Tribunal de première instance, 14 janvier 1999, L.-G. c/ K.

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Abstract🔗

Testament

Testament olographe

- Conditions de l'article 836 du Code civil

- Date erronée, invraisemblable

- Reconstitution de la date réelle

- Absence de signature sur le testament

- Apposition de signatures sur l'enveloppe

- Validité du testament

- Insanité d'esprit

- Preuve non rapportée

- Demande d'expertise rejetée

Résumé🔗

Le testament établi par un de cujus en Principauté de Monaco doit en vertu de la règle « locus regit actum » remplir les conditions de forme édictées par l'article 836 du Code civil monégasque, c'est-à-dire être écrit en entier, daté et signé de la main du testateur.

Le document qualifié de testament par M. G. décédé le 2 avril 1995, instituant S. K. sa légataire universelle et révoquant toutes autres dispositions antérieures, est bien rédigé en entier de la main de ce dernier.

Étant donné que ce testament contient la date du 10 janvier 1996, date impossible puisque postérieure au décès, il ressort des éléments extrinsèques recueillis qu'il convient d'assurer la volonté du de cujus et de reconstituer la date régulière de son testament comme étant celle du 10 janvier 1995 correspondant à la date du dépôt du testament chez le notaire Me Louis-Constant Crovetto.

Sur l'invocation de la nullité du testament olographe pour absence de signature de M. G. sur le document proprement dit, il apparaît en effet des pièces produites que l'acte portant les dispositions testamentaires n'est pas revêtu de la signature de ce dernier que cependant, il est indiqué par la défenderesse - et non au demeurant contesté par les co-demandeurs - que l'enveloppe contenant le testament et portant sur son recto la mention manuscrite « ceci est mon testament », se trouve en son verso revêtue de trois signatures du de cujus apposées sur la partie adhésive en permettant la fermeture.

Si la place de la signature est libre et indifférente au regard des dispositions légales applicables, et si son apposition peut valablement être effectuée sur l'enveloppe contenant le testament, il convient de s'assurer qu'il s'agit bien d'une part d'une véritable signature et qu'elle forme d'autre part avec l'acte un tout indivisible.

À cet égard, l'analyse de l'enveloppe considérée et la comparaison avec les documents d'identité de M. G. produits aux débats permet d'affirmer que les trois signatures ne sont pas de simples paraphes mais correspondent à la véritable signature du de cujus.

En outre, bien que celle-ci soit séparée de l'acte portant les dispositions testamentaires, il existe entre elle et le testament un lien étroit - tant matériel qu'intellectuel - qui en fait un ensemble indivisible ; en effet, la mention inscrite de l'autre côté de l'enveloppe « ceci est mon testament » caractérise cette relation certaine entre la qualification de l'acte qui s'y trouve inséré et la marque ou le signe de l'approbation personnelle et définitive de son contenu par le rédacteur signataire qu'est le testateur.

Les signatures apposées sur l'enveloppe dont s'agit obéissent dès lors aux prescriptions légales, en sorte que le testament olographe remplit bien les conditions de validité édictées par l'article 836 du Code civil.

Enfin les co-demandeurs ne rapportent nullement la preuve de l'insanité d'esprit du testateur, au regard de laquelle il n'aurait pas eu la capacité requise pour léguer ses biens ; en effet les factures d'hôpitaux produites aux débats permettent tout au plus d'établir que le de cujus est rentré à l'hôpital américain de Neuilly le 10 janvier 1995 pour y subir une intervention chirurgicale, sans qu'il en résulte la preuve d'une absence de discernement ou d'une altération des facultés mentales de cet homme âgé alors seulement de 55 ans.

La demande d'expertise formulée de ce chef par les co-demandeurs doit être rejetée, étant rappelé qu'il n'appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans l'Administration de la preuve.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que saisi d'une action intentée par M. L., veuve G. et R. G. tendant à l'annulation du testament de M. G. et du rapport de l'ordonnance d'envoi en possession du 3 avril 1996, le Tribunal a, par jugement avant-dire-droit du 5 février 1998 - auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits de la cause - ordonné une mesure de vérification portant sur la date à laquelle le testament établi par M. G. daté du 10 janvier 1996 avait été déposé en l'étude de Maître Crovetto, et sur l'existence éventuelle d'un second testament ;

Attendu qu'en exécution dudit jugement, le Tribunal de première Instance procédait le 2 avril 1998 à l'audition de Maître Louis-Constant Crovetto, notaire, tout en examinant le registre des testaments tenu par ce dernier ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal alors dressé par le Tribunal, la déclaration suivante de Maître Crovetto entendu à titre de renseignements :

« Le testament remis le 26 août 1993 qui a fait l'objet de l'attestation établie par mes soins le 11 avril 1996, versée aux débats, s'avère, après lecture détaillée du registre des testaments, avoir été retiré le 9 janvier 1995.

