Tribunal de première instance, 3 mai 2001, Ministère public c/ K.

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Abstract🔗

Minorité

Droit de garde : violation - Retour des enfants au parent en ayant la garde - Application de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants - Recherche d'une solution amiable (oui) - Requête conforme aux stipulations conventionnelles - Acquiescement au déplacement non établi - Intégration des enfants dans leur nouveau milieu (oui) - Risque grave d'exposition des enfants à un danger physique et psychique (oui) : d'où l'intérêt pour les enfants de ne pas ordonner leur retour.

Résumé🔗

Courant juin 2000, la Direction des Services Judiciaires - autorité centrale de Monaco au sens de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants - a été saisie par D. P. R., domiciliée et résidant en Espagne, d'une requête transmise par l'autorité centrale espagnole en vue d'obtenir le retour auprès d'elle de ses deux filles mineures, J. et E. K. P., respectivement nées les 13 février 1994 et 22 juin 1996 de son union avec H. I. C. K. ;

Cette requête mentionne que les enfants ont disparu avec leur père le 21 août 1998 et que ce déplacement doit être considéré comme illicite, au sens de l'article 3 de la convention, dès lors qu'il est intervenu sans le consentement de la mère qui exerçait, conjointement avec le père, « la garde parentale (art. 154 CC espagnol) » ;

Il résulte d'une ordonnance rendue le 26 novembre 1998 par un magistrat d'un tribunal de Torremolinos (Première instance et instruction), dans un dossier qualifié de « très provisoire »,

que le 28 septembre 1998, D. P. R. a sollicité le prononcé de mesures provisoires contre H. K. qui n'a pas comparu,

que le 17 novembre 1998, D. P. R. a demandé la garde de ses deux filles à Torremolinos et le paiement d'une pension alimentaire,

Et le juge, agissant dans le cadre légal des mesures provisoires à décider dans l'urgence, après avoir relevé que « les filles mineures ont été soustraites par le père à la garde de la mère » et qu'il convenait « de respecter la situation de fait existante et que les mineures se trouvent aux soins du demandeur (la mère), de façon provisoire », a prescrit que les deux enfants soient placées sous la garde de leur mère, le père étant requis de les lui remettre, cette garde devant s'exercer au domicile familial sis [adresse] ;

Par note du 22 décembre 2000, le Directeur des Services Judiciaires, agissant comme autorité centrale, a saisi le Procureur général « du cas des mineures J. et E. K. P., retenues illicitement à Monaco par H. I. C. K. en violation du droit de garde conféré à D. P. en vertu d'une ordonnance du juge de Torremolinos du 26 novembre 1998 » et lui a demandé de saisir le Tribunal de première instance en vue d'obtenir une décision statuant sur le retour des enfants, sur la base de l'article 12 de la convention ;

Par l'exploit susvisé du 16 janvier 2001, le Procureur général a fait assigner H. K. devant ce Tribunal auquel il demande de :

- dire que H. K. retient illicitement en Principauté de Monaco J. et E. K. P. au sens des articles 3, 4 et 5 de la convention,

- ordonner le retour immédiat des enfants au domicile de leur mère à Torremolinos,

À l'appui de ses prétentions, H. K. fait valoir pour l'essentiel :

- que l'article 7 c) de la convention, qui impose de faciliter une solution à l'amiable, n'a pas été respecté, en sorte que la demande serait irrégulière ;

- que la « requête en vue du retour » transmise par les autorités espagnoles ne remplit pas les conditions de l'article 8 faute de contenir un exposé des motifs et d'être assortie d'une décision de justice authentifiée ;

- que D. P. R., dans le cadre de négociations entreprises en 1999, a acquiescé au déplacement des enfants en tentant d'obtenir une contrepartie financière, ce qui serait confirmé par son comportement ultérieur révélant une absence de volonté réelle de retrouver ses enfants, un tel acquiescement faisant obstacle au retour des mineures conformément à l'article 13, alinéa 1 a) ;

- que J. et E. sont intégrées dans leur nouveau milieu familial depuis plus de deux ans, ce qui justifierait l'opposition à leur retour en application de l'article 12, alinéa 2 ;

