jurisprudence n'admet les prétentions des partenaires évincés qu'en cas de mauvaise foi, de dol ou de rupture brutale sans motif sérieux ; ils estiment que la rupture est imputable au seul F. dont le comportement a montré l'inaptitude à entretenir des relations de coopération et de confiance : omission de verser la participation de 500 000 francs convenue, retard apporté à la communication des documents administratifs nécessaires à la constitution de la société, attitude dirigiste et initiatives intempestives ou non concertées au sujet de l'avancée des travaux et du choix des prestataires de service, dissimulation de la procédure de redressement judiciaire intéressant la société française Pacifique Espace gérée par lui dont la mention au registre du commerce n'a été radiée qu'en mai 1999 ; en conséquence sa carence financière persistante, le risque de voir l'administration des Domaines retirer son accord, la perte de la confiance placée en lui et finalement l'absence d'affectio societatis à son égard justifiaient son exclusion ;

  • D. F. répond :

  • qu'il est erroné d'invoquer de simples pourparlers alors que « le projet était abouti et les négociations contractuelles très avancées » et qu'il y a manquement aux règles de la bonne foi dans les relations commerciales dans le fait de rompre sans raison légitime, brutalement et unilatéralement des pourparlers déjà avancés avec un partenaire dont on sait qu'il a engagé de gros frais et de le maintenir volontairement dans une incertitude prolongée,

  • que son attitude a été constructive et prépondérante et qu'il ne voit pas quels documents administratifs il se serait abstenu de fournir,

  • que le paiement de la somme de 500 000 francs, envisagé seulement dans la perspective de la conclusion d'une société anonyme monégasque dont le capital minimal doit légalement être de deux millions de francs, est devenu sans objet dès lors que seule une simple société en commandite simple a été autorisée ; il fait observer que le capital de la société F. P. et Cie est limité à 120 000 euros, soit 787 148,40 francs,

  • qu'il n'a jamais failli à ses obligations et que son éviction ne résulte que de la volonté délibérée des autres participants au projet,

  • que leur mauvaise foi résulte selon lui du fait qu'ils ne se sont inquiétés qu'en juillet 1999, soit un mois après la constitution de la société, de la couverture de son chèque, ce qui constituerait « un stratagème grossier pour tenter de se constituer après coup une pseudo justification de l'exclusion »,

  • que ce chèque aurait été honoré s'il avait été présenté au paiement et que, craignant qu'il en soit fait un usage abusif, il a fait opposition au paiement pour utilisation frauduleuse, et non pour vol comme la banque l'a indiqué par erreur,

  • que ce chèque ne lui a d'ailleurs jamais été restitué,

  • que la procédure collective frappant la société Pacific Espace, ouverte pour des raisons « anodines », était clôturée depuis plus de deux ans et que ses adversaires sont mal venus de lui faire de tels reproches alors que deux sociétés respectivement exploitées par P. et R. ont été mises en France en liquidation judiciaire et que F. G. a de son côté subi d'autres avatars : retrait des concessions accordées à la société British Motors dont il est un dirigeant, dépôt d'une plainte pénale ;

Sur l'annulation du contrat de société :

  • D. F. la justifie par le fait que la société a été délibérément constituée en fraude de ses droits et que sa cause serait ainsi illicite ; il voit dans la fraude une cause autonome de nullité des sociétés,

  • la société F. P. et Ce, F. P. et P. R. répondent que la nullité est encourue seulement si la création d'une société ne constitue qu'une manœuvre frauduleuse d'un débiteur en vue d'organiser ou d'aggraver son insolvabilité ou lorsque la société n'est constituée que dans le but de faire échec à des conséquences légales découlant d'une situation antérieurement établie ; ils rappellent que la cause d'une convention n'est illicite que si « elle a pour objet de détourner la législation ou des droits acquis » ; ils estiment qu'ils n'ont commis aucune faute et que de tels faits ne peuvent pas leur être reprochés alors qu'en réalité D. F. ne s'est pas acquitté de ses obligations et que la situation dont il se plaint n'est due qu'à sa propre turpitude ; ils ajoutent que D. F. n'a aucun droit sur la société et qu'il est, en tant que tiers, irrecevable à solliciter son annulation,

