Tribunal de première instance, 17 février 2000, Société Générale c/ S.

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Abstract🔗

Cautionnement

Application du droit français - Fusion de deux créances exigibles en une créance unique à terme - Novation (oui) - Libération de la caution

Novation

Conditions : dette nouvelle se substituant à l'ancienne - Effet de la novation opérée à l'égard du débiteur principal : libération des cautions

Résumé🔗

F. S. s'est porté caution solidaire d'un prêt à intérêt de 300 000 francs consenti à son épouse le 29 avril 1991 par la Société Générale, l'acte prévoyant que le cautionnement était soumis au droit français et sa jurisprudence.

Le 12 septembre 1995 est intervenu entre l'emprunteur et la Société Générale un protocole d'accord, alors que la créance résultant du prêt était exigible, par lequel les parties décidaient de fusionner cette créance avec celle relative à un compte courant pour obtenir une nouvelle créance unique et réduite à titre transactionnel, remboursable sur une nouvelle durée de 5 ans moyennant des mensualités incluant un nouveau taux d'intérêt.

Cette transformation de deux créances exigibles - dont une seule était cautionnée par le défendeur - en une créance à terme unique, caractérise une novation au sens de l'article 1271 du Code civil français qui dispose que celle-ci s'opère notamment lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui s'est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte.

Il s'ensuit que le défendeur qui s'est engagé comme caution du seul prêt de 1991, et non du compte courant doit être libéré, en vertu de l'article 1281 alinéa 2 du Code civil français disposant que « la novation opérée à l'égard du débiteur principal libère les cautions ».

Les demandes de condamnation formulées par la Société Générale à l'encontre de F. S. ne sauraient dès lors prospérer.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu qu'autorisée par ordonnance présidentielle du 26 mai 1998 à faire pratiquer une saisie-arrêt auprès de la Société Marseillaise de Crédit à concurrence de la somme de 180 000 francs sur toutes sommes appartenant à F. S., la société anonyme dénommée Société Générale a, suivant exploit du 2 juin 1998, fait assigner, d'une part, F. S. aux fins de le voir condamner au paiement des causes de la saisie et, d'autre part, la Société Marseillaise de Crédit, tiers-saisie, aux fins de la voir procéder à la déclaration prévue par l'article 500 alinéa 1 du Code de procédure civile ;

Attendu que la Société Marseillaise de Crédit a procédé le 17 juin 1998 à sa déclaration complémentaire et indiqué détenir en ses livres pour le compte de F. S. une somme de 50 059,60 francs ;

Qu'au soutien de sa demande en paiement, la Société Générale expose que F. S. s'est porté caution solidaire au profit de son épouse C. S. à hauteur de la somme de 300 000 francs selon acte de caution du 25 avril 1991 et qu'il demeure à ce titre redevable de la somme totale de 115 681,07 francs en principal, au titre des échéances impayées et du capital du prêt de 300 000 francs accordé le 3 mai 1991 à C. S. ;

Qu'en dépit de lettres de rappel, la débitrice ne s'est pas acquittée du solde impayé et sa caution n'a pas davantage apuré cette dette, en sorte que la banque demanderesse s'estime fondée à réclamer à F. S. la somme de 115 681,07 francs en principal, outre intérêts contractuels à 11 % l'an à compter du 2 janvier 1995, date de la première échéance impayée, et la validation de la saisie-arrêt pratiquée ;

Que par de nouveaux écrits judiciaires, elle sollicite également l'octroi d'une somme de 30 000 francs de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier causé par la présente procédure, outre le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir, et entend se voir donner acte de ce qu'elle a reçu au 2 avril 1998 la somme de 6 788,22 francs, laquelle viendra en priorité en déduction des intérêts et frais, et non pas du capital ;

Attendu que F. S. entend pour sa part voir débouter purement et simplement la Société Générale de l'ensemble de ses demandes à son encontre et ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 2 juin 1998 par la Société Générale ;

Attendu que le défendeur fait valoir pour l'essentiel au soutien de ses dénégations :

• que le droit français est applicable à l'acte de caution signé par F. S. le 25 avril 1991,

• que le Code civil français prévoit que la novation opérée à l'égard du débiteur principal libère la caution,

• que le protocole d'accord signé le 12 septembre 1995 entre la Société Générale et C. S. a opéré novation entre ces deux parties, en ce que les deux créances de la banque ont été fusionnées en une seule, remboursable sur une nouvelle durée,

• que la novation de deux créances exigibles en une seule, à terme, a libéré F. S. de son obligation de caution par application des dispositions de l'article 1281 du Code civil français, et par référence à des décisions de la Cour de cassation française ;

Que tout en concluant également au rejet de la demande additionnelle de dommages-intérêts chiffrée à 30 000 francs par la Société Générale, F. S. entend voir ordonner l'exécution provisoire du jugement déboutant la banque ;

Attendu que la Société générale réfute l'argumentation du défendeur en relevant notamment les éléments de fait suivants :

• la jurisprudence française - à la supposer applicable à Monaco - ne concerne pas un cas d'espèce semblable à celui soumis au Tribunal,

• la novation ne se présume pas : la volonté de l'opérer doit résulter de l'acte,

• la modification du montant de la dette ou des modalités de paiement ne suffisent pas à caractériser une novation,