- que le retour des enfants en Espagne, en les privant de tous leurs repères actuels, les exposerait à un danger psychologique, physique et moral au sens de l'article 13 b) de la convention, puisqu'elles seraient en particulier privées de tous contacts avec leur père, menacé par un mandat d'arrêt en Espagne ;

Sur le moyen tiré de l'inobservation de l'article 7 c)

Cet article impose aux autorités centrales de prendre toutes mesures appropriées « pour assurer la remise volontaire de l'enfant ou faciliter une solution amiable » ;

La Direction des Services judiciaires, autorité centrale monégasque désignée conformément à l'article 6, apparaît avoir satisfait à cette prescription en demandant au Ministère public placé sous sa dépendance de diligenter une enquête qui avait notamment pour objet de recueillir les observations de H. K. sur le point de savoir « s'il est disposé à laisser amiablement assurer un retour immédiat en Espagne des enfants » ; lors de son audition par les enquêteurs, H. K. s'est longuement expliqué sur les circonstances du déplacement et a estimé, en conclusion, qu'il ne pouvait pas rendre les enfants à leur mère sous peine de les exposer à un danger physique et moral ;

La position ainsi manifestée par le père a rendu illusoire une remise volontaire des enfants ou la mise en œuvre d'une solution amiable, laquelle a cependant été recherchée de façon effective ;

Il s'ensuit que ce moyen doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de l'inobservation de l'article 8 c) et e)

Aux termes de cet article, la demande de retour de l'enfant « doit contenir... les motifs sur lesquels se base le demandeur pour réclamer le retour de l'enfant... (et) peut être accompagnée ou complétée par une copie authentifiée de toute décision... utile... » ;

Il résulte des pièces produites que l'autorité centrale espagnole, ayant prêté assistance à D. P. R. dans sa démarche en application de l'article 8 alinéa 1, a adressé le 16 juin 2000 une requête motivée à l'autorité monégasque ; les motifs de cette requête, tels que rappelés plus haut dans l'exposé des faits, sont suffisants pour fonder la demande, en ce qu'ils se rapportent au départ des enfants, à l'absence de consentement de la mère qui exerçait conjointement la garde et à l'attribution judiciaire de la garde à la mère ; que de ce chef, le moyen ne peut être admis ;

La copie de la décision du 26 novembre 1998 qui accompagne la requête présente les garanties d'authenticité requises ; cette décision est pourvue de la signature du juge et du secrétaire, ainsi que de leur sceau ; elle comporte également une mention émanant du greffe attestant de la réalité de la décision ;

En outre, une traduction en français établie par les services du ministère de la justice espagnol est produite ; il résulte de l'ensemble de ces éléments que la contestation élevée de ce chef doit être rejetée comme infondée, la décision de justice devant être déclarée recevable par application de l'article 30 de la convention ;

Sur l'acquiescement prétendu au déplacement

En vertu de l'article 13 a), l'autorité judiciaire n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant lorsque la personne qui en avait la garde a acquiescé au déplacement de l'enfant, postérieurement à ce déplacement ;

H. K. se fonde, pour établir l'acquiescement de la mère, sur la teneur d'une conversation téléphonique entre D. P. R. et un tiers, ainsi que sur le comportement de celle-ci révélant son désintérêt pour les enfants et leur sort ;

Ces éléments sont manifestement insuffisants à faire la preuve de l'acquiescement allégué ; celui-ci, s'il peut être implicite, doit néanmoins être certain et suppose donc une manifestation de volonté clairement exprimée par D. P. R. elle-même, de nature à manifester sans équivoque son acceptation au déplacement des enfants, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; ce moyen ne peut donc être retenu ;

Sur l'intégration des enfants dans leur nouveau milieu

L'article 12 de la convention prévoit que le retour immédiat d'un enfant déplacé illicitement depuis moins d'un an au moment de la demande de retour doit être ordonné par l'autorité judiciaire ou administrative saisie ; si celle-ci est saisie après l'expiration de ce délai d'une année, elle doit également ordonner le retour de l'enfant, « à moins qu'il ne soit établi que l'enfant s'est intégré dans son nouveau milieu » ;

