Tribunal de première instance, 6 mai 1999, SCI Les Jardins Hector Otto c/ SCI Des Revoires

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Abstract🔗

Vente

Promesse de vente

- Accord sur la chose et le prix : prix fixé en rapport avec la surface

- Modification du plan de la construction : plus vaste que prévue elle ne saurait faire attribuer indûment une surface supplémentaire

Résumé🔗

Par deux actes indissociables, d'une part, la SCI Les Jardins Hector Otto vendait à la SCI Des Revoires, pour un prix déterminé, un terrain en vue de la construction d'un ensemble immobilier, d'autre part, la seconde promettait de vendre à la première la totalité du douzième étage de cet immeuble à construire, représentant une surface de 740 m2 moyennant un prix fixé compensable de plein droit avec la dette de l'acquéreur relativement au prix de vente.

La SCI Des Revoires ayant modifié le plan de la construction en augmentant sensiblement la surface du douzième étage, la société venderesse a demandé à la SCI Des Revoires de régulariser par acte notarié l'acquisition de la totalité du douzième étage au motif que la promesse concernait bien la totalité du douzième étage.

Mais, en ayant convenu d'un prix précis, les parties ont inévitablement estimé, lors de la conclusion de la promesse, la valeur de l'objet à livrer, cette estimation n'ayant pu être effectuée qu'à concurrence de la surface des lots, objets de la promesse.

C'est donc à tort que la SCI Les Jardins Hector Otto prétend se voir livrer une surface largement supérieure à celle visée à l'acte, qui correspondait à la totalité du douzième étage de l'immeuble, après modification de la construction, dans la mesure où cette attribution constituerait pour cette société, un avantage indu puisque les mètres carrés sollicités seraient alors acquis sans contrepartie.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Selon acte notarié du 29 août 1990, la société civile particulière monégasque dénommée Les Jardins Hector Otto a vendu à la société civile particulière monégasque dénommée SCI Des Revoires une propriété sise à Monaco, quartier des Revoires, d'une superficie approximative de 3 000 m2 53 dm2, portée au plan cadastral sous les n° 86 p et 87 p de la section A ;

Cette vente a été consentie et acceptée moyennant un prix, toutes taxes comprises, de 361 406 951,80 francs se décomposant comme suit :

  • 319 088 460 francs représentant le prix HT de la vente,

  • 42 318 491,80 francs représentant le montant de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à l'opération immobilière, déterminée pour tenir compte de l'obligation particulière mise à la charge de la société acquéreur (promesse de vente du douzième étage et ses dépendances) ;

Par convention particulière complémentaire précisée dans l'acte de vente précité, dont il était stipulé qu'elle était indissociable et sans la promesse de l'exécution de laquelle la vente n'aurait pas été régularisée, le représentant de la SCI Des Revoires s'engageait à vendre et à livrer à la société venderesse « la totalité du douzième étage de l'immeuble à construire sur la propriété objet des présentes, lequel étage comprendra, selon le plan d'étage courant, au choix du bénéficiaire de la promesse, quatre ou six appartements pour une surface globale, loggias et balcons compris, d'environ sept cent quarante mètres carrés. Ensemble, de convention expresse, six caves affectées aux appartements du douzième étage et douze emplacements de parking (...) » ;

Ladite promesse de vente était consentie moyennant le prix de 23 026 475 francs TTC, compensable de plein droit avec la dette de la SCI Des Revoires envers la SCI Les Jardins Hector Otto relative à la vente de la propriété sur laquelle s'édifiera l'immeuble à construire ;

Un différend étant survenu quant à la consistance des biens objets de la dation en paiement, à la suite de modifications des plans initiaux de l'immeuble ayant entraîné une augmentation des surfaces des étages, et notamment du 12e étage, la SCI Les Jardins Hector Otto a fait assigner, selon exploit du 1er avril 1998, la SCI Des Revoires, aux fins de voir le tribunal :

  • constater que la défenderesse a vendu à la SCI Les Jardins Hector OTTO la totalité du 12e étage de l'immeuble dénommé Patio Palace, tel que prévu dans l'acte notarié du 29 août 1990, ainsi que les dépendances de celui-ci, et plus précisément 6 caves afférentes aux appartements du 12e étage et 12 emplacements de parking,

