Tribunal de première instance, 13 novembre 1997, Société de banque suisse c/ Compagnie financière de Chézy, G. G.

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Abstract🔗

Société

Société anonyme ayant un objet civil - Société civile - Conséquences - Application de l'article 1701 du Code civil nonobstant les dispositions contraires des statuts

Résumé🔗

Si l'article 26 du Code de commerce dispose que la loi reconnaît la société anonyme comme une société commerciale, cette disposition, analogue au texte de l'ancien article 19 du Code de commerce français, et qui est destinée à indiquer l'une des formes que peuvent revêtir les sociétés commerciales, n'institue nullement une commercialité par la forme des sociétés anonymes, qui, lorsqu'elles n'ont qu'une activité ou objet civils demeurent, par essence, des sociétés civiles ; en d'autres termes, il est de principe à Monaco que les sociétés ne sont civiles ou commerciales que d'après leur objet ou la nature de leur activité.

Il est constant, de ce point de vue, que la société anonyme monégasque dénommée, « École internationale d'accueil Tunon », dont le Tribunal a effectivement relevé, par jugement du 9 juillet 1992, devenu définitif et versé aux débats, que l'activité n'était pas commerciale, s'analyse en l'espèce comme une société civile constituée sous forme anonyme. Dès lors, et malgré la forme commerciale qu'elle a pu emprunter, une société dont l'objet statutaire est civil par nature, et qui n'ouvre pas en fait d'activité commerciale, ne peut être assimilée ni à un individu commerçant ni à une société se livrant à des opérations spécifiquement commerciales ; de la sorte, l'incidence pour les associés des engagements de la société à l'égard des tiers se trouve exclusivement régie par les articles 1700 à 1702 du Code civil qui proclament, de ce chef, une responsabilité personnelle et indéfinie des associés, à moins que les administrateurs n'aient pris soin en traitant avec les créanciers, d'obtenir d'eux, suivant l'article 1701 dudit code, une renonciation individuelle et volontaire à l'exercice de leur recours personnel.

Il ne saurait donc être dérogé, à cet égard, par l'acte constitutif de la société, au principe de responsabilité illimitée, divisée par portions viriles, des membres d'une société civile, puisque, dans le cas d'une société anonyme, toute clause statutaire restreignant le gage des créanciers au montant des actions, doit être tenue pour inopposable à ces tiers, comme étant pour eux « res inter alios acta » eût-elle été publiée dans les formes présentes par l'article 2, modifié, de l'ordonnance souveraine sur les sociétés anonymes et en commandite par actions du 5 mars 1895, puisque aussi bien une telle publicité n'est pas de nature à faire échec à l'application en l'espèce des dispositions de l'article 1020 du Code civil concernant l'effet relatif des conventions, dont l'article 1701 du même code constitue l'illustration.

Il s'ensuit que la publicité alléguée des statuts de la société « École internationale d'accueil Tunon » et qui, au demeurant, n'a pu que révéler aux tiers l'objet civil statutaire de ladite société, ne peut pas être utilement invoquée pour faire échec à l'application, à juste titre prétendue, des dispositions de l'article 1701 du Code civil.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, par l'exploit susvisé, la Société de banque suisse a saisi le Tribunal d'une demande tendant à ce que la Compagnie financière de Chézy, P. G. et C. G., soient avec exécution provisoire condamnés in solidum, à lui payer, outre intérêts et accessoires, le montant d'une condamnation devenue définitive, prononcée par le Tribunal le 6 janvier 1994 à l'encontre de la société anonyme monégasque dénommée École internationale d'accueil Tunon, dont ces trois défendeurs sont associés ;

Attendu que la demanderesse rappelle en effet que, par ce jugement du 6 janvier 1994, l'École internationale d'accueil Tunon avait été condamnée à lui payer une somme principale de 127 553, 17 francs avec intérêts conventionnels à compter du 15 mai 1992, ainsi que 8 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Qu'en incluant les frais et dépens mis à la charge de l'École internationale d'accueil Tunon, la Société de banque suisse réclame en définitive aux défendeurs une somme de 228 178,85 francs outre intérêts « pour mémoire » à compter du 26 juillet 1996 et jusqu'à parfait paiement ;