Il est constant et non contesté qu'au moment de leur déplacement, les mineures J. et E. avaient leur résidence habituelle en Espagne, au regard du droit espagnol dont le contenu n'est pas davantage contesté, les deux parents bénéficiaient sur les enfants d'une autorité parentale conjointe ; ainsi H. K. aurait dû, avant de déplacer la résidence des enfants, obtenir soit l'accord de la mère soit une décision judiciaire en ce sens, ce qui n'a pas été le cas ; il s'ensuit que le déplacement intervenu est illicite au sens de l'article 3 de la convention ;

Par ailleurs une période de vingt-deux mois s'est écoulée entre le déplacement intervenu en août 1998 et l'introduction, le 16 juin 2000, de la demande en vue du retour des enfants auprès des autorités monégasques ;

Ainsi, l'article 12 deuxième alinéa est applicable ;

Il résulte des pièces produites que :

Les enfants J. et E., arrivées à Monaco aux âges de quatre ans et demi et deux ans passés, sont aujourd'hui totalement intégrées dans leur environnement actuel, qu'il s'agisse de leurs milieux familial, scolaire ou social avec lesquels elles ont noué de solides attaches ;

En revanche les mineures ne semblent pas parler ni comprendre l'espagnol, la langue de leur mère ; elles n'ont plus de relation avec elle depuis très longtemps, ni même avec d'autres membres de la famille maternelle, étant relevé que les deux parents de D. P. R., dans une attestation du 23 juillet 1997, ont estimé nécessaire et recommandé pour leurs petites-filles de demeurer sous la garde de leur père ;

Dans ces conditions, le Tribunal estime conforme à l'intérêt supérieur des enfants J. et E. - qui constitue l'élément primordial à prendre en considération - de les maintenir dans leur milieu actuel, sans faire droit à la demande de retour ;

L'article 13 c) permet de s'opposer au retour de l'enfant lorsqu'il est établi que le retour ferait courir un risque grave de l'exposer à un danger physique ou psychique ou le placerait dans une situation intolérable ; cette preuve doit être rapportée par la personne qui s'oppose à son retour, le tribunal devant tenir compte, pour l'appréciation de ces circonstances, des informations fournies sur la situation sociale de l'enfant par les autorités de l'État de résidence ;

En revanche il est acquis aux débats que les mineures, en cas de retour brutal en Espagne, seraient exposées ou risqueraient d'être exposées, du fait de leur profonde intégration actuelle, à un danger à tout le moins psychique, au sens de l'article 13 b) de la convention :

En effet, un retour forcé dans les circonstances présentes les priverait d'un seul coup de tout contact avec leur père et les arracherait de l'environnement dans lequel elles s'épanouissent, ce qui ne pourrait qu'affecter gravement leur équilibre psychologique ;

De ce point de vue également, leur intérêt supérieur commande de ne pas ordonner leur retour ;

Il n'y a donc pas lieu de faire application de l'article 18 de la convention ;


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Courant juin 2000, la Direction des Services judiciaires - autorité centrale de Monaco au sens de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants - a été saisie par D. P. R., domiciliée et résidant en Espagne, d'une requête transmise par l'autorité centrale espagnole en vue d'obtenir le retour auprès d'elle de ses deux filles mineures, J. et E. K. P., respectivement nées les 13 février 1994 et 22 juin 1996 de son union avec H. I. C. K. ;

Cette requête mentionne que les enfants ont disparu avec leur père le 21 août 1998 et que ce déplacement doit être considéré comme illicite, au sens de l'article 3 de la convention, dès lors qu'il est intervenu sans le consentement de la mère qui exerçait, conjointement avec le père, « la garde parentale (art. 154 CC espagnol) » ;