  • ordonner que la SCI Des Revoires régularise par acte notarié l'acquisition par la SCI Les Jardins Hector Otto du 12e étage du nouvel ensemble immobilier et ses dépendances, tel que prévu au bas du verso du 38e rôle de l'acte notarié précité, et dire qu'à défaut de ce faire dans le mois de la signification du jugement à intervenir, ledit jugement consacrera la vente convenue,

  • condamner la défenderesse à livrer les lots susvisés sous astreinte de 10 000 francs par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

  • condamner la défenderesse à payer à la SCI Les Jardins Hector Otto une indemnité réparant le retard de livraison constaté par application du paragraphe « conditions de la vente et de la livraison » en fonction de la date effective de livraison,

  • le tout avec le bénéfice de l'exécution provisoire ;

La SCI Des Revoires rétorque pour l'essentiel que la dation a été précisément définie au niveau de sa surface en mètres carrés, et que si la promesse de vente mentionne à plusieurs reprises le 12e étage dans son intégralité, cela est dû au fait que la surface de cet étage correspondait avant modification du projet aux mètres carrés objet de la dation et permettait de situer cette dernière ;

Selon la défenderesse, le nombre de mètres carrés peut seul servir de référence pour apprécier l'étendue de la dation après modification du projet, puisque le 12e étage ne correspond plus à ce qu'il était au moment de l'accord de volonté des parties ;

Elle constate que le fait pour la SCI Les Jardins Hector Otto de se voir attribuer un nombre de mètres carrés de 1046,72 au lieu des 740 stipulés constituerait un enrichissement sans cause puisque ces mètres carrés n'ont pas été prévus dans l'acte de vente, ne faisant pas partie du prix et seraient acquis sans contrepartie ; elle prétend en outre, et en application de l'article 1458 du Code civil, que le vendeur est tenu de délivrer la contenance telle qu'elle est portée au contrat, contenance qui ne peut s'apprécier que par référence à la surface de l'étage ;

La SCI Des Revoires demande donc au tribunal de débouter la SCI Les Jardins Hector Otto de l'ensemble de ses prétentions, de constater qu'elle n'est tenue de livrer à cette dernière qu'une surface de locaux dans l'immeuble Patio Palace de 740 m2 au 12e étage et que son offre de livrer une surface de 744,93 m2 est conforme aux stipulations du compromis ;

S'agissant du retard de livraison des portions d'immeuble, objet de la promesse, la SCI Des Revoires fait remarquer qu'il est imputable au sinistre qui a affecté le chantier Patio Palace au mois de juillet 1995, lequel constitue un cas de force majeure entraînant, en application des dispositions du 31e rôle de la promesse de vente, une suspension des délais et excluant de ce fait le paiement de pénalités ;

Elle conclut reconventionnellement à la condamnation de la SCI Les Jardins Hector Otto, qui a agi selon elle avec une légèreté blâmable et fautive, au paiement d'une somme de 150 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Par conclusions du 11 novembre 1998, la SCI Les Jardins Hector Otto réitère ses prétentions, faisant valoir qu'il a été clairement indiqué dans l'acte du 29 août 1990 que la dation portait sur l'entier 12e étage (condition déterminante), avec mention de la surface approximative dudit étage ;

Elle constate, au vu du pré-rapport déposé par A. A., que la SCI Des Revoires ne saurait se dégager de toute responsabilité dans le déclenchement du sinistre, lequel ne revêt pas le caractère de la force majeure ;

La SCI Des Revoires maintient pour sa part ses précédentes conclusions, expliquant que la référence à l'entier 12e étage ne peut plus servir de base pour déterminer l'étendue de la dation, dans la mesure où le projet n'est plus le même ;

Elle maintient que le retard de livraison est imputable aux intervenants techniciens à l'acte de construire et en aucun cas au maître de l'ouvrage, et que le sinistre intervenu en 1995 constitue bien pour elle un cas de force majeure ;

SUR CE :

