Tribunal de première instance, 3 décembre 1998, G.-D. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Fonction publique

Agent contractuel de l'État - Rupture du contrat - Indemnité de congédiement : conditions fixées par règlement général - Nullité de la décision administrative de rupture : compétence du Tribunal Suprême

Résumé🔗

Par lettre d'embauche du 3 avril 1997, C. G.-D. a été engagée par le directeur de la fonction publique et des ressources humaines en qualité de moniteur-surveillant à la salle de musculation du Stade L. pour une période d'un an à compter du 24 mars 1997 ; ce document indiquait qu'elle serait soumise aux dispositions du règlement général applicable aux agents contractuels de l'État, dont un exemplaire lui a été remis, et qu'elle aurait à satisfaire « à une période d'essai de trois mois, éventuellement renouvelable ».

Par lettre postée du 26 juin 1997, le directeur de la fonction publique résiliait ce contrat d'engagement.

C. G.-D., à la suite de cette rupture, a assigné l'État devant le tribunal de première instance en paiement d'une somme de 135 000,00 F correspondant aux salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à l'échéance du contrat, d'une somme de 50 000,00 F de dommages-intérêts pour licenciement abusif et en invoquant que la décision administrative de rompre ce contrat était entachée de nullité.

Il doit être admis que la période d'essai s'achevait le 24 juin 1997, à défaut d'avoir été valablement prorogée pour un mois, de sorte qu'à la date de la rupture devant être prise en considération, la période d'essai se trouvait expirée et que C. G.-D. disposait d'un engagement à durée déterminée s'achevant le 24 mars 1998.

Ayant été congédiée dans ces conditions, en cours de contrat, sans que l'État ait fondé sa décision de rupture sur une faute de son agent, celui-ci pourrait tout au plus bénéficier de l'indemnité de congédiement prévue par l'article 35 du règlement susvisé lequel édicte : « l'agent contractuel congédié en cours de contrat à durée déterminée peut bénéficier, sauf en cas de faute grave, d'une indemnité de congédiement fixée par une circulaire de l'Administration ». Or, cette circulaire n° 76-15 du 1er juillet 1976 prévoit en son article 2 que l'indemnité de congédiement est calculée en fonction des années d'ancienneté des agents contractuels et dispose, pour ceux qui ne remplissent pas cette condition : « toute fraction de service supérieure ou égale à six mois est comptée pour un an ; toute fraction de service inférieure à six mois n'est pas prise en compte ».

Aussi ces conditions ont pour effet, en l'espèce, de priver la demanderesse de l'indemnité de congédiement, faute de pouvoir justifier d'une durée de services égale ou supérieure à six mois, la rupture étant intervenue après trois mois et quelques jours alors que cette fraction de services n'est pas prise en compte par la circulaire.

Il y a lieu de relever que les dispositions de ce règlement administratif se distinguent de celles inapplicables en l'espèce, régissant les rapports de travail entre particuliers, auxquels C. G.-D. fait implicitement référence, notamment en sollicitant des dommages-intérêts calculés sur les salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à l'échéance de son contrat.

Par ailleurs, il y a lieu d'observer que la demande de « nullité » de la décision administrative de rupture, ne peut être dissociée de l'économie générale qui préside à la thèse soutenue par la demanderesse (décision de rupture intervenue après que l'engagement soit devenu définitif) ; s'il devait être conféré à cette demande une portée autonome, le tribunal de première instance, statuant en matière administrative, serait incompétent pour connaître d'un tel recours en annulation, exclusivement réservé par l'article 90 B 1°) de la Constitution à la juridiction du Tribunal Suprême.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par lettre d'embauche du 3 avril 1997 - dûment acceptée et valant contrat – C. D. a été engagée par le directeur de la fonction publique et des ressources humaines en qualité de moniteur-surveillant à la salle de musculation du stade L. pour une période d'un an à compter du 24 mars 1997 ;

Il a été indiqué dans ce document qu'elle serait soumise aux dispositions du règlement général applicable aux agents contractuels de l'État, dont un exemplaire lui a été remis, et qu'elle aurait à satisfaire « à une période d'essai de trois mois, éventuellement renouvelable » ;

Dès le 22 avril 1997, C. D. faisait l'objet, par écrit, de reproches divers de la part du « responsable technique » du stade L. qui l'avertissait ainsi, en conclusion de sa lettre :

« ... Si je ne constate pas une amélioration rapide, durable dans vos relations professionnelles et un respect intégral des règles instituées, je me verrais dans l'obligation d'interrompre votre période d'essai » ;

Le 17 juin 1997, ce même responsable lui écrivait notamment :

« À la suite de notre entrevue du 21 avril et de mon courrier en date du 22 avril dernier, je suis au regret de constater qu'aucun changement notable de votre comportement n'a été observé.

