Tribunal de première instance, 30 novembre 2000, État de Monaco c/ SAM Générale d'Études et d'Investissements

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Abstract🔗

Impôts et taxes

Redressement fiscal : déclaration des bénéfices - Contrainte non exécutée - Action en paiement de l'État et en nullité de la contrainte - Procédure : article 62 de l'ordonnance souveraine du 29 avril 1828 - Conclusions du Ministère public nécessaires - Recevabilité de la réclamation du contribuable, conditionnée à ses paiements

Résumé🔗

La contrainte dont s'agit, décernée le 27 février 1992 par la Direction des Services Fiscaux et rendue exécutoire le 2 mars 1992, porte sur le redressement d'une somme totale de 20 030 575 francs due au titre de l'impôt sur les bénéfices de la Société d'Études et d'Investissements pour les exercices du 1er juillet 1987 au 30 juin 1991, laquelle a demandé de la voir déclarer nulle et de dire qu'elle était fondée à déduire des bénéfices imposables la rémunération de ses dirigeants ou cadres, dans la mesure où chacune d'elle a correspondu à un travail effectif, alors en outre que sa bonne foi n'était pas contestée par référence à l'article 26-4 de l'ordonnance n° 3.152 du 19 mars 1964.

L'ordonnance susvisée, instituant un impôt sur les bénéfices dispose en son article 41 : « Les réclamations contentieuses relatives à l'impôt sur les bénéfices sont reçues instruites et pourvues de décision par le directeur des services fiscaux, sauf le droit pour le redevable, en cas de litige concernant l'assiette, le recouvrement ou les poursuites de saisir les juridictions compétentes. Les instances subséquentes sont introduites et jugées comme en matière d'enregistrement. »

À cet égard, l'article 62 de l'ordonnance du 29 avril 1828 sur l'enregistrement - visé dans la contrainte litigieuse - prévoit en son dernier alinéa que le jugement doit être rendu « sur les conclusions du Ministère public ».

Il y a donc lieu de renvoyer la présente instance à telle audience qu'il appartiendra, afin de permettre au Ministère public de déposer ses conclusions.

Il résulte par ailleurs des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 62 susvisé que « l'exécution de la contrainte ne pourra être interrompue, et il ne pourra être fait aucune réclamation, si les droits et amendes ou peines n'ont été payés ».

Il apparaît dès lors opportun de renvoyer les parties à s'expliquer à la même audience sur les conditions d'application et de mise en œuvre de ces dispositions légales dans la présente espèce.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

La société anonyme monégasque dénommée Générale d'Études et d'Investissements, ayant son siège en Principauté de Monaco, recevait le 5 juillet 1991 une lettre de la Direction des Services Fiscaux de Monaco l'informant de ce que cette administration envisageait de procéder à la vérification de ses déclarations en matière de taxes sur le chiffre d'affaires et d'impôt sur les bénéfices, tout en lui demandant de tenir à sa disposition les documents comptables ;

Suivant un nouveau courrier du 16 juillet 1991, la Direction des Services Fiscaux relevait, en évoquant les prescriptions de l'article 13 de l'ordonnance souveraine du 19 mars 1964 :

« les rémunérations des dirigeants ne sont admises en déduction des bénéfices imposables que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et à concurrence d'un maximum dont les modalités sont définies à ce même article.

Lors des exercices soumis à contrôle, votre société a déduit des bénéfices des rémunérations d'administrateurs pour les montants suivants :

  • exercice 87/88 : 19 382 215 francs (CAHT : 23 718 400 francs)

  • exercice 88/89 : 24 300 000 francs (CAHT : 27 043 470 francs)

  • exercice 89/90 : 4 500 000 francs (CAHT : 7 833 504 francs)

Afin d'apprécier la déductibilité de ces rémunérations, je vous serais très obligé de bien vouloir me faire connaître tous éléments de preuve... »

Par lettre en réponse du 3 décembre 1991, la société Générale d'Études et d'Investissements adressait à la Direction des Services Fiscaux le résumé des fonctions exercées par les divers administrateurs au sein de sa société ;

