Tribunal de première instance, 18 mars 1999, B. ès qualités de syndic de la SAM Junil Sicoc et de la SCI Flora c/ Société Marseillaise de crédit

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Abstract🔗

Cessation des paiements

Déclaration en liquidation de biens de deux sociétés

- Confusion de leurs patrimoines

Sûreté hypothécaire consentie par l'une pour dette contractée par l'autre

- Constitution de cette garantie en période suspecte

- Inopposabilité de celle-ci à la masse des créanciers

Résumé🔗

Il est constant que par jugement du 5 septembre 1996 la cessation des paiements a été prononcée à l'égard de la SAM Junil Sicoc, à la date du 7 mars 1996 ; que par jugement du 24 octobre 1996 le tribunal a constaté la confusion des patrimoines entre la SAM Junil Sicoc et la SCI Flora et étendu à cette dernière les effets de la procédure d'apurement du passif ouverte à l'encontre de la première ; que par jugement du 11 décembre 1997 la date des cessations des paiements a été reportée au 1er janvier 1995 ; que par jugement du même jour la liquidation des biens des sociétés Junil Sicoc et Flora a été prononcée ; que la Société Marseillaise de Crédit revendique la qualité de créancière titulaire d'une sûreté réelle en excipant d'un acte notarié de prêt établi le 12 avril 1995 et par lequel la Société Flora s'est portée caution solidaire et hypothécaire de la Société Junil Sicoc.

En l'état de ces différents jugements lesquels sont devenus définitifs et s'imposent dès lors erga omnes, notamment à la Société Marseillaise de Crédit, il s'ensuit que c'est en période dite suspecte que la SCI Flora, caution solidaire et hypothécaire de la Société Junil Sicoc emprunteur a, le 12 avril 1995 consenti une garantie hypothécaire soit à une date postérieure au 1er janvier 1995 date de cessation des paiements.

Il apparaît qu'a cette date la Société Marseillaise de Crédit qui savait par l'acte de prêt précité que les administrateurs et les associés ainsi que le siège des Sociétés Junil Sicoc et Flora étaient les mêmes et qu'existait ainsi une confusion de fait entre ces deux sociétés, connaissait en tant que banque de la Société Junil Sicoc, l'état de cessation des paiements latent de cette société, le prêt litigieux devant en fait permettre la réduction de l'important découvert de cette société.

Ainsi, par application de l'article 457 du Code de commerce, s'agissant d'une sûreté consentie en remboursement du prêt consenti le 12 avril 1995 et non point d'une dette née antérieurement à la date de cessation de paiements, doit être déclaré inopposable à la masse l'acte de constitution de garantie hypothécaire du 12 avril 1995 et portant l'inscription hypothécaire prise par la défenderesse le 24 avril 1995 sur les biens immobiliers de la Société Flora dans l'immeuble...


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

C. B., ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme monégasque dénommée Junil Sicoc et de la société civile immobilière Flora, a, par l'acte susvisé du 1er avril 1998, assigné l'établissement bancaire dénommé Société Marseillaise de Crédit, en abrégé SMC, pour que soit déclarée inopposable à la masse l'inscription hypothécaire prise par celui-ci le 24 avril 1995 sur les biens immobiliers appartenant à la société Flora et sis dans l'immeuble ... ;

C. B. fait valoir à l'appui de sa demande :

  • que par jugement du 5 septembre 1996, la société Junil Sicoc a été déclarée en état de cessation des paiements à compter du 7 mars 1996.

  • que par jugement du 24 octobre 1996 le Tribunal a constaté la confusion des patrimoines entre la société Junil Sicoc et la société Flora ;

  • que par jugement du 11 décembre 1997 la date de la cessation des paiements a été reportée au 1er janvier 1995, alors que par jugement du même jour a été prononcée la liquidation des biens des sociétés Junil Sicoc et Flora ;

  • que la SMC revendique la qualité de créancière titulaire d'une sûreté réelle en excipant d'un acte notarié de prêt passé le 12 avril 1995 et par lequel la société Flora s'était portée caution solidaire et hypothécaire de la société Junil Sicoc ;

  • que cet acte a donc été passé en période suspecte, la cessation des paiements remontant désormais au 1er janvier 1995 ;

  • que l'inscription hypothécaire prise le 24 avril 1995 est, en conséquence, inopposable à la masse et qu'ainsi la SMC doit se voir reléguée au rang de simple créancier chirographaire ;