...

Aussi, comme je vous l'ai indiqué lors de notre dernier entretien du 12 juin, je me vois contraint de proroger votre période d'essai pour un mois.

Si pendant ce laps de temps, je constate encore la moindre anicroche, je me verrais dans l'obligation de rompre votre contrat de travail sans aucun délai » ;

Enfin, le 20 juin 1997, le responsable technique faisait part à C. G.-D. :

« À la suite de notre entretien de ce jour, je vous confirme par la présente qu'il est mis un terme à votre période d'essai au sein de notre établissement... » ;

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 24 juin 1997, postée le 26 juin et distribuée à sa destinataire le 28 juin 1997, le directeur de la fonction publique confirmait la décision en ces termes :

« ... En application des 5e et 6e alinéa du document précité (la lettre-contrat), je vous confirme, en accord avec Madame le Directeur de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, que votre engagement est résilié sans préavis de part et d'autre ni indemnité à compter du 20 juin 1997... » ;

Par courrier du 8 juillet 1997, C. G.-D. sollicitait en vain, par l'intermédiaire de son conseil, sa réintégration dans son poste au motif qu'à la date de la notification de la résiliation du contrat, elle se trouvait « engagée définitivement jusqu'au 24 mars 1998 » ;

Par l'exploit susvisé du 30 septembre 1997, C. G.-D., qui expose que sa période d'essai de trois mois expirait le 24 juin 1997 et que son engagement était devenu définitif lorsque la lettre de rupture lui a été adressée, a fait assigner l'État en paiement d'une somme de 135 000 francs à titre de dommages-intérêts, correspondant aux salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à l'échéance du contrat, en demandant au Tribunal de juger qu'à la date du 26 juin 1997, son engagement en qualité de moniteur-surveillant était devenu définitif ;

L'État a conclu au rejet de ces demandes ; il fait valoir que dès le 20 juin 1997, les relations contractuelles ont été rompues, à la suite de la notification faite à C. G.-D. par le responsable technique du stade L., soit durant la période d'essai ;

Il précise que l'intéressée a eu connaissance de la résiliation de son contrat dès cette date et estime que l'argument relatif à la date de la rupture est inopérant ;

Il fait état par ailleurs de fautes caractérisant de graves manquements à ses obligations contractuelles par C. G.-D. et considère que l'administration se devait de mettre un terme à l'engagement ; À titre reconventionnel, l'État poursuit la condamnation de la demanderesse à lui payer 50 000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive, en relevant avoir été assigné « pour des motifs totalement fantaisistes » ;

En réponse (conclusions du 22 janvier 1998), C. G.-D., après avoir observé que l'État reconnaît l'irrégularité de forme de la lettre du 20 juin 1997, énonce que cela « prouve que la fantaisie n'est peut-être pas du côté où l'État croit la trouver » ;

Elle relève que cette lettre n'a pas date certaine et qu'un simple responsable technique n'a aucun pouvoir pour notifier une rupture de contrat de travail, à telle enseigne que le directeur de la fonction publique a lui-même adressé une lettre en ce sens ; Elle constate par ailleurs qu'en invoquant des motifs de rupture, l'État reconnaît que celle-ci s'est emplacée hors la période d'essai, et s'emploie à discuter les griefs qui lui sont faits ;

En dernier lieu, elle soutient que le terme de l'engagement se situait au 23 mars 1998 et que le contrat ne pouvait être rompu avant cette date que pour faute grave, dont la preuve ne serait pas rapportée ;

Ajoutant à ses précédentes demandes, elle sollicite du Tribunal qu'il juge :