Par courrier du 13 décembre 1991, la Direction des Services Fiscaux notifiait à la société Générale d'Études et d'Investissements divers redressements aux déclarations de résultat des exercices clos le 30 juin des années 1988, 1989 et 1990, effectuées par celle-ci au titre de l'impôt sur les bénéfices ;

À la suite de la contestation adressée à l'administration par la société Générale d'Études et d'Investissements le 13 janvier 1992, les redressements étaient néanmoins confirmés par la Direction des Services Fiscaux le 28 janvier 1992 ;

Après un ultime échange de correspondances intervenu en février 1992, la Direction des Services Fiscaux faisait signifier à la société Générale d'Études et d'Investissements le 10 mars 1992 une contrainte décernée le 27 février 1992, visée et rendue exécutoire par l'autorité judiciaire le 2 mars 1992, arrêtée à la somme de 20 030 575 francs et représentant le montant de l'impôt sur les bénéfices exigé, après redressements notifiés les 13 décembre 1991 et 10 février 1992 pour les sommes et périodes suivantes :

  • exercice clos le 30 juin 1998 : 6 942 325 francs

  • exercice clos le 30 juin 1989 : 8 505 000 francs

  • exercice clos le 30 juin 1990 : 1 468 250 francs

  • exercice clos le 30 juin 1991 : 3 115 000 francs ;

Cette mise en demeure n'ayant pas été suivie d'effet, l'État de Monaco faisait assigner par exploit du 24 juillet 1992 la société Générale d'Études et d'Investissements à l'effet de la voir condamner au paiement de la somme de 20 030 575 francs en principal, sous réserve des intérêts de droit et pénalités de retard et de voir valider l'inscription provisoire de nantissement prise le 25 juin 1992 sur le fonds de commerce volume 29 n° 25 ;

Peu de temps après, suivant exploit du 10 décembre 1992, la société Générale d'Études et d'Investissements faisait assigner l'État de Monaco à l'effet de voir :

  • déclarer nulle et de nul effet la contrainte émise le 27 février 1992 et déclarée exécutoire le 2 mars 1992,

  • en conséquence, déclarer que par référence aux prescriptions de l'article 13 de l'ordonnance souveraine 3152 du 19 mars 1964, la société ne saurait être soumise au redressement de l'impôt sur le bénéfice selon les notifications des 13 décembre 1991 et 10 février 1992 pour une somme totale de 20 030 575 francs outre intérêts de retard,

  • dire qu'elle était fondée à déduire des bénéfices imposables à rémunération de ses dirigeants ou cadres, dans la mesure où chacune d'elle a correspondu à un travail effectif, alors en outre que sa bonne foi n'était pas contestée par référence à l'article 26-4 de l'ordonnance n° 3152 du 19 mars 1964,

  • ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

L'État de Monaco était par ailleurs conduit à déposer deux plaintes à rencontre des dirigeants de la société Générale d'Études et d'Investissements, É. B. et H. L. :

• la première, du 12 mai 1993, visant un délit d'écritures inexactes ou fictives sur les livre, journal et dans le livre d'inventaire,

• la seconde, du 27 août 1993, visant un délit de fraude fiscale ;

L'État de Monaco sollicitait la jonction des deux instances susvisées ;

Après avoir renoncé à solliciter le sursis à statuer initialement réclamé, compte tenu de l'existence de l'instance pénale, la société Générale d'Études et d'Investissements demandait également la jonction des instances civiles susvisées ;

Les moyens et prétentions des parties peuvent se résumer ainsi qu'il suit :

L'État de Monaco soutient :

  • que la société Générale d'Études et d'Investissements avait obligation de souscrire une déclaration sincère et conforme à la réalité des bénéfices réalisés devant servir au calcul de l'impôt correspondant,