  • F. G. adopte une position similaire,

Sur la responsabilité des défendeurs :

  • D. F. fonde sa demande sur l'article 1229 du Code civil et il voit une faute constituée par le comportement « déloyal et spoliateur » de ses adversaires qui l'ont exclu de la société alors qu'il devait y être associé ou ont mis fin abusivement à leurs relations ; il reproche particulièrement à F. G. d'avoir agi selon son bon vouloir « étant président de la Fédération patronale », les autres associés n'osant pas prendre le risque de « déplaire à un homme appartenant à » l'élite locale « ; il décrit ainsi son préjudice : l'opération projetée ne s'est pas réalisée pour lui et il ne peut plus la réaliser lui-même à Monaco de sorte qu'il a perdu à la fois les frais qu'il a exposés et le gain qu'il aurait pu en retirer ;

  • la société F. P. et Cie, F. P. et P. R. soutiennent au contraire que D. F. est lui-même à l'origine du préjudice qu'il invoque puisqu'il s'est » mis à l'écart de ses associés potentiels « en n'honorant pas ses obligations, en adoptant une attitude discourtoise et peu honnête, en retardant la mise en œuvre définitive du projet et en suscitant des difficultés avec les entreprises chargées des travaux ;

  • F. G. tient pour diffamatoires et calomnieux les propos qui le visent ;

Sur la demande de dommages-intérêts présentés par F. G. :

  • F. G. expose avoir subi un dommage du fait de la volonté de D. F. de s'approprier un projet auquel il est en réalité étranger, de sa carence à satisfaire à ses obligations, de l'introduction par lui d'une procédure manifestement aussi abusive qu'injurieuse et de son attitude mensongère ; D. F. est à ses yeux coupable de vouloir tromper le Tribunal en s'attribuant la paternité du projet alors que rien ne l'établit et en prétendant qu'il entendait transférer à Monaco une activité jusqu'alors exercée en France à Val-d'Isère par sa société Pacific Espace, alors que cette société se trouvait depuis 1995 placée sous redressement judiciaire et ne pouvait donc être déplacée à Monaco ; pour justifier l'élévation du montant de l'indemnité sollicitée, il lui reproche encore les propos ci-dessus relatés, mensongers et attentatoires à son honneur, qui ne sont étayés par aucune pièce et confortent l'idée selon laquelle D. F. a fait usage de moyens déloyaux à l'égard de ses partenaires ;

  • D. F. ne voit dans cette thèse que mensonge et calomnie ; il fait valoir que tous les créanciers de la société Pacific Espace avaient été payés dès la fin de 1996, que cette société n'était plus en cessation des paiements, qu'elle a réalisé un bon chiffre d'affaires durant la saison hivernale 1998-1999 et que rien ne s'opposait donc au transfert de cette activité ;

Sur la demande de dommages-intérêts présentée par les autres défendeurs :

  • ils évoquent seulement » un préjudice imputable au seul F. « ;

Sur quoi :

I. - Sur la régularité des attestations produites :

Attendu que la pièce produite par la société F. P., P. R. et F. P. sous le n° 4 consiste en une attestation rédigée le 15 janvier 2000 par R. P. ; que la pièce n° 13 n'est qu'une photocopie de ce document ;

Attendu que son auteur s'y présente comme ami de certaines des parties ; que cependant cette indication ne peut pas valoir mention de l'existence ou de l'absence de liens de parenté, d'alliance ou de subordination avec ces parties ;

Attendu que la pièce n° 12 est une attestation rédigée le 5 octobre 1999 par Y. D. L. ; que pareillement elle ne contient aucune mention sur l'existence ou l'absence de ces liens ;

Qu'une telle mention étant exigée à peine de nullité par l'article 324 du Code de procédure civile, il y a lieu de prononcer l'annulation de ces attestations ;

