Tribunal de première instance, 22 septembre 1998, G. ès qualité, S., SCI La Vénitienne c/ Caisse d'Épargne Poitou-Charentes

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Abstract🔗

Faillites

Convention franco-monégasque du 13 septembre 1950 - Compétence du lieu où le failli, personne physique possède son établissement principal - Liquidation prononcée à Monaco : extension à la France des effets du dessaisissement

Résumé🔗

Aux termes de l'article 2 de la Convention franco-monégasque sur la faillite et la liquidation judiciaire du 13 septembre 1950, rendue exécutoire à Monaco par ordonnance souveraine n° 692 du 9 janvier 1953, le Tribunal compétent en matière de faillite est, pour les personnes physiques, celui du principal établissement.

L'article 5 subséquent prévoit par ailleurs que la production et la vérification des créances nées du débiteur sont régies par la loi du tribunal ayant ouvert la procédure collective.

Il s'ensuit que le tribunal de céans est seul compétent pour se prononcer dans le cadre de la procédure collective sur la créance actuellement invoquée par la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes à l'encontre de N. S., sans qu'il y ait dès lors lieu de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision des juridictions antérieurement saisies à cet effet par la débitrice, puisque aussi bien les effets du dessaisissement de N. S., du fait de sa liquidation des biens prononcée à Monaco, font obstacle à ce qu'elle poursuive sans l'assistance du syndic les instances judiciaires qu'elle a pu originairement introduire, même en France.

En effet, aux termes de l'article 530 du Code de commerce dès l'ouverture de la procédure de liquidation des biens, le débiteur est dessaisi, tandis que l'article 3 de la Convention franco-monégasque susvisée dispose que les effets de la faillite ou de la liquidation judiciaire, déclarée en France ou à Monaco, par le tribunal compétent, s'étendront au territoire de l'autre pays.

Il appartient donc au tribunal d'examiner les pièces et moyens invoqués par les parties au soutien, respectivement, de la production de la créance litigieuse et de la contestation du principe de celle-ci.


Motifs🔗

Le Tribunal

Les avocats et avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Attendu que, par jugement en date du 18 janvier 1996, le Tribunal, se saisissant d'office, a constaté l'état de cessation des paiements de N. C. épouse S., commerçante à Monaco sous l'enseigne « Pharmacie M. » ;

Que M. Jean-Charles Labbouz, a été nommé juge-commissaire et M. A. G., expert-comptable, désigné en qualité de syndic ;

Qu'ultérieurement, par décision du 14 mars 1996, le Tribunal a constaté la confusion des patrimoines de cette débitrice et de la société civile immobilière dénommée SCI La Vénitienne, les effets de la procédure collective d'apurement du passif résultant du jugement précité du 18 janvier 1996, étant alors étendus à cette société ;

Attendu que la liquidation des biens de ces deux parties a été prononcée par le Tribunal le 16 janvier 1997 ;

Attendu que la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes a produit au passif de ces deux débitrices pour la somme de 28 648 719,46 francs à titre chirographaire ;

Que le juge-commissaire statuant sur proposition du syndic, par application de l'article 468 du Code de commerce, a prononcé l'admission de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes conformément aux termes de la production ;

Attendu que l'état des créances opposées aux débitrices et comportant cette admission, a été déposé au greffe général le 27 mai 1997, avis de ce dépôt ayant ensuite été publié au Journal de Monaco du vendredi 13 juin 1997 ;

Attendu que, par déclaration faite au greffe général le 26 juin 1997, soit dans le délai de quinzaine prévu par l'article 470 du Code de commerce, N. S. née C., agissant en son nom et en celui de la société SCI La Vénitienne, a formé une réclamation contre l'admission de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes ;

Attendu que, statuant par provision sur cette constatation en application de l'article 471 du Code de commerce, le juge-commissaire a rendu à la date du 6 août 1997, une ordonnance par laquelle il a déclaré recevable mais infondée la réclamation de N. S. née C., et maintenu en conséquence l'admission de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes pour la somme de 28 648 719,46 francs à titre chirographaire ;

