Tribunal de première instance, 11 novembre 1999, Le Pret, Monaloc, MIT, GIF et Aida c/ Banque Monégasque de Gestion.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Gage - Nantissement

Conditions d'existence du privilège sur les meubles incorporels - Écrit, enregistré, signifié au débiteur - Cessation des paiements du débiteur - Signification du privilège postérieure à la cessation des paiements - Inopposabilité du privilège à la masse des créanciers - Créance produite au passif de nature chirographaire

Résumé🔗

Il résulte des dispositions combinées des articles 59, alinéa 4, du Code de commerce et 1911 du Code civil que, s'agissant de créances mobilières, l'acte qui constate le gage doit être signifié au débiteur de la créance donnée en gage (en l'occurrence aux emprunteurs), cette signification constituant une condition substantielle de la naissance du droit du créancier gagiste.

En l'espèce, les significations ont été effectuées par la Banque Transatlantique de Monaco le 6 avril 1992, soit postérieurement au jugement du 24 mars 1992 prononçant la cessation des paiements de la Société Le Pret, en sorte que le droit du créancier gagiste est né postérieurement à l'ouverture de la procédure collective concernant la Société Le Pret.

En conséquence, est inopposable à la masse des créanciers de la faillite le gage de créances mobilières consenti par le débiteur au profit d'un de ses créanciers, dès lors qu'antérieurement au jugement déclaratif, cette constitution de gage n'a pas été signifiée conformément aux articles 1911 du Code civil et 59, alinéa 4, du Code de commerce.

La Banque Monégasque de Gestion venant aux droits de la Banque Transatlantique de Monaco ne saurait donc se prévaloir d'un privilège opposable à la masse des créanciers. Il convient en définitive de débouter la Banque Monégasque de Gestion de sa réclamation formulée à l'encontre de l'état des créances et de l'admettre au passif de la Société Le Pret pour la somme non contestée qu'elle a produite à titre chirographaire.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que par jugement du 24 mars 1992, le Tribunal a constaté la cessation des paiements des sociétés anonymes monégasques dénommées Le Pret, Monaloc et Monaco Informatique et Télématique, en abrégé MIT, et désigné A. G. pour les sociétés Le Pret et MIT et J.-P. S. pour la société Monaloc, en qualité de syndics ;

Que par jugements séparés du 16 juillet 1992, le Tribunal a prononcé la liquidation des biens des sociétés Monaloc, Le Pret et MIT ;

Que par jugement du 8 juillet 1993, le Tribunal a dit que les sociétés Le Pret, Monaloc et MIT, en liquidation des biens, seront désormais soumises à une seule et même procédure d'apurement de leur passif et que leurs créanciers respectifs constitueront une masse unique ;

Que par jugement séparé du 8 juillet 1993, le Tribunal a constaté le caractère fictif des sociétés civiles dénommées GIF et AIDA et leur a étendu les effets de la liquidation des biens de la société Le Pret ;

Attendu que par ordonnance en date du 11 novembre 1996, le juge-commissaire a arrêté l'état des créances des sociétés Le Pret, Monaloc, MIT, GIF et Aida à une somme de 263 221 638,32 francs, sous réserve des droits non liquidés, des admissions provisionnelles et des réclamations ;

Attendu que l'état des créances desdites sociétés a été déposé au greffe général le 17 octobre 1996, l'avis de ce dépôt ayant été publié au journal de Monaco du 25 octobre 1996 ;

Attendu que par lettre du 4 novembre 1996 parvenue au greffe le 6 novembre 1996, la Banque Transatlantique de Monaco (BTM), devenue depuis la Banque Monégasque de Gestion, en abrégé BMG, a régulièrement formulé une réclamation contre l'état des créances susmentionné, estimant disposer d'une créance privilégiée et non chirographaire ;

Attendu que par ordonnance du 29 septembre 1997, le juge-commissaire a maintenu l'admission de la Banque Transatlantique de Monaco, pour la somme de 2 053 484,30 francs à titre chirographaire et a réservé les dépens ;

Que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 7 octobre 1997, et en conformité des dispositions de l'article 472 du Code de commerce, le greffier en chef renvoyait à l'audience du 5 décembre 1997 l'examen par le Tribunal de la créance de la Banque Transatlantique de Monaco devenue BMG ;