• que l'État a avoué que la rupture est intervenue après la période d'essai,

• que la décision administrative de rompre ce contrat est entachée de nullité,

• que le licenciement dont elle a fait l'objet est abusif en la forme et au fond, et doit donner lieu au paiement de la somme complémentaire de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Par conclusions en réplique du 22 avril 1998, l'État estime que la phrase, citée ci-dessus, contenue dans les conclusions adverses du 22 janvier 1998, est insultante, de même que le ton d'un paragraphe de la page 3 ne serait pas de mise, et encore que la mise en cause d'un tiers au litige révèlerait un acharnement de la demanderesse ; Il est donc demandé, en application de l'article 23 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982, le bâtonnement de ces passages, considérés par l'État comme « injurieux, outrageants ou diffamatoires... excessifs, irrévérencieux, inconvenants ou... répréhensibles » ;

Sur le fond, l'État affirme qu'aucune formalité particulière n'est nécessaire en vue de résilier le contrat de l'espèce et soutient que cette résiliation est intervenue le 20 juin 1997, le courrier du 24 juin suivant ayant eu pour seul objet de confirmer la rupture ;

Il explique avoir mis en cause l'exécution du contrat par C. G.-D. uniquement pour établir, de façon superfétatoire, le bien-fondé de sa décision, laquelle n'avait pas à être motivée ;

Dans d'ultimes écrits judiciaires, C. G.-D. conclut au rejet de cette prétention et maintient ses demandes, en observant que l'État trouve insultants pour lui les termes que lui-même emploie dans ses conclusions à l'égard de son adversaire, en sorte que si un bâtonnement devait intervenir, il devrait s'appliquer également aux écrits de l'État ; Elle rappelle que seuls peuvent être bâtonnés des propos imputant un fait grave, contraire à l'honneur ou à la réputation d'une partie ; Sur le fond, elle affirme que seule la direction de la fonction publique a le pouvoir de licencier des agents publics et soutient encore avoir été licenciée après l'expiration de la période d'essai ;

S'agissant des notes spontanément adressées par les parties au cours du délibéré, elles n'ont pas lieu d'être prises en considération faute de pouvoir valablement saisir le Tribunal ;

Sur quoi,

Attendu qu'après les plaidoiries, le Tribunal a demandé et obtenu de Maître Licari la production aux débats du document intitulé « Règlement général applicable aux agents contractuels ou suppléants de l'État » auquel se réfère la lettre d'embauche du 3 avril 1997 ;

Attendu qu'aux termes de l'article 35 de ce règlement, « l'agent contractuel congédié en cours de contrat à durée déterminée peut bénéficier, sauf en cas de faute grave, d'une indemnité de congédiement selon des modalités fixées par une circulaire de l'Administration » ;

Attendu que cette circulaire n° 76/15, produite par Maître Évelyne Karczag-Mencarelli, prévoit en son article 2 que l'indemnité de congédiement est calculée en fonction des années d'ancienneté des agents contractuels et dispose, pour ceux qui ne remplissent pas cette condition : « Toute fraction de services supérieure ou égale à six mois est comptée pour un an ; toute fraction de services inférieure à six mois n'est pas prise en compte » ;

Attendu, sur les conditions de la rupture, que l'État n'a pas soutenu que la période d'essai de trois mois prévue dans la lettre d'embauche avait été prorogée pour un mois le 17 juin 1997 ;

Qu'au demeurant, aucun élément n'est produit qui serait de nature à établir que le responsable technique du stade disposait du pouvoir de prolonger la période probatoire ; que la convention des parties n'apparaît pas avoir été valablement modifiée sur ce point ;

Attendu qu'il doit donc être admis que la période d'essai s'achevait le 24 juin 1997 ;

Attendu que rien n'autorise à soutenir que le responsable technique du stade, qui n'a pas procédé à l'embauche de C. G.-D., pouvait régulièrement mettre fin à son contrat au cours ou à l'expiration de la période d'essai ;

Que faute pour l'État de justifier que le responsable avait qualité pour le représenter en la cause, le Tribunal, après avoir constaté que l'autorité ayant prononcé la rupture n'est pas celle qui a procédé à l'engagement et que le principe du parallélisme des formes n'a pas été respecté, ne peut qu'en déduire que la lettre du 20 juin 1997 n'a pas eu pour effet de mettre fin à la période d'essai ;