Que leur teneur a toutefois été reprise dans de nouvelles attestations établies respectivement les 12 et 17 mars 2001, cotées sous les n° 15 et 16, dont la régularité n'a pas été contestée ;

II. - Sur le fond des demandes :

Attendu qu'il résulte du dossier que D. F., F. G., F. P. et P. R. ont ensemble effectué en 1998 auprès du Gouvernement des démarches en vue d'être autorisés à occuper les locaux domaniaux sis à Monaco ; qu'ils se présentent tous quatre dans un document intitulé » candidature relative au café-brasserie « comme les dirigeants de ce futur commerce qu'ils comptaient ouvrir à la fin du mois d'avril 1999 ;

Attendu que l'Administrateur des Domaines, a fait connaître le 20 janvier 1999 tant à D. F. qu'à F. G. que le Gouvernement avait donné un avis favorable à l'attribution de ces locaux ;

Attendu que des travaux d'aménagements ont été alors immédiatement envisagés ou entrepris ; qu'un représentant de la société parisienne Sunhill, initialement chargée de la décoration intérieure, a visité les lieux le 26 janvier suivant et a rencontré D. R., architecte ; que D. F., F. P. et P. R. ont ensemble signé le 8 mars 1999 un courrier par lequel ils confiaient à D. R. une mission d'architecte dont le détail devait être réglé dans une convention ultérieure à conclure avec F. G. ; que le bureau d'études Ingenierie et Études Techniques (INGETEC) a été chargé d'une mission de maîtrise d'œuvre technique, définie dans un contrat signé le 25 mars 1999 par D. F. au nom de la » SAM Quai des Artistes « ;

Attendu que des difficultés sont rapidement apparues entre ces diverses entreprises ; que l'architecte a fait connaître le 3 mars 1999 que ses devoirs déontologiques lui interdisaient, contrairement aux attentes de la société Sunhill, d'apposer sur le projet de cette dernière une simple signature de complaisance ; que le 26 mars P. R. lui a fait connaître par télécopie que la société Sunhill ne s'occupait plus du projet ;

Attendu qu'A. G., expert-comptable de la future société à constituer, a informé F. G. le 26 mars 1999 que le Gouvernement refusait l'autorisation de créer une société anonyme et préconisait la constitution d'une société en commandite simple ;

Attendu que des divergences sont apparues à la même époque entre les futurs associés eux-mêmes ; que P. R. a rédigé le 15 mars 1999 un message télécopié destiné à D. F., qui affirme ne pas l'avoir reçu, par lequel, faisant part de son » indignation «, il lui reproche son manque de disponibilité pour faire avancer le projet et un comportement contraire à une bonne collaboration : » Tu nous mets souvent au pied du mur et cela n'est pas correct... tu veux imposer ceci ou cela. Ce n'est pas comme ça qu'on avance avec des associés... la décision est prise à la majorité collégiale... nous ne sommes pas des marionnettes qu'on manipule du bout des doigts « ; qu'il se plaint notamment du fait que D. F. est alors le seul à n'avoir pas déposé entre les mains de G. un chèque de 300 000 francs pour constituer le capital ni ses photos d'identité ; qu'il évoque des luttes intestines et une perte de confiance mais espère toutefois une amélioration de la situation : » si tu as un différend avec F. P., crève l'abcès et stoppe cette situation ridicule qui ne pourra plus durer « ;

Que F. P. a répondu le 25 mars suivant par un message dans lequel il souhaite le règlement des » malentendus « et réitère sa volonté de réaliser le projet tout en menaçant de l'abandonner » si son sens moral se sent attaqué « ; qu'il indique que les partenaires, désireux de travailler avec un décorateur monégasque, n'avaient accepté de s'engager envers la société Sunhill que pour ne pas contrarier F., lié d'amitié avec sa responsable ; qu'il s'inquiète de l'évolution de l'affaire et déclare accepter de s'installer à Monaco à partir du 1er avril pour la suivre à condition que lui soit accordé un dédommagement conséquent ;