Un nouveau testament a été déposé par M. G., lui-même le 10 janvier 1995.

Je fournis au Tribunal la liste de tous les testaments remis par ledit M. G. » ;

Attendu que la liste des six testaments successifs de M. G. était jointe à la déclaration de Maître Crovetto ;

Attendu qu'évoquant les résultats de cette mesure de vérification, S. K. reprend les termes de ses précédentes conclusions tendant à voir débouter M. L. veuve G. et R. G. des fins de leur demande d'annulation du testament de M. G., l'ordonnance d'envoi en possession du 3 avril 1996 devant selon elle être confirmée ;

Qu'au soutien de son argumentation, S. K. expose que le sixième testament l'ayant instituée légataire universelle de M. G. doit bien être considéré comme daté du 10 janvier 1995 ; qu'en effet, l'élément extrinsèque tiré de la date de dépôt de ce testament chez le notaire, soit celle du 10 janvier 1995, doit, selon la défenderesse, permettre de rectifier l'erreur inhérente au quantième de l'année civile mentionnée sur le testament, qui n'est pas 1996, mais bien 1995 ;

Attendu que S. K. rappelle en outre que la place de la signature est libre et indifférente, celle-ci pouvant figurer valablement sur l'enveloppe et être donc séparée du testament qui s'y trouve contenu, pour autant qu'elle forme avec lui un « tout indivisible », ce qui serait le cas en l'espèce ;

Attendu que M. L. veuve G. et R. G. réitèrent quant à eux leurs précédents écrits judiciaires aux termes desquels ils soutenaient :

  • à titre principal, que la date était « impossible », donc inexistante, et que la signature de l'auteur du testament faisait défaut au pied de l'acte commençant par la mention « je soussigné », ou même sous la mention figurant au recto de l'enveloppe « ceci est mon testament » ;

  • à titre subsidiaire, si la date du 10 janvier 1995 était retenue, que l'état de santé de M. G. s'étant fortement dégradé, il n'avait pas la capacité intellectuelle de signer le testament litigieux ;

Attendu qu'au vu du procès-verbal du 2 avril 1998, les co-demandeurs se contentaient de préciser que si une erreur de millésime était plausible, c'eût été la date du 10 janvier 1994 qui aurait dû être mentionnée sur le testament olographe, et non celle du 10 janvier 1996 ;

Que s'agissant par ailleurs des signatures au verso de l'enveloppe, les co-demandeurs observent simplement que le testament n'est pas signé et que la mention située sur le recto de l'enveloppe « ceci est mon testament » n'est pas davantage suivie de la signature de son auteur ; que les trois signatures apposées au verso sur la bande adhésive fermant l'enveloppe ont été replacées à cet endroit pour garantir le secret de l'enveloppe et ne forment nullement avec le testament un « tout indivisible » ainsi que le requiert la jurisprudence ;

SUR CE :

Attendu en la forme, sur les moyens soulevés initialement par les co-demandeurs pour critiquer tant la requête d'envoi en possession que l'ordonnance subséquente rendue par le Premier Vice-Président du Tribunal le 3 avril 1996, qu'il y a lieu de constater que cette décision ne fait aucun grief à M. L. veuve G. en permettant ainsi qu'il est soutenu une prise de possession de sommes « indisponibles » ; qu'il résulte à cet égard de l'acte de notoriété du 28 décembre 1995 qu'à la suite du décès de J. G., père de M. G., sa seconde épouse M. L. a recueilli l'usufruit des biens de ce dernier, tandis que M. recueillait la nue-propriété d'un tiers de ces biens dont il pouvait dès lors valablement disposer lui-même ; qu'il s'ensuit que l'ordonnance du 3 avril 1996, qui envoie en possession des seuls biens dépendant de la succession de M. G. ne porte aucunement atteinte à l'usufruit de la demanderesse et apparaît régulière en la forme ;

Attendu que le Tribunal se trouve quant au fond saisi d'une demande de rapport de cette même ordonnance sur le fondement invoqué de la nullité du testament olographe de M. G. ;

Attendu que ledit testament établi par le de cujus en Principauté de Monaco doit en vertu de la règle « locus regit actum » remplir les conditions de forme édictées par l'article 836 du Code civil monégasque, c'est-à-dire être écrit en entier, daté et signé de la main du testateur ;

Attendu que le document qualifié de testament par M. G., décédé le 2 avril 1995, instituant S. K. sa légataire universelle et révoquant toutes autres dispositions antérieures, est bien rédigé en entier de la main de ce dernier ;

Attendu que la date du 10 janvier 1996 apparaissant impossible, puisque postérieure au décès du testateur, une mesure de vérification était ordonnée par le Tribunal à l'effet de pouvoir, le cas échéant, reconstituer la date véritable de l'acte dont s'agit ;

