Tribunal de première instance, 16 février 2000, Société British Motors c/ Société Rolls Royce

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Abstract🔗

Arbitrage

Clause compromissoire - Tribunal arbitral : compétence au fond - Juge des référés : compétence non exclue pour ordonner mesures provisoires et conservatoires conformes à la convention internationale de New York du 10 juin 1958

Référés

Clause compromissoire - Compétence du juge des référés non exclue à condition de respecter les prescriptions de l'article 414 du CPC - Incompétence si nécessité d'apprécier le fond

Résumé🔗

La Société British Motors, concessionnaire de la Société Rolls Royce, a assigné celle-ci devant le juge des référés de Monaco, aux fins de rétablissement des relations contractuelles que cette dernière avait rompues en invoquant de graves infractions. La Société Rolls Royce faisant état d'une clause compromissoire du contrat de concession a soulevé l'incompétence de cette juridiction aux motifs que les parties avaient convenu de soumettre tout litige relatif à l'exécution dudit contrat à une procédure d'arbitrage et de surcroît que la demande concernant le fond du litige, échappait à la compétence du juge des référés.

La clause du contrat liant les parties, dénommée « Compétence et arbitrage » prévoit que celui-ci est soumis à la loi suisse (canton de Vaud) et doit être interprétée conformément à celle-ci ; et que tout différend, tout litige ou toute contestation sera en dernier lieu soumis à arbitrage... conformément aux règles de la Chambre de Commerce Internationale.

Le règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale envisage, dans son article 23-2, la possibilité pour les parties, avant la remise du dossier au tribunal arbitral et même après dans certaines hypothèses, de « demander à toute autorité judiciaire des mesures provisoires ou conservatoires » sans préjudicier à la compétence du tribunal arbitral.

Il résulte de ces textes que la saisine du juge des référés de Monaco, en vue de faire ordonner des mesures provisoires ou conservatoires, n'est pas prohibée par la convention conclue entre les parties, lesquelles ont au contraire expressément envisagé cette faculté, même si en dernier lieu leur litige devra être soumis au tribunal arbitral, conformément à la clause compromissoire qu'elles ont souscrite.

L'article II-3 de la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, faite à New York le 10 juin 1958 et rendue exécutoire à Monaco par ordonnance n° 7485 du 14 septembre 1982, ne fait pas obstacle à une telle saisine, dès lors que le renvoi des parties à l'arbitrage édicté par cet article - dans le cas, avéré en l'espèce, où le contrat qu'elles ont conclu est applicable - n'est prescrit que lorsque le tribunal d'un État contractant est saisi d'un litige. En l'espèce, la saisine de la juridiction des référés, qui ne peut ordonner de mesures préjudiciant au principal, en vertu de l'article 414 du Code de procédure civile, n'équivaut pas à la saisine d'un tribunal doté de la plénitude de juridiction pour trancher un litige au sens de la Convention.

Au demeurant aucune disposition de droit monégasque n'interdit en pareille matière le recours au juge des référés, sauf à respecter les prescriptions de l'article 414 précité.

Il s'ensuit que la Société British Motors est fondée à attraire la Société Rolls Royce devant la juridiction monégasque des référés, compétente en raison de la matière ; que par ailleurs la compétence de cette juridiction résulte en l'espèce, en dépit de l'absence de domicile à Monaco de la société défenderesse, des dispositions de l'article 3-2° du Code de procédure civile, dès lors que la Société de droit monégasque British Motors entend obtenir l'exécution d'obligations contractuelles en Principauté ; qu'enfin seul le droit monégasque est susceptible de s'appliquer à la présente instance.

La demande de la Société British Motors tendant à obtenir l'exécution forcée du contrat, en cette matière l'article 997 du Code civil pose en principe que toute obligation de faire se résout en dommages-intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur ; que si, malgré ce principe, le créancier est en droit d'obtenir de son débiteur une exécution en nature dans certaines hypothèses, il est constant que ce droit ne lui est pas reconnu lorsque l'exécution de l'obligation suppose un concours personnel du débiteur, en particulier dans le cas de contrat conclu « intuitu personae ».

La Société British Motors n'a pas contesté un tel caractère au contrat conclu avec la Société Rolls Royce, compte tenu des particularités liées à la concession de véhicules d'un prestige et d'un luxe exceptionnels.

Il doit donc être considéré que la Société Rolls Royce ne peut être contrainte en référé à exécuter, contre son gré, un contrat qu'elle a voulu résilier eu égard aux graves agissements qu'elle impute au concessionnaire.

Il ne pourrait en aller différemment que s'il apparaissait évident que le motif de rupture des relations contractuelles était invoqué sur la base de considérations manifestement dénuées de sérieux ; tel n'est cependant pas le cas en la cause, dès lors qu'à tout le moins, sur le plan de l'apparence, qui guide l'appréciation du juge des référés, les griefs de la Société Rolls Royce semblent reposer sur des éléments de fait - dont certains ne sont pas contestés dans leur matérialité par la Société British Motors - faisant l'objet d'une plainte pénale argumentée.