Attendu que ce flottement est également révélé par les courriers de l'architecte R. ; que le 8 mars 1999 il estime » urgent que nous ayons un interlocuteur dans cette affaire « pour arrêter le programme définitif, fait observer que G. doit être le signataire du bail des locaux et des pièces administratives dont le permis de construire et note un » blocage... dans l'élaboration du programme « ; qu'il s'inquiète le 18 mars du fait qu'aucune convention n'est encore signée avec un décorateur ni avec la société INGETEC et rappelle le 23 mars, parlant pour lui-même et pour cette société, que tous deux avaient accepté jusque là de travailler sans contrat et sans rémunération, suggérant que cette situation anormale devait prendre fin ;

Qu'on doit noter une évolution dans les différents courriers de l'architecte quant à la désignation de son interlocuteur ; qu'il s'adresse les 23 et 31 mars à la » SAM Quai des Artistes - C/O/ Monsieur F. ... à l'attention de MM. G., P., R., F. « ; qu'il écrit le 27 avril à la » société « Quai des Artistes » C/O/ Monsieur G. représentant les associés... « et joint à sa lettre un projet de contrat d'architecte à conclure avec » Messieurs G., R., F. et P., Associés conjointement et solidairement, Représentant une société en formation qui sera dénommée « Quai des Artistes » ;

Attendu qu'aucun autre courrier ne révèle l'évolution des relations entre les partenaires ;

Attendu que suivant acte authentique reçu le 2 juin 1999 par Maître Rey, notaire, F. G., F. P. et P. R. ont convenu de constituer entre eux la société en commandite simple F. P. et Cie ayant pour dénomination commerciale « Quai des Artistes » ; que cet acte démontre à l'évidence la rupture de leurs relations avec D. F. ;

A. - Sur la faute reprochée aux défendeurs :

Attendu que D. F. fonde exclusivement sa demande sur les dispositions de l'article 1229 du Code civil relatif à la responsabilité délictuelle ;

Attendu qu'il en résulte nécessairement que la faute qu'il impute à ses adversaires ne résulte pas de l'inexécution d'une convention ; qu'il découle des limites du procès ainsi fixées par D. F. lui-même qu'il n'invoque pas un engagement opposable à ses adversaires de constituer avec lui une société ; qu'il n'y a pas lieu de rechercher si les parties étaient liées par une promesse de société ou tout autre avant-contrat ;

Attendu que F. G., F. P. et P. R. restaient donc en principe libres de conclure entre eux un contrat de société sans que D. F. en soit partie ;

Qu'il appartient seulement au Tribunal d'examiner s'ils ont commis un abus dans l'exercice de ce droit ; qu'il incombe à D. F. de rapporter la preuve de circonstances particulières susceptibles de caractériser cet abus ;

Attendu que contrairement à ses affirmations, il n'est pas démontré que D. F. ait pris une part prépondérante dans l'élaboration ni dans le suivi du projet ;

Que le document préalable de candidature ne lui attribue nullement ce rôle et met plutôt en exergue la réussite de P. R. puisqu'il est pour l'essentiel constitué par de nombreuses coupures de presse relatives à son restaurant parisien dénommé « le T. » ;

Qu'aucune pièce ne permet de déterminer qui a eu l'idée d'installer une brasserie à Monaco ; que le document de candidature ne fait état d'aucune expérience acquise en cette matière par D. F. et insiste au contraire sur la capacité de P. R. et F. P. à créer un tel établissement ;

Attendu que le fait que diverses correspondances aient été adressées à D. F. n'est pas davantage probant ; que F. G. a également été destinataire d'une partie de ces courriers et en a reçu d'autres ; que P. R. a directement correspondu avec l'architecte R. ; que ce dernier n'a jamais considéré D. F. comme son interlocuteur unique et n'a vu en lui qu'un représentant de l'ensemble des partenaires liés par le projet ;