Il résulte d'une ordonnance rendue le 26 novembre 1998 par un magistrat d'un tribunal de Torremolinos (Première instance et instruction), dans un dossier qualifié de « très provisoire »,

que le 28 septembre 1998, D. P. R. a sollicité le prononcé de mesures provisoires contre H. K. qui n'a pas comparu,

que le 17 novembre 1998, D. P. R. a demandé la garde de ses deux filles à Torremolinos et le paiement d'une pension alimentaire,

et que le juge, agissant dans le cadre légal des mesures provisoires à décider dans l'urgence, après avoir relevé que « les filles mineures ont été soustraites par le père à la garde de la mère » et qu'il convenait « de respecter la situation de fait existante et que les mineures se trouvent aux soins du demandeur (la mère), de façon provisoire », a prescrit que les deux enfants soient placées sous la garde de leur mère, le père étant requis de les lui remettre, cette garde devant s'exercer au domicile familial sis [adresse] ;

Un recours était ouvert contre cette décision dans les trois jours de sa notification ;

Le 5 juillet 2000, le Procureur Général a demandé qu'une enquête de police soit diligentée pour localiser les enfants, déterminer leurs conditions de vie à Monaco et leur niveau d'intégration, informer H. K. de la procédure intentée par D. P. R. et recueillir ses observations, notamment sur le point de savoir s'il est disposé à laisser amiablement assurer un retour des enfants en Espagne, fournir enfin des renseignements sur la personne de H. K. ;

Cette enquête a été assurée par la sûreté publique qui a transmis les procès-verbaux au Procureur général le 14 septembre 2000 ; il résulte de cette enquête que les deux enfants vivent avec leur père dans un spacieux appartement de Monaco depuis 1998, y sont scolarisées, bénéficient du soutien d'une institutrice privée et que H. K. a cessé ses activités professionnelles en septembre 2000 pour se consacrer à l'éducation de ses filles ;

Par note du 22 décembre 2000, le Directeur des Services judiciaires, agissant comme autorité centrale, a saisi le Procureur général « du cas des mineures J. et E. K. P., retenues illicitement à Monaco par H. I. C. K. en violation du droit de garde conféré à D. P. en vertu d'une ordonnance du juge de Torremolinos du 26 novembre 1998 » et lui a demandé de saisir le Tribunal de première instance en vue d'obtenir une décision statuant sur le retour des enfants, sur la base de l'article 12 de la convention ;

Par l'exploit susvisé du 16 janvier 2001, le Procureur général a fait assigner H. K. devant ce Tribunal auquel il demande de :

  • dire que H. K. retient illicitement en Principauté de Monaco J. et E. K. P. au sens des articles 3, 4 et 5 de la convention,

  • ordonner le retour immédiat des enfants au domicile de leur mère à Torremolinos,

  • interdire à H. K. de faire quitter le territoire monégasque aux enfants, si ce n'est dans le cadre et pour l'exécution de leur retour immédiat au domicile de la mère,

  • condamner H. K. aux dépens de l'instance et aux frais visés à l'article 26 de la convention,

  • ordonner l'exécution provisoire de la présente décision ;

Le Procureur général expose, au soutien de ses demandes, que les mineures J. et E. sont des enfants adultérines nées de la liaison de H. K. avec D. P.-R., alors qu'il était encore marié avec L. S. et que ces enfants ont été reconnues en même temps par leurs père et mère ;

Il indique qu'en exécution d'un mandat d'arrêt international du 18 mai 2000 décerné par un juge d'instruction de Torremolinos du chef d'enlèvement d'enfants, H. K. a été arrêté par les autorités suisses à Genève et incarcéré, ses filles étant demeurées à Monaco sous la surveillance d'une gouvernante ;

Il se prévaut des articles 10 à 12 de la convention pour obtenir la remise des enfants à leur mère, en observant qu'en vertu de l'article 4, les mineures, âgées de moins de 16 ans, avaient leur résidence habituelle en Espagne avant que le père ne porte atteinte au droit de garde ;

Il admet qu'une période supérieure à un an s'est écoulée entre l'enlèvement et la demande portée devant la Direction des Services judiciaires mais observe que H. K. a enlevé les enfants sans le consentement de la mère qui en avait la garde conjointe, les a maintenues à Monaco en violation de la décision de justice du 26 novembre 1998 et a manifesté son intention de ne pas les rendre ;