Attendu qu'au soutien de sa demande, la Société de banque suisse rappelle, qu'à défaut d'obtenir paiement des sommes dues par la société École internationale d'accueil Tunon, en exécution du jugement précité, elle avait envisagé de saisir le Tribunal d'une demande tendant à la déclaration judiciaire de l'état de cessation de paiements de sa débitrice, mais qu'il avait été alors porté à sa connaissance que, malgré sa forme commerciale, la société École internationale d'accueil Tunon se trouvait être de nature civile et immatriculée au répertoire spécial des sociétés civiles de la Principauté sous les numéros 71SC2655 et 72SC02655 ;

Qu'elle avait alors obtenu du greffe général l'acte de dépôt d'une assemblée générale des actionnaires de la société débitrice, aux termes duquel lesdits actionnaires se trouvaient être alors les trois défendeurs présentement assignés, ce pourquoi elle s'estime fondée à invoquer à leur encontre les dispositions de l'article 1701 du Code civil qui dispose que les associés sont tenus envers les créanciers avec lesquels ils ont contracté, chacun pour une somme et parts égales, encore que la part de l'un d'eux dans la société fût moindre, si l'acte n'a pas spécialement restreint l'obligation de celui-ci sur le pied de cette dernière part ;

Attendu que, bien qu'ayant parallèlement demandé en son assignation, ainsi qu'il vient d'être dit, la condamnation « in solidum », des trois défendeurs, à lui payer le montant des causes sus-énoncées, la Société de banque suisse estime dans le même acte, par référence aux dispositions du texte précité, que chacun des défendeurs doit être tenu de lui payer le tiers dudit montant ;

Qu'en ses dernières conclusions du 23 avril 1997, elle s'en tient désormais à cette seule demande ;

Attendu qu'en défense la Compagnie financière de Chézy, P. G. et C. G., sans nullement nier leur qualité de seuls associés de la société École internationale d'accueil Tunon, concluent au rejet de la demande de la Société de banque suisse, formulée à leur encontre sur le fondement de l'article 1701 du Code civil, et dont ils ne contestent pas le montant, motif pris, pour l'essentiel, de ce que le texte ne serait pas applicable en la cause, en raison du régime juridique de la société débitrice, lequel exclurait la responsabilité pécuniaire personnelle des associés ;

Attendu qu'à ce propos les défendeurs qui estiment que le régime de la société École internationale d'accueil Tunon est dérogatoire au droit commun des sociétés civiles, en dépit de l'objet civil de son activité qui demeurerait sans influence sur un tel régime, rappellent que cette même société a pris la forme d'une société anonyme monégasque, cette situation déclarée étant à leurs yeux opposable à tous, comme consacrée par un agrément du Gouvernement ;

Attendu qu'ils précisent en effet que les statuts de ladite société ont été souscrits les 30 avril et 30 juin 1976 par-devant maître Rey, notaire à Monaco, qu'un arrêté ministériel du 12 juillet 1976 l'a admise au régime de société anonyme monégasque, qu'à la date du 13 août 1976 ces statuts ont été publiés au Journal de Monaco, et que ceux-ci ont également fait, au greffe général, l'objet d'un dépôt le 23 août 1976 ;

Que les défendeurs, en l'état de ces divers actes, considèrent, en somme, que le régime de la société est opposable aux tiers, et qu'il s'agit en conséquence de celui d'une société anonyme à objet civil, régi par les règles applicables aux sociétés anonymes, lesquelles s'imposeraient à tous, tiers ou associés, comme dérogeant au droit commun de l'article 1701 du Code civil, les associés n'étant ainsi tenus qu'à hauteur de leurs apports ;

