Tribunal de première instance, 18 octobre 2001, B. c/ M.

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Abstract🔗

Compétence civile et commerciale

Action en réparation d'un dommage, non prévue à l'article 3 - Défendeur domicilié à l'étranger - Exception d'incompétence soulevée tardivement : sans conséquence - Incompétence d'attribution internationale : d'où possibilité de décliner la compétence en tout état de cause, et pour le tribunal de la soulever d'office

Résumé🔗

Il est constant que G. M. n'est pas domicilié en Principauté ; qu'ainsi le Tribunal ne saurait tirer sa compétence du principe général posé à l'article 2 du Code de procédure civile ;

Par ailleurs, la demande introduite par D. B., qui tend expressément à la réparation d'un dommage causé par un agissement fautif, (appropriation de marques) voire à l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause, ne correspond à aucun des chefs de compétence qui existent quel que soit le domicile du défendeur et qui sont limitativement énumérés à l'article 3 du Code de procédure civile ;

Il est constant que c'est dans ses conclusions du 27 juin 2001 que G. M. a, pour la première fois et après avoir conclu au fond, soulevé l'incompétence du Tribunal, alors qu'aux termes de l'article 262 du Code de procédure civile « la partie qui entend décliner la compétence... devra la déclarer préalablement à toute exception... » ;

Cependant, aux termes de l'article 263 du Code de procédure civile, « toutefois, dans le cas où le Tribunal est incompétent à raison de la matière, cette incompétence pourra être opposée en tout état de cause ; le Tribunal sera même tenu de la déclarer d'office » ;

En l'espèce, outre que D. B. n'a pas soulevé la tardiveté de l'exception d'incompétence dont s'agit, il apparaît que celle-ci touche en fait non à la compétence ratione loci de la juridiction mais à sa compétence d'attribution internationale ;

C'est, en effet, la possibilité pour le Tribunal de connaître de ce type de litige sans critère de rattachement avec la Principauté qui est en cause et non la détermination de la juridiction monégasque compétente territorialement ;

Ainsi, G. M. a valablement pu, dans ses écritures du 27 juin 2001, soulever une exception d'incompétence en l'état de sa domiciliation en France ;

Le Tribunal était même tenu de le soulever d'office, au regard de l'article 263 précité ;

Cette exception étant bien fondée, le Tribunal doit se déclarer incompétent ;


Motifs🔗

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

D. B. divorcée M. a, par l'acte susvisé du 8 février 1999, fait assigner G. M. aux fins suivantes :

« Constater que Monsieur M. s'est approprié les marques de Madame B. et qu'il en a récolté seul les fruits, avantages et bénéfices ;

Constater la destruction complète, par les manœuvres de Monsieur M., de l'entreprise » The Rolling Stars « ;

En conséquence,

Pour le préjudice financier

Le condamner à payer à Madame B. une somme de 930 000 dollars au cours en vigueur à la date de la décision à intervenir (5 580 000 francs à la date de la présente assignation), avec intérêts de droit à compter du 1er janvier 1974 ;

Pour le préjudice moral

Le condamner à payer à Madame B. la somme de 3 000 000 de francs ;

Pour le préjudice patrimonial

Le condamner à payer à Madame B. la somme de 3 000 000 de francs avec intérêts de droit à compter du 1er janvier 1974 ;

Le condamner au paiement de la somme de 1 000 000 de francs pour la destruction complète de l'entreprise » The Rolling Stars « ;

Le condamner en outre au paiement d'une somme de 30 000 francs au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens distraits au profit de Maître Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur » ;

Elle fait valoir à l'appui de sa demande :

  • qu'avant son mariage avec le défendeur le 13 mars 1957, elle avait été championne de France de patinage artistique et avait monté un spectacle de patinage acrobatique exploité sous le nom « The Rolwood »,

  • qu'elle avait entièrement créé son entreprise en formant ses patineurs de A à Z, en achetant le matériel et les costumes nécessaires et en mettant au point la chorégraphie et les figures artistiques,

  • qu'elle a par la suite incorporé son mari à la troupe en qualité de figurant,

  • que le 19 décembre 1972, elle a déposé sa marque en Principauté puis en France et, le 24 avril 1974, s'est inscrite au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco,

  • que profitant de ses absences épisodiques, son mari s'est emparé de facto de l'entreprise « The Rolwood », se produisant même pour son propre compte dans plusieurs établissements,

  • que le défendeur a d'ailleurs cédé à sa maîtresse par acte sous-seing privé du 1er août 1977 la moitié des droits d'exploitation de la troupe « The Rolwood »,

  • que G. M. a également réussi à détourner les revenus de la troupe « The Rolling Stars » qu'elle avait créée parallèlement,

  • que mariée sous le régime de la séparation de biens, elle était pourtant seule propriétaire de ces marques et troupes,

  • que son préjudice financier peut valablement être chiffré à la somme de 930 000 dollars américains en tenant compte des revenus procurés par les deux troupes,

  • qu'elle subit aussi un important préjudice moral, évaluable à hauteur de 3 000 000 francs, résultant du fait qu'elle s'était investie complètement dans la création et le fonctionnement des deux troupes,

  • qu'elle subit également un grand préjudice patrimonial d'un montant de 3 000 000 et 1 000 000 francs ;

G. M. a répliqué le 10 novembre 1999 ;

Il conclut à l'irrecevabilité de la demande compte tenu d'une procédure similaire qui aurait été jugée par le Tribunal de grande instance de Nice le 10 avril 1997 ;