Relevant que ces jeunes enfants sont depuis de nombreux mois privées de la présence et de l'amour de leur mère, en même temps que privées de tout repère paternel depuis l'incarcération de H. K., le Procureur général estime que « le non retour des enfants dans l'État espagnol... doit être considéré comme illicite », en sorte qu'une mesure de retour immédiat devrait être ordonnée par mesure conservatoire, afin d'apporter une solution d'urgence à la situation ;

Par conclusions du 22 février 2001 prises en réponse à cette assignation, H. K. a fait valoir à titre principal que l'autorité centrale monégasque, en dépit des prescriptions de l'article 7 c) de la convention, n'a pris aucune mesure appropriée de nature à faciliter une solution amiable du litige et qu'il convient de surseoir à statuer dans l'attente du sort réservé à sa demande d'organisation d'une telle solution amiable ;

Le Procureur général ayant déclaré à l'audience qu'un rapprochement des parties avait été tenté sans toutefois aboutir, le conseil de H. K. a été invité à conclure au fond ;

Par conclusions du 15 mars 2001, H. K. maintient sa prétention originaire à titre principal ;

Subsidiairement, il demande au Tribunal d'ordonner une tentative de conciliation ;

À défaut, constatant que la demande de D. P. R. serait irrégulière au regard de l'article 8 de la convention, il conclut au rejet de toutes les demandes du Procureur général ;

Subsidiairement, il demande au Tribunal :

  • de constater que la mère a acquiescé au déplacement des enfants,

  • de constater qu'un délai supérieur à un an s'est écoulé entre la date du déplacement et la date d'introduction de la présente instance,

  • de dire et juger que les enfants J. et E. se sont intégrées dans leur nouveau milieu,

  • de dire qu'il existe, en cas de retour des enfants, un risque grave d'exposition à un danger physique ou psychique,

  • d'ordonner une enquête médicale et psychiatrique sur la personnalité de la mère, l'audition des membres de sa famille et une enquête sociale sur les conditions d'accueil des enfants, avant de statuer sur la demande ;

Encore plus subsidiairement, H. K. propose, si le Tribunal ordonnait le retour des enfants, que celles-ci ne se rendent en Espagne qu'après avoir achevé l'année scolaire et puissent bénéficier d'un soutien psychologique, avec rétablissement progressif des visites de la mère ;

Enfin, il s'oppose à toute exécution provisoire compte tenu des effets irréparables qu'elle serait susceptible d'entraîner ;

À l'appui de ses prétentions, H. K. fait valoir pour l'essentiel :

  • que l'article 7 c) de la convention, qui impose de faciliter une solution amiable, n'a pas été respecté, en sorte que la demande serait irrégulière ;

  • que la « requête en vue du retour » transmise par les autorités espagnoles ne remplit pas les conditions de l'article 8 faute de contenir un exposé des motifs et d'être assortie d'une décision de justice authentifiée ;

  • que D. P.-R., dans le cadre de négociations entreprises en 1999, a acquiescé au déplacement des enfants en tentant d'obtenir une contrepartie financière, ce qui serait confirmé par son comportement ultérieur révélant une absence de volonté réelle de retrouver ses enfants, un tel acquiescement faisant obstacle au retour des mineures conformément à l'article 13 alinéa 1 a) ;

  • que J. et E. sont intégrées dans leur nouveau milieu familial depuis plus de deux ans, ce qui justifierait l'opposition à leur retour en application de l'article 12 alinéa 2 ; en décider autrement serait, selon H. K., générateur de traumatismes irréversibles dès lors que les enfants vivent à Monaco depuis près de trois ans, y sont scolarisées dans de bonnes conditions avec un niveau scolaire très satisfaisant, ont appris le français tandis qu'elles ne parleraient ni ne comprendraient l'espagnol, sont intégrées dans une famille où elles sont épanouies et heureuses ; en revanche, les mineures n'ont pas de nouvelles de leur mère depuis près de trois ans, sans visite, lettre ou appel téléphonique, en sorte que D. P.-R. serait devenue une étrangère à leurs yeux ;

  • que le retour des enfants en Espagne, en les privant de tous leurs repères actuels, les exposerait à un danger psychologique, physique et moral au sens de l'article 13 b) de la convention, puisqu'elles seraient en particulier privées de tout contact avec leur père, menacé par un mandat d'arrêt en Espagne ;