Attendu que la Compagnie financière de Chézy, P. G. et C. G. concluent en conséquence, sur cette seule base, à l'irrecevabilité et au mal-fondé de toutes les demandes de la Société de banque suisse et à la condamnation de celle-ci à leur payer une somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que cette dernière société, répliquant aux moyens de défense ainsi développés, a fait valoir à titre complémentaire en ses dernières conclusions, qu'à la suite d'une requête de la société École internationale d'accueil Tunon, tendant à la constatation judiciaire de son état de cessation des paiements, le Tribunal, par un jugement du 9 juillet 1992 confirmé en appel, avait en particulier relevé qu'en raison de l'objet de son activité, s'agissant d'un objet d'enseignement à caractère civil, ladite société n'était pas inscrite au Répertoire du commerce et de l'industrie, mais à celui spécial des sociétés civiles, en sorte qu'elle n'était pas présumée par la loi avoir la qualité de commerçant et qu'en définitive, n'exerçant pas d'activité commerciale, ladite société ne relevait donc pas de la loi sur les procédures collectives ;

Que la demanderesse principale estime donc qu'abonder dans la thèse des associés de cette même société reviendrait à conclure à l'absence de toute responsabilité de celle-ci comme de ses actionnaires, dès lors, en effet, que serait patente l'impossibilité d'ouvrir une procédure collective de règlement de son passif, pouvant déboucher sur des sanctions commerciales ou pénales annexes, et que l'inapplicabilité prétendue de l'article 1701 du Code civil ferait pareillement obstacle à toute sanction pécuniaire pesant personnellement sur les dirigeants sociaux ;

Attendu que la Compagnie financière de Chézy, P. G. et C. G., maintenant leurs précédentes conclusions, déclarent réfuter ces critiques, dès lors, en effet que leur éventuelle responsabilité d'associés ne serait pas inexistante mais simplement limitée à leurs apports, conformément au régime des sociétés anonymes, et que, par ailleurs, si leur société n'a pu effectivement faire l'objet d'une procédure collective, c'est seulement en raison de la nature civile de son activité, ces circonstances devant en somme conduire la demanderesse à ne pas confondre les conséquences juridiques procédant de la forme de la société École internationale d'accueil Tunon, et celles résultant de l'objet civil de cette société ;

Qu'il conviendrait donc de considérer en définitive comme cumulés en l'espèce ces deux types de conséquences, alors surtout que la constitution d'une société anonyme, même à objet civil, est habituellement entourée d'une importante publicité de nature à avertir parfaitement les éventuels créanciers sociaux quant au régime de la société, celui-ci pouvant d'autant moins échapper à la connaissance de la Société de banque suisse que cette dernière constitue sans doute un agent économique rompu au droit des affaires ;

Sur quoi,

Attendu que, si l'article 26 du Code de commerce dispose que la loi reconnaît la société anonyme comme une société commerciale, cette disposition, analogue au texte de l'ancien article 19 du Code de commerce français, et qui est destinée à indiquer l'une des formes que peuvent revêtir les sociétés commerciales, n'institue nullement une commercialité par la forme des sociétés anonymes, qui, lorsqu'elles n'ont qu'une activité ou un objet civils demeurent, par essence, des sociétés civiles ;

Qu'en d'autres termes, il est de principe à Monaco que les sociétés ne sont civiles ou commerciales que d'après leur objet ou la nature de leur activité ;

Attendu qu'il est constant, de ce point de vue, que la société anonyme monégasque dénommée École internationale d'accueil Tunon, dont le Tribunal a effectivement relevé, par jugement du 9 juillet 1992, devenu définitif et versé aux débats, que l'activité n'était pas commerciale, s'analyse en l'espèce comme une société civile constituée sous forme anonyme ;

Attendu que les sociétés de ce type se trouvent à Monaco dans la situation de celles qui étaient constituées en France antérieurement à la loi française du 1er août 1893, laquelle avait ajouté, à une loi antérieure de 1867, un nouvel article 68 aux termes duquel « quel que soit leur objet, les sociétés en commandite ou anonymes qui seront constituées dans les formes du Code de commerce ou de la présente loi, seront commerciales et soumises aux lois et usages du commerce » ;