  • qu'en se rendant coupable de fausses écritures commises intentionnellement, ladite société a présenté une situation non conforme à la réalité puisque les nommés W., L. et la société Arrowprime Ltd ne pouvaient prétendre à des indemnités d'administrateurs, n'ayant pas accompli un travail effectif au sein de la société,

  • que le jugement du Tribunal correctionnel (2 mars 1999) et l'arrêt de la cour d'appel du 14 juin 1999 révèlent à suffisance la pratique frauduleuse de dissimulation mise en œuvre par É. B. pour diminuer indûment les bénéfices de sa société,

  • que si la société Générale d'Études et d'Investissements est fondée à relever une erreur ayant entaché les notifications de redressement concernant le délai de réponse du redevable, soit 15 jours alors qu'il est fixé à 20 jours par l'article 26 de l'ordonnance souveraine n° 3152 du 19 mars 1964, elle ne saurait en tirer aucune conséquence dès lors qu'elle a présenté ses observations au-delà de ces périodes et ne peut se prévaloir d'aucun grief à cet égard,

  • que si l'administration n'a pas donné suite à la demande de la société Générale d'Études et d'Investissements tendant à faire examiner le litige par la commission consultative prévue par l'article 27 de l'ordonnance souveraine 3152 susvisée, elle a néanmoins saisi du litige cette commission qui s'est réunie le 17 décembre 1992,

  • que la contrainte critiquée a été décernée en raison de l'existence d'une créance certaine, liquide et exigible résultant de la déduction injustifiée des bénéfices taxables du montant des sommes attribuées à A. L. et S. W. et la société Arrowprime,

  • qu'enfin, les redressements consignés dans les notifications des 3 décembre 1991 et 13 janvier 1992 étaient motivés et énonçaient les arguments de l'administration fiscale,

  • que par voie de conséquence, sa demande de condamnation dans le cadre de cette procédure de redressement fiscal ne procède d'aucun abus et doit être déclarée fondée ;

La société Générale d'Études et d'Investissements invoque en premier lieu la nullité de la contrainte décernée le 27 février 1992 pour les raisons suivantes :

1°) l'administration aurait dû tenir compte des contestations émises et suspendre la taxation en soumettant le différend à la commission consultative,

2°) aucune mise en recouvrement ne peut être opposée au contribuable avant l'expiration du délai de vingt jours suivant la réponse de l'administration à ses observations,

3°) la contrainte a été abusivement décernée par référence aux dispositions du paragraphe 4 de l'article 26 de l'ordonnance souveraine 3152 interdisant tout rehaussement d'impositions si sa cause réside dans un différend sur l'interprétation du texte fiscal par le redevable de bonne foi,

4°) en l'état de sa réclamation contentieuse du 28 avril 1992, aucune contrainte ne pouvait être délivrée, laquelle présupposait l'existence d'une créance certaine liquide et exigible,

5°) aux termes de l'article 62 de l'ordonnance souveraine du 29 avril 1828, le receveur était seul habilité à procéder au recouvrement de la créance en décernant la contrainte ;

La société Générale d'Études et d'Investissements conclut subsidiairement au fond en faisant valoir les arguments suivants :

• en application de l'article 13 de l'ordonnance souveraine n° 3152, la rémunération du dirigeant ou du cadre le mieux rétribué est admise en déduction des bénéfices imposables réalisés par la personne morale dès lors qu'elle correspond à un travail effectif ;

À cet égard, la société s'est attachée en sa lettre du 3 décembre 1991 à définir les fonctions réellement exercées par chacun de ses administrateurs et dont la rémunération est selon elle la résultante d'un travail effectif ;

• en l'espèce, la Direction des Services Fiscaux soutient que ce travail effectif ne serait pas caractérisé en ce qui concerne la société Arrow Prime, W. ou L. ; cependant l'administration fiscale se prétend créancière de sommes qui auraient en toute hypothèse dues être déduites du montant des bénéfices de la société GEI ;