H. K. rappelle que D. P. exerçait la profession de call-girl à Londres lorsqu'il l'a rencontrée, qu'elle a cessé cette activité pendant leur vie commune mais l'a reprise au cours de l'été 1997 et au mois d'août 1998, ce qui a motivé son départ avec les enfants ; il prétend que D. P.-R. faisait venir ses clients dans son appartement en présence des enfants et les laissait seules plusieurs jours pour accompagner des clients à l'étranger ; il soutient qu'elle exerce à ce jour depuis plus d'un an la profession d'opératrice de charme pour une entreprise de services de lignes téléphoniques érotiques, en sorte que sa moralité serait plus que douteuse ;

Il prétend que la mère, pour assurer sa tranquillité, a donné des sédatifs à ses enfants, ce qui serait potentiellement dangereux pour elles ;

Il affirme qu'elle fait actuellement l'objet d'une procédure d'expulsion de son appartement, ce qui rendrait incertaines les conditions d'accueil des enfants ; en définitive, il affirme que l'intérêt des enfants commande de les laisser demeurer à ses côtés ;

  • que s'il devait en être décidé autrement, il conviendrait de demander à l'autorité espagnole de prescrire une enquête approfondie et d'ordonner dans le même temps des mesures de protection des enfants pour limiter autant que possible les effets d'un tel bouleversement ;

  • que l'article 202 du Code de procédure civile s'oppose à la demande d'exécution provisoire de la présente décision, dès lors que cette mesure serait de nature à produire des effets irréparables et qu'aucune urgence n'est caractérisée en la cause ;

Le Procureur général n'a pas répondu par écrit à ces conclusions et a fait valoir à l'audience de plaidoiries du 29 mars 2001 que H. K. a été libéré après avoir été détenu pendant trois mois par les autorités suisses, que tous les efforts ont été entrepris pour parvenir à un arrangement amiable et que même si les enfants s'épanouissent à Monaco dans des conditions favorables, la mère est fondée à obtenir leur retour afin de les revoir, ce qui n'est plus le cas depuis près de trois ans ;

Sur quoi :

Le moyen tiré de l'inobservation de l'article 7 c) :

Attendu que cet article impose aux autorités centrales de prendre toutes mesures appropriées « pour assurer la remise volontaire de l'enfant ou faciliter une solution amiable » ;

Attendu que la Direction des Services judiciaires, autorité centrale monégasque désignée conformément à l'article 6, apparaît avoir satisfait à cette prescription en demandant au Ministère public placé sous sa dépendance de diligenter une enquête qui avait notamment pour objet de recueillir les observations de H. K. sur le point de savoir « s'il est disposé à laisser amiablement assurer un retour immédiat en Espagne des enfants » ; lors de son audition par les enquêteurs, H. K. s'est longuement expliqué sur les circonstances du déplacement et a estimé, en conclusion, qu'il ne pouvait pas rendre les enfants à leur mère sous peine de les exposer à un danger physique et moral ;

Attendu que la position ainsi manifestée par le père a rendu illusoire une remise volontaire des enfants ou la mise en œuvre d'une solution amiable, laquelle a cependant été recherchée de façon effective ;

Qu'il s'ensuit que ce moyen doit être écarté ;

Le moyen tiré de l'inobservation de l'article 8 c) et e) :

Attendu qu'aux termes de cet article, la demande de retour de l'enfant « doit contenir... les motifs sur lesquels se base le demandeur pour réclamer le retour de l'enfant... (et) peut être accompagnée ou complétée par une copie authentifiée de toute décision... utile... » ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que l'autorité centrale espagnole, ayant prêté assistance à D. P.-R. dans sa démarche en application de l'article 8 alinéa 1, a adressé le 16 juin 2000 une requête motivée à l'autorité monégasque ; que les motifs de cette requête, tels que rappelés plus haut dans l'exposé des faits, sont suffisants pour fonder la demande en ce qu'ils se rapportent au départ des enfants, à l'absence de consentement de la mère qui exerçait conjointement la garde et à l'attribution judiciaire de la garde à la mère ; que de ce chef, le moyen ne peut être admis ;