Attendu qu'il est constant qu'aux termes de l'acte notarié du 29 août 1990, il était prévu qu'en contrepartie de la vente, par la SCI Les Jardins Hector Otto, de la propriété lui appartenant pour un montant total de 361 406 951,80 francs, la SCI Des Revoires promettait de vendre et de livrer à la demanderesse « la totalité du douzième étage de l'immeuble à construire sur la propriété objet des présentes, lequel étage comprendra, selon le plan d'étage courant, au choix de la bénéficiaire de la promesse, quatre ou six appartements pour une surface globale, loggias et balcons compris, d'environ sept cent quarante mètres carrés » ;

Qu'il est également constant et non contesté par les parties, que lors de la conclusion dudit acte, la surface visée de 740 m2 correspondait alors à l'entier douzième étage de l'immeuble à construire selon les plans en vigueur ;

Attendu qu'ainsi que l'explique la SCI Des Revoires, du fait d'un changement dans le projet de construction initial, la construction qui a été finalement réalisée s'est avérée plus importante que le projet d'origine ;

Attendu que la SCI Les Jardins Hector Otto entend se voir livrer l'entier 12e étage de l'immeuble et ses dépendances, tel qu'il résulte de l'édification actuelle, tandis que la SCI Des Revoires prétend n'être tenue que de la surface indiquée dans l'acte susvisé, soit 740 m2 ;

Attendu, en droit que la vente suppose, pour être parfaite, l'accord des parties sur la chose et sur le prix ; Qu'en outre, le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ;

Attendu, s'agissant du prix, qu'il résulte des dispositions portées au 33e rôle de l'acte de vente du 29 août 1990, intitulées « prix de la promesse », que celle-ci était consentie et acceptée moyennant le prix TTC de 23 026 475 francs, se décomposant comme suit :

  • 16 113 585 francs TTC au règlement de l'incidence foncière (quote-part afférente aux parties privatives livrées au bénéficiaire de la promesse de vente dans le prix d'acquisition de l'entier terrain servant d'assiette au nouvel ensemble immobilier),

  • 6 912 890 francs TTC au prix forfaitaire des travaux de construction des portions d'immeubles livrées au bénéficiaire de la promesse de vente ;

Attendu qu'il était en outre prévu que cette somme viendrait en déduction, par compensation, avec la dette de la SCI Des Revoires sur la SCI Jardins Hector Otto, pour la partie non réglée en espèces du prix de la vente intervenue entre elles de la totalité de la propriété de la demanderesse ;

Attendu, dès lors, qu'en fixant de façon claire et précise le montant des biens, objet de la promesse, les parties ont donc déterminé le prix par seule référence aux clauses du contrat, sans que cette détermination ne soit laissée à la volonté future de l'une d'entre elles ;

Attendu qu'ainsi, la promesse de vente a été formée moyennant un prix préalablement déterminé, par voie de relation avec des éléments qui ne dépendaient plus de l'une ou de l'autre des parties ;

Qu'à cet égard, l'estimation du bien qui a reçu l'accord des cocontractants n'a pu être effectuée que par référence, non seulement à la situation des lots qui devaient être livrés, mais surtout à leur contenance en mètres carrés ;

Attendu qu'en effet, la seule mention du douzième étage - qui correspondait à l'époque de la conclusion de l'acte à l'entier étage - n'aurait pas suffi, à elle seule, à déterminer le prix de vente des lots et d'opérer par suite la compensation entre les créances réciproques des parties ;

Attendu que seul le nombre de mètres carrés, précisément indiqué, doit servir de référence pour apprécier l'étendue de la promesse de vente, après que le projet ait été modifié ;

Attendu d'ailleurs que la volonté des parties, et notamment de la SCI Les Jardins Hector Otto, apparaît clairement à la lecture du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire des associés de cette société en date du 21 août 1990, dont les termes sont reproduits dans l'acte du 29 août 1990 ;

Qu'à l'occasion de cette assemblée en effet, mandat était donné au gérant de la société demanderesse, N. B., de régulariser l'acte notarié qui devait constater, outre la vente des terrains quartier des Revoires, l'octroi, par la SCI Des Révoires d'une promesse de vente portant sur « le douzième étage de l'ensemble immobilier à construire sur la propriété (...) d'une surface globale, loggias et balcons compris, de sept cent quarante mètres carrés, outre six caves et douze emplacements de parkings (...), moyennant un prix TTC de 23 026 475 francs, payable par compensation légale immédiate avec partie du prix de la vente susmentionnée » ;

