Tribunal de première instance, 13 juillet 2000, É. B. c/ Société Agedi

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrat de travail

Licenciement - Motif économique valable - Indemnité de licenciement non due - Ordre des licenciements non respecté (Loi n° 629, 17 juill. 1957, art. 6) - Dommages-intérêts dus

Résumé🔗

É. B. qui a été employée auprès de la Société Agedi du 23 août 1976 au 27 décembre 1976, en qualité de secrétaire de direction a été licenciée avec préavis le 27 septembre 1996, en raison des difficultés économiques et financières réellement éprouvées par cette entreprise.

Néanmoins, É. B. soutient que son employeur n'a point respecté l'ordre de licenciement prescrit par la loi n° 629 du 17 juillet 1957 dont l'article 6 dispose :

« Les licenciements par suppression d'emploi ou compression de personnel ne peuvent être effectués pour une catégorie professionnelle déterminée, que dans l'ordre suivant :

1° étrangers domiciliés hors de Monaco et des Communes limitrophes ;

2° étrangers domiciliés dans les Communes limitrophes ;

3° étrangers domiciliés à Monaco ;

4° étrangers mariés à une monégasque ayant conservé sa nationalité et non légalement séparés et étrangers nés d'un auteur direct monégasque ;

5° monégasques.

Dans chacune des catégories prévues ci-dessus, il sera tenu compte de l'ancienneté dans l'entreprise ; si l'intéressé y travaille depuis deux ans au moins une bonification d'ancienneté de un an par enfant à charge lui est accordée pour l'application des dispositions du présent article. Cette bonification ne peut excéder cinq ans.

Lorsque le licenciement n'affecte qu'une catégorie professionnelle, le salarié atteint par cette mesure sera alors versé, s'il le demande, dans une catégorie inférieure au lieu et place, éventuellement d'un autre salarié dont le rang de priorité indiqué ci-dessus serait inférieur au sien. Ces mutations ne pourront s'effectuer que si l'intéressé possède les aptitudes nécessaires à son nouvel emploi ».

L'ordre des licenciements tel qu'édicté par l'article 6 de la loi n° 629 ne peut s'appliquer qu'à l'égard des salariés appartenant à une même catégorie professionnelle.

S'agissant d'une loi d'ordre public, l'employeur est tenu de la respecter, à peine de poursuites pénales, et ne saurait y déroger par des conventions.

En l'espèce, É. B. a été embauchée le 23 août 1976 en qualité d'assistante de direction, coefficient 320.

Il ressort d'un courrier de la Société Agedi du 6 décembre 1995 que la salariée A. O. a été embauchée le 1er février 1977 ; qu'il résulte d'un bulletin de paie du mois d'octobre 1997 qu'A. O. occupe un poste d'assistante de direction.

En licenciant É. B., demeurant à Monaco, alors qu'A. O., également domiciliée à Monaco, a une ancienneté inférieure à celle de la demanderesse au sein de la Société Agedi, s'agissant de deux salariées domiciliées à Monaco et appartenant à la même catégorie professionnelle, l'entreprise n'a à l'évidence pas respecté les dispositions de la loi susvisée.

Le licenciement d'É. B. revêt donc un caractère abusif compte tenu de la faute commise par la Société Agedi dans la mise en œuvre de son droit de licenciement - ce qui fonde la demanderesse à demander la réparation de son préjudice moral - à l'exclusion d'un préjudice matériel dont la preuve n'est point rapportée.

L'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ne permet pas à la demanderesse de réclamer une indemnité de licenciement dès lors que le licenciement est fondé sur un motif valable.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

É. B. a été employée auprès de la société anonyme dénommée Agedi du 23 août 1976 au 27 décembre 1996 en qualité d'assistante de direction ; elle a été licenciée avec préavis par courrier du 27 septembre 1996 ;

Saisi par É. B. de demandes en paiement d'indemnités de licenciement et de dommages-intérêts, le Tribunal du travail a, par jugement du 11 février 1999, auquel il y a lieu de se reporter pour plus ample exposé des circonstances de la cause,

  • dit et jugé que le licenciement d'É. B. était fondé sur un motif économique valable et ne revêtait aucun caractère abusif,

  • et débouté É. B. de ses demandes ;

É. B. a, par l'exploit susvisé du 21 avril 1999, régulièrement relevé appel de ce jugement signifié le 12 avril 1999 dont elle poursuit l'infirmation au motif que l'ordre du licenciement prévu par l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 n'aurait pas été respecté et que, du fait de son ancienneté, elle aurait dû être la dernière à subir une mesure de licenciement pour motif économique ;

É. B. précise :

  • qu'elle n'a jamais contesté les difficultés rencontrées par la société Agedi,

  • que le courrier du 11 mars 1996 émis par la défenderesse ne faisait pas allusion à son licenciement,

  • qu'elle a été licenciée six mois après son refus d'accepter une diminution de salaire,

  • que la lettre de licenciement ne visait pas son refus,

  • que son licenciement serait justifié par le fait qu'elle n'avait pas réalisé le meilleur chiffre d'affaires pendant la période de janvier à septembre 1996,