Que par conclusions du 5 décembre 1997, la BMG conclut à la réformation de l'ordonnance susvisée du 29 septembre 1997 et à son admission au passif de la liquidation des biens de la société Le Pret pour la somme de 2 053 484,30 francs à titre privilégié ;

Qu'elle fait valoir :

• qu'elle se réfère à l'article 5 de la convention conclue avec la société Le Pret le 10 décembre 1985 pour soutenir qu'en raison de la nature même de la garantie qui lui était consentie, la convention ne pouvait donner lieu à signification ;

• qu'elle ne pouvait procéder à la signification qu'au fur et à mesure que la société Le Pret lui faisait connaître les contrats qu'elle donnait en garantie ;

• que par lettre du 27 février 1992, la société Le Pret a porté à sa connaissance qu'elle lui donnait en garantie trois prêts consentis à la SCP De Carbon, notaires, et à la société Allage Location ;

• qu'elle aurait procédé, par actes de Maître Vidry, huissier de justice, à la signification au débiteur de la garantie qui lui aurait été consentie par la société Le Pret, satisfaisant ainsi aux prescriptions des articles 1909 et 1911 du Code civil ;

Attendu que par conclusions du 10 juin 1998, la société Le Pret, représentée par ses syndics liquidateurs A. G. et J.-P. S., demande au Tribunal d'admettre la BMG à titre de créancier chirographaire à concurrence de 2 053 484,30 francs ;

Qu'elle expose :

• qu'en application des articles 1909 et 1911 du Code civil, le privilège portant sur des créances mobilières ne s'établirait qu'à la double condition d'être concrétisé par un acte enregistré et signifié au débiteur de la créance donnée en gage,

• que l'acte versé par la BMG ne semble pas avoir fait l'objet d'un enregistrement,

• qu'à la date du 25 mars 1992, la BMG était informée de l'état de cessation des paiements de la société Le Pret, et qu'aucune signification du nantissement n'avait été formalisée auprès des débiteurs des créances concernés,

• que l'acte du 6 avril 1992 intitulé « notification et défense » n'emporterait pas signification de la convention de nantissement, tel que prévu à l'article 1911 du Code civil ;

Attendu que par conclusions du 8 septembre 1998, la BMG, tout en reprenant le bénéfice de ses précédentes écritures, affirme :

• que l'enregistrement et la signification ne constitueraient qu'une condition d'opposabilité aux tiers,

• que l'article 74 du Code de commerce dérogerait, en matière commerciale, à la nécessité d'un écrit,

• qu'un éventuel défaut de signification serait sans incidence sur la validité des nantissements entre les parties,

• qu'elle aurait procédé aux significations le 6 avril 1992,

• qu'une signification faite postérieurement au jugement déclaratif serait indifférente s'agissant d'une signification faite à un tiers à la procédure collective ;

Attendu que par conclusions du 8 janvier 1999, la société Le Pret précise :

• qu'il résulte de l'article 74 du Code de commerce que la signification du transport faite au débiteur est une condition d'opposabilité du nantissement aux tiers,

• que cette formalité n'ayant pas été effectuée avant l'ouverture de la procédure collective, le nantissement dont se prévaut la BMG n'est pas opposable aux créanciers constitués en masse ;

Sur ce :

Attendu que par contrat en date du 10 décembre 1985, la BTM a accepté d'ouvrir en faveur de la société Le Pret une ligne de refinancement destinée à la mise en pension d'effets et/ou billets à ordre représentatifs de créances au titre de crédits à la consommation, dont le montant a été fixé à 2 000 000 francs, consentie pour une période de 24 mois à partir du 1er décembre 1985, renouvelable ;

Que l'article 5 de la convention susvisée dispose : « Pour sûreté de toutes sommes en capital, intérêts, frais et accessoires pouvant être dus à la Banque Escompteuse au titre de chaque billet à ordre escompté par celle-ci, la Sam Le Pret déclare expressément affecter par la présente, en nantissement au profit de la Banque Escompteuse avec les garanties qui s'y rattachent, les contrats de prêt acceptés par les emprunteurs et représentatifs de créances égales à 110 % au moins du montant du billet qu'elles garantissent, leur volume étant identifié par les références des emprunteurs et le montant global tel qu'il ressort de la comptabilité de la Sam Le Pret » ;