En tout état de cause, se prononcer sur le point de savoir si la décision de rupture avec un bref préavis constitue ou non, en l'espèce, une réponse proportionnée aux griefs allégués, supposerait une appréciation du fond du litige qui ne peut être menée en référé, compte tenu des prescriptions de l'article 414 du Code de procédure civile précité.

Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la Société British Motors.


Motifs🔗

Ordonnance de référé,

Attendu que pour l'essentiel, le débat peut être ainsi résumé :

La Société British Motors, concessionnaire des marques Rolls Royce et Bentley à Monaco, estime que la Société Rolls Royce s'est emparée d'un « simple incident » - qu'elle qualifie de « prétexte à une rupture brutale et déloyale » - pour motiver sa décision, formalisée par lettre du 19 novembre 1999, de résilier à effet du 19 janvier 2000 les relations contractuelles existant entre les parties depuis environ 70 ans ;

Elle affirme que la Société Rolls Royce a d'ores et déjà modifié les conditions de paiement et de marge qui lui étaient habituellement consenties, avant même l'expiration du délai de deux mois qu'elle lui a notifié unilatéralement ;

Déclarant se réserver de saisir la juridiction compétente pour trancher le fond du litige, elle estime urgent de mettre en place « des mesures conservatoires et de remise en état » pour prévenir le dommage imminent qui la menace ;

Répondant par avance à l'exception d'incompétence soulevée, la Société British Motors, qui ne conteste pas la teneur du contrat versé aux débats, prétend que selon les règles internationales relatives à l'arbitrage, les tribunaux nationaux restent compétents pour ordonner toutes mesures conservatoires ou provisoires ;

Elle observe que sur la base des dispositions de l'article II.3 de la Convention de New York du 10 juin 1958 relative à la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales, les juridictions nationales admettent la compatibilité avec ladite Convention d'une mesure provisoire ordonnée par un tribunal national ; par ailleurs, elle se prévaut du contrat de concession du 1er juillet 1991 (article 11 imposant un arbitrage selon les règles de la Chambre de Commerce Internationale) pour soutenir que le règlement de la Chambre de Commerce Internationale prévoit expressément la faculté, pour les parties, de demander à toute autorité judiciaire, avant la remise du dossier au tribunal arbitral, des mesures provisoires ou conservatoires ;

Elle en déduit que le juge des référés a été régulièrement saisi, conformément aux principes de droit international privé, lesquels n'exigeraient pas une absence de contestation sérieuse entre les parties ;

Quant à la loi applicable aux mesures provisoires sollicitées, la Société British Motors affirme qu'il s'agit de la loi du for, soit la loi monégasque, en sorte qu'il serait sans incidence de connaître à ce stade la teneur de la loi suisse ;

La Société Rolls Royce insiste sur la « gravité exceptionnelle des infractions commises » par la Société British Motors et sur la nature « intuitu personae » du contrat la liant à cette société pour justifier la résiliation qu'elle a mise en œuvre avec un préavis de deux mois ;

Analysant les prétentions de son adversaire en une demande contractuelle, la Société Rolls Royce en déduit que le juge des référés est incompétent, puisque les parties ont convenu de soumettre tout litige relatif à l'exécution du contrat à une procédure d'arbitrage ;

Elle observe que la demande de la Société British Motors tendant à la poursuite des relations contractuelles ne relève pas de mesures provisoires ou conservatoires mais constitue une prétention concernant le fond du litige ; elle affirme que l'exécution forcée d'un contrat en dépit de l'existence d'un grave différend implique que soit préalablement tranchée une question de fond échappant à la compétence du magistrat des référés ;

Elle considère, au sujet de la Convention de New York, que la clause compromissoire convenue entre les parties est parfaitement valable et doit être appliquée comme le prescrit l'article II-3 de cette Convention ;

En tout état de cause, elle affirme que la demande de la Société British Motors se heurte à une contestation très sérieuse (tentatives d'escroqueries à l'aide de faux documents pour obtenir l'octroi de primes indues) ayant fait l'objet d'une plainte avec constitution de partie civile de sa part ;

Sur le droit applicable, elle observe que le contenu de la loi suisse, choisie par les parties pour trancher les questions relatives au contrat, n'est pas prouvé par la Société British Motors et allègue que le droit suisse ne prévoit pas la poursuite forcée d'un contrat résilié pour des motifs graves ;

Enfin, elle estime que l'exécution forcée du contrat causerait un grave trouble, dans la mesure où elle se ferait au préjudice des droits du successeur de la Société British Motors, nommé pour la remplacer ;

Attendu que les parties sont régies, en dernier lieu, par le contrat qu'elles ont conclu le 1er juillet 1991, à durée non déterminée ; que la clause 11 de ce contrat dénommée « Compétence et arbitrage », prévoit que le contrat de concession est soumis à la loi suisse (Canton de Vaud) et interprété conformément à cette loi ; qu'elle édicte en outre que « tout différend, tout litige ou toute contestation sera en dernier lieu soumis à arbitrage... conformément aux règles de la Chambre de Commerce Internationale... » ;