Attendu que D. F. ne peut donc pas soutenir que le contrat de société tendait à le spolier des bénéfices d'un projet dont il aurait été l'initiateur ou le principal auteur ; qu'il ne bénéficiait d'aucun droit analogue à un droit de propriété intellectuelle ;

Attendu qu'il n'est pas davantage établi que ses partenaires l'aient déloyalement écarté du projet après l'avoir amené à exposer des efforts ou des dépenses importants ;

Que D. F. n'allègue pas avoir exposé de quelconques dépenses dans l'intérêt de la future société ; qu'il n'est pas non plus démontré qu'il ait seul fourni un travail en vue de la mise en place du restaurant ; qu'il ne s'est pas installé dans ce but à Monaco puisque l'architecte correspondait avec lui au mois de mars 1999 à son restaurant de Val-d'Isère et que, selon son courrier du 8 mars, les contacts ont surtout été téléphoniques ; que D. F. n'était pas présent lors de la réunion tenue le 12 avril 1999 par l'architecte pour la mise au point des premières études d'aménagement ; que les autres partenaires ont apporté leur part aux démarches ;

Attendu qu'en réalité la rupture entre les partenaires a pour origine la perte de toute confiance envers D. F. ; que ce sentiment a pu se fonder dans l'esprit de ses partenaires sur des motifs sérieux ;

Attendu en effet que D. F. a contribué aux difficultés intervenues entre la société Sunhill et l'architecte qui a critiqué certains points importants du projet établi par cette dernière ; que selon une lettre de l'architecte datée du 18 mars 1999, D. F. s'est réservé toutes communications avec cette société et a interdit à l'architecte, malgré la nécessité d'une collaboration directe, de discuter avec elle ; que ce comportement donne crédit à la thèse selon laquelle la société Sunhill avait été imposée par D. F. malgré le désaccord de ses partenaires et entendait seul négocier avec elle ;

Attendu que D. F. ne conteste pas avoir caché que la société Pacific Espace, dont il est l'associé principal, avait été placée en redressement judiciaire et que cette information n'a été révélée à ses futurs associés que par les recherches entreprises par l'expert-comptable G. ; que contrairement à ses affirmations une telle procédure n'a pas un caractère anodin ; que même si un plan de redressement a permis le paiement des créanciers, F. G., F. P. et P. R. étaient dès lors en droit de douter de ses capacités de gestionnaire ;

Attendu que D. F. a en outre tardé à verser son apport au capital de la future société ; qu'il ne conteste pas l'allégation selon laquelle il était le seul en mars 1999 à n'avoir pas réglé le montant de cet apport ; que l'on ignore à quel moment il a remis à F. G. un chèque de 500 000 francs, ce chèque n'étant pas daté ; que cette remise n'est pas intervenue avant le mois de mai 1999 puisque selon l'attestation régulière de R. P., D. F. lui a demandé conseil au début de ce mois pour trouver la somme de 500 000 francs ; que ses partenaires ont donc pu également s'interroger sur sa solvabilité ;

Attendu que la rupture des relations entre les parties est donc fondée sur des motifs sérieux et ne présente pas un caractère abusif ; que les défendeurs n'ont pas à cette occasion commis de faute et n'ont pas engagé leur responsabilité à l'égard de D. F. ;

B. - Sur la demande d'annulation du contrat de société et de dissolution de la société F. P. et Cie :

Attendu qu'il résulte des articles 986 et 988 du Code civil que l'obligation fondée sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet et que la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi ou quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public ;

Attendu que la nullité de l'obligation a en pareil cas un caractère absolu de sorte que tout intéressé, fût-il tiers au contrat, est en droit de s'en prévaloir ;

Attendu qu'il appartient à D. F. d'établir que la cause du contrat de société conclu le 2 juin 1999 est illicite ;

Attendu qu'en l'absence de promesse préalable de société entre les parties, D. F. n'avait aucun droit acquis à faire partie de la société finalement constituée sans lui ; que ses anciens partenaires n'ont commis aucune faute en rompant leurs relations avec lui ;