Attendu que la convention précitée précise que les sommes mises à la disposition de la société Le Pret seront immédiatement exigibles avec intérêts au taux conventionnel T4M + 0,75 % augmenté de deux points en cas notamment de faillite de la société Le Pret ;

Que par lettre du 27 février 1992, la société Le Pret a adressé à la Banque Transatlantique de Monaco « la liste des dossiers mis en garantie au titre de votre ligne de refinancement de 2 000 000 francs :

dossier n° 203014 SCP De Carbon : .. 754 063,87

dossier n° 203015 SCP De Carbon : .. 754 063,87

dossier n° 203008 Allage Location :.... 560 000 » ;

Attendu que le 17 avril 1992, la Banque Transatlantique de Monaco, invitée par courrier du syndic A. G. du 10 avril 1992 à produire entre ses mains, a sollicité son admission au passif de la société Le Pret à titre privilégié pour un montant de 2 053 484,30 francs, se prévalant du nantissement mentionné dans la convention susvisée ;

Que par courrier du 29 avril 1992, A. G., ès qualités de syndic de la société Le Pret, a contesté le caractère privilégié de la déclaration de créance de la Banque Transatlantique de Monaco en l'informant de ce que les garanties prévues dans la convention susmentionnée n'ont jamais été formalisées, qu'elles n'ont pas d'existence juridique et sont inopposables à la procédure collective ouverte à l'encontre de la société Le Pret et notamment à la masse des créanciers ;

Attendu que l'article 59 du Code de commerce, applicable en la cause, dispose en ses alinéas 1 et 4 : « Le gage constitué soit par un commerçant, soit par un individu non commerçant, pour un acte de commerce, se constate, à l'égard des tiers comme à l'égard des parties contractantes, conformément aux dispositions de l'article 74 du Code de commerce (...). Il n'est pas dérogé aux dispositions de l'article 1911 du Code civil, en ce qui concerne les créances mobilières dont le cessionnaire ne peut être saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur » ;

Qu'aux termes de l'article 1911 du Code civil, le gage de créances mobilières ne s'établit qu'à condition d'être signifié au débiteur de la créance donnée en gage ;

Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles 59 alinéa 4 du Code de commerce et 1911 du Code civil que, s'agissant de créances mobilières, l'acte qui constate le gage doit être signifié au débiteur de la créance donnée en gage (en l'occurrence aux emprunteurs), cette signification constituant une condition substantielle de la naissance du droit du créancier gagiste ;

Qu'en l'espèce, les significations ont été effectuées par la Banque Transatlantique de Monaco le 6 avril 1992, soit postérieurement au jugement prononçant la cessation des paiements de la société Le Pret, qui a été rendu par le Tribunal le 24 mars 1992, en sorte que le droit du créancier gagiste est né postérieurement à l'ouverture de la procédure collective concernant notamment la société Le Pret ;

Attendu, en conséquence, qu'est inopposable à la masse des créanciers de la faillite le gage de créances mobilières consenti par le débiteur au profit d'un de ses créanciers, dès lors qu'antérieurement au jugement déclaratif, cette constitution de gage n'a pas été signifiée conformément aux articles 1911 du Code civil et 59 alinéa 4 du Code de commerce ;

Que la BMG venant aux droits de la BTM ne saurait donc se prévaloir d'un privilège opposable à la masse des créanciers ;

Qu'il convient en définitive de débouter la BMG de sa réclamation formulée à l'encontre de l'état des créances susvisé et de l'admettre au passif de la société Le Pret pour la somme non contestée de 2 053 484,30 francs à titre chirographaire ;

Attendu qu'il convient de laisser les dépens à la charge de la partie qui succombe ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant contradictoirement,

Prononce l'admission définitive de la Banque Transatlantique de Monaco, devenue Banque Monégasque de Gestion, au passif de la société anonyme monégasque dénommée Le Pret pour la somme de 2 053 484,30 francs à titre chirographaire ;

Dit qu'il en sera fait mention en marge de l'état des créances à la diligence du greffier en chef.

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla, Sbarrato, av. déf. ; Cattenati, av. bar. de Nice.

  • Consulter le PDF