Attendu en définitive, qu'en ayant convenu d'un prix précis, les parties ont inévitablement estimé, lors de la conclusion de l'acte du 29 août 1990, la valeur de l'objet à livrer, cette estimation n'ayant pu être effectuée qu'à concurrence de la surface des lots, objets de la promesse ;

Que c'est donc à tort que la SCI Les Jardins Hector Otto prétend se voir livrer une surface largement supérieure à celle visée à l'acte précité, qui correspondrait à la totalité du douzième étage de l'immeuble Patio Palace après modification de la construction, dans la mesure où cette attribution constituerait, pour cette société, un avantage indu puisque les mètres carrés sollicités seraient alors acquis sans contrepartie ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de débouter la SCI Les Jardins Hector Otto de sa demande de ce chef, et de dire que l'offre de la SCI Des Revoires de livrer, au douzième étage de l'immeuble Patio Palace une surface de 744,93 m2 est conforme aux prévisions contractuelles ;

Attendu, s'agissant du retard de livraison des lots, objets de la promesse, qu'il résulte des dispositions contenues au 31e rôle de l'acte du 29 août 1990 que la société promotrice s'est engagée à mener les travaux de telle manière que les ouvrages, dont dépendent les portions visées dans la promesse de vente, soient achevés au plus tard dans un délai maximum de trois années à compter de l'obtention de l'autorisation de construire, sauf survenance des causes légitimes de suspension du délai de livraison ;

Attendu qu'arguant de ce que les lots dont s'agit n'ont pas été livrés dans le délai contractuellement prévu, la SCI Les Jardins Hector Otto a demandé, dans son exploit introductif d'instance, dont le bénéfice a été sollicité dans les conclusions postérieures, la condamnation de la SCI Des Revoires à lui payer une indemnité réparant le retard de livraison « à fixer par application du paragraphe conditions de la vente et de la livraison figurant au 30e rôle de l'acte notarié précité et plus précisément du 2°/ intitulé délais d'exécution des travaux - pénalités de retard, et ce, en fonction de la date effective de la livraison » ;

Attendu en conséquence que la demanderesse a laissé le soin au tribunal d'arbitrer le montant des dommages-intérêts devant lui revenir de ce chef sans procéder à la fixation contractuelle des sommes auxquelles elle prétend ;

Attendu qu'une telle demande ne saurait en conséquence être admise faute d'être déterminée en son montant ;

Qu'en outre, la SCI Les Jardins Hector Otto ne fournit aucun des éléments nécessaires à l'application de la clause contractuelle qu'elle sollicite ;

Qu'il n'est en effet rien précisé quant à la date de l'autorisation de construire, la durée de la suspension du chantier, l'expiration du délai d'achèvement ou encore la grille des tarifs diffusée par la société promotrice ;

Qu'il y a donc lieu, pour les raisons sus-indiquées, de la débouter de sa demande au titre du retard de livraison ;

Attendu cependant que la SCI Les Jardins Hector Otto ayant pu se méprendre sur la portée de ses droits, il n'y a pas lieu de la condamner au paiement de dommages-intérêts tels que sollicités par la défenderesse ;

Et attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens de l'instance par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit et juge qu'aux termes de l'acte notarié du 29 août 1990, la société civile particulière monégasque dénommée SCI Des Revoires est tenue de livrer à la société civile particulière monégasque dénommée SCI Les Jardins Hector Otto une surface de locaux dans l'immeuble dénommé Patio Palace d'environ 740 m2 au douzième étage dudit immeuble ;

Déclare satisfactoire l'offre de la SCI Des Revoires de livrer à la SCI Les Jardins Hector Otto une surface de 744,93 m2 au douzième étage dudit immeuble ;

Déboute la SCI Les Jardins Hector Otto de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute la SCI Des Revoires de sa demande en paiement à titre de dommages-intérêts ;

Composition🔗

N. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. Mes Karczag-Mencarelli et Gardetto, av. déf. ; Michel, av., Cohen, av. bar. de Nice.

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