Attendu que, dès lors, et malgré la forme commerciale qu'elle a pu emprunter, une société dont l'objet statutaire est civil par nature, et qui n'exerce pas en fait d'activité commerciale, ne peut être assimilée ni à un individu commerçant ni à une société se livrant à des opérations spécifiquement commerciales ; que de la sorte, l'incidence pour les associés des engagements de la société à l'égard des tiers se trouve exclusivement régie par les articles 1700 à 1702 du Code civil qui proclament, de ce chef, une responsabilité personnelle et indéfinie des associés à moins que les administrateurs n'aient pris soin en traitant avec les créanciers, d'obtenir d'eux, suivant l'article 1701 dudit code, une renonciation individuelle et volontaire à l'exercice de leur recours personnel ;

Qu'il ne saurait donc être dérogé, à cet égard, par l'acte constitutif de la société, au principe de responsabilité illimitée, divisée par portions viriles, des membres d'une société civile, puisque, dans le cas d'une société anonyme, toute clause statutaire restreignant le gage des créanciers au montant des actions, doit être tenue pour inopposable à ces tiers, comme étant pour eux « res inter alios acta », eût-elle été publiée dans les formes prescrites par l'article 2, modifié, de l'ordonnance souveraine sur les sociétés anonymes et en commandite par actions du 5 mars 1895, puisque aussi bien une telle publicité n'est pas de nature à faire échec à l'application en l'espèce des dispositions de l'article 1020 du Code civil concernant l'effet relatif des conventions, dont l'article 1701 du même code constitue une illustration ;

Qu'à ce propos, l'article 40 du Code de commerce, disposant que les associés d'une société anonyme ne sont passibles que de la perte du montant de leur intérêt dans la société, auquel renvoie implicitement l'article 28 de l'ordonnance souveraine précitée, ne peut recevoir application puisque, par référence à l'article 26 précité du Code de commerce, ces dispositions n'ont vocation à régir que les sociétés commerciales, et non civiles, constituées sous la forme anonyme ;

Attendu qu'il s'ensuit que la publicité alléguée des statuts de la société École internationale d'accueil Tunon et qui, au demeurant, n'a pu que révéler aux tiers l'objet civil statutaire de ladite société, ne peut pas être utilement invoquée pour faire échec à l'application, à juste titre prétendue, des dispositions de l'article 1701 du Code civil ;

Que, par voie de conséquence et dès lors que les sommes portées par l'assignation et résultant d'un précédent jugement n'ont pas fait l'objet de contestation, il convient de faire droit, pour le principal, à la demande de la Société de banque suisse ainsi qu'il sera ci-après disposé, ce, sur la base du tiers, arrondi, de la somme de 228 178,85 francs, la demande reconventionnelle tendant à la condamnation de cette dernière partie à des dommages-intérêts devant être ipso facto rejetée ;

Que, toutefois, les intérêts accessoirement réclamés « pour mémoire » par la demanderesse principale, à compter du 26 juillet 1996 et jusqu'à parfait paiement, n'ont pas été justifiés dans la demande quant à leur taux, ou point de départ ; qu'ils ne sauraient être, dès lors, octroyés qu'à compter de l'assignation du 2 août 1996, valant seule mise en demeure en l'espèce, et au taux légal ;

Attendu, enfin, que la demande d'exécution provisoire du présent jugement, non motivée, doit être pour ce rejetée ;

Et attendu que les défendeurs principaux qui succombent dans la présente instance devront en supporter les dépens, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit et juge que la société anonyme monégasque dénommée Société de banque suisse est fondée à opposer aux créanciers de la société anonyme à objet civil, École internationale d'accueil Tunon, l'article 1701 du Code civil ;

Faisant application de ce texte, condamne la société Compagnie financière de Chézy, P. G. et C. G., pris en leur qualité d'associés de la société École internationale d'accueil Tunon, à payer chacun, à la Société de banque suisse, la somme de 76 059 francs, montant des causes sus-énoncées, avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 1996 ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut, Blot, av. déf. ; Bouhenic, av. bar. de Paris.

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