Attendu qu'à cet effet, le juge-commissaire a relevé que N. S. avait, par acte notarié du 23 septembre 1988, personnellement bénéficié d'un prêt de 18 000 000 francs de la part de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes, remboursable sur sept ans, outre intérêt de 9,14 %, les conditions de remboursement ayant été cependant modifiées par avenants des 19 février 1990 et 17 janvier 1991 ;

Que N. S. ne niait pas avoir manqué de rembourser régulièrement ce prêt, et reconnaissait être à ce titre débitrice de la somme litigieuse de 28 648 719,46 francs en principal et intérêts arrêtée au 25 mars 1996 ;

Que, si cette débitrice avait invoqué l'existence d'une contestation affectant la garantie hypothécaire que lui avait consentie, dans l'acte précité du 23 septembre 1988, sa caution, la SCI Paris Vendôme, cette circonstance demeurait sans incidence sur l'engagement principal de N. S. de même qu'une décision judiciaire française, également invoquée par la débitrice, pour attester de ce que les poursuites entamées à l'encontre de cette société par la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes n'étaient pas fondées sur une créance exigible ;

Attendu que l'état des créances opposées à N. S. et à la société La Vénitienne ayant été arrêté le 7 juillet 1997 à la somme de 78 520 472,94 francs, sous réserve, notamment, des réclamations formulées, l'examen de la créance de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes a été renvoyé par le Greffier en Chef à la première audience utile du Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 472 du Code de commerce ;

Attendu qu'au premier appel de la cause devant le Tribunal, la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes, comparaissant par Me Jean-Claude Woog, avocat au barreau de Paris, assisté de Me Rémy Brugnetti, avocat-défenseur, a réfuté la contestation opposée à sa créance, en relevant que N. S. n'avait élevé aucune contestation au fond quant à l'existence de cette créance et que l'ensemble de ses moyens y était étranger ;

Attendu que, pour sa part, le syndic A. G. a dans le même sens liminairement conclu au maintien des effets de l'ordonnance susvisée du juge-commissaire ;

Attendu toutefois que, par conclusions ampliatives datées du 30 octobre 1997, N. S. a fait valoir :

  • que par acte authentique du 23 septembre 1988 la Caisse d'Épargne de Niort lui avait consenti une ouverture de crédit d'un montant de 18 000 000 francs,

  • qu'étaient intervenus à l'acte son époux J.-P. S. pour se porter caution solidaire de l'engagement, outre intérêts, frais et accessoires, et d'autre part la société SCI Paris Vendôme qu'elle représentait, laquelle avait consenti pour sa part un engagement de caution simplement hypothécaire sur deux biens immobiliers situés respectivement à Paris et à Cap d'Ail ;

Qu'ensuite de deux avenants sous seing privé, modifiant les conditions de remboursement initialement prévues, un commandement de payer lui était adressé le 19 janvier 1994 par la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes portant sur une somme de 20 836 549,13 francs ;

Que, le paiement n'étant pas intervenu, une saisie immobilière a été diligentée à son encontre, sur laquelle elle-même et la société Paris Vendôme ont fait opposition, en contestant en son fondement la créance de l'établissement prêteur ;

Qu'elles ont alors invoqué devant la juridiction française saisie divers moyens relatifs à la régularité du titre exécutoire, à l'éventuelle novation résultant des avenants postérieurs à l'acte, à la nullité de celui-ci et au non-respect des dispositions d'ordre public de la loi française du 13 juillet 1979 dite Loi Scrivener ;

Que toutefois, par jugement du 30 mars 1995, le Tribunal de Grande Instance de Paris, en sa 9e chambre (2e section) l'avait déboutée avec la SCI Paris Vendôme de l'ensemble de ses demandes ;

Qu'elle a donc formé appel de cette décision devant la Cour d'appel de Paris ;