•·en l'espèce, le changement intervenu de l'accord des parties au protocole reste mineur et ne peut consacrer une novation ;

Que la banque demanderesse s'estime en conséquence fondée à solliciter le bénéfice de son exploit introductif d'instance et de ses demandes ultérieures ;

Sur ce :

Attendu qu'il résulte des pièces produites que F. S., alors l'époux de C. S., signait le 25 avril 1991 un acte de cautionnement solidaire en faveur de son épouse pour un prêt à elle consenti de 300 000 francs, remboursable sur cinq ans à un taux d'intérêt de 11 % par 60 mensualités de 6 522,72 francs ;

Attendu que suite aux difficultés financières éprouvées par C. S., la Société Générale signait avec elle le 12 septembre 1995 un protocole d'accord, aux termes duquel C. S. était déclarée débitrice d'une somme de 1 868,61 francs en principal au titre du solde débiteur d'un compte courant et d'une somme de 117 926,33 francs au titre du prêt du 29 avril 1991, ledit protocole prévoyant la réduction de la créance à une somme globale et forfaitaire de 117 549,68 francs et aménageant le mode de règlement au moyen de 60 mensualités de 2 262,74 francs, après application d'un taux d'intérêt de 5,82 % ;

Attendu quant au droit applicable à l'acte de caution sus-visé, qu'il suffit de se référer à l'article XII dudit contrat pour relever la disposition suivante :

« Le présent cautionnement est soumis au droit français » ;

Que référence doit donc être effectuée tant aux dispositions législatives françaises qu'à l'ensemble du droit positif considéré, incluant les décisions des juridictions françaises ;

Attendu que l'article 1271 du Code civil français dispose que la novation s'opère notamment lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui s'est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte ;

Attendu que le protocole d'accord signé entre la débitrice principale C. S. et la banque dispose notamment :

« Le client est titulaire dans les livres de la Société Générale de Monte-Carlo d'un compte courant numéro 20155150 qui présente à ce jour un solde débiteur de FF 1 868,61 en principal, auquel s'ajoute les intérêts au taux conventionnel depuis le 1.07.1995.

Par ailleurs, la banque a consenti au client, par acte du 29.04.1991, un prêt professionnel de FF 300 000 remboursable au taux de 11 % sur 5 ans, avec des mensualités de FF 6 619,93 chacune, dont 9 mensualités sont à ce jour impayées.

(...)

Selon les termes du contrat du 29 avril 1991, l'exigibilité anticipée de ce prêt est acquise à la banque et à ce titre il lui est dû la somme totale de FF 117 926,33 selon détail ci-après.

(...)

La créance de la banque sur le client est fixée au 12.09.1995 à la somme de FF 119 794,94 dont 117 926,33 francs au titre du prêt et 1 868,61 francs au titre du compte courant, ce qui est expressément reconnu et accepté par le client.

À titre transactionnel, la banque accepte de limiter et réduire forfaitairement sa créance à la somme de 117 549,68 F qui sera réglée en 60 mensualités de FF 2 262,74, comprenant la somme nécessaire à l'amortissement du capital et au paiement des intérêts à taux transactionnel fixé de 5,82 % l'an hors assurance. La première échéance est fixée au 12.10.1995 » ;

Attendu qu'il doit en être déduit qu'alors que la créance résultant du prêt était exigible, les parties ont décidé de la fusionner avec celle relative à un compte courant pour obtenir une nouvelle créance unique et réduite à titre transactionnel, remboursable sur une nouvelle durée de cinq années moyennant des mensualités incluant un nouveau taux d'intérêt ;

Que cette transformation de deux créances exigibles - dont une seule était cautionnée par le défendeur - en une créance à terme unique, caractérise une novation, en l'état de laquelle celui qui s'est engagé comme caution du seul prêt de 1991, et non du compte courant, doit être libéré ;

Qu'il résulte en effet des dispositions de l'article 1281 alinéa 2 du Code civil français que :

« La novation opérée à l'égard du débiteur principal libère les cautions » ;

Attendu que l'extinction des deux anciennes dettes et la création d'une nouvelle se trouve en outre corroborée par la déclaration de créance opérée par la Société Générale auprès du syndic de la cessation des paiements de C. S., laquelle était jointe au seul protocole d'accord du 12 septembre 1995 ;

Attendu que les demandes de condamnation formulées par la Société Générale à l'encontre de F. S. ne sauraient dès lors prospérer ; qu'il convient de débouter la demanderesse de l'ensemble de ses prétentions tout en ordonnant mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée entre les mains de la Société Marseillaise de Crédit ;

Attendu, sur la demande d'exécution provisoire formulée par le défendeur, que l'urgence apparaît caractérisée compte tenu de la situation de ce commerçant et de la nécessité de retrouver au plus tôt l'usage de ses fonds ;

Et attendu que la Société Générale qui succombe devra supporter les dépens de la présente instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal statuant contradictoirement,

Déboute la société anonyme dénommée Société Générale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Ordonne la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée par cette société le 2 juin 1998 entre les mains de la Société Marseillaise de Crédit ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Note🔗

Les articles 1119 et 1129 du Code civil monégasque sont respectivement semblables aux articles 1271 et 1281 du Code civil français.

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