Attendu que le règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale envisage, dans son article 23-2, la possibilité pour les parties, avant la remise du dossier au tribunal arbitral et même après dans certaines hypothèses, de « demander à toute autorité judiciaire des mesures provisoires ou conservatoires » sans préjudicier à la compétence du tribunal arbitral ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que la saisine du juge des référés de Monaco, en vue de faire ordonner des mesures provisoires ou conservatoires, n'est pas prohibée par la convention conclue entre les parties, lesquelles ont au contraire expressément envisagé cette faculté, même si en dernier lieu, leur litige devra être soumis à un tribunal arbitral conformément à la clause compromissoire qu'elles ont souscrite ;

Attendu que l'article II-3 de la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, faite à New York le 10 juin 1958 et rendue exécutoire à Monaco par ordonnance n° 7485 du 14 septembre 1982, ne fait pas obstacle à une telle saisine, dès lors que le renvoi des parties à l'arbitrage édicté par cet article - dans le cas, avéré en l'espèce, où le contrat qu'elles ont conclu est applicable - n'est prescrit que lorsque le tribunal d'un État contractant est « saisi d'un litige » ; qu'en l'espèce, la saisine de la juridiction des référés, qui ne peut ordonner de mesures préjudiciant au principal en vertu de l'article 414 du Code de procédure civile, n'équivaut pas à la saisine d'un tribunal doté de la plénitude de juridiction pour trancher un litige au sens de la Convention ;

Attendu, au demeurant, qu'aucune disposition de droit monégasque n'interdit en pareille matière le recours au juge des référés, sauf à respecter les prescriptions de l'article 414 précité ;

Attendu qu'il s'ensuit que la Société British Motors est fondée à attraire la Société Rolls Royce devant la juridiction monégasque des référés, compétente en raison de la matière ; que par ailleurs, la compétence territoriale de cette juridiction résulte en l'espèce, en dépit de l'absence de domicile à Monaco de la société défenderesse, des dispositions de l'article 3-2° du Code de procédure civile, dès lors que la société de droit monégasque British Motors entend obtenir l'exécution d'obligations contractuelles en Principauté ; qu'enfin, seul le droit monégasque est susceptible de s'appliquer à la présente instance ;

Attendu que dans ses deux branches, la demande de la Société British Motors vise à obtenir l'exécution forcée du contrat ; qu'en cette matière, l'article 997 du Code civil pose en principe que toute obligation de faire se résout en dommages-intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur ; que si, malgré ce principe, le créancier est en droit d'obtenir de son débiteur une exécution en nature dans certaines hypothèses, il est constant que ce droit ne lui est pas reconnu lorsque l'exécution de l'obligation suppose un concours personnel du débiteur, en particulier dans le cas de contrat conclu « intuitu personae » ;

Attendu que la Société British Motors n'a pas contesté un tel caractère au contrat conclu avec la Société Rolls Royce, compte tenu des particularités liées à la concession de véhicules d'un prestige et d'un luxe exceptionnels ;

Qu'il doit donc être considéré que la Société Rolls Royce ne peut être contrainte en référé à exécuter contre son gré un contrat qu'elle a voulu résilier eu égard aux graves agissements qu'elle impute au concessionnaire ;

Qu'il ne pourrait en aller différemment que s'il apparaissait évident que le motif de rupture des relations contractuelles était invoqué sur la base de considérations manifestement dénuées de sérieux ; que tel n'est cependant pas le cas en la cause, dès lors qu'à tout le moins sur le plan de l'apparence qui guide l'appréciation du juge des référés, les griefs de la Société Rolls Royce semblent reposer sur des éléments de fait - dont certains ne sont pas contestés dans leur matérialité par la Société British Motors - faisant l'objet d'une plainte pénale argumentée ;

Attendu, en tout état de cause, que se prononcer sur le point de savoir si la décision de rupture avec un bref préavis constitue ou non en l'espèce une réponse proportionnée aux griefs allégués, suppose une appréciation du fond du litige qui ne peut être menée en référé, compte tenu des prescriptions de l'article 414 du Code de procédure civile précité ; qu'il en résulte qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de la Société British Motors ;

Attendu que la demande reconventionnelle de la Société Rolls Royce ne peut qu'être rejetée puisque fondée sur un texte français inapplicable à Monaco ;

Qu'au demeurant, aucune condamnation pécuniaire autre qu'une astreinte ne peut être ordonnée par la juridiction des référés, compte tenu des règles en vigueur en Principauté ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu'il appartiendra, mais dès à présent,

Nous déclarant compétent et régulièrement saisi,

Disons n'y avoir lieu de faire droit aux demandes de la Société British Motors et à la demande en paiement de la Société Rolls Royce ;

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mes Pastor et Blot, av. déf. ; Bourgeon et Sinavong, av. bar. de Paris ; Cohen, av. bar. de Nice.

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