Attendu qu'en l'attente de la décision de cette juridiction devant porter à ses dires sur le fondement même de la créance de la Caisse d'Épargne, N. S. a donc conclu, compte tenu des circonstances ainsi rapportées, à ce qu'il soit sursis à statuer quant à l'admission de la créance invoquée par cette partie ;

Attendu qu'en réplique, le syndic A. G., qui soutient à titre principal qu'aucune pièce n'aurait été produite par N. S. à l'appui de sa contestation, relève subsidiairement que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur la créance de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes au regard des termes de la convention franco-monégasque sur la faillite et la liquidation judiciaire du 13 septembre 1950, rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance souveraine n° 692 du 9 janvier 1953 ;

Qu'il prétend à titre encore plus subsidiaire que les procédures françaises dont il est fait état ne concerneraient nullement l'existence même de la créance mais seulement la mise en œuvre de son recouvrement ;

Attendu qu'en ses dernières écritures N. S., en son nom et en celui de la société SCI La Vénitienne, a précisé cependant que, dans le cadre de la procédure d'appel l'opposant à la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes, le syndic a été mis en cause et reçu à cet effet une assignation en intervention ;

Que, contrairement à ce qu'indique le syndic, le litige ainsi pendant concernerait bien l'existence même de la créance invoquée par la Caisse d'Épargne, car il est en effet demandé la nullité du contrat de prêt susvisé du 23 septembre 1988 sur le fondement de la loi française « Scrivener » du 13 juillet 1979 ;

Que dès lors, et pour le cas où le Tribunal estimerait ne pas devoir surseoir à statuer en l'attente de la décision de la Cour d'appel de Paris, saisie d'une telle contestation, N. S. estime qu'il reviendrait alors au Tribunal de se prononcer de ce chef ;

Qu'elle a sur ce point réitéré dans la présente instance les conclusions qu'elle avait présentées à la Cour d'appel de Paris pour répondre à celles de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes, déposées devant cette juridiction le 14 novembre 1997 ;

Qu'elle estime en définitive sur cette base que la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes poursuit illégalement l'exécution et le remboursement d'une créance non certaine en son principe et dont le bien-fondé ne serait nullement démontré ;

Sur quoi,

Attendu qu'aux termes de l'article 2 de la convention franco-monégasque susvisée du 13 septembre 1950, le tribunal compétent en matière de faillite est, pour les personnes physiques, celui du principal établissement ;

Que l'article 5 subséquent prévoit par ailleurs que la production et la vérification des créances nées du débiteur sont régies par la loi du tribunal ayant ouvert la procédure collective ;

Attendu qu'il s'ensuit que le Tribunal de céans est seul compétent pour se prononcer dans le cadre de la procédure collective sur la créance actuellement invoquée par la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes à rencontre de N. S., sans qu'il y ait dès lors lieu de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision des juridictions françaises antérieurement saisies à cet effet par la débitrice, puisque aussi bien les effets du dessaisissement de N. S. du fait de sa liquidation des biens prononcée à Monaco, font obstacle à ce qu'elle poursuive sans l'assistance du syndic les instances judiciaires qu'elle a pu originairement introduire, même en France ;

Qu'en effet, aux termes de l'article 530 du Code de commerce, dès l'ouverture de la procédure de liquidation des biens le débiteur est dessaisi, tandis que l'article 3 de la convention franco-monégasque du 13 septembre 1950 dispose que les effets de la faillite ou de la liquidation judiciaire, déclarée en France ou à Monaco par le tribunal compétent, s'étendront au territoire de l'autre pays ;

Qu'il convient donc d'examiner désormais les pièces et moyens invoqués par les parties au soutien, respectivement, de la production de créance litigieuse et de la contestation du principe de celle-ci ;

Attendu que les pièces produites par la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes consistent pour l'essentiel en un bordereau de production daté du 3 avril 1996 et portant sur la somme de 28 648 719,46 francs correspondant au solde dû sur le prêt susvisé du 23 septembre 1988, outre une copie de l'acte notarié français comportant ledit prêt, et de ses avenants ultérieurs du 1er avril 1990 et du 31 janvier 1991 ;