Que l'audition de Maître Louis-Constant Crovetto, notaire, et l'examen du registre des testaments, permet au Tribunal de dire et juger que le cinquième testament remis à l'étude du notaire le 26 août 1993 et retiré le 9 janvier 1995 a été remplacé par le sixième et dernier testament déposé par M. G. lui-même le lendemain, soit le 10 janvier 1995 ;

Que dans la mesure où c'est précisément ce sixième testament qui a institué S. K. légataire universelle, en révoquant les autres dispositions antérieures, il résulte de la date avérée de son dépôt, soit le 10 janvier 1995, que c'est le même jour que M. G. a rédigé ses nouvelles intentions testamentaires en commettant cependant une erreur sur le chiffre de l'année civile qui venait de débuter ;

Attendu que compte tenu de l'ensemble des éléments extrinsèques susvisés - tirés de la date de dépôt chez le notaire du sixième et dernier testament établi par M. G. - il convient d'assurer la volonté du de cujus et de reconstituer la date régulière de son testament comme étant celle du 10 janvier 1995 et non du 10 janvier 1996 ;

Attendu que les co-demandeurs invoquent en outre au soutien de leur demande de nullité du testament olographe l'absence de signature de M. G. sur le document proprement dit ;

Qu'il résulte en effet des pièces produites que l'acte portant les dispositions testamentaires du de cujus n'est pas revêtu de la signature de ce dernier ;

Qu'il est en revanche indiqué par la défenderesse - et non au demeurant contesté par les co-demandeurs - que l'enveloppe contenant le testament et portant sur son recto la mention manuscrite « ceci est mon testament », se trouve en son verso revêtue de trois signatures du de cujus apposées sur la partie adhésive en permettant la fermeture ;

Attendu que si la place de la signature est libre et indifférente au regard des dispositions légales applicables, et si son apposition peut valablement être effectuée sur l'enveloppe contenant le testament, il convient de s'assurer qu'il s'agit bien d'une part d'une véritable signature et qu'elle forme d'autre part avec l'acte un tout indivisible ;

Qu'à cet égard, l'analyse de l'enveloppe considérée et la comparaison avec les documents d'identité de M. G. produits aux débats permet d'affirmer que les trois signatures ne sont pas de simples paraphes mais correspondent à la véritable signature du de cujus ;

Qu'en outre, bien que celle-ci soit séparée de l'acte portant les dispositions testamentaires, il existe entre elle et le testament un lien étroit - tant matériel qu'intellectuel - qui en fait un ensemble indivisible ; qu'en effet, la mention inscrite de l'autre côté de l'enveloppe « ceci est mon testament » caractérise cette relation certaine entre la qualification de l'acte qui s'y trouve inséré et la marque ou le signe de l'approbation personnelle et définitive de son contenu par le rédacteur signataire qu'est le testateur ;

Attendu que les signatures apposées sur l'enveloppe dont s'agit obéissent dès lors aux prescriptions légales, en sorte que le testament olographe remplit bien les conditions de validité édictées par l'article 836 du Code civil ;

Attendu qu'il convient enfin de constater que les co-demandeurs ne rapportent nullement la preuve de l'insanité d'esprit de M. G., au regard de laquelle il n'aurait pas eu la capacité requise pour léguer ses biens ; qu'en effet, les factures d'hôpitaux produites aux débats permettent tout au plus d'établir que le de cujus est rentré à l'hôpital américain de Neuilly le 10 janvier 1995 pour y subir une intervention chirurgicale, sans qu'il en résulte la preuve d'une absence de discernement ou d'une altération des facultés mentales de cet homme âgé alors seulement de 55 ans ;

Qu'enfin, la demande d'expertise formulée de ce chef par les co-demandeurs doit être rejetée, étant rappelé qu'il n'appartient pas au Tribunal de suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve ;

Attendu qu'il convient en définitive de débouter M. L., veuve G. et R. G. de l'ensemble de leurs demandes et de dire que l'ordonnance d'envoi en possession du 3 avril 1996, régulière en la forme et au fond, devra sortir son plein et entier effet ;

Attendu que les dépens devront rester à la charge des co-demandeurs qui succombent ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

statuant contradictoirement, après jugement avant-dire-droit du 5 février 1998 ;

Dit et juge que la date régulière du testament olographe de M. G. est celle du 10 janvier 1995 et non du 10 janvier 1996 ;

Déclare valable et régulier en la forme ledit testament ;

Déboute M. L. veuve G. et R. G. de l'ensemble de leurs prétentions ;

Dit et juge que l'ordonnance d'envoi en possession du 3 avril 1996, régulière en la forme et au fond, devra sortir son plein et entier effet ;

Composition🔗

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Blot et Karczag-Mencarelli, av. déf. ; Spano, av. bar. de Nice ; Meunier, av. bar. de Paris.

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