Attendu que la copie de la décision du 26 novembre 1998 qui accompagne la requête présente les garanties d'authenticité requises ; que cette décision est pourvue de la signature du juge et du secrétaire, ainsi que de leur sceau ; qu'elle comporte également une mention émanant du greffe attestant de la réalité de la décision ;

Qu'en outre, une traduction en français établie par les services du ministère de la justice espagnol est produite ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la contestation élevée de ce chef doit être rejetée comme infondée, la décision de justice devant être déclarée recevable par application de l'article 30 de la convention ;

L'acquiescement prétendu au déplacement :

Attendu qu'en vertu de l'article 13 a), l'autorité judiciaire n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant lorsque la personne qui en avait la garde a acquiescé au déplacement de l'enfant, postérieurement à ce déplacement ;

Attendu que H. K. se fonde, pour établir l'acquiescement de la mère, sur la teneur d'une conversation téléphonique entre D. P.-R. et un tiers, ainsi que sur le comportement de celle-ci révélant son désintérêt pour les enfants et leur sort ;

Attendu que ces éléments sont manifestement insuffisants à faire la preuve de l'acquiescement allégué ; que celui-ci, s'il peut être implicite, doit néanmoins être certain et suppose donc une manifestation de volonté clairement exprimée par D. P.-R. elle-même, de nature à manifester sans équivoque son acceptation au déplacement des enfants, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que ce moyen ne peut donc être retenu ;

L'intégration des enfants dans leur nouveau milieu :

Attendu que l'article 12 de la convention prévoit que le retour immédiat d'un enfant déplacé illicitement depuis moins d'un an au moment de la demande de retour doit être ordonné par l'autorité judiciaire ou administrative saisie ; que si celle-ci est saisie après l'expiration de ce délai d'une année, elle doit également ordonner le retour de l'enfant, « à moins qu'il ne soit établi que l'enfant s'est intégré dans son nouveau milieu » ;

Attendu qu'il est constant et non contesté qu'au moment de leur déplacement, les mineures J. et E. avaient leur résidence habituelle en Espagne ; qu'au regard du droit espagnol dont le contenu n'est pas davantage contesté, les deux parents bénéficiaient sur les enfants d'une autorité parentale conjointe ; qu'ainsi H. K. aurait dû, avant de déplacer la résidence des enfants, obtenir soit l'accord de la mère soit une décision judiciaire en ce sens, ce qui n'a pas été le cas ; qu'il s'ensuit que le déplacement intervenu est illicite au sens de l'article 3 de la convention ;

Attendu par ailleurs qu'une période de vingt-deux mois s'est écoulée entre le déplacement intervenu en août 1998 et l'introduction, le 16 juin 2000, de la demande en vue du retour des enfants auprès des autorités monégasques ;

Qu'ainsi, l'article 12 deuxième alinéa est applicable ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que :

  • les enfants vivent à Monaco avec leur père depuis près de trois ans ;

  • elles sont considérées par les enfants majeurs issus de la précédente union de H. K. comme des membres à part entière de la famille ;

  • elles sont suivies depuis l'été 1999 par une gouvernante titulaire d'un diplôme d'institutrice ;

  • elles sont scolarisées à Monaco, depuis la rentrée de septembre 2000 et sont réinscrites pour l'année scolaire 2001-2002 ;

  • elles ont appris à parler et écrire le français en quelques mois et obtiennent de très bons résultats dans toutes les disciplines ;

  • elles participent à des activité de leur âge et fréquentent des camarades de classe, notamment à l'occasion de fêtes d'anniversaires ou autres auxquelles elles sont conviées ;

  • elles suivent des cours de danse classique à Monaco et pratiquent la natation ;

Attendu que les attestations émanant des personnes en contact fréquent avec les jeunes J. et E. établissent qu'il s'agit d'enfants gaies, éveillées, ouvertes et sociables ; que les institutrices insistent sur le fait qu'elles se sont très vite intégrées, avec une grande facilité, dans le groupe des enfants de leur classe ; que le parrain d'E. déclare avoir été le témoin de leur développement, de leur intégration et de leur épanouissement à Monaco ;