  • que son refus n'était pas de nature à compromettre le plan de redressement financier de la société,

  • que les dispositions de la loi n° 629 étant d'ordre public, il est impossible d'y déroger, même de la volonté des parties ;

É. B. demande donc au Tribunal :

  • de dire et juger que son licenciement a été prononcé en violation de l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 et revêt un caractère abusif ;

  • de condamner la société Agedi à lui payer un solde dû sur indemnité de licenciement (37 525,30 francs) et des dommages-intérêts (1 600 000 francs) outre intérêts de droit à compter du 1er mars 1997 ;

Par conclusions du 7 octobre 1999 la société Agedi demande au Tribunal de juger que le licenciement d'É. B. était fondé sur un motif économique valable et ne revêt aucun caractère abusif et par conséquent, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal du travail le 11 février 1999 ;

La société Agedi fait valoir :

  • que les difficultés économiques et financières la concernant sont avérées,

  • que le refus d'É. B. d'accepter une diminution de salaire l'a obligée à la licencier,

  • que les critères visés à l'article 6 de la loi n° 629 ont été observés,

  • que le salarié C. ne relèverait pas de la même catégorie professionnelle que la demanderesse, étant résident à Monaco avec deux enfants à charge,

  • que les salariés J. ou O. sont résidents à Monaco,

  • que la salariée N. est veuve avec un enfant à charge,

  • que tous les salariés à l'exception d'É. B. ont accepté une diminution de leur salaire de base, la suppression de la prime de langue et de l'indemnité monégasque de 5 %,

  • qu'aux termes de l'article 6 de la loi précitée, un salarié touché par une mesure de licenciement économique peut demander à être classé dans une catégorie inférieure ;

Par conclusions du 10 novembre 1999 É. B. reprend le bénéfice de ses précédentes conclusions ;

É. B. maintient, d'une part, que C. T., actionnaire principal de la société Agedi, lui aurait affirmé que son licenciement était dû au fait qu'elle n'avait pas réalisé un chiffre d'affaires suffisant entre janvier 1996 et septembre 1996 et, d'autre part, que les dispositions de la loi n° 629 n'avaient pas été respectées ;

Par conclusions du 3 février 2000, la société Agedi réitère ses précédentes écritures ;

Sur ce :

Attendu que l'appel, formé dans les délais de la loi, doit être déclaré recevable ;

Attendu qu'il convient de constater qu'É. B. reconnaît que la société Agedi a rencontré des difficultés économiques ; que cela est en effet établi par un rapport dressé par Jean-Paul Samba le 31 juillet 1996 en sa qualité de mandataire de justice désigné par le Tribunal, lequel a évalué le passif global de la société à la somme de 11 096 601 francs ;

Attendu qu'É. B. soutient, sans toutefois en rapporter la preuve à l'appui de ses allégations, que son licenciement aurait été justifié par le fait qu'elle n'avait pas réalisé un chiffre d'affaires suffisant de janvier à septembre 1996 dès lors qu'à compter de 1983, ses fonctions avaient consisté à encadrer l'ensemble des négociateurs et à gérer le service des locations, des fonds de commerce et des ventes sur le territoire français ;

Attendu qu'il convient, en revanche, de constater que la société Agedi, tant dans des courriers datés des 28 décembre 1995 et 11 mars 1996 que dans la lettre de licenciement du 27 septembre 1996 fait état de licenciements économiques et des difficultés financières de la société ;

Que tel est d'ailleurs le motif invoqué par la société Agedi dans la lettre précitée du 27 septembre 1996 et dans le reçu pour solde de tout compte du 31 décembre 1996 ;

Attendu qu'il convient de préciser qu'É. B. ne rapporte pas la preuve contraire, en sorte que les juges du Tribunal du travail doivent être approuvés en ce qu'ils ont, à juste titre au vu de l'ensemble de ces éléments, affirmé qu'il s'agissait d'un licenciement fondé sur un motif économique ;

Attendu que la société Agedi, dans un souci légitime de redresser la société, a décidé de redéfinir les rémunérations de ses salariés et notamment de ses négociateurs en adressant la lettre circulaire du 28 décembre 1995 qui a fait l'objet d'une réponse de la part d'É. B. en date du 25 janvier 1996 et d'une contre proposition de la part de la société Agedi par courrier du 11 mars 1996, laquelle a proposé à sa salariée le paiement d'un salaire mensuel de base de 10 000 francs brut par mois plus ancienneté, éléments mentionnés par É. B. dans la lettre précitée du 25 janvier 1996 ;

Que par lettre du 15 mars 1996, É. B. a informé son employeur « que pour des raisons personnelles » elle ne pouvait accepter l'offre mentionnée dans le courrier du 11 mars 1996 qui prévoyait, en outre, une commission sur les transactions (15 % à 17 %), une prime de 1 000 francs, pour tout apport d'une nouvelle gérance, plus une commission de 3 % ;

Attendu que le dirigeant de la société Agedi a, par le courrier du 11 mars 1996, indiqué à É. B. que « dans le cas d'un refus de cette proposition de votre part, je me verrai contraint de procéder à d'autres licenciements pour motif économique » ;

Attendu que la loi n° 629 du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté précise en son article 6 :

« les licenciements par suppression d'emploi ou compression de personnel ne peuvent être effectués pour une catégorie professionnelle déterminée, que dans l'ordre suivant :

1° étrangers domiciliés hors de Monaco et des communes limitrophes,

2° étrangers domiciliés dans les communes limitrophes,

3° étrangers domiciliés à Monaco,

4° étrangers mariés à une monégasque ayant conservé sa nationalité et non légalement séparés et étrangers nés d'un auteur direct monégasque,

5° monégasques.