Reconventionnellement, il réclame 500 000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Il précise que le Tribunal de grande instance de Nice avait déclaré irrecevable les demandes identiques de D. B. et avait même condamné celle-ci à lui payer 5 000 francs, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile français ;

D. B. a répondu à ces écritures le 15 décembre 1999 ;

Elle prétend que la présente procédure n'est pas exactement la même que celle dont a eu à connaître la juridiction niçoise ;

Elle insiste sur le fait que la procédure monégasque ne concerne pas le droit des marques mais porte sur l'appropriation fautive par le défendeur desdites marques « The Rolwood » et « The Rolling Stars » ;

G. M. a répondu le 12 avril 2000 ;

Il maintient que la demande est irrecevable et révèle qu'en date du 2 décembre 1997, il avait même fait délivrer à D. B. une assignation en exequatur à Monaco du jugement niçois précité du 10 avril 1997 ; il précise que la demanderesse lui a, en cours de procédure, réglé les sommes dues et que pour cette raison il a fait procéder à une radiation de l'instance ;

Il déclare que compte tenu de la présente assignation délivrée par D. B., il entend de nouveau agir en exequatur du jugement du 10 avril 1997 ;

Il conclut en conséquence au sursis à statuer dans l'attente du jugement d'exequatur à venir ;

D. B. a répondu à ces écritures le 17 mai 2000 ;

Elle prétend que sa présente procédure s'analyse en une action en dommages-intérêts fondée sur le détournement par G. M. à son seul profit de ses créations ;

Elle fait en conséquence valoir qu'il n'est pas question de contrefaçon puisqu'en tout état de cause l'action serait prescrite sur ce terrain ;

Elle précise exercer une action en enrichissement sans cause et déclare également agir en réparation du dommage sur le fondement de l'article 1229 du Code civil ;

G. M. a conclu en dernier lieu le 27 juin 2001 ;

Il révèle que le Tribunal a, par décision du 10 mai 2001, déclaré exécutoire à Monaco le jugement niçois précité du 10 avril 1997 ;

Il maintient par ailleurs qu'il y a bien identité entre la présente procédure et celle diligentée en 1997 à Nice ;

À titre subsidiaire, il soulève l'incompétence ratione materiae loci du Tribunal en ce qu'il est français et demeure en France et que tous les faits qui lui sont reprochés auraient en lieu en France ;

Encore plus subsidiairement, il prétend que les demandes de D. B. sont prescrites tant sur le terrain du droit des marques que sur celui de l'article 152 bis du Code de commerce en ce qu'elles s'analysent en une réclamation d'un commerçant à l'encontre d'un autre commerçant ;

Il conteste enfin la demande au fond et, en toute hypothèse, la réalité des préjudices invoqués par D. B. ;

Sur quoi :

Attendu qu'il est constant que G. M. n'est pas domicilié en Principauté ; qu'ainsi le Tribunal ne saurait tirer sa compétence du principe général posé à l'article 2 du Code de procédure civile ;

Que par ailleurs, la demande introduite par D. B., qui tend expressément à la réparation d'un dommage causé par un agissement fautif, voire à l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause ne correspond à aucun des chefs de compétence qui existent quel que soit le domicile du défendeur et qui sont limitativement énumérés à l'article 3 du Code de procédure civile ;

Attendu qu'il est constant que c'est dans ses conclusions du 27 juin 2001 que G. M. a, pour la première fois et après avoir conclu au fond, soulevé l'incompétence du Tribunal, alors qu'aux termes de l'article 262 du Code de procédure civile « la partie qui entendra décliner la compétence... devra la déclarer préalablement à toute exception... » ;

Attendu cependant, qu'aux termes de l'article 263 du Code de procédure civile, « toutefois, dans les cas où le Tribunal est incompétent à raison de la matière, cette incompétence pourra être opposée en tout état de cause ; le Tribunal sera même tenu de la déclarer d'office » ;

Qu'en l'espèce, outre que D. B. n'a pas soulevé la tardiveté de l'exception d'incompétence dont s'agit, il apparaît que celle-ci touche en fait non à la compétence ratione loci de la juridiction mais à sa compétence d'attribution internationale ;

Que c'est, en effet, la possibilité pour le Tribunal de connaître de ce type de litige sans critère de rattachement avec la Principauté qui est en cause et non la détermination de la juridiction monégasque compétente territorialement ;

Attendu qu'ainsi, G. M. a valablement pu, dans ses écritures du 27 juin 2001, soulever une exception d'incompétence en l'état de sa domiciliation en France ;

Que le Tribunal était même tenu de la soulever d'office, au regard de l'article 263 précité ;

Attendu que cette exception étant bien fondée, le Tribunal doit se déclarer incompétent ;

Que compte tenu de cette incompétence et donc du fait que le Tribunal n'examine pas le fond du litige, il ne peut être fait droit à la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure dite abusive formée par G. M. ;

Et attendu que D. B., qui succombe, devra supporter les entiers dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Reçoit G. M. en son exception d'incompétence et déclare celle-ci bien fondée ;

Se déclare en conséquence incompétent ;

Rejette la demande reconventionnelle.

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla, Pastor, av. déf., Casano et Collard, av. bar. de Marseille, Tolosana, av. bar. de Nice.

Note🔗

 Une instance en appel est en cours.

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