La SMC a conclu en réponse le 9 juillet 1998 ;

Elle rappelle que le 19 novembre 1996 elle avait produit auprès du syndic à titre privilégié compte tenu de l'hypothèque conventionnelle contractée le 12 avril 1995 et transcrite le 24 avril 1995 ; elle prétend qu'en application des articles 460 et suivants du Code de commerce le syndic était tenu de dresser une proposition d'admission ou de rejet, pour lui permettre d'éventuellement saisir le juge commissaire ;

Elle ajoute qu'également n'ont pas été respectées les dispositions des articles 469 à 472, le syndic ayant jugé utile plus de vingt mois après sa production d'engager une action devant le Tribunal aux fins de contestation de la nature privilégiée de sa créance ;

La SMC en déduit donc que la demande de C. B. est irrecevable ;

Concernant le jugement du 11 décembre 1997 de report de la date de cessation des paiements, elle déclare qu'il n'a pas été rendu au contradictoire de la société Flora ; elle fait ainsi valoir que ce jugement ne saurait lui être opposé en ce qu'elle a produit à titre privilégié dans la procédure collective de la société Flora ;

La SMC soutient ainsi que lui est inopposable le moyen soulevé par C. B. tiré du jugement précité du 11 décembre 1997 ;

Concernant ce jugement, elle conteste la date de cessation des paiements retenue en faisant valoir qu'aucune pièce ne lui a été communiquée sur ce point ; elle déclare même ignorer si la société Flora a bien effectué les mesures de publicité requises, ouvrant ainsi droit à une opposition ;

Subsidiairement au fond, elle soutient qu'en toute hypothèse il ne pourrait y avoir inopposabilité à la masse que s'il était établi qu'à la date de l'acte du 12 avril 1995 elle avait connaissance de la cessation des paiements de la société Junil Sicoc et de la confusion des patrimoines des sociétés Junil Sicoc et Flora ;

C. B., ès qualités, a répliqué le 15 octobre 1998 ;

Il insiste sur le fait que tous les jugements précités ont été régulièrement publiés en temps utile au Journal de Monaco et qu'ainsi la SMC est forclose pour agir en opposition ;

Il précise, par ailleurs :

  • qu'en vertu de l'article 463 du Code de commerce un avis à produire a été envoyé à la SMC le 23 septembre 1996 ;

  • qu'une première production de la SMC a été faite à titre chirographaire a hauteur de 1 295 355,92 francs, par référence au prêt de 1 500 000 francs ;

  • qu'une seconde production, réceptionnée le 21 novembre 1996, a été faite à hauteur du même montant mais à titre privilégié par référence au prêt garanti par le cautionnement solidaire et hypothécaire ;

Il ajoute qu'à ce jour le passif n'est toujours pas vérifié et arrêté ;

Il maintient que l'hypothèque conventionnelle litigieuse s'analyse en une sûreté conventionnelle prise sur un bien de la société Flora dont il a été jugé qu'il s'agissait du patrimoine commun de la société Junil Sicoc, cette sûreté ayant été accordée en garantie d'une dette antérieure compte tenu du solde bancaire débiteur existant ;

La SMC a conclu pour la dernière fois le 25 janvier 1999 ;

Elle prétend que c'est hors le contradictoire de la société Flora qu'il a été décidé de reporter au 1er janvier 1995 la date de l'état de cessation des paiements ; elle ajoute que ce jugement de report de date est critiquable au fond et soutient qu'un consensus a dû se dégager entre C. B. et les responsables de la société Junil Sicoc pour neutraliser artificiellement la créance hypothécaire qu'elle détient sur la société Flora ;

Elle maintient, par ailleurs, sa demande tendant à ce que C. B. lui communique les justificatifs des diverses formalités de publicité qui ont dû intervenir postérieurement aux différents jugements ;

Sur quoi :

Attendu qu'il est constant que par jugement du 24 octobre 1996, le Tribunal a constaté la confusion des patrimoines de la société Junil Sicoc et de la Société Flora et a étendu à cette dernière les effets de la procédure d'apurement du passif ouverte à l'encontre de la première des deux nommées le 5 septembre 1996 ;

Que ce jugement a, régulièrement au regard de l'article 415 du Code de commerce, à l'initiative du greffier en chef, été publié au Journal de Monaco du 15 novembre 1996 et qu'il est donc, de ce jour, opposable erga omnes ;