Dans chacune des catégories prévues ci-dessus, il sera tenu compte de l'ancienneté dans l'entreprise ; si l'intéressé y travaille depuis deux ans au moins une bonification d'ancienneté de un an par enfant à charge lui est accordée pour l'application des dispositions du présent article. Cette bonification ne peut excéder cinq ans.

Lorsque le licenciement n'affecte qu'une catégorie professionnelle, le salarié atteint par cette mesure sera alors versé, s'il le demande, dans une catégorie inférieure aux lieu et place, éventuellement d'un autre salarié dont le rang de priorité indiqué ci-dessus serait inférieur au sien. Ces mutations ne pourront s'effectuer que si l'intéressé possède les aptitudes nécessaires à son nouvel emploi. » ;

Attendu que l'ordre des licenciements tel qu'édicté par l'article 6 de la loi n° 629 susvisée ne peut s'appliquer qu'à l'égard des salariés appartenant à une même catégorie professionnelle ;

Attendu que s'agissant d'une loi d'ordre public, l'employeur est tenu de la respecter à peine de poursuites pénales et ne saurait y déroger par des conventions ;

Attendu qu'en l'espèce, É. B. a été embauchée le 23 août 1976 en qualité d'assistante de direction, coefficient 320 ;

Qu'il ressort d'un courrier de la société Agedi du 6 décembre 1995 que la salariée A. O. a été embauchée le 1er février 1977 ; qu'il résulte d'un bulletin de paie du mois d'octobre 1997 qu'A. O. occupe un poste d'assistante de direction ;

Attendu qu'en licenciant É. B., demeurant à Monaco, alors qu'A. O., également domiciliée à Monaco, a une ancienneté inférieure à celle de la demanderesse au sein de la société Agedi, s'agissant de deux salariées domiciliées à Monaco et appartenant à la même catégorie professionnelle, l'entreprise n'a à l'évidence pas respecté les dispositions de la loi susvisée ;

Que la position adoptée par É. B. par courrier du 15 mars 1996 ne permettait pas à la société Agedi de s'affranchir des dispositions de l'article 6 précité ;

Attendu que le licenciement d'É. B. revêt donc un caractère abusif compte tenu de la faute commise par la société Agedi dans la mise en œuvre de son droit de licenciement ;

Attendu que l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ne permet pas à la demanderesse de réclamer une indemnité de licenciement dès lors que le licenciement est fondé sur un motif valable ; que la demande formée à ce titre par l'appelante doit donc être rejetée ;

Attendu que le préjudice invoqué par elle, chiffré à 1 600 000 francs, n'est nullement justifié au vu des éléments produits aux débats ; qu'aucune pièce ne vient en effet étayer la demande en dommages-intérêts ;

Que les conclusions de l'appelante ne précisent pas davantage la nature et le quantum du préjudice allégué ;

Qu'É. B. ne rapporte donc pas la preuve d'un préjudice financier ; qu'elle s'abstient d'ailleurs d'indiquer quelle est sa situation matérielle actuelle ;

Attendu cependant que la demanderesse a manifestement subi un préjudice moral du fait d'un licenciement intervenu au mépris des prescriptions légales ; que compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise et des éléments suffisants d'appréciation dont le Tribunal dispose, il convient d'évaluer le préjudice moral subi par É. B. à une somme de 50 000 francs ;

Attendu que la société Agedi doit donc être condamnée au paiement de cette somme ; que les intérêts courront à compter du présent jugement ;

Attendu qu'il convient de condamner la partie qui succombe aux dépens, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

  • Déclare l'appel recevable en la forme ;

  • Confirme le jugement du Tribunal du travail du 11 février 1999 en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement d'É. B. était fondé sur un motif valable ;

Le réformant pour le surplus,

  • Dit et juge que le licenciement d'É. B. a revêtu un caractère abusif ;

En conséquence,

  • Condamne la société anonyme monégasque Agedi à payer à É. B. la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

  • Déboute É. B. de sa demande en paiement d'une indemnité de licenciement.

Composition🔗

M. Narmino prés. ; Mlle Le Lay prem. subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla, Lorenzi av. déf. ; Morel av. bar. de Nice.

Note🔗

Cette décision confirme en partie le jugement du 11 février 1999 du Tribunal du travail.

  • Consulter le PDF