Attendu que les éléments du dossier montrent par ailleurs que H. K. est profondément attaché à ses filles et que celles-ci lui portent des sentiments très forts, dans le cadre d'une entente parfaite ;

Attendu que les circonstances ci-dessus relatées suffisent à démontrer que les enfants J. et E., arrivées à Monaco aux âges de quatre ans et demi et deux ans passés, sont aujourd'hui totalement intégrées dans leur environnement actuel, qu'il s'agisse de leurs milieux familial, scolaire ou social avec lesquels elles ont noué de solides attaches ;

Attendu en revanche que les mineures ne semblent pas parler ni comprendre l'espagnol, la langue de leur mère ; qu'elles n'ont plus de relation avec elle depuis très longtemps, ni même avec d'autres membres de la famille maternelle, étant relevé que les deux parents de D. P.-R., dans une attestation du 23 juillet 1997, ont estimé nécessaire et recommandé pour leurs petites-filles de demeurer sous la garde de leur père ;

Attendu, dans ces conditions, que le Tribunal estime conforme à l'intérêt supérieur des enfants J. et E. - qui constitue l'élément primordial à prendre en considération - de les maintenir dans leur milieu actuel, sans faire droit à la demande de retour ;

Le risque grave d'exposition des enfants à un danger physique et psychique :

Attendu que l'article 13 c) permet de s'opposer au retour de l'enfant lorsqu'il est établi que le retour ferait courir un risque grave de l'exposer à un danger physique ou psychique ou le placerait dans une situation intolérable ; que cette preuve doit être rapportée par la personne qui s'oppose à son retour, le Tribunal devant tenir compte, pour l'appréciation de ces circonstances, des informations fournies sur la situation sociale de l'enfant par les autorités de l'État de résidence ;

Attendu que les autorités espagnoles n'ont pas fourni d'information à ce titre ;

Attendu que les éléments produits par H. K. sur la moralité de D. P.-R., s'ils sont de nature à faire présumer que les enfants ne disposeraient pas auprès d'elle d'une référence parentale susceptible de guider leur développement dans un sens favorable à leur éducation, ne peuvent être considérés comme probants et emporter la conviction à ce stade, faute d'avoir été soumis à la discussion et à la contradiction ;

Qu'il est constant en effet que D. P.-R. ne s'est pas associée à la présente demande introduite à la requête de l'autorité centrale monégasque et n'a donc pas fait valoir son point de vue ; que pour sa part, le Procureur général, agissant pour le compte de cette autorité, a laissé sans réponse les arguments développés à ce titre par H. K. ;

Attendu en revanche qu'il est acquis aux débats que les mineures, en cas de retour brutal en Espagne, seraient exposées ou risqueraient d'être exposées, du fait de leur profonde intégration actuelle, à un danger à tout le moins psychique, au sens de l'article 13 b) de la convention ;

Qu'en effet, un retour forcé dans les circonstances présentes les priverait d'un seul coup de tout contact avec leur père et les arracherait de l'environnement dans lequel elles s'épanouissent, ce qui ne pourrait qu'affecter gravement leur équilibre psychologique ;

Que de ce point de vue également, leur intérêts supérieur commande de ne pas ordonner leur retour ;

Attendu qu'il n'y a donc pas lieu de faire application de l'article 18 de la convention ;

Attendu que les demandes du Procureur Général doivent donc être rejetées et les dépens de l'instance laissés à la charge du Trésor ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Constate que les mineures J. et E. ont fait l'objet d'un déplacement illicite au sens de l'article 3 de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 ;

Faisant application des articles 12 alinéa 2 et 13 b) de ladite convention,

Dit n'y avoir lieu d'ordonner le retour des enfants en Espagne, compte tenu de leur intégration dans leur nouveau milieu et du risque grave de danger psychique auquel ce retour les exposerait ;

Déboute en conséquence le Procureur général de ses demandes ;

Rejette toutes les autres prétentions du défendeur.

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Me Gardetto, av. déf.

Note🔗

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'appel du 20 septembre 2001.

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