Attendu par ailleurs qu'il ne saurait être reconnu à la lettre adressée par le Directeur de la fonction publique aucun effet rétroactif ; que la décision de rupture, valablement prise par ce fonctionnaire à la date du 26 juin 1997, correspondant à celle du cachet de la poste, n'a pu prendre effet en l'espèce qu'après avoir été portée à la connaissance de l'intéressée sans pouvoir rétroagir au 20 juin 1997,

Attendu, dans ces conditions, qu'à la date de la rupture devant être prise en considération, la période d'essai se trouvait expirée, en sorte que C. G.-D. disposait d'un engagement à durée déterminée s'achevant le 24 mars 1998 ;

Attendu qu'ayant été congédiée dans les conditions ci-dessus rappelées en cours de contrat, sans que l'État ait fondé sa décision de rupture sur une faute de son agent, C. G.-D. pourrait tout au plus bénéficier de l'indemnité de congédiement prévue par l'article 35 précité du règlement ; que les dispositions de ce règlement administratif se distinguent de celles, régissant les rapports de travail entre particuliers, auxquelles C. G.-D. fait implicitement référence, notamment en sollicitant des dommages-intérêts calculés sur les salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à l'échéance de son contrat ;

Attendu cependant que les conditions auxquelles la circulaire n° 76/15 du 1er juillet 1976 soumet le versement de l'indemnité de congédiement (article 2 dernier alinéa) ont pour effet, en l'espèce, de priver l'intéressée de cette indemnité, faute de pouvoir justifier d'une durée de service égale ou supérieure à six mois ; que la rupture étant en effet intervenue après trois mois et quelques jours, cette fraction de services n'a pas lieu d'être prise en compte, ainsi qu'en dispose la circulaire précitée ;

Qu'ainsi, C. G.-D. doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu, quant aux autres demandes, qu'il ne saurait être sérieusement tiré argument de ce que l'Etat a invoqué des fautes dans l'accomplissement de son travail par son agent pour en déduire un « aveu » d'une rupture survenue après la période d'essai, puisque l'État n'a pas varié dans ses écrits judiciaires visant à situer la date de cette rupture au 20 juin 1997 ;

Que par ailleurs, il y a lieu d'observer que la demande de « nullité » de la décision administrative de rupture ne peut être dissociée de l'économie générale qui préside à la thèse soutenue par la demanderesse (décision de rupture intervenue après que l'engagement est devenu définitif) ; que s'il devait être conféré à cette demande une portée autonome, le Tribunal de première instance, statuant en matière administrative, serait incompétent pour connaître d'un tel recours en annulation, exclusivement réservé par l'article 90 B 1°) de la constitution à la juridiction du Tribunal Suprême ;

Qu'en ce qui concerne la demande de « bâtonnement », le Tribunal ne peut que constater que l'allégation d'une assignation « pour des motifs totalement fantaisistes » est en premier lieu imputable à l'État et que la demanderesse s'est bornée à répondre, en des termes au demeurant mesurés, sur le même registre ;

Qu'alors que l'article 23 de la loi n° 1047 du 27 juillet 1982 permet à la juridiction saisie d'ordonner la suppression d'écrits injurieux ou diffamatoires, il y a lieu d'observer que les conclusions de Maître Licari, avocat-défenseur, ne contiennent à l'égard de l'État la relation d'aucun fait grave contre l'honneur ou la réputation, au sens dudit article ; qu'il s'ensuit que la demande de l'État à ce titre ne saurait être admise ;

Attendu, sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts, qu'il n'y a pas lieu d'y faire droit, C. G.-D. ayant légitimement pu se méprendre sur la portée de ses droits et n'apparaissant pas avoir, de ce fait, commis une faute en introduisant la présente action ;

Attendu que la demanderesse, qui succombe dans ses prétentions, devra supporter les dépens de l'instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute C. G.-D. de ses demandes ;

Déboute l'État de sa demande reconventionnelle ;

Composition🔗

M. Narmino près. ; Mme Le Lay prem. subst. Proc. Gén. ; Mes Licari, Karczag-Mencarelli av. déf.

Note🔗

Ce jugement est devenu définitif.

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