• en effet, il était reproché à É. B. et H. L. d'avoir fait usage de prête-noms non fiscalement imposables au titre de l'impôt sur le revenu français pour percevoir à leur lieu et place une rémunération qui leur était destinée et qu'ils auraient donc été fondés à déduire de l'impôt sur les bénéfices si une telle fiction avait fait défaut ;

• seule l'administration fiscale française a subi un préjudice au titre de l'impôt sur le revenu dû par B. et L. ;

La société GEI en déduit le caractère totalement infondé de la procédure de redressement initiée par la Direction des Services Fiscaux et de la présente action de l'État et sollicite reconventionnellement l'octroi d'une somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

À titre plus subsidiaire, la société GEI sollicite l'instauration d'une mesure d'expertise destinée à permettre de déterminer si les sommes perçues en réalité par B. et L. pouvaient ou non être déduites de l'assiette servant au calcul de l'impôt sur les bénéfices monégasques et s'il existe un préjudice subi par la Direction des Services Fiscaux ;

Sur ce :

Attendu que les instances respectivement introduites le 24 juillet 1992 par l'État de Monaco et le 10 décembre 1992 par la société GEI sont toutes deux relatives au règlement d'une même contrainte fiscale décernée par l'administration, dont la société GEI demande l'annulation tandis que l'État en poursuit le recouvrement ;

Que lesdites instances présentent dès lors un lien de connexité manifeste et doivent être jointes à l'effet qu'il soit statué sur chacune d'entre elles par un seul et même jugement ;

Attendu que la contrainte dont s'agit, décernée le 27 février 1992 et rendue exécutoire le 2 mars 1992 porte sur le redressement d'une somme totale de 20 030 575 francs due au titre de l'impôt sur les bénéfices de la société pour les exercices du 1er juillet 1987 au 30 juin 1991 ;

Attendu que l'ordonnance n° 3152 du 19 mars 1964 instituant un impôt sur les bénéfices dispose en son article 41 :

« Les réclamations contentieuses relatives à l'impôt sur les bénéfices sont reçues instruites et pourvues de décision par le directeur des services fiscaux, sauf le droit pour le redevable, en cas de litige concernant l'assiette, le recouvrement ou les poursuites de saisir les juridictions compétentes.

Les instances subséquentes sont introduites et jugées comme en matière d'enregistrement » ;

Attendu qu'à cet égard, l'article 62 de l'ordonnance du 29 avril 1828 sur l'enregistrement - visé dans la contrainte litigieuse - prévoit en son dernier alinéa que le jugement doit être rendu « sur les conclusions du Ministère public » ;

Attendu qu'il y a donc lieu de renvoyer la présente instance à telle audience qu'il appartiendra, afin de permettre au Ministère public de déposer ses conclusions ;

Attendu qu'il résulte par ailleurs des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 62 susvisé que :

« L'exécution de la contrainte ne pourra être interrompue, et il ne pourra être fait aucune réclamation, si les droits et amendes ou peines n'ont été payés » ;

Attendu qu'il apparaît dès lors opportun de renvoyer les parties à s'expliquer à la même audience sur les conditions d'application et de mise en œuvre de ces dispositions légales dans la présente espèce ;

Et attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal statuant contradictoirement,

Avant-dire-droit au fond,

  • Ordonne la jonction des procédures respectivement introduites par l'État de Monaco le 24 juillet 1992 (rôle général n° 30) et par la société anonyme monégasque Générale d'Études et d'Investissements le 10 décembre 1992 (rôle général n° 439) ;

Faisant application des dispositions de l'article 41 de l'ordonnance n° 3152 du 19 mars 1964 et de l'article 62 de l'ordonnance du 29 avril 1828.

  • Renvoie la cause à l'audience du Jeudi 25 janvier 2001 à 9 heures à laquelle il sera conclu par le Ministère public, les parties étant quant à elles invitées à s'expliquer sur les conditions d'application de l'article 62 alinéa 2 de l'ordonnance du 29 avril 1828 précitée.

Composition🔗

M. Narmino prés. ; Mlle Lelay prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato, Léandri, Michel av. déf.

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