Attendu que ces documents sont manifestement connus de N. S. compte tenu de ses écritures ci-dessus rapportées quoique aucun bordereau de communication de pièces n'ait été versé aux débats par l'avocat-défenseur de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes ;

Attendu qu'il est par ailleurs constant que N. S. n'a pas expressément mis en doute le calcul de la créance ainsi produite, puisqu'elle prétend liminairement à la nullité du prêt dont s'agit ;

Que, si elle estime en dernier lieu que sa dette pourrait être substantiellement réduite, elle ne fournit à ce propos aucun élément chiffré, se bornant à invoquer sans précision un préjudice né d'un manquement de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes à son obligation de conseil et de ce que cette caisse aurait perçu des remboursements de prêt indus ;

Qu'il convient par voie de conséquence d'examiner seulement, à présent, la portée de la contestation élevée par N. S. quant à la nullité prétendue de son engagement ;

Attendu que cette contestation est fondée sur la loi française dite Scrivener du 13 juillet 1979, actuellement applicable à titre de loi contractuelle, dont la violation des règles de forme qu'elle prescrit en matière de crédits immobiliers est sanctionnée par la nullité ;

Qu'à cet égard N. S. fait valoir que la distinction entre nullité absolue et nullité relative serait sans intérêt dès lors pour l'essentiel qu'aucune prescription ne pourrait lui être opposée, agissant elle-même en l'occurrence par voie d'exception de nullité face à une demande de paiement ;

Attendu cependant que l'acte dont s'agit du 23 septembre 1988 comporte, de convention expresse, la mention que le prêt de 18 000 000 francs consenti est destiné au refinancement de prêts immobiliers, à l'acquisition de biens immobiliers, et à financer une acquisition de clientèle ;

Que, dès lors, s'agissant à ce dernier titre du financement d'une activité professionnelle, ledit prêt, dont l'objet ainsi défini n'est pas dissociable pour une partie déterminable de ses deux autres finalités, se trouve nécessairement exclu du champ d'application de la loi Scrivener invoquée par application de l'article 2 de ce texte ;

Qu'il doit être à cet égard rappelé que le jugement susvisé du Tribunal de grande instance de Paris en a ainsi décidé, en relevant à cet égard qu'un rapport d'expertise établi antérieurement à l'ouverture de crédit litigieuse, précisait que celui-ci serait employé à l'achat d'un fonds de commerce de pharmacie à Monaco, au paiement du solde du prix d'une villa à Cap d'Ail et au rachat de clientèle de l'associé de l'époux de la débitrice travaillant avec lui au cabinet sis à Paris ;

Attendu qu'il s'ensuit que le moyen de nullité invoqué par N. S. doit être en l'état rejeté ;

Qu'il convient donc de maintenir de ce chef la production antérieurement admise de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes conformément aux termes de l'ordonnance du juge-commissaire du 6 août 1997, sans qu'il y ait lieu de s'attacher au surplus des moyens développés par N. S., en ses conclusions, et qui s'avèrent destinés à contester, non le principe ou le montant de la créance dont s'agit, sauf sur des bases chiffrées indéterminées, mais seulement les voies d'exécution mises en œuvre en France pour son recouvrement ;

Et attendu que N. S. et la société SCI LA Vénitienne succombent ainsi en leur instance en réclamation ;

Qu'elles devront donc en supporter les entiers dépens, en ce compris ceux réservés par l'ordonnance précitée du juge-commissaire ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Prononce l'admission définitive de la Caisse d'Épargne de Poitou-Charentes au passif de N. S. née C. et de la SCI La Vénitienne pour la somme de 28 648 719,46 francs à titre chirographaire ;

Ordonne qu'il en sera fait mention par le Greffier en Chef en marge de l'état des créances ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. Proc. Gén., Mes Pasquier-Ciulla, Brugnetti, Sbarrato av. déf.

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