Qu'il est également constant que par jugement n° 1555 du 11 décembre 1997, rendu contradictoirement à l'égard de M., J.-L. et J.-P. P. et de la société Junil Sicoc qu'ils représentent, la date de cessation des paiements de la société Junil Sicoc - fixée au 7 mars 1996 par le jugement précité du 5 septembre 1996 - a été reportée au 1er janvier 1995 ;

Que ce jugement a, à son tour, régulièrement été publié au Journal de Monaco le 26 décembre 1997 et qu'il est, depuis ce jour, lui aussi, opposable erga omnes ;

Attendu que conformément aux dispositions de l'article 568 (alinéa 2) du Code de commerce le délai d'opposition de quinze jours à l'encontre de ces deux jugements courait du jour de la publicité précitée au Journal de Monaco ;

Qu'il est constant que la SMC, créancière hypothécaire de la société Flora, n'a jamais formalisé d'opposition à l'encontre de ces deux jugements et, particulièrement, à l'encontre du second, et ce, alors pourtant que, nonobstant le fait que le jugement n° 1555 du 11 décembre 1997 ne mentionnait expressément que la société Junil Sicoc, elle était censée savoir depuis la publicité précitée du 15 novembre 1996 que les effets de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société Junil Sicoc étaient étendus à la société Flora ;

Qu'il en découle que ces deux jugements, et particulièrement le second, sont aujourd'hui définitifs et s'imposent dès lors erga omnes, notamment à la SMC ;

Que s'impose également à la SMC le jugement n° 1556 du 11 décembre 1997, jugement prononçant - dès avant l'arrêté de l'état des créances en vertu de l'article 495 du Code de commerce - la liquidation des biens des sociétés Junil Sicoc et Flora et régulièrement publié, sans opposition, au journal de Monaco du 19 décembre 1997 ;

Attendu qu'en l'état de ces différents jugements, il est constant que c'est en période dite suspecte que la société Flora - caution solidaire et hypothécaire de la société Junil Sicoc emprunteur - a, le 12 avril 1995, consenti une garantie hypothécaire à la SMC ;

Qu'il apparaît qu'à cette date postérieure au 1er janvier 1995, la SMC, qui savait par l'acte de prêt précité du 12 avril 1995 que les administrateurs et associés et le siège des sociétés Junil Sicoc et Flora étaient les mêmes et qu'existait ainsi une confusion de fait entre ces deux sociétés, connaissait, en tant que banque de la société Junil Sicoc, l'état de cessation des paiements latent de cette société, état mis en exergue dans le jugement précité aujourd'hui définitif n° 1555 du 11 décembre 1997 ;

Que le prêt litigieux de 1 500 000 francs était d'ailleurs expressément destiné à « permettre la restructuration du fonds de roulement de la Sam Junil Sicoc », c'est-à-dire, en fait, à permettre la diminution de l'important découvert bancaire existant de cette société ;

Qu'ainsi, par application de l'article 457 du Code de commerce, et non 456 s'agissant d'une sûreté consentie en remboursement du prêt précité du 12 avril 1995 et pas d'une dette née antérieurement, doit être déclaré inopposable à la masse l'acte de constitution de garantie hypothécaire du même 12 avril 1995 et, partant, l'inscription hypothécaire prise par la défenderesse le 24 avril 1995 (volume 1781 - numéro 50) sur les biens immobiliers de la société Flora dans l'immeuble ... ;

Attendu que, condamnée au principal, la défenderesse doit être déboutée de sa demande tendant à la production de pièces, les mesures de publicité au Journal de Monaco étant censées connues de tous ;

Et attendu que la SMC qui a succombé devra, en vertu de l'article 231 du Code de procédure civile, supporter les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Reçoit C. B., ès qualités de syndic, en sa demande ;

Déclare inopposable à la masse commune des créanciers de la société anonyme monégasque dénommée Junil Sicoc et de la société civile immobilière Flora la garantie hypothécaire consentie le 12 avril 1995 par la société Flora au profit de la Société Marseillaise de Crédit sur les biens immobiliers sis à ... ;

Déclare également inopposable à la masse l'inscription d'hypothèque subséquente prise le 24 avril 1995 auprès du Bureau des Hypothèques de Monaco sous la référence volume 181 numéro 50.

Rejette la demande reconventionnelle ;

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato et Escaut, av. déf. ; Sosso, av. stag.

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