Que la cause du contrat de société litigieux ne peut pas donc résider dans l'intention de faire échec à des droits en l'espèce inexistants ; que cette cause n'est en l'espèce constituée que par la volonté de s'associer et n'est nullement illicite ;

Attendu que les motifs ci-dessus exposés excluent toute fraude de la part des défendeurs ;

Que ce chef de demande doit être rejeté ;

C. - Sur la demande de dommages-intérêts :

Attendu que la faute alléguée par D. F. n'est pas établie ; qu'il doit en conséquence être débouté de cette demande ;

III. - Sur les demandes reconventionnelles :

A. - Sur les demandes formées par la société F. P. et Cie, P. R. et F. P. :

Attendu que la notion de frais irrépétibles est étrangère au droit monégasque ; qu'outre les dépens des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que pour réparer le préjudice causé par une faute conformément à l'article 1229 du Code civil ;

Attendu qu'aucune information n'est fournie dans les écritures de ces demandeurs reconventionnels au sujet de la faute qu'aurait commise D. F. ; qu'ils ne décrivent pas non plus le préjudice dont ils se bornent à alléguer abstraitement le principe ;

Que leur demande doit en conséquence être rejetée ;

B. - Sur la demande présentée par F. G. :

Attendu que s'il peut être soutenu que D. F. ne s'est pas acquitté en temps utile de son apport dans le capital de la société à constituer il n'est pas établi que cette carence ait porté préjudice à F. G. ; que s'il est exact qu'il a dû payer une somme correspondant au tiers du capital de la société alors que son apport aurait été limité au quart si D. F. avait participé, ce supplément d'apport est compensé par l'accroissement dans la même proportion de sa part sur les bénéfices à venir ; que F. G. n'allègue pas avoir réglé d'autres sommes dans l'intérêt de la société ;

Attendu que le droit d'ester en justice n'engage la responsabilité d'une partie que s'il dégénère en abus ; que D. F. a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits de sorte que son action ne présente pas un caractère abusif ;

Attendu qu'il reste à examiner la teneur des propos tenus par D. F. dans ses dernières conclusions du 5 février 2001 ;

Attendu que l'affirmation que la concession des marques Rover, Land Rover, Rolls Royce et Bentley a été retirée à la société British Motors et qu'une plainte pénale a été déposée à ce sujet n'a pas en elle-même un caractère diffamatoire ; que voulant répondre à l'argument selon lequel il connaissait des difficultés financières, D. F. pouvait sans faute faire observer que les affaires commerciales auxquelles ses adversaires étaient intéressés n'étaient pas non plus exemptes d'aléas ;

Attendu en revanche que la seconde allégation litigieuse tend à montrer que F. G. aurait abusé de sa fonction de président de la Fédération Patronale et de sa place dans « l'élite locale » pour faire pression sur ses associés et leur imposer l'éviction de D. F. décidée par lui seul ; que ce reproche porte objectivement atteinte à l'honneur et à la réputation de F. G. ; qu'il n'est étayé par aucun élément de preuve et se trouve au contraire contredit par les faits montrant qu'il existait dès mars 1999, hors de toute intervention de F. G., des dissensions entre les autres partenaires ; que l'emploi de ce moyen de défense est d'autant plus fautif qu'il est sans utilité réelle pour la défense de D. F. et ne constitue qu'un mouvement d'humeur sans rapport avec les termes du litige ;

Attendu que le préjudice ainsi causé à F. G. justifie réparation sous la forme d'une indemnité de trois mille euros ;

Et attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens de l'instance, par application de l'article 231 du Code de Procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare nulles les attestations produites par la société F. P. et Cie, P. R. et F. P. sous les n° 4, 12 et 13 de leur dossier ;

Déboute D. F. de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute la société F. P. et Cie, P. R. et F. P. de sa demande reconventionnelle ;

Condamne D. F. à payer à F. G. la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Composition🔗

Mme Gambarini, vice-prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Licari et Lorenzi, av. déf. ; Hini, av. bar. de Marseille.

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